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Désorganisation
Tailler dans les dépenses publiques ou revoir de fond en comble l’organisation de l’action publique ?
Soyez rassurés, ce n’est pas par désœuvrement ou par un précoce accablement caniculaire que Mobilettre en est venu à regarder cette semaine une longue vidéo de Jean-Louis Borloo, auditionné par le Sénat il y a trois mois dans le cadre d’une Commission d’enquête sur les agences d’Etat… et dans un silence assez assourdissant. Certes, nous avouons que c’est une drôle d’idée, plutôt que d’aller siroter quelques rafraîchissements sur le Vieux Port, mais nous assumons d’avoir eu envie d’entendre l’ancien ministre de l’Ecologie, encore jeune septuagénaire.
Il a gardé son côté un peu foutraque, avec une expression pas toujours limpide mais qui le distingue des hyperconformistes et des orthodoxes qui nous ennuient toujours un peu, il faut bien l’avouer. Interrogé sur les agences d’Etat, et notamment l’Anru (Agence nationale pour la rénovation urbaine), il a tenu à traiter de façon plus large de l’inefficacité de la puissance publique. Et nous n’avons pas été déçus… En voici quelques extraits, ainsi que le lien sur l’intégralité de son audition.
«Nous sommes l’organisation humaine la plus émiettée que je connaisse. […] Nous ne sommes pas un pays fédéral, nous ne sommes plus un pays centralisé […] Je pense qu’une partie de la raison d’une France à l’arrêt tient non pas à l’incapacité de ses dirigeants mais à notre mode d’organisation qui n’est pas performant du tout. […] Je crains le déclin inexorable si on ne modifie pas en profondeur le système d’organisation de l’action publique. Je ne suis pas convaincu que les économies soient à trouver dans chaque ministère, chaque opérateur, chaque agence. Notre sujet est cette désorganisation générale qui nous amène à avoir des systèmes de contrôle, de régulation, de coordination, de cabinets de communication, de justifications d’existence absolument terrifiants. Je l’ai chiffrée à 150 milliards.»
C’est bel et bien du Borloo… Mais qui n’a pas éprouvé un jour un terrible sentiment de gâchis d’énergie et d’argent dans l’application de process abscons et le respect d’organisations redondantes ? Certes, Jean-Louis Borloo comme tant d’autres au pouvoir avant et après lui, n’a guère lutté contre cette improductivité publique, ou suffisamment résisté à l’inflation législative, réglementaire et administrative qui a au moins quintuplé, par exemple, les coûts de gestion de l’hôpital public. Mais son aveu vaut bien des rapports alambiqués. Est-il encore temps d’inverser la tendance et de réduire les gabegies transactionnelles? G. D.
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OPERATEURS
Le moment Mallet
Le bouclage très prochain de la modification du capital de Transdev, sa récente élection comme président de l’UTP, des résultats financiers positifs, la première circulation commerciale des TER Transdev entre Marseille et Nice le 29 juin… Mobilettre a rencontré Thierry Mallet cette semaine à Hambourg au congrès de l’UITP.
Quelle succession de bonnes nouvelles… «Oui c’est un bon moment», finit-il par admettre, en embrayant tout de suite sur les batailles à venir pour Transdev: les stratégies, les effectifs, les Capex intensifs. Quand même, insiste-t-on… «L’enjeu est toujours devant nous», résiste encore Thierry Mallet, avant de succomber un peu et de citer Coluche: «Qui trop embrasse rate le train».
Une pirouette d’autant plus judicieuse qu’il ne va pas falloir le rater, le train Marseille-Nice du 29 juin un peu après 5 heures du matin. Il est des moments qui marquent l’Histoire, et celui-là devrait en être un. «Aujourd’hui nous tournons à sept allers/retours quotidiens à vide qui s’ajoutent aux sept AR en circulation commerciale de la SNCF, ce qui correspond au doublement de l’offre voulu par la région Sud», précise le PDG de Transdev, confiant mais attentif à ce que tout se passe bien en circulations 100% commerciales, avec leurs aléas, et malgré les retards de livraison d’Alstom.
