: Mobitelex 212 – 9 mars 2018

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Mobitélex. L'information transport

les décryptages de Mobilettre

FERROVIAIRE

Négociations sociales:
la grande incertitude

Bien malin celui qui pourrait garantir avec précision la façon dont les choses vont se passer sur le front social ferroviaire, en ce printemps 2018. Grève dure ou molle, courte ou longue, entre les deux? Ou même pas du tout? Les nombreux cheminots que nous avons interrogés hésitent eux-mêmes sur leurs pronostics. Ils se rejoignent en revanche sur un constat: ils vivent mal les temps actuels et attestent d’une vraie crise collective, loin des résultats financiers flatteurs de l’année 2017.

De nombreux cadres ont déjà signifié qu’ils n’accepteraient pas de suppléer les conducteurs grévistes

Ballotté depuis tant d’années par l’absence de ligne directrice de l’Etat, les propres errements stratégiques de l’entreprise et ses lacunes industrielles et managériales, le corps social cheminot, y compris une grande part de l’encadrement, est désappointé. Pour preuve, Guillaume Pepy, qui sent les situations mieux que quiconque, a prévu de multiplier les rencontres avec ses cadres, à Saint-Denis, par contingents d’environ 200 personnes. Il a également signé une tribune dans le Monde («Ma conviction profonde est que la SNCF doit se réinventer», le 6 mars) pour critiquer le SNCF bashing, fédérer les troupes et redonner une perspective d’avenir. Trop tard?

Un sondage interne évalue cette semaine à 93% le taux de cheminots disposés à faire grève, une proportion qui ne baisse quasiment pas chez les cadres et même les cadres supérieurs. Signalons aussi un fait assez inédit, au moment où les établissements préparent les services de jours de grève: de nombreux cadres ont déjà signifié qu’ils n’accepteraient pas de suppléer les conducteurs grévistes. Même si cette radicalité est bien plus forte en région parisienne qu’en province, elle illustre l’état d’esprit d’une grande majorité de cheminots: on ne peut pas continuer comme çà.

La séquence déconcerte

Car l’emballement de février passe mal. Alors que depuis le mois d’août la France se gaussait d’une SNCF incapable d’assurer ses missions, avec en point d’orgue la convocation mal venue de ses dirigeants par la ministre Elisabeth Borne début janvier, voilà qu’arrive la deuxième lame, l’extinction progressive du statut, dont tout le monde a compris que le pouvoir macronien voulait en faire un scalp politique. Les éternels tacticiens des palais de la République avaient modélisé la situation: les cheminots affaiblis n’allaient pas pouvoir compter sur le soutien d’une opinion publique lasse de la mauvaise performance ferroviaire et opposée aux régimes spéciaux. Oui mais voilà, tout le monde se rend compte (enfin) que le statut n’explique pas tout, loin de là. Malgré les efforts et les récentes révisions stratégiques, le navire SNCF souffre depuis trop longtemps. Et un tel paquebot ne change pas de trajectoire d’un coup de gouvernail: pour que s’inscrive dans la réalité quotidienne la priorité à la robustesse industrielle, pour que diminuent la bureaucratie et les rivalités de structure, pour que s’installe durablement une vision de l’avenir indispensable à toute activité de réseau, il va en falloir des mois et des années de labeur stabilisé et dépassionné.

La ligne officielle fluctue

C’est dans ce contexte de grande perplexité des cheminots que l’habileté tactique initiale du gouvernement, à savoir lancer une concertation géante pour désamorcer un conflit brutal, peut se muer en confusion sur le point d’arrivée. Spinetta donnait plutôt la main au gestionnaire d’infrastructures, dans la continuité de la loi de 2014? Quelques jours plus tard Matignon et Roquelaure vantent un système intégré à l’allemande! Spinetta épargnait le management de Guillaume Pepy, Edouard Philippe emploie des mots très durs envers le management SNCF et appelle à un nouveau projet stratégique pour l’entreprise. Quant à la concurrence, on comprend que s’il faut se conformer aux textes européens, elle n’est plus vraiment cet aiguillon indispensable. Faut-il brouiller pour mieux régner? Les cheminots nourris au lait des référentiels de sécurité n’aiment guère l’incertitude, et surtout pas les changements de pied. Ils voudraient bien sortir du mouvement permanent qui fait se succéder les plans aux annonces, les programmes d’urgence aux dispositifs de circonstance, les réformes aux réformes.

