Mobitelex 226 – 26 juillet 2018

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La lettre confidentielle de Mobilettre

TGV du futur: la SNCF en commande
pour 3 milliards d’euros

A peine un mois après le vote de la réforme ferroviaire, la SNCF avec la douce bénédiction de Bercy annonce ce jeudi une commande historique de 100 TGV du futur, ces trains à grande vitesse nouvelle génération qu’elle conçoit depuis quelques années en plateau commun avec Alstom, non loin de la gare Montparnasse. Montant estimé: environ 3 milliards d’euros, tout compris.

C’est considérable. Il s’agit de remplacer à partir de 2023 les 150 rames Atlantique et Réseau mises en service depuis 1988. Un nouveau design extérieur, mais aussi un design intérieur redessiné qui sera dévoilé dans quelques semaines: dans la foulée des nouveaux Duplex Océane qui manifestement plaisent à la clientèle sur l’axe Atlantique, les TGV du futur seront amenés à améliorer l’offre Sud-Est qui reste l’axe majeur de la grande vitesse française.

La stabilisation annoncée des péages jusqu’en 2026 a permis de présenter un business plan acceptable

Le concept du TGV du futur repose notamment sur une amélioration du coût de possession (la SNCF avance une économie de 25% sur le LCC, Life Cycle Cost), grâce à une augmentation de la productivité et à une baisse des frais de maintenance, mais aussi sur une modularité des espaces qui devrait permettre plus de flexibilité de l’offre. Les voitures pourront être aménagées différemment après un passage en atelier, en fonction des demandes commerciales. On peut ainsi imaginer une classe Premium intermédiaire entre les habituelles première et deuxième classe. Bref, plus de souplesse en parallèle d’une amélioration de la climatisation (qui ne montera plus le long des fenêtres), de l’éclairage, du bar et des accès PMR.

«C’est une arme industrielle et commerciale majeure», avance-t-on au sein de SNCF Mobilités, qui se projette déjà dans la future concurrence avec des constructeurs challengers (l’ICE X allemand, le Zeffiro de Bombardier, les trains Hitachi ou CAF/Talgo). Mieux, cette commande apparaît bien plus qu’une nécessité commerciale: c’est un acte politique, pour dire haut et fort que la SNCF continue d’avancer. Guillaume Pepy ne s’en cache d’ailleurs pas: «C’est la première traduction concrète de la réforme ferroviaire», explique-t-il à Mobilettre.

La stabilisation annoncée des péages jusqu’en 2026 aurait donc permis de présenter un business plan acceptable, alors que leur trajectoire initiale (deux points de plus que l’inflation) rendait auparavant inéluctable, pour SNCF Mobilités, un certain malthusianisme de l’offre. Le message est clair: la clarification économique de la réforme est une porte ouverte à une relance du ferroviaire… ou à tout le moins de l’activité grande vitesse, essentielle aux recettes de l’entreprise. Cela arrange tout le monde: le gouvernement, Bercy (responsable de la production industrielle), Alstom évidemment, mais aussi un paquet d’élus locaux soumis à la pression sociale des ateliers ferroviaires.

Voilà donc une SNCF dotée dans quelques années d’un parc matériel voyageur sacrément rénové, avec des régions qui ont massivement acheté des TER, Ile-de-France Mobilités qui met le paquet sur Transilien et la promesse d’Intercités rutilants eux aussi. Mais le ferroviaire est un système: tant de trains neufs ne suffiront pas à régler tous les problèmes, même s’ils contribueront à la réduction des irrégularités comme à la satisfaction des voyageurs. Après des mois de tensions sociales et politiques, cette annonce est la bienvenue; le plus dur reste à faire.


