Mobitelex 405 – 10 mars 2023

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Au-delà de la défiance 

Le conflit sur la réforme des retraites, quelle que soit son issue, laissera des traces majeures.

Deux mois après la présentation du projet de loi sur la réforme des retraites, le mouvement social de contestation arrive en cette fin de semaine à un tournant. Malgré des cortèges toujours plus impressionnants par leur nombre et leur ampleur, partout en France, le gouvernement et le Président de la République ne discutent pas avec les organisations syndicales, et mettent toute leur énergie à faire voter coûte que coûte le texte au Parlement. Les appels à la grève reconductible ne sont pas très suivis, en grande partie du fait de l’inflation qui fragilise les budgets des salariés.

Un syndicaliste: «Ces dirigeants nous méprisent»

Le soutien majoritaire de l’opinion publique ne suffit pas, à ce stade, pour faire plier un gouvernement attaché à sa réforme comptable et financière. Il est donc possible que le mouvement entre dans une nouvelle phase. Certains manifestants pourraient choisir des modes d’action plus radicaux, d’autres font référence explicite aux gilets jaunes: «Faut-il recourir à la violence pour être entendus ?» Pour la très grande majorité d’entre eux, c’est une désillusion supplémentaire, s’il en fallait, à l’égard du pouvoir politique «qui prétend écouter mais n’entend rien». Sa duplicité saute aux yeux.

Ce dialogue impossible est d’autant plus navrant que les centrales syndicales ont montré pendant ces deux mois leur sens des responsabilités : pas de débordements, peu de surenchères. Ils n’en sont pas récompensés: «Ces dirigeants nous méprisent», se désole amèrement un syndicaliste cheminot au fait des échanges ministériels. Il hésite entre colère et résignation; aucun des deux sentiments n’est fécond.

Quelle que soit l’issue de la confrontation, la période qui s’ouvre est à hauts risques. On a dépassé l’état de défiance entre une majorité de gouvernés et leurs gouvernants: le divorce est consommé, la rupture latente. Les insultes pleuvent au Parlement et dans les médias. Avec, comme plus parfait symbole de cette tension tragique, les bras d’honneur d’Eric Dupont-Moretti à l’Assemblée nationale. G. D.

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RESULTATS 2022

Keolis stabilise, RATP souffre

Après les résultats du groupe SNCF fin février (lire Mobitelex 404, «SNCF, vive l’après-crise !»), voici ceux de sa filiale Keolis et du groupe RATP, en attendant ceux de Transdev dans dix jours. Si les activités dites de marché de la SNCF (Geodis, TGV) et celles parfois généreusement subventionnées (TER et Transilien) ont permis au groupe public d’afficher un chiffre d’affaires en forte hausse et un résultat net conséquent (+ 2,1 milliards d’euros), il n’en va pas de même pour Keolis et, dans de plus fortes proportions et pour des causes en partie spécifiques, pour la RATP et sa filiale RATP Dev. Le marché du transport public, structurellement à faibles marges, se relève plus lentement de la crise sanitaire que les activités à risques et périls.

Keolis a pris de plein fouet trois crises successives: le Covid, le coût de l’énergie et l’inflation. L’entreprise dirigée par Marie-Ange Debon ne s’en sort donc pas si mal, avec pour la deuxième année un résultat net positif, à 48 millions d’euros (20 millions en 2021). Le chiffre d’affaires à 6,7 milliards progresse certes de 6,4% par rapport à 2021, en intégrant la sortie de Wales & Borders et les cessions de l’Allemagne et de la Norvège, mais seulement de 2,1% par rapport à l’avant-crises, c’est-à-dire 2019. Cette stabilisation n’est pas pour déplaire à Marie-Ange Debon, qui ne court pas après la croissance à tout prix du chiffre d’affaires – même si, sur le marché hexagonal, les gains commerciaux se sont élevés à 680 millions d’euros, pour un solde gains offensifs/pertes défensives positif de 100 millions d’euros.

