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La grille ou la jungle ?
Une initiative commune CGT/Unsa sur l’avenir des systèmes de rémunération, lors de la réunion dite conclusive de la NAO SNCF, hier mercredi, amorce un débat majeur pour le monde du travail : comment échapper à la fois au carcan et à la dérégulation ?
Dans un contexte assez ritualisé où les uns montrent leurs muscles et les autres masquent leurs calculs et tactiques, il est assez rare de relever des propositions originales et innovantes. Après tout, une NAO (Négociation annuelle obligatoire, depuis 1982), c’est surtout le moment où se joue le niveau d’augmentation générale des salaires (AGS) : hier, la SNCF a affiché +2,2% (lire ci-dessous).
C’est pourquoi la proposition commune de la CGT et de l’UNSA, les deux premiers syndicats représentatifs de la SNCF, a créé la surprise, voire déstabilisé Sud-Rail qui comptait s’installer dans un rapport de force très classique. Certes, la CGT n’a pas pour autant renoncé à une exigence de revalorisation salariale très élevée (+12,5% pour tous!), mais en s’alliant à l’UNSA – qui retrouve des couleurs réformistes – pour proposer une grille salariale modernisée et unifiée, elle entend échapper à la caricature du syndicat qui ne sait dire que non.
De quoi s’agit-il, en quelques phrases qui ne suffiront pas à traiter la complexité du dispositif ?
Le Nouveau Pacte ferroviaire de 2018 a engendré la coexistence de deux systèmes de rémunération, l’un pour les statutaires, basé sur le GVT (Glissement vieillesse technicité), l’autre pour les contractuels. Il en résulte des processus de fixation et d’avancement de rémunération différents, potentiellement sources de conflits de proximité entre salariés pendant les trente ans à venir, le délai nécessaire à l’extinction du statut. L’UNSA et la CGT proposent donc de lancer la mise en place progressive (d’ici 2029) d’une grille unique de rémunération, lisible et transparente.
Est-ce le statut qui rentre par la fenêtre ? Pas vraiment, d’ailleurs les précisions apportées par l’UNSA sur son projet montrent une baisse du niveau général du GVT de 0,7 point. C’est surtout l’occasion d’harmoniser les cotisations (grâce à une ACC, allocation compensatoire pour les contractuels), et de moderniser les conditions d’évolution des rémunérations (ancienneté, pénibilité…). Car à la fin du statut, que restera-t-il ? Des AGS et des primes, et basta, que du mérite ?
Selon nos informations le DRH Philippe Bru ne s’est pas montré favorable à une telle réforme, manifestement attaché aux leviers d’un management individualisé des recrutements et des avancements. Que dira Jean-Pierre Farandou ?
La question est très loin d’être anecdotique car il en va de la cohésion d’une entreprise, engagée dans un mouvement d’atomisation de ses entités, principalement à SNCF Voyageurs, et bien au-delà du modèle social des décennies à venir. Et il est finalement assez logique que la SNCF symbolise le frottement entre la citadelle du statut unique et le nirvana de la dérégulation. Entre un vaste espace largement dérégulé où s’épanouiront les destins individualisés, et la persistance de systèmes très encadrés et potentiellement déresponsabilisants, entre le risque libertarien à l’américaine et une forme de nostalgie dirigiste et normative, y a-t-il une autre voie possible ?
Pour n’avoir pas vraiment affronté ce problème, essentiel parmi tant d’autres, les partis de gouvernement en général et les sociaux-démocrates en particulier se retrouvent en permanence sous la pression des extrêmes. Ils ont l’occasion de reprendre l’initiative, à la faveur du repoussoir Trump. G. D.
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REMUNERATIONS 2025
A la SNCF, une négociation sur le fil
Sans surprise, la direction de la SNCF essaie d’éviter le conflit avec des propositions médianes.
C’est la dernière NAO SNCF du mois de novembre. Désormais, c’est en février/mars que se jouera l’épilogue de la négociation sociale qui, on l’oublie souvent, dure plusieurs semaines à coups d’Observatoires de la conjoncture et de réunions préparatoires. Une manière d’éviter la menace de grève à Noël ? Que nenni, se défend la direction, les cheminots peuvent faire grève à tout moment : en mars on a tous les outils en main, à la fois l’inflation définitive de l’année précédente et le résultat de l’entreprise. Le ministre François Durovray s’est pourtant attribué ce matin la paternité de ce décalage bienvenu…
En forme de confirmation de sa volonté d’échapper au piège de Noël, la direction de la SNCF promet dans cette NAO une revoyure en 2025, en fonction de l’évolution de l’inflation… et des résultats 2024 ? Tout le monde a bien compris : s’ils sont bons (et ils le seront), a fortiori sans l’impact d’une grève en décembre, il y aura peut-être un bonus.
