Emmanuel Macron choisit
Catherine Guillouard pour la RATP

Voir dans un navigateur

Les exclusivités de Mobilettre

Emmanuel Macron choisit
Catherine Guillouard pour la RATP

Comme nous le pressentions le 29 juin dernier, Catherine Guillouard, ex-Air France, Eutelsat et Rexel (lire Mobitelex 188) va être proposée par le président de la République pour devenir la prochaine PDG de la RATP. Plusieurs étapes seront nécessaires avant sa nomination officielle. D’abord un décret, publié incessamment, la nommera au conseil d’administration de l’entreprise publique, réuni la semaine prochaine en session extraordinaire pour la proposer formellement comme présidente. Ensuite les deux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat l’auditionneront, ce qui, en cas de vote positif, ouvrira la voie à une nomination en conseil des ministres.

Après un week-end et un début de semaine chargés pour le président de la République (hommage à Helmut Kohl, inauguration de la LGV à Rennes, discours devant le Congrès, hommage à Simone Veil…), le processus s’est accéléré en milieu de semaine. Selon nos informations, Emmanuel Macron a reçu la candidate sélectionnée par l’APE et la DGITM mercredi après-midi; immédiatement après cet entretien, il aurait appelé Valérie Pécresse, qui a donc reçu à son tour Catherine Guillouard, hier jeudi.

La présidente de la Région Ile-de-France et du Stif était initialement portée sur un profil «professionnel des transports», pour relever les nombreux défis urgents de la qualité de service, de l’amélioration des RER, des travaux du Grand Paris Express, des bus propres… Mais l’énergie et l’envie de la candidate, ainsi que son parcours dans le privé, l’auraient convaincue de jouer le jeu. On imagine aussi que l’intervention personnelle du président de la République dans le processus, ainsi que les mots qu’il a dû échanger avec la présidente de région, ont contribué à faciliter le rapprochement des points de vue. Le Premier ministre a également donné son accord, après une entrevue avec Catherine Guillouard hier jeudi.

C’est une nomination somme toute surprise, si l’on considère les dizaines de candidats sur la ligne de départ il y a un mois. Catherine Guillouard n’a pas de connaissance particulière dans le transport terrestre, ni d’expérience en tant que numéro 1, et en ce mois de Tour de France, pour paraphraser les commentateurs, on pourrait dire qu’elle revient du diable-vauvert. Elle «saute» même sur la ligne les deux derniers échappés Sandra Lagumina, qui aurait fait l’erreur de rechercher le soutien des syndicats, et Bruno Angles, dont on ne sait si le travail programmatique aux côtés de Valérie Pécresse, lors de l’élection de 2010, ou le fait tout simple qu’il soit un homme, l’ont desservi. Repérée dans le dernier peloton de la short list établie par l’APE et la DGITM, Catherine Guillouard semble avoir bénéficié d’une franche poussette de l’Elysée avant le sprint final.

Emmanuel Macron marque ainsi une volonté de renouvellement des dirigeants d’entreprise, parallèle à ce qui vient de se passer dans la sphère politique – ce qui ne manquera pas d’intéresser lesdits dirigeants en place, qui se demandent depuis plusieurs semaines quelle sera la doxa du nouveau pouvoir en la matière. Accessoirement, si l’on comprend bien le personnage, il doit aussi plaire au locataire de l’Elysée de transgresser quelques codes habituels, de dédaigner les critiques émises ici et là contre un choix surprenant eu égard le manque de références transport et management de la candidate Guillouard.

Ce choix annonce-t-il aussi un changement de méthode dans l’exercice du pouvoir à la tête de la RATP? En désignant une femme assez peu rompue aux logiques de réseaux et d’appareils – contrairement à plusieurs de ses rivaux -, d’abord compétente en matière financière et dont les deux dernières expériences professionnelles sont dans le secteur privé (elle avait aussi piloté l’ouverture du capital d’Air France en 1997), Emmanuel Macron émet un signe assez clair: il ne faut pas avoir peur du changement et au contraire accélérer la mutation de la RATP. Les quelques messages lancés samedi dernier à destination de la SNCF, lors du discours de Rennes, sont similaires: il faut aborder sans tabou les questions de la performance économique et de l’évolution des métiers.

