Mobitelex 220 – 18 mai 2018

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Mobitélex. L'information transport

La lettre confidentielle de Mobilettre

Google Maps, la stratégie du vendeur de crack?

On habitue le client avec des doses à prix attractif, mais une fois qu’il est accro, on augmente les prix. En annonçant une augmentation très importante des tarifs de son service de cartographie, applicable dès le 11 juin prochain, Google prend-il le risque de pousser des entreprises à la «désintox» avec des solutions alternatives gratuites ou moins coûteuses? Comment réagiront les Uber, Citymapper et Deliveroo, qui génèrent des millions de requêtes par jour? Mais aussi et surtout les acteurs du transport de taille intermédiaire qui n’avaient pas provisionné de telles sommes?


Tout le monde était habitué à utiliser Google Maps pour son business, depuis plus de dix ans, sans jamais rien payer

«Quand on a reçu le mail de Google, on a manqué de s’étouffer!», nous ont confié nos interlocuteurs spécialistes de l’information voyageurs. Tout le monde était habitué à utiliser Google Maps pour son business, depuis plus de dix ans, sans jamais rien payer. Et c’est comme cela que le géant américain a réussi à s’imposer. Mais avec la dernière version de son «pricing», cette époque est révolue. Selon Christian Quest, porte-parole de la cartographie libre, «on passe d’une logique de gratuit, devenant payant au-delà d’un volume (freemium), à une logique de payant par défaut, couplée à un crédit gratuit mensuel de 200 dollars… vite épuisé». Très vite épuisé même. Car si la communication de Google est toujours aussi efficace, elle peut difficilement masquer le changement radical dans le coût d’usage de ses services. Les spécialistes ont réalisé quelques calculs: par exemple, le quota gratuit de 25 000 cartes affichées par jour sur un site web passe à 28 000… mais par mois.

Qui est réellement impacté?

Particulièrement les acteurs «moyens» qui, s’ils restent chez Google, vont devoir débourser des milliers, voire des dizaines de milliers d’euros par mois alors qu’auparavant ils ne payaient rien. Leur décision (de rester ou pas), ils devront la prendre très vite. D’abord parce que s’ils n’ont pas renseigné leur numéro de carte bancaire le 11 juin, le service sera coupé. Ensuite parce que leurs données actuelles, générées via Google Maps, ne fonctionneront pas sur des dispositifs alternatifs, à part s’ils recodent tout. Enfin, parce que signer chez Google signifie un engagement contractuel, qui financièrement n’est pas sans conséquence.

Comment réagissent les acteurs du transport ?

Chez Kisio Digital, un des principaux intégrateurs d’information voyageurs français, la décision a été rapide. Selon son directeur de la communication, Bertrand Billoud, le choix d’OpenStreetMap s’est vite imposé, «d’abord parce que la philosophie du produit nous plaisait, et parce qu’avec le nombre de gros réseaux que l’on couvre, le coût de Google Maps serait rapidement devenu énorme». Mais finalement, Kisio n’est qu’intégrateur, et si une collectivité souhaite rester sur Google pour afficher ses calculs d’itinéraires, c’est son choix… «Mais il faut juste qu’elle puisse l’assumer financièrement».

Chez Klaxit, la situation est différente. Pour l’opérateur de covoiturage domicile-travail, le courrier de Google n’a pas été une surprise. Cyrille Courtière, co-fondateur de la startup, explique que sa société était prête à payer pour continuer à utiliser les services de Google: «Passer totalement à OpenStreetMap n’est pas possible pour tout le monde, car cette solution libre n’offre pas la même batterie d’outils que Google». La start-up a donc choisi Mapbox, une société qui édite des services de cartographie très pointus (basés sur OpenStreetMap). Un outil payant, mais 30% plus économique que Google, «tout en étant beaucoup plus innovant», précise Cyrille Courtière. Cela a permis à la start-up d’engager une réflexion bien plus large que celle du pricing, et de basculer sur un «outil libre». Même si les fondateurs ne s’en cachent pas, «le coût était aussi important dans le débat, car on parle bien ici de plusieurs dizaines de milliers d’euros chaque mois».