Alors, quand subitement, la plupart des dossiers sont ouverts pour un cycle de concertation aussi rapide que massif, ils hésitent: est-ce tactique pour mieux faire passer l’amère pilule comptable, ou sincère pour vraiment sauver le ferroviaire?

Les syndicats s’adaptent

Conscients de l’état de l’opinion française, les syndicats ne sont pas tombés dans le piège d’une mobilisation à chaud bien aléatoire. Ils ont montré une vraie maturité tactique, à deux exceptions près: la sortie très maladroite de Philippe Martinez, de la CGT («On est prêts à faire un mois de grève!» – il fut vite prié de se tenir à l’écart par la fédération des cheminots CGT), et la tentative de résurrection de la CFDT par le combat, prête un temps à partir seule en grève le 14 mars. Finalement tous jouent le jeu de la concertation multi-sujets, pour obtenir le maximum d’éclaircissements et de compensations – on a bien compris que tout ce qui sera négocié pourra être introduit au fur et à mesure dans la loi d’habilitation, seuls les désaccords figureront dans les ordonnances. L’unité syndicale, impensable il y a encore quelques mois, tient le coup, même si chacun travaille ses troupes selon ses propres process et prépare à sa manière les mobilisations, dont la première, d’importance, le 22 mars prochain.

Du coup, on ne sait pas vraiment sur quoi va déboucher cette «drôle de concertation», complexe sinon compliquée par son ampleur et ses mécanismes de sortie. D’ailleurs Guillaume Pepy qui n’aime rien tant que ces situations, s’est placé au centre du jeu, entre des syndicats très mobilisés et une ministre tétanisée par l’enjeu et le risque politique. «Il y a du grain à moudre», a-t-il expliqué pour laisser le maximum de chances au dialogue.

Sur la fin de l’embauche au statut, trophée jugé indispensable à l’Elysée, on sent que certains au gouvernement voudraient faire passer la décision par quelques aménagements de calendrier, quand d’autres penchent pour l’intransigeance. Sur tout le reste, les discussions viennent à peine d’être engagées, à quelques jours de l’examen mercredi du texte de la loi d’habilitation, en Conseil des ministres. Et déjà quelques députés LREM qui sentent bien le terrain alertent sur la sensibilité du sujet ferroviaire.

Pour achever de dresser le tableau de cette grande incertitude, il faut prendre en compte la profonde évolution du corps social cheminot. Les plus jeunes s’identifient moins à l’entreprise et n’envisagent pas le statu quo d’un système aussi inefficace et si peu gratifiant, la génération des quadras/quinquas voudrait bien ne pas partir en laissant derrière elle ce qu’elle considère comme une forme de désastre industriel, les retraités encouragent volontiers à un sursaut de mobilisation. Contre toute attente, au-delà des arguments corporatistes et des approches idéologiques, on pressent que les cheminots éprouvent l’envie en ce printemps de passer à autre chose – relancer une entreprise en grande difficulté tout en sauvegardant une fierté. Il ne transpire, pour l’instant, ni colère ni résignation. Ce qui n’implique nécessairement ni l’affrontement ni la négociation…

Il n’est pas certain que le gouvernement avait totalement anticipé une telle situation. Il va donc devoir gérer finement deux impératifs difficilement conciliables: cet état de conscience collective des cheminots, bien loin de la grève par procuration de 1995, et le respect de la prétention publiquement affichée du président Macron.