Le calendrier recèle parfois de sacrées coïncidences… C’est probablement quelques jours après cette première en région Sud que l’ensemble des autorisations auront été réunies en faveur de la modification du capital de Transdev, le groupe Rethmann devenant majoritaire auprès de la Caisse des Dépôts. «Il y aura une vraie continuité dans la stratégie et l’organisation», précise Thierry Mallet. Selon nos informations le nouveau patron de la Caisse Olivier Sichel siègera en personne au sein du futur conseil d’administration, pour confirmer s’il en était besoin que Transdev restera une entreprise française avec un actionnaire minoritaire solide et attentif. Quant au groupe Rethmann, il entend réinvestir les gains dans les activités et soutenir la stratégie de petites acquisitions. Un objectif: 2% de rentabilité nette par an. Une méthode: choisir ses cibles plutôt que courir partout. Une obsession: la qualité de service.
Le message est clair: la priorité est à la poursuite des efforts qui ont conduit à l’amélioration de la profitabilité du groupe, l’an dernier. Un nouvel actionnaire majoritaire, une première à Marseille, une bonne trajectoire de résultats. What else? Une victoire en défensif à Rouen?
UTPF: un bilan pour Debon
C‘est toujours un peu la limite de l’exercice: attribuer au seul patron ou en l’occurrence à la patronne la responsabilité d’un bilan qui est forcément collectif. Pour l’UTPF, le consensus est doublement indispensable: sa présidente doit trouver les points de convergence avec ses collègues qui sont par ailleurs ses rivaux commerciaux, et sa «performance» dépend étroitement de celle de l’équipe permanente. Conclusion: il faut une bonne dose de diplomatie et un vrai sens de la délégation pour lancer la boutique UTPF sur la bonne trajectoire.
A cette aune-là, Marie-Ange Debon, qui vient d’achever son deuxième mandat de deux ans avant de transmettre le flambeau à Thierry Mallet, n’a pas manqué de talent. Elle a constitué un tandem efficace avec la déléguée générale Florence Sautejeau pour à la fois fédérer les entreprises autour de plusieurs objectifs essentiels, malgré quelques tensions au sujet des négociations sociales, et dynamiser l’expression publique d’une branche en pleine transformation. Car si les sujets de conjoncture n’ont pas manqué (les pénuries de personnels, les crises de l’énergie et de l’assurance des véhicules, la mobilisation autour des enjeux de sûreté etc), c’est bien l’accélération progressive de la concurrence, aussi bien dans le ferroviaire qu’en Ile-de-France, qui a marqué les quatre années de présidence de Marie-Ange Debon.
Les longues séances de négociation avec les syndicats passent souvent sous les radars médiatiques, mais elles constituent depuis dix ans l’indispensable socle de stabilisation de la branche dans les contextes d’ouverture des marchés. Tout aussi discret, le travail préalable sur des mandats de négociation accordés par les entreprises revet une importance décisive. Marie-Ange Debon a su garantir l’unité d’une UTPF devenue plus que jamais incontournable, jusqu’à être sollicitée pour traiter des sujets que l’exécutif qui ne sait plus trop où il habite est content de voir pris en charge énergiquement. C’est notamment le cas des efforts de formation, symbolisés par le projet Transformeurs doté de 12 millions d’euros, ou du travail autour de la sûreté et de la fraude.
Les initiatives tous azimuts de l’UTPF sur le recrutement, la formation ou le modèle économique ont été facilitées par une transformation sensible et assez radicale de la stratégie de communication externe. Progressivement, l’UTPF s’est montrée partout, bien entendu dans les rendez-vous rituels avec le Gart (Eumo Expo, RNTP), mais aussi dans l’accumulation d’actions de lobbying et de visibilité: manifeste pour le transport public et ferroviaire avant les élections, Futur en train, Faites bouger les lignes, Bus Tours, World Skills etc.
Marie-Ange Debon lègue à son homologue Thierry Mallet une UTPF dynamique, au centre des enjeux sociaux mais aussi professionnels d’activités de mobilité fragilisées par la situation des finances publiques. La perspective d’un nouveau tandem fécond avec Florence Sautejeau n’est pas la moindre des assurances d’une continuité dont le secteur a bien besoin.
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CONGRES
A Marseille, l’UNSA face à la fragmentation ferroviaire
Résolument décidé à n’être «ni conservateur ni suiviste», le syndicat cheminot se met en ordre de marche autour de son secrétaire général Fabrice Charrière pour s’adapter aux évolutions du système ferroviaire.
Il avait succédé à Didier Mathis en cours de mandat, en 2024, il a trouvé cette semaine à Marseille, lors du 50ème congrès de l’Unsa-ferroviaire, une légitimité très confortable: 82% des voix en faveur d’une liste réajustée – c’était la seule en lice. Fabrice Charrière, secrétaire général du deuxième syndicat de la SNCF derrière la CGT, a donc pu avec son bureau fédéral préparer sereinement les prochaines échéances.