Ligne 13 du métro parisien:
IDFM relance l’idée d’automatisation

Ce n’est pour l’instant qu’un vœu, et comme de la coupe aux lèvres, il y a souvent loin du vœu à la décision. Mais son adoption le 11 juillet par le conseil d’administration d’IDFM est une preuve supplémentaire que la situation de la ligne 13 du métro parisien, devenue la troisième ligne la plus chargée après la 14 et la 1, n’est toujours pas acceptable. «La décision d’automatisation devrait être prise avant la fin de l’année afin de répondre aux attentes plus que légitimes des voyageurs exaspérés», écrit l’auteur du vœu, Brice Nkonda, suivi par une majorité d’administrateurs.

La progression continue de la fréquentation rend les efforts de la RATP difficiles à percevoir par les voyageurs

L’augmentation permanente du trafic ne permet pas aux mesures successives prises par la RATP (mise en œuvre du système Ouragan, rénovation des MF77, portes palières et présence d’agents sur les quais) d’améliorer substantiellement et durablement le confort des voyageurs, avec des taux de remplissage souvent bien supérieurs à 100% au nord de la ligne, en heures de pointe. La poursuite du développement de l’économie et de l’habitat dans la banlieue nord et l’ouverture, entre autres, du nouveau Palais de Justice, porte de Clichy, ne cessent de draîner des voyageurs supplémentaires. La perspective d’un transfert partiel des voyageurs vers la ligne 14, prochainement prolongée au nord de Saint-Lazare, suffira-t-elle à inverser spectaculairement la tendance? Rien n’est moins sûr, ce qui explique le bon accueil réservé par les élus d’IDFM à ce vœu surprise.

Un projet d’automatisation doit concilier la conduite de lourds travaux et la continuité de l’exploitation. Surtout, malgré les taux de régularité exceptionnels observés sur les lignes 1 et 14 et la souplesse d’exploitation qu’elle génère, l’automatisation est une option maniée avec une grande précaution au sein de la RATP. On se souvient qu’évoquée pour la ligne 11 prolongée vers Rosny, elle avait été finalement repoussée pour ne pas froisser les syndicats – seule la ligne 4 est aujourd’hui en cours d’automatisation.

Les systèmes d’aide à la conduite automatisée sont donc pour l’instant privilégiés car ils allient amélioration de la régularité et paix sociale. Mais sur des lignes saturées comme la 13, seule l’automatisation (avec son cortège de dispositifs qui fluidifient les flux voyageurs) semble en mesure, aux yeux des élus lassés de supporter les récriminations des usagers, d’apporter une réponse consistante et convaincante… à long terme. Car l’automatisation serait un parcours de longue haleine, a minima cinq à six années de travaux une fois la décision prise et financée. Quelle que soit l’option retenue, la ligne 13 n’a pas fini de souffrir.


Nouvelle Gare du Nord: le projet séduit,
quelques détails fâchent

La présentation début juillet du projet retenu pour l’aménagement de la gare du Nord, sous réserve des négociations qui se déroulent jusqu’à l’automne (lire MobiAlerte 62), suscite de nombreuses réactions. Etait-ce le meilleur projet? Le plus innovant? Le plus brillant? Le plus pragmatique? Le dosage zones commerciales/espaces voyageurs est-il le bon? Mais quelles que soient les appréciations, souvent intéressantes, une forme d’unanimité s’est faite sur le caractère innovant de l’ambition: ouvrir complètement la gare sur la ville et les autres modes de transport, en faire un nouveau lieu de vie et de consommation lié aux fonctions de mobilité multimodale.

On a compris que les discussions allaient être rudes sur l’aménagement de la gare routière…

Deux inquiétudes majeures se dégagent pourtant. La première est très concrète, exprimée notamment par l’autorité organisatrice IDFM: «Les projets A et B (NDLR le projet lauréat est l’un de ces deux-là) n’apportent pas toutes les garanties nécessaires d’un traitement satisfaisant des espaces de transport du quotidien et nécessiteraient d’être profondément repris, notamment les propositions concernant la gare routière, afin de rendre cette dernière raisonnablement exploitable», écrivait Laurent Probst à Patrick Ropert, DG de Gares & Connexions, dès le 4 juillet. Vit-on via un intermédiaire un nouvel épisode de la rivalité SNCF-RATP? «Certains partis pris d’aménagement de la gare impactent des espaces gérés par la RATP, avec des conséquences sur le programme pluriannuel d’investissement qui la lie à IDFM», poursuit Laurent Probst. On a compris que les discussions allaient être rudes sur l’aménagement de la gare routière… qui ne sera plus seulement celle de la RATP après 2024.