En quoi consiste cette stratégie de consolidation ? Pêle-mêle, selon Marie-Ange Debon, «à ne pas se tromper sur les AO et sur les cibles commerciales» (répondre à un appel d’offres coûte cher), «à rationaliser toujours davantage ses présences à l’international» (la dissémination est également coûteuse), «à travailler d’arrache-pied sur les points durs» (le recrutement des personnels) «et les fondamentaux». Keolis n’a pas échappé aux pénalités pour services non assurés, mais dans des proportions qu’elle considère comme raisonnables.

Du coup, même si la couverture des surcoûts de l’énergie n’a pas été optimale partout, l’entreprise maintient une petite marge, et améliore ses ratios financiers (cash-flow libre à 94 millions d’euros contre 73 millions en 2021, dette nette sur Ebitda à 2,X contre 2,9X en 2021). On est curieux de voir ce que donnera 2023, avec la poursuite de la reprise des fréquentations voire une nouvelle dynamique de l’offre.

Le trafic en Ile-de-France est toujours inférieur de 14% à celui de 2019

Pour la RATP et RATP Dev, 2022 est un très mauvais cru : pour ne citer que quelques déconvenues, un trafic en Ile-de-France toujours inférieur de 14% à celui de 2019, des réfactions et pénalités en pagaille du fait d’une non-réalisation de l’offre, plusieurs projets d’investissements au ralenti (tension sur les appros, manque de main d’œuvre), et une grosse crise dans les bus londoniens qui a conduit à déconsolider l’activité dans les comptes de RATP Dev.

Résultat, un chiffre d’affaires de 6,076 milliards d’euros (contre 5,704 milliards en 2019, malgré l’apport conséquent du contrat toscan (356 millions d’euros en année pleine). C’est dire si le choc est violent, et il se ressent logiquement sur la profitabilité générale, avec un résultat net négatif à -26 millions d’euros.

Dès son arrivée le nouveau PDG Jean Castex s’est attaqué à la première urgence, le rétablissement du dialogue social (hors conflit sur les retraites) par de substantielles revalorisations salariales et un accord avec les personnels du bus. Désormais, après la publication de ces résultats qui attestent de l’ampleur d’une crise qui ne se résoudra pas seulement par la générosité d’IDFM, ses nouvelles orientations stratégiques sont attendues avec intérêt, notamment sur le rétablissement pérenne des fondamentaux d’exploitation (par respect des voyageurs et de son autorité organisatrice), la remise en route des projets d’investissements et les trajectoires d’avenir pour les filiales.


POLEMIQUE

Trottinettes, c’est mal embarqué

Est-il possible de réguler l’usage de l’espace public, sans passion ni calcul politique ? Manifestement, c’est difficile…

Cela fait maintenant quelques années que le développement anarchique des trottinettes en libre service pose problèmes : sécurité des circulations, mise en danger des piétons, encombrement des trottoirs etc. Des années que l’Etat n’intervient pas, ou presque pas, et laisse les collectivités se coltiner le problème – alors qu’il aurait pu le faire, au nom principalement de la sécurité publique dont il est le garant.

A Paris, faute de régulation claire et énergique, le phénomène prend logiquement plus d’ampleur qu’ailleurs : plus d’utilisateurs, y compris des touristes ravis de l’aubaine qui consiste à sillonner la capitale cheveux au vent, et plus de perturbations vu la densité de circulation et la géographie urbaine. Les accidents se multiplient : il faut faire quelque chose.

Et c’est parti : Anne Hidalgo annonce en début d’année un référendum pour ou contre, le 2 avril prochain, sans possibilité de vote électronique ni, surtout, d’option «régulation énergique». Quelques semaines plus tard, le ministre Clément Beaune, élu député de Paris en juin 2022, réplique avec la présentation des grandes lignes d’un dispositif de régulation d’envergure nationale destiné à contraindre les opérateurs : «Le laxisme a trop duré», dénonce-t-il. L’inaction de l’Etat aussi… Voilà comment un problème somme toute banal de régulation dans l’espace public, auquel sont confrontées toutes les grandes métropoles, est devenu un objet de polémique politique.

