/ / /
Il était temps
L’imminente annonce du nouveau gouvernement met fin à quelques semaines d’errements assez effarants.
Ce fut un feu d’artifice. Une ministre de l’Education nationale (Nicole Belloubet) qui retweete à chaud, le 10 septembre, la vidéo de l’enseignante filmée dans sa classe en train de donner une gifle à une enfant de trois ans – ni précaution, ni analyse, ni recul, ni régulation. Un ministre de l’Economie et des Finances (Bruno Le Maire) qui croit bon de fêter son départ avant la fin officielle de ses fonctions, en pleine Bérézina budgétaire. Quel narcissisme. Un Premier ministre sortant (Gabriel Attal) qui s’offense d’une hausse des impôts alors qu’en tant que Premier ministre le déficit budgétaire s’est accru de 30 à 40 milliards en huit mois de façon assez mystérieuse. Quelle indécence.
Comment être crédible dans la dénonciation des populismes de tous bords quand sa propre pratique du pouvoir est irrespectueuse des usages républicains ?
Ces errements finaux, et pas finauds du tout, auxquels on pourrait ajouter plusieurs comportements dilettantes et les protections très suspectes d’Aurore Bergé dans l’affaire des crèches privées, incitent à souhaiter, au-delà de toute préférence politique, une remise en ordre des affaires de l’Etat. Que les ministres arrêtent de succomber aux tentations de la communication à tout prix, que l’on retrouve un peu de sérieux budgétaire.
C’est loin d’être gagné car de si mauvaises habitudes ont été prises. La fragilité politique du gouvernement Barnier ne devrait pas faciliter les choses, malgré le concours de quelques vieux routiers de l’Etat, comme le préfet Michel Cadot appelé à la rescousse à Matignon. Mais pour regagner la confiance des fonctionnaires et des citoyens en général, compétence, sobriété et continuité seraient appréciables. G. D.
Patrice Vergriete, passage furtif
On ne va pas s’éterniser sur le bilan de Patrice Vergriete au ministère des Transports car en vérité il n’y en a pas vraiment. Comment laisser une trace substantielle en cinq mois – on ne compte pas la période post-dissolution ? L’homme était sympathique, son engagement sincère et son lien aux territoires authentique, mais manifestement sa méconnaissance des rouages de l’Etat et un excès de décontraction n’ont pas contribué à la consistance de son passage.
Il a commencé en février par une vraie bourde : annoncer sans validation préalable, sur France Inter, un grand débat public sur l’avenir des concessions autoroutières… qui menait tout droit à la tarification des péages. Ou comment ouvrir la porte à une remise en cause d’une des rares recettes jusqu’ici plutôt bien acceptée par les Français. En quelques heures sa proposition fut enterrée.
La suite ? Une maladresse sur l’objectif proclamé du Pass Rail : 700000 ventes. Cela s’est fini à 235000. C’est donc devenu, sur la place publique, un échec ou un demi-échec, si l’on est indulgent. Une volonté évidente de progresser sur les Serm, avec une prise de parole dès sa nomination, à Bordeaux devant les élus du Gart… mais une conférence de financement qui ne s’est pas tenue avant l’été. Patrice Vergriete en bon élu local voulait faire un Tour de France triomphal des agglomérations, il n’en a pas eu le temps. Ne lui survivra qu’une liste de projets labellisés à la hussarde en juillet, aussi longue que celle des personnalités qui ont refusé d’être ministres dans le prochain gouvernement. Le plus dur est à venir : redonner un peu de cohérence à cet ensemble devenu hétéroclite, poser quelques cadres clairs pour que l’ambition initiale (booster les services de mobilité à l’échelle des métropoles) ne se transforme ni en pompe à subventions ni en anecdotes éparpillées.
Patrice Vergriete a lui-même annoncé il y a quelques jours qu’il ne ferait pas partie du prochain gouvernement. Ultime initiative si peu orthodoxe et républicaine, à la manière d’un Bruno Le Maire (encore lui) ou d’un Thierry Breton démissionnaire avec fracas de la Commission européenne, et qui n’a pensé au moment de son communiqué rageur qu’à sauver la face, comme tout au long de sa carrière. C’est jusque-là assez efficace: qui rappelle les bilans désastreux de Thierry Breton à Thomson et à Atos ?
On retrouvera avec plaisir Patrice Vergriete sur son territoire qu’il connaît si bien, à Dunkerque; il est probable que Mobilettre lui rende visite dans le cadre d’une enquête sur l’impact de la gratuité dans les transports.
. . .
FINANCES
2025, le budget qui fait peur
L’UTP organisait le 12 septembre dernier son séminaire stratégique annuel, consacré à l’attractivité et à la formation, avec la mise en place du projet Transformeurs doté de douze millions d’euros (lire Mobitelex 453). Un nouveau logo sanctionnant l’incorporation définitive du mot ferroviaire (Union des Transports Publics et Ferroviaires) a été dévoilé.
C’était l’occasion pour Mobilettre d’interroger les nombreux dirigeants présents sur leur appréciation du budget 2025 que l’on annonçait déjà, avant même la révélation des consignes de Bercy, comme très sévère en matière de subventions aux transports publics et ferroviaires – après tout, le niveau d’activité induit fortement celui des effectifs et des recrutements… Las ! aucun n’a voulu se prononcer publiquement sur un sujet si sensible politiquement.
Mais depuis ce séminaire, la plupart des dirigeants nous ont confié en aparté leurs craintes. De nombreuses collectivités peinent à accroître l’offre ou même à financer l’offre nominale prévue, du fait de leurs problèmes de ressources – rappelons qu’elles ne peuvent avoir des exercices déficitaires en matière de fonctionnement. Quant au ferroviaire, sa bonne performance estivale, aussi bien en termes de qualité de service qu’en revenus commerciaux, pourrait inciter Bercy et Matignon à relâcher le soutien public à la modernisation et à la régénération, ce qui serait dramatique du point de vue industriel.