La deuxième interrogation s’applique au modèle économique: est-il souhaitable de contractualiser sur 35 ou 46 ans avec une foncière privée (en l’occurrence la filiale d’Auchan, Immochan, devenue Ceetrus)? La CGT a clairement posé le problème des parts dans la SEM (Gares & Connexions y sera minoritaire). Dans cet espace de temps, la puissance publique sera-t-elle empêchée de mener des opérations que l’évolution de l’offre ferroviaire pourrait rendre indispensables? Pour le coup, c’est le gestionnaire d’infrastructures qui ne cache pas son inquiétude.

L’équation économique reste difficile. On retrouve dans ce choix d’un adossement à un grand partenaire privé (comme à Saint-Lazare ou Montparnasse) la conséquence d’un sous-investissement public dans ces grands espaces pourtant stratégiques que sont les grandes gares. Comment mener des travaux coûteux (600 millions d’euros gare du Nord) sans recourir à des financements extérieurs, faute de soutien suffisant de l’Etat ou de la collectivité parisienne? Dans les conditions actuelles, celui qui fait la banque devient le maître du jeu, même si Gares & Connexions veille à faire respecter un certain nombre de priorités, relatives à l’exploitation, au parcours voyageurs, à la sécurité et bien d’autres encore. Anne Hidalgo l’a bien compris, qui se satisfait d’un modèle économique très favorable et fait fi de quelques principes qui lui sont habituellement chers.

La gageure réside plutôt désormais dans l’obligation de négocier très correctement le contrat (bien mieux qu’à Saint-Lazare, en tout cas), avec des clauses qui permettent de ne rien perdre de la maîtrise des espaces stratégiques et de surveiller à la bonne application d’un cahier des charges de qualité. C’est tout l’objet des mois à venir.

L’avertissement de l’Arafer à la SNCF

L’Arafer a rendu son avis relatif aux redevances liées aux prestations régulées fournies par SNCF Gares & Connexions dans les gares de voyageurs pour les horaires 2018 et 2019. Avis positif malgré quelques réserves sur les délais de transmission (les tarifs 2018 auraient dû être transmis au plus tard en décembre 2016 et ceux de 2019 en décembre 2017), des demandes de justification quant au transfert des charges d’accueil général en charges d’accueil spécifique pour les gares régionales et locales ou à l’allocation des charges de Suge. Globalement: en progrès, même si peut mieux faire.

Reste la question des portes d’embarquement… Là, l’avertissement s’adresse à l’ensemble de la SNCF. L’Arafer se plaint de n’avoir été informée qu’à l’occasion de la transmission du projet tarifaire «du fait qu’une entreprise ferroviaire (NDLR: SNCF Mobilités) avait déployé, avec l’autorisation du gestionnaire des gares, une infrastructure de portes d’embarquement pour son propre compte sur l’emprise du gestionnaire des gares.» Sollicitée par l’Arafer, Gares & Connexions s’est empressée de fournir une proposition de tarification pour cette prestation de base facultative. Mais l’Arafer prévient: «Dans le contexte de la prochaine ouverture à la concurrence du transport ferroviaire domestique de voyageurs, elle fera preuve de la plus grande vigilance vis-à-vis des conditions dans lesquelles de nouvelles prestations sont déployées et proposées aux entreprises ferroviaires et candidats autorisés. Tout type de comportement qui peut conduire à une préemption par une entreprise ferroviaire de prestations ne doit pas se produire.»

La SNCF est prévenue par l’Arafer: il est trop tard pour qu’elle essaie de se procurer quelques avantages concurrentiels.


