ETE 2025
Points de suspension
Au moment de partir en vacances, Mobilettre dresse la liste de toutes les questions qui resurgiront à la rentrée aussi sûrement que la clarté et François Bayrou font deux.
Il flottait malgré tout comme un doux air de trêve estivale avant les tempêtes de rentrée. En posant les bases du budget 2026, mardi 15 juillet, le Premier ministre donnait rendez-vous en septembre, ce joli mois où il ne devrait guère avoir le temps de s’endormir sous l’olivier, comme le sublimait Bécaud. D’ici là, quelques semaines de temps suspendu, pendant lesquelles les ministres, dont Philippe Tabarot, réfléchiront à leurs coupes budgétaires, les partis politiques à leurs stratégies et les syndicats à leurs mobilisations. Car huit ans après sa première élection et douze mois après sa prodigieuse dissolution, Emmanuel Macron a le choix des terrains glissants : politique, économique, financier, managérial, moral…
Et puis, surgie du clavier d’une jeune étudiante de 23 ans, une pétition contre la loi Duplomb a rajouté en cet été suspendu un ingrédient supplémentaire au cocktail explosif de la rentrée : la mobilisation citoyenne. On la croyait éteinte par la lassitude, éparpillée par l’absence de traduction politique et la désunion des forces progressistes. Et voilà qu’en dix jours, près de deux millions de Français s’opposent à un texte adopté dans des conditions parlementaires abracadabrantesques – une motion de rejet de ses propres géniteurs à l’Assemblée nationale pour tuer tout débat démocratique. Décidément, la Macronie et consorts possède un art inégalé du bingo : voilà la conscience environnementale réveillée par la violence de ses reniements («Ce deuxième quinquennat sera écologique ou ne sera pas», proclamait le Président entre les deux tours de l’élection de 2022) et le pathétique de ses manœuvres. On calme les agriculteurs à n’importe quel prix, donc on exaspère les écolos, c’est la quintessence du «en même temps» !
Bon, calmons-nous nous aussi, et revenons à l’examen successif des dossiers suspendus de cet été
Le budget 2026. Chaque ministère, hormis quelques lignes sanctuaires, est appelé par la ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin à choisir ses coupes – la méthode est un peu nouvelle. Celui des Transports n’y échappe pas, et il ne suffira pas de mettre au régime les collectivités locales. Un ou plusieurs grands projets ne devraient pas sortir indemnes de cet été meurtrier, sans pour autant que dans la foulée de la conférence Ambition France Transports, dont on espère qu’elle ne sera pas qu’une parenthèse enchantée, soit clairement fixée la stratégie d’avenir, suspendue à une nouvelle expertise du COI (conseil d’orientation des infrastructures). Philippe Tabarot va devoir choisir, un peu seul et en conscience, avec l’aide de son administration. Foutu métier.
L’équation politique. François Bayrou avait un trou de souris pour légitimer son appel à l’effort : qu’il soit partagé. C’est raté, pas touche au dogme macronien du ruissellement par le haut : on ne taxera ni les patrimoines ni les produits financiers ni les très grosses fortunes. On préfère stigmatiser les fraudes sociales et quelques aides aux associations (qui ne sont pas plus admissibles que toutes les autres) quand prospèrent à un niveau incomparativement plus élevé les fraudes fiscales. Et on n’évoque même pas l’absence de conditionnalité des subventions publiques aux entreprises qui se transforment parfois en un tournemain en dividendes privés. Dans ce contexte, les populismes trouvent un carburant inespéré.
La mobilisation sociale. La CGT fourbit déjà ses armes pour début septembre. Les autres syndicats semblent prêts à embrayer. Problème : les locomotives de la protestation sociale sont soigneusement épargnées. Pas de coupes dans les effectifs enseignants de l’Education Nationale, une SNCF en bonne forme (lire ses résultats ci-dessous). Au demeurant, ça commence à ressembler à une stratégie, que de confier à deux anciens premiers ministres les dernières marmites militantes, puisque le généreux Jean Castex est toujours le favori pour succéder à Jean-Pierre Farandou . La santé et l’énergie prendront-elles le relais ?
Le sursaut écologique. La nouvelle génération est incroyablement divisée sur le sujet, entre militants de la sobriété et consuméristes individualistes. Mais la violence des conséquences du réchauffement climatique fait peu à peu grossir les troupes de la contestation du statu quo. Il ne suffit pas de clamer «Décarbonation ! Décarbonation !» comme «L’Europe ! L’Europe ! L’Europe !», tel que le dénonçait le général de Gaulle en 1965, pour que les slogans accouchent d’une politique structurelle, inclusive et populaire.
La gouvernance des entreprises publiques. Puisque Jean Castex veut passionnément la SNCF, Emmanuel Macron la lui donnera-t-il ? Vu la procrastination de ce dernier et son goût très personnel pour l’humiliation (n’est-ce pas Jean-Louis Borloo ?), tout reste possible. «Le communiqué de l’Elysée tombera fin août», nous dit-on aussi sûrement qu’à de nombreuses reprises depuis le mois de mars on nous annonçait imminent le transfert de l’année. Déjà se positionnent les candidats à une éventuelle succession de Jean Castex à la RATP, qui n’est pas non plus la moindre des entreprises socialement sensibles.
Wait and sea, donc, sur la plage des supputations de tous ordres. C’est dans cet état d’esprit, et avec quelques vers de Lamartine pour accompagner les vôtres à l’heure de l’apéro, que nous vous souhaitons d’excellentes vacances (et tout autant de courage pour ceux qui en reviennent).
« Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours ! »
Gilles Dansart
Loi Duplomb : le précédent de 2014
Au cœur de l’été Mobilettre adresse un rappel historique aux partisans de la loi Duplomb. «Mais on ne peut pas revenir sur une loi votée !», s’offusquent-ils quand les pétitionnaires évoquent une suspension de la promulgation ou une abrogation. Pourtant, en 2014, au sortir d’une réunion avec les routiers, Ségolène Royal ministre de l’Environnement suspendait sine die, et de sa propre initiative, sans en référer préalablement à ses chefs, le projet d’écotaxe voté à l’unanimité par le Parlement. Personne ou presque ne s’émut dans la classe politique d’une telle impudence institutionnelle… Le respect de la loi ne doit pas être à géométrie variable.
Gares & Connexions, la lutte finale?
Une short list de six noms a été proposée par le cabinet Progress à Matthieu Chabanel, PDG de SNCF Réseau, mais selon nos informations recueillies ces derniers jours un duel final devrait avoir lieu entre deux femmes : Claire Landais, ex-secrétaire générale du gouvernement (SGG), et Fabienne Dulac, ex-directrice générale adjointe d’Orange. A l’heure où nous publions, la plus grande incertitude régnait sur l’échéance de la décision : avant la vacance d’août ou début septembre ?
La réponse réside dans les manœuvres en coulisses. Claire Landais est le choix prioritaire d’Emmanuel Macron et d’une vision orthodoxe de la hiérarchie d’Etat : quand on a été SGG, on peut prétendre à tout ou presque – Jacques Fournier le fut avant de diriger la SNCF. Justement, certains rappellent ce fait pour considérer que diriger la filiale Gares & Connexions ce n’est pas du niveau d’une ex-SGG…
Certains, ce sont les supporters de Fabienne Dulac, longtemps DGA d’Orange avant de devenir, pas longtemps du tout, DG d’Emeis-Orpea, remerciée pour n’avoir pas su s’intégrer dans les circuits décisionnels très exigeants d’une entreprise en crise quasi-permanente. Et ils ont donné de la voix en coulisses, ces supporters, au premier rang desquels Stéphane Richard, ex-PDG d’Orange… et Guillaume Pepy, président du conseil d’administration d’Emeis-Orpea, pour faire oublier cet épisode et répondre à certains doutes sur son adaptation au poste de DG de G&C. Nantie de ces soutiens et de ses propres qualités, Fabienne Dulac aurait convaincu Matthieu Chabanel et Jean-Pierre Farandou, qui préfèrent manifestement un profil entrepreneurial à un sésame de très haut fonctionnaire. Jean Castex lui-même, consulté, aurait adoubé la prétendante Dulac alors même que Claire Landais était sa SGG quand il occupait Matignon – il n’a pas répondu à notre sollicitation sur le sujet.
Morale de cet imbroglio : l’Etat patauge toujours autant dans sa gouvernance des entreprises publiques.
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SNCF, des résultats ensoleillés
«Ces résultats à la mi-2025 mettent en valeur la pertinence de la stratégie et la rigueur de l’exécution» : le sobre directeur Finances et Stratégie de la SNCF Laurent Trévisani n’est pas coutumier de tels verbatims, mais on comprend qu’à quelques mois du départ de son boss Farandou il veuille lui attribuer les mérites d’une performance effectivement satisfaisante : finis les déficits, place aux bénéfices qui permettent à la fois d’investir dans l’avenir et de calmer des troupes toujours effervescentes.
Dans l’actuel contexte de dégradation macroéconomique, la légère progression du chiffre d’affaires du groupe SNCF (+0,6% à 21,5 milliards d’euros) est à souligner, avec une belle résistance de Geodis et RLE au ralentissement de la production manufacturière. C’est encore une fois SNCF Voyageurs qui tire l’activité, mais ce sont surtout TER (+3,9%), Transilien (+6,5%) et les lignes Intercités (+3,1%) dont les fréquentations progressent le plus, TGV étant à «seulement» +1,7%. L’activité TGV atteint-elle un plafond ? «Les trafics se maintiennent globalement au niveau de 2024», constate discrètement le groupe. De fait, il semble difficile d’optimiser encore davantage l’utilisation des actifs et le niveau des taux de remplissage. Et la relève des TGV-M n’est pas encore là. Autre question : la marge des TGV, qui assure une bonne partie de la bonne santé du groupe, plafonne-t-elle aussi ?
Cela dit, les autres entités du groupe contribuent aussi aux bons résultats : SNCF Réseau, porté par les hausses tarifaires, l’augmentation du nombre de circulations et son plan de performances, avec un ratio Ebitda sur chiffre d’affaires qui atteint 31,2% (!), RLE et Geodis qui résistent bien. Seul Keolis accuse un retrait de chiffre d’affaires de 7,1%, dû à la perte du contrat Yarra Trams au profit de Transdev et du métro de Lyon au profit de RATP Dev, retrait que ne compenseront pas intégralement plusieurs gains récents (Danemark, Canada etc).
Conséquence de ces bonnes tenues, le résultat net du groupe SNCF au premier semestre 2025 s’envole à 950 millions d’euros, et l’investissement atteint 4,9 milliards d’euros (dont 3 milliards en propre, 2,7 milliards dans le réseau et 95% dans le ferroviaire). En six mois la dette nette recule de 700 millions d’euros, et le ratio dette nette/Ebitda passe de 3,5x à 3,2x. On comprend que Jean Castex ait envie d’arriver dans une entreprise remise sur d’aussi bons rails après de nombreuses exercices déficitaires. Mais l’accentuation de la concurrence dans les activités voyageurs et la situation des finances publiques sont d’ores et déjà des ombres sérieuses qui imposeront une nouvelle stratégie pertinente et une rigueur dans son exécution…