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L’heure des pros
«Non aux nominations politiques, oui aux nominations professionnelles !», s’est exclamée Valérie Pécresse mardi dernier à propos de la gouvernance des entreprises de transport. Elle a mille fois raison…
Que Pascal Praud ne se réjouisse pas trop vite : Mobilettre n’a pas perdu la tête au point de faire la pub de son émission «L’heure des pros». Non, c’est même tout le contraire, on aurait envie comme Valérie Pécresse de promouvoir «L’heure des vrais pros», de celles et ceux qui savent faire tourner un Etat et des entreprises. On s’explique.
Mardi en fin d’après-midi, au terme d’une séquence très positive sur l’amélioration tendancielle de la qualité de service de la RATP et de la SNCF (lire ci-dessous), la présidente d’IDFM, plus gros client des deux entreprises publiques, n’a pu échapper à la question du moment, formulée par Mobilettre : «Que pensez-vous de l’éventualité que votre voisin de droite passe à votre gauche ?» L’occasion était trop belle : à sa gauche Jean-Pierre Farandou, bientôt atteint par la limite d’âge et donc interdit de toute fonction exécutive à la tête de la SNCF, à sa droite Jean Castex, PDG de la RATP depuis deux ans et demi, qui ne veut pas avouer publiquement qu’il aimerait bien lui succéder.
Valérie Pécresse au siège de la région Ile-de-France, mardi 20 mai, entourée de Jean Castex et Jean-Pierre Farandou © DR
Valérie Pécresse ne s’est pas dérobée. Avait-elle compris quelques minutes avant que le futur ex-président de la SNCF était sincèrement ému de sa dernière prestation, même s’il ne s’était pas départi de son humour taquin en regrettant de ne plus assister dans l’avenir au tunnel de Jean Castex (qui déroula effectivement une longue présentation powerpoint) ? Elle rendit un vibrant hommage au professionnalisme indispensable à la performance des réseaux de transport : «On ne peut pas survoler les sujets transports, a-t-elle vigoureusement insisté, il faut aller dans les détails pour améliorer les choses.» Et de conclure d’une phrase dont chacun pourra faire l’exégèse : «Non aux nominations politiques, oui aux nominations professionnelles.» Et bonsoir chez vous.
Avoir été Premier ministre et être sincèrement passionné de chemin de fer justifie-t-il d’être dispensé des processus d’évaluation imposés à d’autres ?
En 2017 il y eut quelques promesses de professionnalisation des recrutements des dirigeants d’entités publiques, avec une APE (Agence des Participations de l’Etat) chargée de mener un processus de sélection et d’audition des candidats. Très vite on a compris que ce n’était qu’une intention sans lendemain, le paravent de la perpétuation d’une pratique discrétionnaire, à savoir l’exercice intact, plein et entier, du pouvoir de nomination du Président de la République, mollement encadré par la consultation du Premier ministre (et du ministre en charge, parfois) et les votes des commissions parlementaires. En 2022, Jean Castex n’a pas été auditionné par l’APE et son cabinet de recrutement, pas plus qu’il ne le serait en 2025, contrairement à d’autres candidats qui se demandent probablement à quelle comédie ils viennent de participer. Car le PDG de la RATP n’est pas officiellement candidat ! Il ne serait donc nommé que par le fait des princes amis, Président de la République et Premier ministre. Magistral.
Avoir été Premier ministre et être sincèrement passionné de chemin de fer justifie-t-il d’être dispensé des processus d’évaluation imposés à d’autres ? Vous avez quatre heures… Disons qu’il n’est pas du tout certain que les pratiques de gouvernance de l’Etat préparent au mieux le pilotage managérial, stratégique et financier d’un gros paquebot comme la SNCF appelé à affronter sans cesse tempêtes et défis industriels, et qu’un processus de nomination doit servir à vérifier que les intentions de l’actionnaire, si tant est qu’elles soient claires aujourd’hui, et du futur PDG sont alignées. En 2019, Jean-Pierre Farandou l’avait emporté sur le libéral Patrick Jeantet parce qu’il était davantage en phase avec Edouard Philippe sur la nécessité de pacifier le climat social de l’entreprise et de retrouver quelques fondamentaux, après les tumultes successifs au sein et autour de l’entreprise depuis dix ans.
