Jean-Pierre Farandou, faim de carrière

© Olivier Placet pour Mobilettre
C’est l’histoire d’un homme qui s’est trouvé des ambitions nouvelles au mitan de la cinquantaine, jusqu’à devenir hier soir ministre de la République, sur une idée de Philippe Gustin, directeur de cabinet de Sébastien Lecornu. Stupéfiant, mais cohérent.
Il sera donc pour toujours le spécialiste de la fin de carrière. D’abord celle des cheminots pour lesquelles il a failli terminer prématurément son mandat à la tête de la SNCF, quand Bruno Le Maire avec Gabriel Attal a considéré que son accord constructif du printemps 2024 avec les syndicats était une provocation. Puis la sienne propre : PDG de la SNCF à 62 ans, ministre du Travail à 68 ans, dans un improbable gouvernement Lecornu II.
Quand la soixantaine venue d’aucuns s’efforcent de résister à l’usure du temps, lui s’épanouit à l’exercice des plus hautes responsabilités. Englué dans le management sacrificiel sous la férule de Guillaume Pepy, il s’en est extrait en devenant en 2012 le numéro 1 qu’il voulait être, à Keolis, après la désaffection express de David Azéma. A quoi tiennent les démarrages des destins ? Une campagne efficace auprès d’Edouard Philippe lui assure sept ans plus tard la présidence du groupe SNCF, avant cette autre onction républicaine, un maroquin ministériel, hier soir, au moment même où Toulouse corrigeait l’UBB. Que regardait-il à la télé ?
Comme un plaquage de Jack Willis, on ne l’a pas vue venir, cette nomination-là.
A le côtoyer assez souvent depuis un an, on n’avait pas l’impression que Jean-Pierre Farandou était prêt à n’avoir plus comme horizon que le port de La Ciotat. Mais de là à rejoindre les rangs de celles et ceux envers lesquels il ne mâchait guère ses critiques il y a peu encore, ces politiciens décrochés du réel et si peu soucieux du temps long… Il y a là un cadrage débordement assez stupéfiant, qui vient presque du bout du monde.
Pourtant, à le savoir partager beaucoup avec son fidèle ami Jean-Manuel Hue, républicain haut de forme, on n’est finalement pas si étonné que cela qu’il ait répondu aux sollicitations de la Macronie assiégée et déclinante qui rejoue le coup des ministres de la société civile qu’on va fatalement un peu épargner. Aurait-il pu dire non? Résister aux sirènes de la consécration? Renoncer à montrer à tous son savoir-faire en matière sociale? Jean-Pierre Farandou est un vrai républicain qui n’a pas repoussé l’idée venue à Philippe Gustin, dircab du Premier ministre, de lui proposer un poste de ministre. Que risque-t-il ? Une censure à vitesse grand V ? Il n’y pourra mais. Une fin brutale à la SNCF ? Pas grave : il a déjà eu droit à ses tours d’honneur.
Quelle ironie de l’histoire, dont on imagine qu’elle le ravit : il va devenir l’égal de ceux pour lesquels hier il n’était rien ou pas grand-chose, ni encarté En Marche ou Renaissance, ni copain des grands dignitaires d’Etat. Jean-Pierre Farandou, l’ingénieur compétent/obéissant devenu PDG de la dernière grande entreprise publique iconique puis ministre de la République. Quelle faim de carrière.
Les cheminots seront-ils fiers ou déçus ? Fatalement, le basculement dans le champ partisan en affecte une bonne partie d’entre eux, même s’ils devinaient les ancrages idéologiques de leur patron. Quitter la belle et éternelle SNCF pour le radeau de la méduse politique, est-ce vraiment très glorieux ?
Certains préfèrent déjà en rire : «Un cheminot au Travail, ça n’arrive pas tous les jours !»
Le groupe SNCF n’a donc plus de patron pour quelques semaines, est-ce si grave ? L’architecture née de la réforme de 2019 assure aux SA leur indépendance de fonctionnement. Il suffirait d’ailleurs de leur transférer les fonctions support de la SA de tête et de loger la Suge à SNCF Réseau, et hop ! le futur PDG se contentera de cajoler les syndicats, de quémander les subsides publics et de parader devant les médias. Jean Castex prie matin et soir pour que ce gouvernement dure quelques jours et permette son processus de validation : son audition au Sénat a déjà été promptement recalée, après-demain à 10 heures…
Jean-Pierre Farandou aura donc été le dernier président d’une certaine idée de la SNCF, et le premier cheminot de formation à devenir ministre – on n’oublie pas qu’Anne-Marie Idrac elle aussi a alterné les deux carrières. PDG pour toujours, ministre pour quelques jours ? G. D.

