Jean-Paul Huchon : «Nous sommes très inquiets pour la SNCF»

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Jean-Paul Huchon : «Nous sommes très inquiets pour la SNCF»

Jean-Paul Huchon : «Nous sommes très inquiets pour la SNCF»

Huchon


Le rendez-vous était pris depuis un mois avec Jean-Paul Huchon, qui avait décidé de réserver sa rentrée médiatique de président du Stif à Mobilettre. Et l’actualité a servi notre discussion: la semaine fut marquée d’intenses discussions entre élus franciliens autour du remplacement annoncé d’Etienne Guyot par Philippe Yvin à la tête de la Société du Grand Paris, et la veille, un incident majeur a perturbé gravement l’exploitation du RER B au nord, ce RER auquel les élus ont consacré tant d’argent… Voilà donc le président Huchon lancé sur la qualité de service et les concrétisations du Grand Paris. Du coup, les autres sujets (alliance avec les Verts, organisation institutionnelle de l’Ile-de-France) seront approfondis une autre fois…

Préoccupé par les lacunes de l’exploitation ferroviaire, le président Huchon confirme sa nouvelle fermeté de l’automne, à sa manière: pas de déclaration martiale qui ferait le régal des réseaux sociaux, mais quelques critiques sans concessions envers la SNCF, son management et sa performance technique. C’est un soutien clair à l’exigence des équipes du Stif menées par Sophie Mougard, en faveur d’un travail absolument prioritaire sur la robustesse des conditions d’exploitation, le seul à même de redresser une qualité de service défaillante. A un an des élections régionales, les déclarations du président Huchon placent à nouveau directement Guillaume Pepy devant ses responsabilités. Et justement, les jours et les semaines qui viennent pourraient marquer une nouvelle étape pour la SNCF en Ile-de-France: dans la foulée de la montée en puissance d’Yves Ramette sur l’infra, Pierre Messulam, actuel numéro 2 de la Stratégie et très bon expert ferroviaire, devrait, selon nos informations, diriger la production à Transilien.


«Pour la SNCF, même si on l’exprime de façon courtoise et modérée, on est très inquiets»

MOBILETTRE. Lorsque vous avez reçu Guillaume Pepy au mois de novembre avec les élus du Stif, vous avez multiplié les critiques sur les lacunes de Transilien. Qu’attendez-vous de cette nouvelle fermeté ?
Jean-Paul Huchon. C’est devenu une bonne habitude de voir régulièrement les dirigeants de la RATP et la SNCF. Les élus du Stif sont attentifs et ont effectivement des choses à dire en matière de qualité de service. La RATP s’en est plutôt bien tirée – à l’exception d’une ou deux lignes délicates dont la 13, et du commandement unique des RER partagés avec la SNCF.
Pour la SNCF, même si on l’exprime de façon courtoise et modérée, on est très inquiets. On a l’impression, alors que des centaines de millions d’euros s’abattent sur le transport public, que l’exploitation quotidienne ne fonctionne pas.
A chaque fois qu’un incident de trafic se produit, d’un seul coup semble se détricoter l’acquis initial. On vient ainsi de dégager 500 millions d’euros pour le seul RER B, à la fois pour le matériel et l’infrastructure, et ce sont des centaines de milliers de personnes qui sont affectées par un problème électrique (NDLR mercredi dernier le trafic a été interrompu pendant une grande partie de la journée sur la partie nord du RER B exploitée par la SNCF)! Il y a quelque chose d’absolument choquant pour les voyageurs à subir ces incidents.

Jusqu’alors s’accumulaient les problèmes d’exploitation, dont une part étaient imputés à la vétusté des infrastructures ; il semble que la performance en matière d’ingénierie soit désormais aussi en cause…
J.-P. H.
Ce que je reproche effectivement, c’est qu’il s’agit d’équipements neufs. «La puissance électrique n’a pas été bien calculée», m’a expliqué Jacques Rapoport: il a pris sa part de responsabilité mais celle-ci doit être partagée ! La réforme ferroviaire entre SNCF et RFF va certainement simplifier les choses. Le président de RFF est un homme compétent, profondément opérationnel, il l’a prouvé à la RATP. En outre la nomination d’Yves Ramette à la tête du GIU est une bonne décision.