On peut aussi écrire l’histoire de la façon suivante: le pilotage de l’entreprise par un haut fonctionnaire très orthodoxe, qui tient avant toute chose au calme social, ne permettrait pas d’avancer assez vite dans les changements à opérer pour l’avenir. En l’occurrence, l’Epic RATP doit faire face à un contexte nouveau: plus d’exigence des clients (passagers et autorité organisatrice), plus d’intermodalité, plus de concurrence. De fait, si Elisabeth Borne a nettement accéléré le développement digital de l’entreprise et de façon plus générale encouragé l’innovation, la préparation à ce nouveau contexte ouvert des offres et des contrats est restée à l’état de discours. Sur ce chapitre (à l’exception bien entendu de RATP Dev qui montre, avec Laurence Batlle et ses équipes, une vraie aptitude à affronter des marchés concurrentiels en province et surtout à l’étranger), les choses n’ont pas énormément bougé à l’Epic depuis deux ans, aussi bien en performance économique qu’en transparence et en adaptation aux exigences de l’autorité organisatrice – de notoriété publique les relations avec la Région et le Stif n’étaient pas au beau fixe. La confrontation avec les coûts et les méthodes venus d’ailleurs, dans les bus mais aussi pour les nouveaux trams et les lignes du Grand Paris Express, risque donc d’être tendue… si la compétition est honnête et ouverte. On pourrait aussi évoquer quelques routines d’organisation interne qui mériteraient d’être urgemment rénovées.

La nomination de Catherine Guillouard serait donc une rupture, une accélération voulues par le Président de la République lui-même. Faisons redéfiler la séquence, ô combien instructive. Elisabeth Borne, une patronne de la RATP haut fonctionnaire dans l’âme (son passage à Eiffage fut assez bref), est promue ministre, un poste où elle fait valoir sa grande maîtrise des dossiers transports. Elle est remplacée par une femme certes énarque, mais profondément convertie depuis au moins dix ans aux méthodes du privé. Qu’est-ce qu’il faut-il en déduire? Que pour le nouveau pouvoir, une entreprise publique est d’abord une entreprise avant d’être publique, qu’il faut affronter plus franchement la mutation des organisations en promouvant des managers plus authentiquement participatifs, moins centralisateurs, moins craintifs devant le risque du changement?

Fragilité des conjectures… Si Florence Parly, l’ex-favorite, avait été désignée, on n’aurait pu tenir la même analyse. Mais le fait est que le choix final d’Emmanuel Macron est original, un mélange d’élitisme bien de chez nous – c’est une énarque – et de rupture – son parcours récent est entrepreneurial. Outre l’expression de son projet pour la RATP, Catherine Guillouard devra probablement aussi parler d’elle et de ses motivations devant les deux commissions parlementaires réunies pour l’entendre. L’exercice n’est pas si simple, d’autant que quelques nouveaux députés auront peut-être envie de montrer que leur inexpérience ne signifie pas qu’ils ne seront pas curieux et désireux de comprendre les vrais enjeux du moment.

D’ici la fin du mois de juillet, la RATP devrait donc avoir une nouvelle présidente, à l’issue d’un long processus qui se voulait innovant, qui l’a été en partie seulement – quitte à privilégier un profil en rupture, bien d’autres managers d’entreprises auraient pu se montrer sur la ligne de départ -, et qui se réduit encore une fois à la même partition finale: c’est bel et bien le président de la République qui choisit.


Abonnement à Mobilettre

Choisissez votre expérience de Mobilettre. Livré par mail, disponible en lecture sur tous les supports.

En savoir plus

Suivre Mobilettre     icone-twitter   icone-facebook

www.mobilettre.com

Les Editions de l’Equerre,
13 bis, rue de l’Equerre, 75019 Paris

logo-footer

Se désinscrire