éditorial
Contagion
La dénonciation quasi unanime des outrances de Donald Trump et Elon Musk cohabite ici en France avec des tentations de moins en moins réfrénées à faire de la politique à l’emporte-pièce. Les coups de boutoir des opportunistes sans scrupules ne serviront pas à améliorer l’efficacité de l’action publique.
Cette semaine étonnante achève de nous convaincre que sous couvert de s’indigner des aberrations du nouveau président des Etats-Unis, trop de responsables publics français s’inspirent de ses méthodes brutales et profitent de la faiblesse du pouvoir exécutif consécutive à la dissolution de juin 2024. Du trumpisme rampant, en quelque sorte. Et le secteur des transports n’en est pas exempt.
Mais commençons par rendre hommage au courage d’une femme politique dont nous n’avons pas toujours loué le sens de la mesure, Elisabeth Borne, ministre de l’Education nationale. Elle n’hésite pas à s’attaquer à ses collègues Darmanin, Retailleau et Valls : «On est dans un moment où il y a une montée de testostérone. Donald Trump porte cette image qu’il faut montrer les muscles pour être crédible. Je pense qu’il faut continuer à aborder les problèmes dans leur complexité et que le dialogue reste fondamental même si ça peut paraître démodé.» Elle précise : non, la haine des juifs ne vient pas «essentiellement» (Manuel Valls) du monde arabo-musulman, oui, on peut lutter contre l’entrisme religieux sans se contenter de parler matin et soir du port du voile, comme Gérald Darmanin et Bruno Retailleau.
Brandir des slogans simplistes, choisir des cibles faciles : les recettes du trumpisme ont débarqué aussi à l’Assemblée.
En quelques heures, lundi dernier, plusieurs députés s’en sont donné à cœur joie, dans le cadre de la Commission spéciale chargée d’étudier le projet de loi de simplification administrative : suppression unilatérale des ZFE (zones à faibles émissions), suppression d’entités publiques et administratives sans étude d’impact.
Les ministres au banc ont un peu désespérément plaidé pour des «évaluations» préalables avant de légiférer (Marc Ferracci). Philippe Tabarot et plusieurs de ses prédécesseurs ont rappelé l’importance de l’Afit (Agence de financement des infrastructures), qui permet d’échapper aux fluctuations de l’annualité budgétaire dans le financement des grandes infrastructures. L’Afit, ce sont seulement cinq Equivalents Temps Plein et un coût de fonctionnement de 795 000 euros par an.
Certes, il faut s’attaquer au dérapage des finances publiques, et la suppression de quelques commissions n’affaiblira pas la République (au hasard : la Commission des conseillers en génétique ou le Comité national d’expertise de l’innovation pédagogique). Mais en se contentant de quelques symboles faciles, on passe à côté de l’essentiel : le désordre des compétences et l’obésité réglementaire qui induisent l’inflation des effectifs et les coûts d’interface. Mesdames et messieurs les parlementaires, nettoyez d’abord votre propre terrain de jeu législatif !
Tout le monde ou presque est touché par la tentation du simplisme.
Quelques jours avant la révélation du rapport de la Commission d’enquête sur le dérapage incontrôlé des Finances publiques en 2024 (le déficit a atteint 5,8% du PIB contre une prévision de 4,4%), on a appris par le respecté Charles-Amédée de Courson que la diversion tentée par Bruno Le Maire et les derniers macronistes («c’est la faute aux collectivités locales») était bel et bien une contre-vérité, une piteuse opération de com. Affronter les causes d’une erreur manifeste de suivi des comptes publics, c’eût été admettre à la fois une forme d’irresponsabilité budgétaire du gouvernement Attal et l’archaïsme de certains modèles de Bercy. Mieux valait offrir à l’opinion des coupables, les collectivités territoriales.
Dans la grande confusion idéologique du moment, les digues de la cohérence de l’action publique résisteront-elles? Ile-de-France Mobilités va attribuer à Transdev et à ATM deux lots bus de la RATP ? «Valérie Pécresse vend les bijoux de famille à des Allemands bientôt privatisés et aux Italiens !», réagit la gauche radicale (communiqué de la Gauche Communiste, Ecologiste et Citoyenne du Conseil régional). Quand amnésie et nationalisme font bon ménage… Rien n’interdisait à la France de garantir à la RATP le monopole de l’exploitation de la zone dense parisienne, en 2007, mais c’est un choix différent qui a été fait, le groupe public développant alors une stratégie de diversification à l’étranger avec RATP Dev, y compris en… Toscane. Comment reprocher dès lors au milanais ATP (une structure publique) de venir à Paris, dans le cadre de DSP qui, faut-il le rappeler, ne sont pas des privatisations ? La réciprocité était inévitable, malgré une bonne dose de manœuvres dilatoires.
Pierre Mongin, qui a dirigé la RATP de 2006 à 2015, s’insurge lui-même (sur Linkedin) contre le «démantèlement» du service public et ces «absurdités idéologiques» (sic), après avoir négocié lui-même à Bruxelles un calendrier d’ouverture extrêmement protecteur (jusqu’en 2039) ! Amnésie, ou mauvaise foi, quand tu t’attaques aussi aux anciens préfets…
Les simplifications politiques à outrance sont portées par une alliance redoutable : des pouvoirs exécutifs obsédés par le court terme et la communication, des parlementaires déconnectés et des médias opportunistes, sous le regard d’une haute administration prise au piège de l’obéissance. Comment sortir de l’ornière, oser la complexité et la prise de recul sans renoncer à obtenir des résultats ?
Quinze ans avant Trump, Nicolas Sarkozy avait mis en pratique l’«effet waouh» permanent – une annonce en chasse une autre et dissuade d’aller dans les détails ou les turpitudes. On aimerait penser qu’il y a peut-être une justice immanente.
G. D.