Cette inquiétude paraît d’autant plus légitime que les voyageurs et usagers se précipitent dans les transports collectifs, sous plusieurs effets conjugués : les problèmes de pouvoir d’achat, l’impératif écologique, la modification du rapport à la voiture individuelle, voire même une tendance à la diminution du télétravail, à l’initiative d’entreprises soucieuses de productivité… Un rendez-vous est d’ores et déjà inscrit à l’agenda du secteur ; le discours de politique générale du Premier ministre, probablement le 2 octobre prochain.
POLEMIQUE
Les bagages dans les TGV, c’est un peu lourd
Rassurez-vous, on ne va pas épiloguer sur la polémique de la semaine relative à la mise en application des dispositions sur les bagages à bord des TGV Inoui et des Intercités. Trop d’encre et d’images, déjà.
Sur le fond, il nous semble légitime de la part de la SNCF de rappeler qu’un train n’est pas un camion de déménagement, et d’assortir l’irrespect des règles en vigueur d’une menace de verbalisation. De là à en faire un sujet majeur de l’actualité française et à imaginer que la motivation de la SNCF est financière…
En revanche, il nous paraît utile de préciser que la tendance à la multiplication des situations d’encombrement des espaces dans les TGV n’est pas due qu’à quelques voyageurs excessivement chargés. La recherche du maximum de places assises commercialisées, mais aussi quelques espaces précieux affectés au tri sélectif, ont tendance à affecter la fluidité de circulation et les superficies d’entreposage des valises encombrantes. Surtout, les taux de remplissage inédits ces derniers mois, avec de très nombreux trains complets à 100%, ont contribué à de fréquentes saturations des espaces. Avec l’arrivée de la concurrence, la bataille des aménagements aura-t-elle lieu ?
REGULATION
L’avis défavorable de l’ART sur la tarification des prestations de sûreté de la RATP
Le régulateur demande à l’opérateur francilien de revoir sa copie dans les deux mois, sur la justification des charges, sur l’augmentation 2024/2023 à + 17%, sur les taux de production, le bénéfice raisonnable, la trajectoire prévisionnelle des charges… Bref, sur presque tout le contenu du document de tarification des prestations du GPSR. Cela mérite quelques explications.
Dans l’avis publié cette semaine par l’ART, tout est clair, même s’il manque un certain nombre de chiffres caviardés au nom du respect du secret des affaires. On est un peu circonspect sur l’étendue de l’application de cette notion qui semble davantage relever du risque social relatif à la divulgation publique de certaines données. Mais soit, la pédagogie de l’avis est suffisamment précise pour comprendre de quoi il retourne globalement, et puis il y a un tableau, page 6, qui suffit à poser le problème : les coûts horaires des prestations du GPSR. Proposition de la RATP pour 2024 : 108,67€ le jour, 123,55 € la nuit. Soit, par rapport à 2023, +17,7% et +18,5%.
Logiquement, l’ART tique aussi bien sur le niveau du tarif que sur son évolution 2024/2023. Elle recommande «d’étudier la mise en œuvre d’un lissage du rebasage des charges par la RATP afin de partager les surcoûts liés à la non-atteinte des objectifs d’efficacité qu’elle s’était fixée […], de mieux justifier la projection des charges, de justifier plus précisément le niveau de bénéfice raisonnable […] et de conserver le taux de production des agents du GPSR» (le taux de production correspond à la part de la durée du service allouée aux activités facturables, le reste étant consacré aux entretiens managériaux, aux visites médicales…). La RATP aurait-elle intégré les primes 2024 dans le coût de revient des prestations qui détermine la tarification, voire même les primes JO (au contraire de la SNCF) ? Même pour des activités en partie souterraines, 108,67€ le tarif horaire, c’est assez exhorbitant…
Bref, pas grand-chose ne va à l’ART dans la proposition de la RATP, d’autant que depuis un décret du 14 mai 2024 (n° 2021-598), le régulateur doit évaluer que les coûts correspondent à un service efficace.
Il ne peut donc se contenter des coûts constatés par l’opérateur, qui est tenu de justifier en détail ses charges et ses affectations. Rien ne va non plus dans les indicateurs de performance, les projections de charges ou les exercices de projection pluriannuelle.
Que risque la RATP si le nouveau document produit dans les deux mois ne satisfait pas le régulateur ? Au vu de précédentes décisions dudit régulateur, par exemple sur les tarifs de l’aéroport de Lyon, une reconduction des tarifs de 2023 serait possible.
Interrogée par Mobilettre, la RATP ne dit rien sur le fond et confirme qu’elle prépare une nouvelle proposition. Une sorte de non-événement, cet avis conforme défavorable ? Manifestement, alors que Catherine Guillouard souhaitait réussir son entrée dans le nouveau paysage de la régulation, les équipes de Jean Castex considèrent aujourd’hui qu’elles défendent au mieux les intérêts de l’entreprise, et que bon an mal an à la fois IDFM, qui avait déjà émis un avis négatif au printemps, et le régulateur devront se plier à la seule loi qui vaille, la leur, celle du terrain. Cette difficulté à accepter une autorité de régulation qui perturbe sa routine d’influence sur le gouvernement, et donc à objectiver et à justifier ses coûts, rappelle des réticences comparables des structures du groupe SNCF à la création de l’ARAF (puis Arafer puis ART). Depuis, les échanges se sont améliorés. Et les tarifs 2024 de la Suge, le service de sûreté de la SNCF, ont reçu un avis conforme de l’ART…