On espère encore malgré tout une régulation intelligente, à base d’interdits fermes (circulation sur les trottoirs, dépose sauvages des engins), de limitation de la vitesse des engins et de contrôles sévères des opérateurs homologués sur le respect de leurs engagements. Est-ce inaccessible ?


EPILOGUE

Papinutti, la mauvaise histoire

Allez, encore quelques lignes sur l’affaire Papinutti (lire Mobitelex 402 et MobiAlerte 102). Non pas qu’il y ait du nouveau sur l’origine de l’idée saugrenue de nommer Marc Papinutti à la tête de l’ART – on ne va pas donner corps aux théories les plus diverses voire fumeuses qui circulent à Paris. Mais pour s’étonner une dernière fois qu’une telle cagade au sommet de l’Etat ait pu se produire…

Le Président de la République propose aux Assemblées, sur proposition de la Première ministre, un candidat à la présidence d’un régulateur devenu en dix ans un acteur majeur du secteur des transports, dix-huit jours plus tard le Secrétariat général du gouvernement (SGG) annonce le retrait de cette candidature, et personne ou presque ne s’en émeut ? Alors même que les éléments juridiques de sa disqualification nous semblaient si évidents…

Un certain nombre de conseillers et d’institutions (dont le SGG) sont censés protéger le Président de la République, garant des institutions et du respect des lois. Pourquoi ont-ils failli dans leur tâche ? L’exécutif a-t-il cru pouvoir passer en force, comme il aime à le faire de temps en temps pour des nominations ? Toujours est-il que c’est un signe supplémentaire de dysfonctionnement. Il est, certes, secondaire dans l’échelle des sensibilités politiques, mais il fait désordre aux yeux des orthodoxes du formalisme républicain. G. D.


ENERGIE

Des sous pour les AO… et pour le fret ?

Le ministre Clément Beaune a annoncé le 6 mars dernier la mise en place effective de l’aide de 100 millions d’euros à destination des métropoles et des intercommunalités de province confrontées à l’augmentation des coûts de l’énergie. La méthode est innovante : le communiqué de presse mentionne l’adresse URL d’un site Internet où déposer sa demande, avant le 15 avril (demarches-simplifiees.fr). On n’a pas testé, mais le temps de remplissage est estimé à 9 minutes. La modernisation de l’Etat est en marche !

D’ores et déjà, les régions qui ont pris la compétence mobilité des intercos s’inquiètent: malgré les promesses initiales de Matignon elles ne seraient pas éligibles à cette aide. Par ailleurs on ne sait pas encore, quand la répartition sera faite entre les collectivités, une fois toutes les demandes effectuées et les justificatifs de production kilométrique fournis, quelle part des surcoûts cette aide va absorber.

Selon nos informations, en parallèle de cette mise en place, des discussions interministérielles ont eu lieu cette semaine pour envisager un dispositif à l’attention des opérateurs de fret confrontés à l’explosion des coûts de l’électricité fournie par SNCF Réseau (plus de 450 € le MWh). Cela fait presque six mois que ces opérateurs revendiquent une intervention de l’Etat. Trois hypothèses seraient sur la table : un plafonnement du prix à 180€, une aide supplémentaire aux sillons et des conditions favorables de sortie du contrat qui les lie à SNCF Réseau (qui lui-même est en contrat avec les fournisseurs d’électricité). Car sur le marché du jour, le MWh était tombé à moins de 140 €…


INFRASTRUCTURES

Accès du Lyon-Turin: il faut sauver la DUP de 2013!