Mais revenons aux propositions chiffrées mises sur la table au cours d’une réunion de cinq heures, hier mercredi au siège de la SNCF, à Saint-Denis. +2,2%, c’est le chiffre avancé par le DRH Philippe Bru, qui concerne aussi bien les statutaires (+ 1,7% de GVT sans le T *, +0,5% d’AGS) que les contractuels (avec 15€ incorporés au salaire de base). Avec une inflation estimée à +1,5%, c’est donc 0,7% de gain de pouvoir d’achat, plaide la direction. Diverses mesures complètent le dispositif (maintien du salaire minimum à SMIC +10%, attribution de positions de rémunérations supplémentaires, création d’un échelon 12, maintien du remboursement à 75% de l’abonnement en transport public pour le trajet domicile/travail). A noter qu’à part la création d’un niveau fin de carrière TB4 pour les roulants, aucune disposition catégorielle n’a été prise (augmentation spécifique des conducteurs ou des ASCT, par exemple). C’est l’application de la doctrine dite Farandou, par contraste avec les pratiques RATP : l’unité cheminote plutôt que la dislocation corporatiste.
Ces propositions ont été jugées insuffisantes par les organisations syndicales, mais le sentiment d’avoir échappé au pire (le gel des salaires hors GVT) domine quand même, au regard notamment du sort réservé aux fonctionnaires. Ce qui ne signifie pas que les toutes les OS, ou une représentation majoritaire, signeront – ce n’est jamais arrivé dans l’histoire. Mais l’hypothèse que l’une d’entre elles, voire deux d’entre elles (la CFDT et l’UNSA), le fassent, n’est pas du tout exclue, loin de là. Dans ce dernier scénario (deux signatures), la direction appliquerait ses propositions salariales. A défaut, seuls les bas salaires seraient revalorisés. Manifestement, le gouvernement a fait connaître sa position, tout en laissant l’autonomie à son entreprise publique : OK pour +0,5% d’AGS, mais à condition d’une signature majoritaire (2 sur 4) qui signifierait probablement l’absence d’un conflit substantiel à partir du 11 décembre.
Que décideront donc les salariés d’ici la date butoir du 29 novembre?
L’heure est aux consultations de la base, et rien ne dit dans le contexte actuel (les agriculteurs menacent, ils obtiennent) qu’elle ne soit pas un peu plus radicalisée que prévu. D’autant que de nombreux médias continuent d’alimenter un bashing anti-cheminots assez caricatural. Malgré tout, au vu de la faible mobilisation de ce jeudi 21 novembre en soutien de Fret SNCF, l’heure ne semble pas aux braseros. Sud-Rail et la CGT vont probablement surenchérir et faire monter la pression – a fortiori si la CGT constate que sa proposition commune avec l’UNSA d’une refonte complète de la grille (lire ci-dessus) n’est pas prise en compte, ce qui lui aurait offert une victoire stratégique, elle qui essaie d’échapper à l’attraction radicale de Sud-Rail.
Tout dépendra donc :
1, de la signature de la CFDT et/ou de l’UNSA, cette dernière ayant l’occasion avec son offensive sur la refonte de la grille de retrouver une identité innovante un peu troublée par la tentation de la contestation radicale.
2, du niveau de pression décidé par Sud-Rail et la CGT.
3, de l’évaluation de la situation par le PDG Jean-Pierre Farandou, qui connaît si bien l’entreprise, ses syndicats… et l’impératif de ne pas risquer un conflit de fin d’année.
* La direction de la SNCF retire dorénavant de ses calculs en NAO la partie technicité du GVT, considérant qu’il ne s’agissait pas d’une disposition générale d’avancement, contrairement à l’ancienneté.
La grève de Noël, une tradition ?
Mobilettre confirme son analyse des conflits depuis trente ans : la grève de Noël pour faire pression sur la direction à propos des salaires n’est pas une tradition récurrente. Si effectivement depuis 2019 plusieurs conflits sur les rémunérations et les conditions de travail ont eu lieu en décembre, notamment à l’initiative des contrôleurs, ce sont surtout les changements de service avant cette date qui occasionnaient des arrêts de travail, la plupart du temps de façon localisée, en juin et en décembre, puis seulement en décembre quand le service a été annualisé. Le décalage de la NAO à la fin de l’hiver va probablement contribuer de façon décisive à rompre toute tentation d’une institutionnalisation d’une grève de Noël, qui participait à l’hystérisation du sujet SNCF dans le débat public.