Terminons par un vœu adjacent, au vu de l’actualité de la semaine : le professionnalisme serait aussi le bienvenu en politique. De par l’inconsistance et l’opportunisme d’un Attal, d’un Wauquiez et de tant d’autres, à gauche comme à droite et au centre, on en arrive à louer les derniers dépositaires d’une rigueur et d’une méthode de gouvernance, au détriment du contenu de leurs projets. «La radicalité polie, ça paie», conclut même notre confrère Libération après le succès du solide Retailleau sur le flibustier Wauquiez. Peut-on encore rêver d’avoir à la fois le fond et la forme ? G. D.
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DROIT ET GOUVERNANCE
La SGP sur les Serm, ça pose problèmes
A la lecture du rapport conjoint de l’IGF et de l’IGEDD sur les Serm, on comprend la réticence de l’Etat à le rendre public : la SGP aurait dû être mise en concurrence sur les marchés qu’elle a déjà signés ! Plus largement les conditions de son intervention mériteraient d’être clarifiées. Nos explications.
A l’impossible Mobilettre n’est pas tenu. Après avoir pris connaissance du volumineux rapport de l’IGF et de l’IGEDD sur les Serm (Services Express Régionaux Métropolitains), nous ne sommes pas en mesure d’en produire une synthèse complète en quelques heures. Le travail réalisé, et présenté mardi dernier devant les membres de l’atelier «AOM et Serm» de la conférence «Ambition France Transports», est suffisamment riche, précis et documenté qu’il mérite une lecture et une analyse approfondies. Ce n’est assurément pas de l’eau tiède; leurs auteurs n’hésitent pas à poser quelques constats qui fâchent sur les capacités de financement des AOM, les charges d’endettement, le coût des opérations, le rôle de l’Etat.
Rendez-vous bientôt, donc, mais en attendant, il est un passage du rapport que nous ne pouvons nous dispenser de rapporter au plus vite, tellement il est de nature à perturber le long fleuve jusqu’ici tranquille de l’installation de la SGP, rebaptisée «Société des Grands Projets» le 27 décembre 2023, en partenaire privilégié des Serm en voie de certification. Résumons-le ainsi : selon l’avis de la Direction des Affaires Juridiques de Bercy( DAJ), formulé en décembre dernier, la SGP aurait dû être mise en concurrence sur ses marchés d’études déjà signés et plus largement sur ses missions à venir de maîtrise d’ouvrage.
C’est la rédaction de plusieurs passages du texte de décembre 2023 (Loi n° 2023-1269 art. 4) qui est en cause
«L’établissement public Société des grands projets ou ses filiales peuvent participer à l’élaboration des propositions de service express régional métropolitain mentionné à l’article L. 1215-6 du code des transports, sur décision du ministre chargé des transports […] Elles peuvent être désignées maîtres d’ouvrage des infrastructures de transport nécessaires à la mise en œuvre des services express régionaux métropolitains et situées à l’intérieur du périmètre de ces services, dans les cas et selon les modalités suivants : Par arrêté du ministre chargé des transports…» Etc. Pour faire simple, ont tranché les juristes de Bercy, l’autorisation du ministre des Transports n’a pas pour effet de dispenser la SGP de mise en concurrence, et l’accompagnement des collectivités locales doit faire l’objet d’un marché public… sauf si c’est gratuit.
Quelle situation… On n’échappe pas impunément au Code de la commande publique, y contrevenir ressort même d’un délit passible de deux ans d’emprisonnement et de 200 000 euros d’amende. Qu’est-ce qui a donc pu motiver la DGITM à autoriser des contractualisations rémunérées avec la SGP, même après la note de la DAJ de Bercy ?
La Société des Grands Projets, pensée dès 2022 par un trio constitué du préfet du Nord Georges-François Leclerc, de Jean Castex et de Jean-François Monteils, bénéficie de fait d’un fort soutien des différents niveaux de l’Etat, sinon d’une mansuétude très particulière, y compris au regard de quelques-unes de ses lacunes de maître d’ouvrage. Elle n’a guère eu de difficultés à convaincre des AOM puisqu’elle leur fait miroiter une ingénierie de financement indolore : un endettement long terme assis sur des ressources affectées, sur le modèle du Grand Paris Express. Cela semble arranger tout le monde de pousser les milliards sous le tapis… Donc on signe !