Quelques chiffres qui déroutent

Jean-Cyril Spinetta confie ces jours-ci ce chiffre aux interlocuteurs devant lesquels il vient commenter son rapport: 23 milliards, soit l’évaluation de la dette de la SNCF imputable à la construction des lignes à grande vitesse. Certes, il faudrait savoir si cette somme inclut ou non les raccordements et les aménagements des gares, par exemple. Mais on est tenté de dire: «Seulement 23 milliards?» Il va bien falloir expliquer les autres 23 milliards de la dette de SNCF Réseau. Tout ne serait donc pas de la faute du TGV…

Autre chiffre qui modère le sévère constat Spinetta et relance la question des péréquations internes au système, le très bon résultat net de SNCF Mobilités en 2017 (1,3 milliard d’euros) qui révèle un rebond de la fréquentation du train (+10% pour le TGV, +4,3% pour les TER) – la reprise économique et l’éloignement de la période des attentats y contribuent largement. A noter qu’Eurostar, Thalys ou Eurotunnel bénéficient aussi de cette conjoncture favorable, qui vient démentir les sombres prévisions de la perte d’attractivité du train.

Grand Paris Express: voilà l’horizon 2024…

Mobilettre a déjà relevé le choix du gouvernement de la demi-vérité (ou du demi-mensonge?) dans ses arbitrages à propos du Grand Paris Express (lire Mobitelex 211). Entre autres, faire comme si la ligne 15 Sud et le prolongement Sud de la ligne 14 seraient en service au moment des Jeux Olympiques, en contradiction avec les calendriers techniques.

La RATP ressort une élégance sémantique fort pratique: le recours à l’horizon

Face à cette réalité politique qu’elle ne peut guère contester frontalement, la RATP ressort une élégance sémantique fort pratique: le recours à l’horizon. En annonçant le coup d’envoi des travaux de génie civil de la 14 Sud via l’attribution des deux premiers lots (sur quatre), elle en profite pour mentionner que «le prolongement permettra à l’horizon 2024 de relier l’actuel terminus Olympiades à l’aéroport d’Orly». Ce qui veut tout dire: il sera très difficile de tenir l’impératif «politique» de mai 2024. On ne pourra donc lui reprocher ni de manquer de respect au gouvernement ni d’avoir menti si jamais la mise en service, comme c’est probable, n’interviendra qu’en 2025. Car les travaux longs de 14 kilomètres seront compliqués, tout particulièrement pour réaliser l’interconnexion avec la ligne 15 Sud à la gare de l’IGR (Institut Gustave Roussy). Une ligne 15 Sud, dont il va bien falloir acter que son horizon se situera plutôt vers 2025…

Dans ces conditions, le recrutement d’un successeur d’envergure à Philippe Yvin ne semble guère aisé. Plusieurs pointures n’ont pas répondu aux sollicitations plus ou moins directes du gouvernement et des collectivités à candidater auprès du cabinet Progress: comment rétablir la vérité des coûts et des délais alors que le gouvernement vient de livrer à l’opinion et aux élus un calendrier irréaliste?

En définitive, deux des candidats les mieux placés, selon nos informations, sont actuellement DGS (directeurs généraux des services) de deux collectivités de province, une grande métropole de la façade ouest et une région de la moitié Est. Il est probable que le gouvernement annoncera son choix… à l’horizon de ce mois de mars.

fortune

Laurent Fourtune à Eurotunnel

Le directeur du département MOP de la RATP (maîtrise d’ouvrage des projets), dont le départ avait été annoncé début janvier (lire Mobitelex 205), va devenir le directeur du Tunnel sous la Manche – il en sera le Chief Operating Officer. Une responsabilité qui nécessite à la fois une grande maîtrise technique et de la réactivité pour assurer une disponibilité maximale de l’infrastructure.

Ile-de-France Mobilités:
une évaluation pertinente des offres

Autant l’avouer, on était un peu circonspect l’année dernière à l’annonce par Valérie Pécresse, la présidente d’IDFM, de la mise en place d’un comité d’experts pour évaluer l’offre de transports collectifs en Ile-de-France. N’était-ce le remarquable pedigree de ces quatre experts (le président Jean-Paul Bailly, l’ingénieur Yves Ramette, l’universitaire Yves Crozet et le compétent Marc Pélissier de la Aut Ile-de-France), qu’allaient-ils apporter à la plus puissante des autorités organisatrices françaises?