Les autorités de transports qui avaient tout confié à Google pour leurs services d’information voyageurs (souvent par pragmatisme) vont-elles changer leur fusil d’épaule ? C’est un test grandeur réelle pour Google, qui va rapidement savoir si les entreprises et les collectivités sont prêtes à payer pour utiliser ses services. Le géant, qui tente un passage en force, devra aussi compter sur une concurrence de plus en plus crédible de solutions alternatives.


Véronique Hamayon dircab de François de Rugy

Ancienne secrétaire générale du Stif et directrice de cabinet de Frédéric Cuvillier puis Alain Vidalies, Véronique Hamayon va s’absenter de la Cour des comptes qu’elle avait rejointe en 2015 pour devenir directrice de cabinet de François de Rugy, président de l’Assemblée nationale.


Air France

L’Etat perturbateur?

Un patron d’entreprise peut-il publiquement critiquer l’Etat qui est aussi son actionnaire? Bien sûr que non. La crise de gouvernance d’Air France en apporte un exemple supplémentaire.

La France est le seul pays (avec l’Irlande) à ne pas plafonner les charges sociales sur les hauts salaires. Résultat: un différentiel de coûts d’environ 500 millions d’euros par rapport à la Lufthansa. La France fait peser l’essentiel des surcoûts de la sûreté aérienne et aéroportuaire sur sa compagnie nationale, alors que dans certains pays, comme l’Allemagne, l’Etat en assume la majeure partie. On pourrait aussi parler du niveau des redevances d’aéroport, notamment à Charles-de-Gaulle. Même si tous les opérateurs ont tendance à se plaindre des tarifs des gestionnaires d’infrastructures, on sait que l’Etat protège particulièrement ADP, qui lui rapporte pas mal de dividendes et doit rester une mariée attractive pour une nouvelle ouverture du capital.

Les pilotes disent à l’Etat: fais toi aussi un effort…

Mais il est difficile voire impossible pour les patrons successifs d’Air France, tous anciens hauts fonctionnaires, de porter sur la place publique de tels éléments. Du coup, leur position est difficile en interne: il ne leur reste que de la productivité à améliorer. Ce qu’ils font: entre 2010 et 2016, la compétitivité dite «propre» d’Air France (c’est-à-dire hors change et hors fuel) a progressé, avec un coût unitaire qui est passé de 100 à 91. Peuvent-ils faire davantage? En tout cas, ils le doivent pour ne pas sortir du marché, mais les pilotes (et désormais les personnels dans leur majorité) disent à l’Etat: fais toi aussi un effort… Autrement dit, faire porter la seule responsabilité des difficultés de la compagnie aux personnels est un peu gonflé, alors même que l’Etat a continûment gagné de l’argent en vendant progressivement ses parts du capital de la compagnie.

Un patron qui ne serait pas du sérail politico-administratif aurait-il davantage les coudées franches pour peser sur l’Etat? Ce n’est pas certain que l’Etat… actionnaire le laisse faire, malgré ses protestations d’actionnaire «normal». Elisabeth Borne a répété en boucle cette semaine sur France Inter que l’Etat laissait désormais le conseil d’administration faire son boulot. Certes, mais avec un quart des droits de vote, c’est bien lui qui reste à la manœuvre.

Le choix de celui ou de celle qui succédera à Jean-Marc Janaillac, indépendamment de l’influence de KLM et des autres actionnaires, nous éclairera sur le positionnement du gouvernement et d’Emmanuel Macron:

  • Veulent-ils encourager la nomination d’un véritable industriel sans passé politique ni administratif?
  • Veulent-ils à terme vendre les parts de l’Etat dans Air France, pour faciliter son adaptation à des marchés désormais 100% concurrentiels?

Questions annexes: l’Etat est-il toujours prêt à ouvrir la majorité du capital d’ADP, gestionnaire d’infrastructures d’intérêt public? Va-t-il enfin regarder d’un peu plus près la façon dont la DGAC, véritable Etat dans l’Etat, échappe à tout contrôle sur son fonctionnement?


SNCF

L’Etat désordonné?