Pourtant la gouvernance associée, prévue dans la loi de 2023, n’est pas évidente non plus au regard des intérêts de long terme de l’Etat et des collectivités, notent les auteurs du rapport. En prévoyant un GIP (Groupement d’intérêt public) avec conseil de surveillance et directoire plutôt qu’avec conseil d’administration et directeur général, elle induit un contrôle assez distant des opérations. Disons que les performances de la SGP en Ile-de-France, en coûts et délais, ne devraient pas inciter à lui laisser à nouveau carte blanche…
Plusieurs questions se posent désormais : comment l’Etat et la SGP vont-il se sortir de ce guêpier juridique et organisationnel (le rapport propose quelques pistes) ? Des juridictions vont-elles s’en mêler ? Grâce à l’éclairage de l’IGF et de l’IGEDD, des AOM seront-elles amenées à résister à l’attraction du recours à la SGP favorisé par les autorités publiques ? G. D.
IDFM/OPERATEURS
Les trains arrivent davantage à l’heure en Ile-de-France
Auditionnés par leur autorité organisatrice IDFM mardi dernier, la RATP et la SNCF ont pu présenter des bilans en nette amélioration en matière de régularité. Quelques irritants persistent.
Ouf ! La page Covid est presque tournée. C’est vrai en matière de fréquentation (à 3% près chez Transilien) ou de pénurie de conducteurs à la RATP. Même la modification des flux (plus de télétravail, plus de loisirs) semble pérenne, avec une forte augmentation des trajets soirées et week-end – à la demande d’IDFM la RATP va accélérer le renfort d’offres sur plusieurs lignes dès ce printemps et à la rentrée de septembre. Le retour à la normale, avec tout ce que l’expression a d’imparfait, touche aussi la régularité, avec une nette amélioration des taux aussi bien sur le métro que sur les lignes Transilien et le RER A. Les RER B, C, D et E, la ligne R et les lignes de métro 6, 8 et 13 continuent à être structurellement fragiles ou en difficulté. A noter que la ligne E prolongée de Saint-Lazare à Nanterre, qui a connu une montée en charge extrêmement laborieuse, revient à de meilleures régularités, grâce notamment à la résolution des problèmes techniques sur les nouvelles rames.
Logiquement les enquêtes sur la qualité de service ressentie par les voyageurs confirment cette amélioration des fondamentaux : 87% de voyageurs satisfaits pour la RATP (+ 1 point), 79% pour Transilien (+0,6 point). Parmi les points de satisfaction, l’information sur les écrans dans le métro, la qualité du contact avec les agents, la propreté dans les gares SNCF. En revanche, la propreté dans les rames (métros et trains), et les délais de remise en service des ascenseurs et escaliers roulants sont, logiquement, très critiqués. Quant à l’information des voyageurs en situation perturbée, elle est jugée trop contrastée selon les lignes Transilien, et déficiente sur les bornes aux arrêts de bus.
Valérie Pécresse a nourri sa critique de l’Information Voyageur (IV) d’une demande expresse d’amélioration de la transparence sur la programmation des travaux : scénarios alternatifs plus efficaces, reprogrammation des trains en cas de plages-travaux non utilisées, amélioration des infos travaux sur les calculateurs d’itinéraires etc. On rajoutera une donnée plus qualitative : l’IV a tendance à se dégrader en situation perturbée, alors même qu’elle devrait être optimale en pareille circonstance.
Enfin, et Jean Castex a joint ses propres témoignages aux siens, Valérie Pécresse ne comprend toujours pas que le réflex Smartphone ne soit pas davantage généralisé pour l’achat de titres de transport unitaires – pour éviter l’afflux aux guichets – et que Liberté + ne soit pas systématiquement recommandé pour les Franciliens – au lieu de Navigo Easy.
FERROVIAIRE
Les efforts technologiques de SNCF Réseau pour accroître la performance de sa maintenance
L’exemple d’Altametris, filiale 100% de SNCF Réseau née de l’usage du drone ferroviaire puis positionnée sur la mise à disposition d’un patrimoine digital complet des installations ferroviaires afin d’optimiser leur maintenance.