«Je vais aller tous les mois vérifier sur le terrain le respect des engagements»

Que pouvez-vous encore faire en tant qu’AO ?
J.-P. H.
Je comprends que vous posiez la question. Qu’est-ce qui reste à faire sur les contrats ? En matière de sécurité, propreté, fiabilité, robustesse du réseau, entretien de l’infra, nous devons augmenter à nouveau le degré d’exigence. Ainsi, en matière de propreté des gares, il y a beaucoup à faire – et cela vaut pour la RATP et la SNCF, qui se mobilisent sur le sujet. Je pense qu’on doit engager les entreprises à faire encore mieux. Comment ? Faut-il augmenter les bonus et les malus ? Leur principe n’est pas toujours compris parce que les usagers pensent qu’on ne sanctionne pas assez les manquements, et qu’on accorde a contrario des bonus pour si peu. Il ne faut pas que le malus soit décourageant pour l’entreprise même s’il doit être nettement pénalisant.
Mais tout cela concerne la négociation du prochain contrat. D’ici là nous devons jouer à plein notre rôle d’AO auprès des entreprises, nous faire entendre du gouvernement et du grand public. Je vais aller tous les mois vérifier sur le terrain le respect des engagements, notamment l’entretien du réseau. Le faire en compagnie des présidents de la SNCF et de RFF a un sens.

Est-ce que l’amélioration de la situation est seulement une question d’argent ? Manifestement certains budgets disponibles ne sont pas dépensés.
J.-P. H.
Il y a effectivement une question de mobilisation industrielle et d’ingénierie. L’exemple type c’est la tangentielle nord, que j’ai fait voter au contrat de plan… 2000 ! Les travaux ont été engagés en 2011, ce n’est pas brillantissime… On s’est aperçu en fait que SNCF et RFF n’avaient pas engagé le nombre et la qualité nécessaires en ingénierie. Je les ai convoqués plusieurs fois, et Guillaume Pepy et Bénédicte Tilloy ont bien voulu le reconnaître.

«Guillaume Pepy doit emmener son entreprise pas seulement dans le registre de la perfection technique, mais aussi dans un nouvel esprit de management»

Pour en revenir au contrat, on a l’impression que la RATP est allée assez loin dans le respect de l’esprit du contrat avec plus de transparence et des gains de productivité, quand la SNCF de son côté n’utilisait pas le levier de l’AO comme facteur de changement interne.
J.-P. H.
Il y a toujours un danger à utiliser la logique du contrat, ça peut faciliter la vie des directions de dire que si vous souffrez, c’est à cause du Stif… Mais Pierre Mongin reconnaît que le Stif est devenu en Ile-de-France le seul partenaire fiable et durable ; on investit, on ne se dérobe pas, on ne revient pas sur nos engagements, on s’efforce de trouver l’argent nécessaire aux investissements. En outre nous partageons le même attachement au service public de transport. La question de Guillaume Pepy, c’est d’emmener son entreprise sur un objectif et une modernité pas seulement dans le registre de la perfection technique (pour autant la SNCF n’a pas encore atteint le degré de performance de la RATP, c’est clair), mais aussi dans un nouvel esprit de management. Il essaie de doter sa maison d’un esprit d’entreprise et de responsabilité ligne par ligne.

La clé du progrès c’est donc le management ?
J.-P. H.
Oui. En outre la RATP n’a pas été écartelée entre la grande vitesse, les ambitions internationales et son territoire historique. Entreprise nationale et régionale, elle a été managée de manière moderne, depuis longtemps, par ses présidents, et portée par des projets ambitieux en Ile-de-France comme Meteor.

huchon14-vignetteLes contours des futures exploitations du Grand Paris se conçoivent dès aujourd’hui. Envisagez-vous une vraie concurrence ouverte entre opérateurs ?
J.-P. H.
Le jeu est ouvert sur ces lignes nouvelles. Rien n’a été décidé. Nous serons très attentifs dans la passation des marchés. Nous serons également attentifs à l’avis des syndicats, des élus et des experts. Il va donc falloir mener la discussion au sein du conseil du Stif.

Etes-vous tenté de faire baisser les prix par une dose de concurrence, comme pour la future ouverture du marché des bus en 2024, qui provoque d’ores et déjà des efforts spécifiques de la RATP ?
J.-P. H.
Il faut aussi prendre en compte la question du service public, la réactivité des entreprises à nos demandes. Attention au dumping…
Pierre Mongin a compris l’enjeu, il est conscient du risque. Transdev et Keolis sont sérieux, leurs dirigeants connaissent la musique. Je le répète, de par la loi tout est ouvert pour les nouvelles lignes, y compris pour le tramway (NDLR le T9). Mais le coût n’est pas le seul critère.