En matière de grands projets d’infrastructure, le diable se cache souvent dans les détails. C’est le cas avec le dossier des accès côté français au tunnel de base du Lyon-Turin, dont nous avons parlé à plusieurs reprises. Qu’il s’agisse du choix du scénario – celui dit du « grand gabarit fret » semble désormais tacitement retenu – ou du calendrier de réalisation des travaux d’accès proposé par le Comité d’orientation des infrastructures, tout cela n’aurait plus aucun intérêt si la base légale du projet disparaissait.

La DUP expirera en 2028 si rien n’est fait… au moment du lancement des APD préconisé par le COI

On s’explique : l’enquête publique concernant les accès au tunnel avait conduit à leur déclaration d’utilité publique par un décret en Conseil d’Etat du 23 août 2013. Or la durée de vie d’une DUP (déclaration d’utilité publique) est de 15 ans. Celle-ci expirera donc en 2028 si rien n’est fait pour en obtenir d’ici là le renouvellement. Cette expiration emporterait non seulement la perte de base légale qui obligerait à rouvrir une nouvelle enquête publique, sujet politiquement complexe, mais surtout, elle aurait pour effet immédiat de débloquer les autorisations de délivrance de permis de construire sur les emprises concernées. Compte tenu de la pression foncière en Nord Isère, autant dire que ce serait condamner les accès car il n’y aurait bientôt plus nulle part où passer…

Pourquoi envisage-t-on cette hypothèse ? Parce que le rapport du Comité d’orientation des infrastructures, dans son scénario médian (planification écologique), retenu par le gouvernement, ne prévoit le lancement des APD qu’en 2028, soit… au-delà du délai de péremption de la DUP. On attend certes les arbitrages du gouvernement sur les propositions du COI projet par projet. Mais si le scénario devait être retenu avec un calendrier allongé concernant les accès au tunnel de base, il faudrait au moins commencer dès maintenant les études d’APD. Car pour que le Conseil d’Etat consente au prolongement de la DUP au-delà de 2028, il faudra lui présenter les études d’avant-projet détaillé (APD) et être en mesure de se prévaloir de quelques acquisitions foncières en Nord Isère. Cela coûte environ 150 millions d’euros, dont l’Europe est prête à financer la moitié. Resterait donc à trouver 75 millions entre l’Etat et les collectivités locales, qui jusqu’à présent ont toujours co-financé les études. Le diable aime les détails…


FERROVIAIRE

En Grèce, l’accident et la colère

Le dramatique nez à nez entre un train de voyageurs et un convoi de fret, dans la nuit du 28 février au 1er mars près de Larissa sur la ligne Athènes-Thessalonique, a fait 57 morts. Il met en évidence la vétusté du réseau ferroviaire hellène, notamment en matière de système de signalisation. Le soir de l’accident, le chef de gare, un contractuel néophyte, en fonction seulement depuis quelques mois, avait été laissé seul par ses collègues ; il n’a pas empêché le train de voyageurs s’engager alors qu’un train de fret venait à sa rencontre.

La colère qui a secoué le pays et provoqué notamment la démission du ministre des Transports est à la mesure de la mauvaise communication de crise des autorités publiques, qui ont paru dans un premier temps soucieuses de se déculpabiliser plutôt que de prendre la mesure des drames humains provoqués par l’accident et des causes profondes de la détérioration du système ferroviaire, par manque d’investissements. Le 14 février, la Grèce venait d’être assignée devant la cour de Justice européenne pour non-respect des règles relatives au transport ferroviaire, en matière de relations entre les autorités publiques et le gestionnaire d’infrastructures.

Il n’est pas certain qu’une communication énergique et immédiate «à la Pepy» aurait suffi à désamorcer la colère des Grecs. Le chemin de fer, très peu cher en Grèce, est prisé par les étudiants aux faibles revenus, qui se considèrent aujourd’hui comme les victimes principales de l’effondrement des services publics en général.


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