A 14 heures mardi dernier, un drone survolait la rame TGV accidentée à Tonneins, en amont de Bordeaux, suite aux violentes précipitations de la veille, de façon à documenter au mieux l’état de l’infrastructure et donc à contribuer aux meilleures décisions de méthodes de remise en état. En quelques heures, Altametris a obtenu les autorisations réglementaires et mobilisé le pilote compagnon le plus proche, à Bordeaux. C’est l’une de ses activités, fournir aux équipes terrain de sa maison-mère des opérations par drone.
Altametris est née en 2017 de la maîtrise de l’usage ferroviaire des drones, mais depuis son activité s’est considérablement élargie pour devenir, grâce aux données recueillies par les lidars embarqués et autres outils de recueil de données, la filiale chargée de produire une documentation digitale top niveau, et à terme de plus en plus prédictive, de l’infrastructure (voie, caténaire, végétation, passage à niveau, télécoms etc). Aujourd’hui dirigée par Pascal Baran, passé notamment par le réseau Keolis de Boston, cette filiale emploie une cinquantaine de personnes, essentiellement des spécialistes digitaux, pour un chiffre d’affaires de 8,7 millions d’euros. La moyenne d’âge tourne autour de 35 ans, avec quelques cheminots chevronnés pour garantir la liaison avec l’appareil industriel de Réseau.
L’enjeu est de taille : la difficulté de recrutement des personnels de maintenance des installations et l’intensification des circulations sur de nombreuses voies compliquent les inspections à pied. Parallèlement, les nouveaux outils digitaux peuvent contribuer à l’optimisation économique et qualitative des interventions. Encore faut-il que les prestations d’Altametris s’inscrivent dans un processus industriel et ne se réduisent pas à des développements sans performance opérationnelle – c’est la ligne stratégique qui est suivie, parallèlement à la réalisation de prestations pour d’autres gestionnaires d’infrastructures, qu’ils soient ferroviaires ou pas (RTE, par exemple).
Les trois types d’activités d’Altametris (voir ci-dessous) sont le drone, la topo et les logiciels de recueil/traitement des données (réunis dans Altametris Suite), qui intègrent désormais des modules d’intelligence artificielle.
Trois exemples d’applications.
Modélisation 3D d’un passage à niveau pour révéler les risques d’accrochage par des véhicules. Elle permet de fournir les éléments documentés nécessaires à des restrictions d’usage de la voirie par les préfets ou à des travaux de rectification des profils.
Classification et caractérisation de la végétation dangereuse aux abords des voies ferroviaires (en rouge les arbres et branches à traiter). Elle limite les opérations radicales de plus en plus contestées par les associations environnementales.
Détection automatisée de défauts télécoms aux abords des voies. Les programmes d’IA inspectent la conformité des appareils et signalent leur éventuelle détérioration.
MOUVEMENTS
Thomas Fontaine quitte Keolis
Mobilettre évoque sa démission car il s’agit d’un de ces patrons de réseaux qui ont largement contribué, avec quelques autres, à la réputation et à la domination progressive de Keolis dans la gestion des réseaux de transport urbain en province. Thomas Fontaine va prochainement quitter Keolis Lyon. Il en assurait depuis presque trois ans la direction générale, après avoir dirigé pendant quatre ans le réseau de Dijon dont il a fait, en étroite collaboration avec les élus dont François Rebsamen, une vitrine reconnue de la performance et des innovations de Keolis.
Frédéric Baverez et Marie-Ange Debon l’avaient nommé à Lyon pour limiter les conséquences de la décision d’allotissement prise par le Sytral. Mission en partie réussie, puisque Thomas Fontaine a participé au gain du lot bus – même si RATP Dev a remporté le prestigieux lot métro. Compétent, franc, doté d’une qualité relationnelle très au-dessus de la moyenne, il a effectué la première partie de sa carrière essentiellement à la SNCF (maintenance TGV, Eurostar, achats) avant de rejoindre, déjà, Keolis Lyon en 2011. A 50 ans, une nouvelle carrière s’ouvre devant lui.