CONTRAT FERROVIAIRE

Retour sur l’appel d’offres du Pays-de-Galles

Une autorité organisatrice qui sait ce qu’elle veut, un opérateur qui s’engage sur la durée: voilà pourquoi le contrat gagné par Keolis pourrait faire école en Europe… et en France?


Sous les milliards, des engagements qui font sens. Le 4 juin dernier, Keolis se vantait d’avoir remporté le plus gros contrat de son histoire au Pays-de-Galles, 6 milliards d’euros sur quinze ans avec son allié Amey. Une telle communication est de bonne guerre: les gros chiffres impressionnent toujours. Mais en l’occurrence, le dialogue compétitif instauré par l’organisatrice comme le contenu des missions assignées au groupement vainqueur préfigurent peut-être une façon nouvelle de concevoir des exploitations ferroviaires régionales.

Le rail lourd britannique était en crise dans son mode de management en franchise. Les conditions de contractualisation étaient devenues très difficiles, tellement l’écart entre le descriptif du marché et la réalité de l’exploitation s’accroissait. De même, la densité de travaux sur le réseau rendait difficiles les relations des opérateurs avec le gestionnaire d’infrastructures Network Rail. Bref, les opérateurs se retrouvaient souvent plantés par rapport aux prévisions de trafic ou à cause des travaux. Si on rajoute à cela la sensibilité politique de plusieurs questions sociales, comme la conduite à agent seul, on obtient des franchises en échec ou en grande difficulté, chacun renvoyant à l’autre la responsabilité des difficultés.

Le Pays-de-Galles, confronté à de multiples problèmes (matériel vieillissant, infra en souffrance, qualité de service insuffisante), a donc voulu reprendre son destin en main. Voilà comment il s’y est pris. Petit manuel à l’attention d’autorités organisatrices ambitieuses…

  • Pas de course à l’échalote pour le trafic. L’AO a donné sa prévision de trafic avec une bande de variation de 3%, dans les deux sens.
  • Un vrai projet de mobilité décentralisée, sur le long terme (15 ans). Les élus et leur exécutif sont bel et bien partis d’une vision rénovée des déplacements internes au Pays-de-Galles. Tout part d’un dessein politique de l’AO.
  • Un dialogue compétitif long, près de deux ans, pour améliorer les termes contractuels. Clairement, l’AO a cherché une forme de confiance avec les candidats pour formuler le meilleur appel d’offres possible. Ont d’ailleurs été exclus assez vite Arriva (le sortant) et Abelio, jugés pas assez partenariaux dans leur démarche.
  • La maîtrise de l’ensemble des éléments du système. De l’infrastructure périurbaine de Cardiff au matériel roulant en passant par la rénovation des gares, les applis voyageurs et les systèmes de pilotage, c’est tout le système ferroviaire qui a été repris par l’autorité organisatrice, pour le confier à un groupement que l’on peut donc considérer comme intégré.

Il restait ensuite à Keolis à gagner… L’opérateur a dû aller chercher de bonnes compétences dans chaque spécialité, à proposer des interlocuteurs crédibles à l’autorité organisatrice (citons Colin Lea comme bid manager et Xavier Lhuillery). En appui stratégique inestimable, Jacques Damas a fait parler son expérience et sa connaissance unique de tous les éléments du système ferroviaire; Bernard Tabary et Jean-Pierre Farandou sont intervenus aux moments clés des discussions. Car en face, il y avait MTR, redoutable concurrent, qui a finalement mordu la poussière.

Une telle configuration – une AO régionale, pourquoi pas alliée à une grande agglomération, qui prend son destin ferroviaire en main – pourrait-elle être reproduite en France? Après tout, tant d’élus se montrent las de relations tellement difficiles avec des interlocuteurs multiples et centralisés, qu’ils pourraient avoir envie de s’inspirer de l’exemple gallois pour contractualiser de façon plus globale qu’aujourd’hui avec un partenaire multi-compétent. Et si on revenait doucement mais sûrement vers un modèle intégré? Ce n’est pas la moins explosive des questions que pose le contrat gallois.


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