A mesure que l’on se rapproche de la fin du conflit social à la SNCF, les langues se délient sur l’enchaînement des séquences de tensions depuis le début de l’année. Il apparaît que le degré d’impréparation d’une réforme pourtant majeure et la gestion politique très particulière du dossier ont créé une situation d’incrédulité extrême des acteurs.

Les syndicalistes se disent désorientés par le mépris ou la condescendance de leurs interlocuteurs, indépendamment de la logique de rapport de forces qu’ils ne sont pas les derniers à savoir manipuler; cette semaine encore, le Premier ministre se confiait en ces termes à nos confrères du Monde: «Je discute toujours avec plaisir avec les organisations syndicales parce que je suis convaincu que c’est utile, même quand on n’est pas d’accord.» Ce sont toujours les détails qui fâchent: le «avec plaisir» en dit long sur la considération des corps intermédiaires par le pouvoir actuel.

«Savent-ils que c’est nous qui allons gérer la suite?»

Les cadres et de manière générale une bonne partie des professionnels du ferroviaire redoutent déjà l’après-crise: «Savent-ils que c’est nous qui allons gérer la suite, la mise en place d’une nouvelle réforme longue et difficile, et le moral à zéro d’équipes lasses de subir les prétentions des politiques et des énarques?», nous confiait hier un directeur, à quelques années de la retraite, qui n’est plus certain de finir sa carrière dans la grande maison. Il n’est pas le seul à avoir quelques états d’âme (lire aussi encadré), y compris vis-à-vis des variations d’attitude de la direction d’entreprise.

Il semble bien que l’arbitrage décisif du gouvernement, c’est-à-dire la proclamation de la fin du recrutement au statut, ait été pris en fin d’année dernière. De l’aveu général, il est l’élément déclencheur de la mobilisation des cheminots, ajouté au bashing SNCF du gouvernement, à l’emploi des ordonnances et au flou initial sur les conditions sociales de l’ouverture à la concurrence, qui n’en finissent plus d’être précisées.

Décryptage

Transfert des cheminots à la concurrence: une méthode brouillonne

Il n’est point besoin d’être un expert de haut niveau pour savoir que pour tout salarié embauché au sein d’une entreprise d’Etat encore largement monopolistique, la perspective d’être transféré chez un concurrent privé peut nourrir quelques inquiétudes. Très logiquement, les syndicats ont accru très tôt la pression sur cette question.

Très vite (trop vite?), l’hypothèse d’un transfert à 100% des personnels, comme dans l’urbain en vertu de l’article L1224-1, a été abandonnée par la ministre, qui a donc accepté le principe du volontariat. Cette concession initiale n’a pas eu l’effet attendu et n’a déclenché aucun début de sortie de grève, et le gouvernement s’est retrouvé contraint de gérer les conséquences de ce qu’il croyait être une habile manœuvre. Car même si le «bassin» du volontariat a été étendu à la région, il semble patent que le nombre de candidats ne sera pas suffisant au nouvel entrant, et dans le même temps la SNCF n’a guère envie de prendre le risque de se retrouver avec des sureffectifs.

Du coup il a fallu acter un autre principe, celui du transfert obligatoire pour les salariés majoritairement affectés au service perdu par la SNCF. Si ces derniers refusent, alors il appartient au nouvel entrant de prendre en charge leur licenciement… ou de leur ménager de meilleures conditions salariales. Car les conducteurs (c’est d’eux dont il s’agit principalement) ont bien compris tout l’intérêt qu’il y avait à utiliser un tel pouvoir de marché: sachant que la formation d’un conducteur dure environ un an et nécessite quelques moyens matériels (y compris pour la reconnaissance de lignes), l’opérateur privé cherchera à récupérer le maximum de conducteurs déjà formés.

C’est sans doute le lot de toute négociation réussie: personne n’est jamais vraiment ravi du résultat final qui est une somme de compromis. Le problème en l’occurrence n’est donc pas que les syndicats ou les opérateurs privés soient mécontents, mais que ces «avancées» n’aient pas permis un début de sortie de grève. Trop techno, l’ingénierie de la négociation s’est heurtée à la fermeté revancharde des syndicats, au premier rang desquels la CFDT.