Vous avez gagné les arbitrages de 2013 sur le Grand Paris – 2 milliards d’euros «piqués» à la SGP et une ordonnance qui installe le Stif comme autorité organisatrice sur la totalité du territoire francilien. Est-ce que les évolutions de la gouvernance de la SGP, avec le remplacement, souhaité par le gouvernement, d’Etienne Guyot par Philippe Yvin, vous inquiètent ?
J.-P. H.
D’abord le projet. Je ne le crois pas en danger. Je suis certain que le prochain comité de pilotage signera un effet de lancement des opérations. Dès janvier 2015, on assistera aux premiers coups de pioche, ou plutôt de tunnelier.
La seule chose qui m’inquièterait, c’est que l’Etat ne fasse pas l’effort supplémentaire promis de 100 à 150 millions d’euros par an. Il faut résoudre la question pour 2015, et affecter ces sommes – par exemple via la SGP. Par ailleurs, dans le contexte d’économes de dépenses annoncées par le premier ministre, s’il y a un investissement à protéger c’est bien celui du Grand Paris.
En ce qui concerne les hommes, bouleverser une équipe au tout début d’un processus de travaux au timing très serré qui peut comporter des surprises, bouleverser une équipe qui a bien travaillé, sans œillères au contraire de celle de Christian Blanc… Oui, je suis vigilant.

Ce n’est que de l’inquiétude et de la vigilance, ou davantage ? Agissez-vous directement ?
J.-P. H.
Il y a trois choses. 1) La décision appartient au gouvernement car, je le rappelle, c’est un établissement public. 2) Je n’aime pas qu’on prenne des décisions qu’on n’explique pas…

Vous avez été averti par le Premier ministre…
J.-P. H.
J’ai été averti par le Premier ministre lui-même. Je lui ai dit qu’Etienne Guyot n’avait pas démérité. Mais je suis un dirigeant politique responsable et loyal envers le gouvernement…

Le lobbying de la SGP auprès du Conseil d’Etat et des parlementaires pour infléchir l’adaptation des décisions du Premier ministre du 6 mars peut peut-être l’expliquer ?
J.-P. H. … le directoire de la SGP est constitué de trois personnes. A ma connaissance Etienne Guyot a été loyal. Si on me dit qu’il y a eu des manquements, je peux en discuter. C’est normal pour un fonctionnaire de changer, mais il ne faut pas que ce soit vécu comme une sanction lorsque ce n’est pas justifié. Si ce qu’on propose à M. Guyot ne le satisfait pas (NDLR le poste de délégué interministériel à la Sécurité routière), alors il serait préférable qu’il soit préfet. Il en a la qualité et les compétences.
3) C’est une décision qui nécessite l’avis du conseil de surveillance de la SGP, elle exige la présence et l’avis des élus. Rendez-vous donc le mardi 21 janvier (NDLR demain).

Les relations avec les Verts, vos alliés politiques, sont parfois tumultueuses…
J.-P. H.
Elles sont bonnes. J’ai un engagement politique avec eux, qui s’applique à l’actuelle et à la future majorité de la région. Donc je tiens mon engagement. Nous avons décidé de nous battre sur la question de la tarification unique. A partir du moment où les employeurs peuvent comprendre que c’est à leur profit que ça se fait, le gouvernement peut reprendre notre argumentaire. J’ai commencé à en parler avec Pierre Gattaz et le président de la Chambre régionale de Commerce et d’Industrie. La discussion est ouverte, pour rechercher un compromis avec les employeurs, mais sans déstabiliser les finances du Stif.
Propos recueillis par Gilles Dansart


Ses vœux aux agents du Stif

Les salariés du Stif étaient réunis quelques heures avant l’interview de Mobilettre pour les vœux 2014. L’occasion pour Jean-Paul Huchon, sept ans après la régionalisation du Stif, de leur confier sa satisfaction.

«J’ai dit aux 350 salariés du Stif: « Au départ vous étiez faible, un petit caneton peu protégé, aujourd’hui vous êtes devenu une autorité incontournable. La somme des choses que vous avez réalisées fait qu’on vous respecte. »
Car on a inversé le sens de l’histoire au moment de l’accord du Grand Paris, les transports sont devenus une affaire gérée par les collectivités locales en partenariat avec l’Etat, ce qui n’était pas le cas avant. Et j’ai invité les agents du Stif à être toujours plus à l’écoute des élus locaux.
J’ai ajouté à leur attention :
« Si vous avez gagné, c’est parce que vous êtes bons. On imagine trop souvent que les décisions politiques se prennent de façon erratique, passionnelle ou psychologique. Elles se prennent aussi sur de bons dossiers – et vous avez de bons dossiers. »
Le Stif a bien travaillé, et le travail de Sophie Mougard est respecté : quand elle dit quelque chose c’est étudié, argumenté. Le bilan d’aujourd’hui du Stif est aussi son œuvre. »


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