A la lecture de leur rapport, on a mieux compris l’intention: insister chaque année sur quelques mesures nouvelles (douze pour ce premier rapport) dont l’examen précis et complet vient compléter les statistiques globales de régularité et de fréquentation. C’est beaucoup plus pertinent que ces rapports annuels synthétiques qui manquent d’impact… et que plus personne ou presque ne lit. Les douze photographies analysées permettent au contraire une sorte de droit de suite de l’ensemble des acteurs. C’est assez judicieux, et cela n’empêche pas la critique constructive – Marc Pélissier ne s’en est pas privé sur plusieurs sujets.

Mobilettre y reviendra, mais chaque analyse (la refonte de l’offre de la ligne L, le nouveau matériel de la ligne 9 du métro, la mise en service du bus 20 à Gonesse, la mise en service du pôle Rosa Parks etc) apporte de très utiles enseignements – les synthèses ne se limitent pas à la litanie des chiffres et débouchent sur des appréciations claires. Manifestement les équipes d’IDFM ont gardé intacte leur réputation de rigueur dans l’exploitation des chiffres et des données.

Navigo à tarif unique: les services du Stif ne s’étaient donc pas trompés!

Reste l’examen très attendu d’une mesure ô combien polémique: le passage au tarif unique du Pass Navigo. Première leçon: «La mise en place des forfaits Toutes zones a eu un coût important dont l’estimation ex ante était exacte. Elle a conduit à une diminution de 487 millions d’euros des recettes tarifaires pour Île-de-France Mobilités en 2016.» Les services du Stif ne s’étaient donc pas trompés! On se souvient pourtant des exclamations des uns et des autres quand Sophie Mougard avait posé la facture sur la table…

Deuxième leçon: «La mise en place des forfaits Toutes zones a contribué à augmenter la mobilité par titre, c’est-à-dire le nombre de déplacements réalisés avec un même forfait. Ce constat traduit, d’une part, une plus grande utilisation des transports collectifs par rapport à une situation antérieure à la réforme tarifaire et, d’autre part, une plus grande propension des Franciliens à se déplacer dans l’ensemble des zones tarifaires d’Île-de-France, notamment pour des motifs non contraints, ce qui nécessitait auparavant de disposer d’un forfait de zones 1-5.»

Le tarif unique a donc bien profité aux abonnés, mais n’a guère convaincu les automobilistes de changer de mode de transport (les attentats les en ont aussi fortement dissuadé). Pour Valérie Pécresse, c’est à moyen terme que la mesure contribuera à un report modal plus important, et à condition que les solutions alternatives à la voiture individuelle soient encore plus attractives. Ce qui lui a permis de défendre à nouveau le principe d’une action régionale et concertée avec toutes les collectivités. Une heure avant, Anne Hidalgo avait revendiqué sur France Inter une sorte de droit d’action municipal pour les seuls Parisiens…


Quand les opérateurs de transport italiens
incitent au civisme…

L’électeur italien qui devait se rendre dans sa commune de résidence pour voter dimanche dernier a bénéficié d’un coup de pouce financier pour se déplacer. L’opérateur historique, l’opérateur Ferrovie Nord et le concurrent direct de Trenitalia, l’opérateur privé à grande vitesse Italo, offraient à tout électeur une réduction d’au moins 60% sur un billet de base pour qu’il puisse rejoindre son bureau de vote. En prime, il avait même la possibilité de prendre quelques vacances puisque la validité du billet, dans la meilleure des hypothèses, pouvait être de quinze jours. Seule condition, pouvoir exhiber au retour sa carte électorale dûment tamponnée.

Même effort de la part d’Alitalia qui offrait 40 euros de réduction pour un trajet aller et retour. Les résidents de Sicile ou de Sardaigne n’étaient pas oubliés car les compagnies de navigation avaient baissé les prix de 60%, quelle que soit la classe de voyage. Quant aux Italiens résidents à l’étranger, ils avaient même droit à un rabais sur les péages autoroutiers. Le taux de participation des élections de dimanche frôlait les 73%. On serait curieux de connaître l’effet des tarifs réduits sur ce chiffre… En tout cas, en Italie, la démocratie n’a pas de prix !


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