Gares & Connexions: pas de convergence des buts

C‘est LE conflit dans le conflit, et il se déroule à l’intérieur même de la SNCF: le destin de Gares & Connexions. On avait crû l’arbitrage d’Elisabeth Borne définitif, en faveur d’une filialisation au sein de SNCF Réseau, au motif notamment d’une réunification des infrastructures. La ministre l’a d’ailleurs réaffirmé clairement lors de son discours devant la commission sénatoriale avant-hier mercredi.

Mais selon nos informations, le sénateur Hervé Maurey, président de ladite Commission de l’Aménagement du territoire et du Développement durable, s’apprête à déposer un amendement en faveur d’une filialisation sous la holding, et non plus au sein de SNCF Réseau – c’est d’ailleurs conforme à la PPL (proposition de loi) qu’il avait déposée en compagnie de Louis Nègre. Les sénateurs le suivront-ils?

Un assez violent conflit d’influences, pour convaincre les sénateurs (mais aussi les administrations centrales), oppose Patrick Jeantet et Patrick Ropert (qui se sont bien connus à Keolis…), et leurs supporters respectifs. D’un côté, la volonté du président de SNCF Réseau de sortir gagnant d’un printemps de tractations qui ne vont pas forcément dans le sens d’un renforcement global du gestionnaire d’infrastructures, avec le choix d’un système à l’allemande; en plus d’une cohérence fonctionnelle et patrimoniale hautement revendiquée, le «gain» de Gares & Connexions donnerait une visibilité et un lustre à une entreprise souvent réduite aux tâches ingrates de la maintenance du réseau. De l’autre, le souci du directeur de Gares & Connexions de prolonger son travail de modernisation des méthodes de management et de gestion de projets, y compris grâce à l’ouverture à des capitaux et à des marchés extérieurs. A quoi bon une réunification si on y perd de la capacité d’investissement?

Grève du 14 mai: 200 huissiers mobilisés

Les sept premières semaines de grève n’avaient donné lieu qu’à quelques dégradations mineures, des clés de local qui se perdent, des systèmes de freinage endommagés… Mais la tension croissante et l’allongement du conflit ont conduit la direction de la SNCF à se méfier d’un lundi 14 mai qui devait sonner comme un réveil de la mobilisation cheminote. Ce sont donc pas moins de 200 huissiers qui ont été mis en alerte pour procéder à d’éventuelles constatations.

Selon plusieurs témoignages, ils ont été dissuasifs en de nombreuses occasions. Mais ils n’ont pu empêcher une cinquantaine d’exactions, certaines affectant le matériel ou l’infrastructure: salle de la feuille murée à Bordeaux, PN endommagés, circuit d’alarme hors d’état, câbles d’alimentation sectionnés…

A NOS LECTEURS

A l’instar du témoignage de ce directeur SNCF désorienté par la crise ferroviaire de ce printemps 2018 (lire ci-dessus), nous avons reçu de très nombreux commentaires suite à notre éditorial publié samedi dernier, qui pointait l’obsession des chiffres et des réformes systémiques, au détriment des logiques managériales et des engagements de long terme. Nous remercions tous ceux qui nous ont apporté leur éclairage et auxquels nous n’avons pas encore eu le temps de répondre sur le fond.

Colloque Avenir Transports

L’impact des nouvelles technologies sur la mobilité
Heure limite d’inscription: aujourd’hui vendredi 18 mai à midi *

Jeudi prochain 24 mai à l’Assemblée nationale


Une matinée d’échanges à l’initiative des présidents d’Avenir Transport Benoît Simian et Valérie Lacroute réunira opérateurs, élus et experts sur le thème de l’impact des nouvelles technologies sur la mobilité.

Sous le parrainage d’Elisabeth Borne, ministre chargée des Transports, et avec comme grand témoin Anne-Marie Idrac, haute responsable pour la stratégie nationale de développement des véhicules autonomes.

Programme et inscriptions

* Il reste quelques places. Pour des raisons de sécurité liées à la réglementation de l’accès à l’Assemblée nationale, les inscriptions doivent être closes quelques jours avant le colloque.

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