Et elles sont plus nombreuses que jamais, à commencer par les rendez-vous électoraux qui constituent des étalonnages réguliers et ô combien sensibles de l’évolution de la représentativité syndicale: novembre 2026 à la SNCF pour les élections professionnelles, et très régulièrement dans les sociétés dédiées, à l’intérieur et hors du groupe, au fur et à mesure de leurs mises en place. L’enjeu est d’importance, et nécessite d’avoir un discours adapté à des effectifs confrontés à des réalités nouvelles, liées à l’ouverture des marchés.
Car même si l’Unsa comme les autres syndicats de la SNCF n’est pas favorable à la concurrence et redoute les effets de ce qu’elle appelle la fragmentation ferroviaire, son identité réformiste la pousse à regarder la réalité en face plutôt qu’à la combattre un peu désespérément. «Que vaut un syndicalisme qui se cantonnerait aux frontières administratives d’hier quand les métiers, les enjeux, les solidarités débordent allègrement ces découpages organisationnels?», s’est exclamé Fabrice Charrière dans son discours de clôture. «Dans un monde ferroviaire qui n’a cessé de bouger depuis dix ans, la rigidité doctrinale est un luxe que nous ne pouvons plus nous offrir. Notre boussole reste invariable – la défense des intérêts des cheminots – mais nos méthodes s’adaptent aux circonstances», a-t-il poursuivi. L’allusion aux radicaux de Sud-Rail n’a échappé à personne.
De fait, lors d’une matinée d’échanges sur cette fragmentation ferroviaire, les dirigeants de l’Unsa ont assumé leur posture «ni conservatrice ni suiviste, mais architecturale», selon l’expression d’Olivier Armand, plus que jamais à l’aise en analyste d’un secteur et d’un syndicalisme en pleine transformation. N’est-il pas allé jusqu’à décortiquer le mécanisme de dévalorisation des syndicats, «parfait exemple de ce que Gramsci appelait l’hégémonie culturelle: transformer l’opinion publique en complice inconscient de sa propre désappropriation démocratique»? Pour le coup c’est la CGT qui devrait apprécier la réf.
Des paroles aux actes, il n’y a qu’un pas que les dirigeants de l’Unsa ont suivi à Marseille en conviant, sous l’impulsion de Fanny Arav, une bonne partie des acteurs de ce système ferroviaire en pleine transformation. Jugez vous-mêmes du casting réuni à trois heures de train de Paris, y compris désormais en rames Trenitalia, devant plusieurs centaines de syndicalistes: Matthieu Chabanel (SNCF Réseau), Eliane Barbosa (Gares & Connexions), Patrick Vieu (ART), Cédric Bourdais (NGE) et Thierry Dallard pour la partie infrastructures, Tanguy Cotte-Martinon et Delphine Couzi (SNCF Voyageurs), Xavier Roche (Suge), Claude Steinmetz (Transdev), Serge Reynaud (RATP Dev), Alain Getraud (Le Train) et François Deletraz (Fnaut) pour la partie exploitation et services. Il est des colloques parisiens moins bien garnis.
Surtout, malgré quelques inévitables passages technos, les orateurs ont parlé clair sans escamoter ni la consistance juridique et organisationnelle ni le rythme accéléré des transformations, sur lesquelles Tanguy Cotte-Martinon a insisté, ni l’ampleur de leurs conséquences pour des cheminots biberonnés à l’entreprise intégrée. «Il faut prendre en compte ce que cela représente pour un cheminot expérimenté d’être confronté à un transfert vers une entité nouvelle», a expliqué Alain Getraud (Le Train), qui continue à préparer son arrivée sur les SLO (services librement organisés) et répond à des appels d’offres sur le conventionné (notamment le lot Poitou-Charentes en Nouvelle-Aquitaine). De fait, les échanges ont mis en évidence l’importance des garanties sociales lors des transferts. A quelques jours de la première circulation des trains Transdev sur Marseille-Nice, Claude Steinmetz a confirmé que 31 cheminots volontaires sont passés de SNCF TER à Transdev – et Delphine Couzi a tenu à rappeler que jusqu’au bout de leur contrat, elle avait veillé à ce qu’ils ne soient pas dénigrés par leurs collègues restés au bercail. Qui a dit que le grande maison jouait la politique du pire?
Finalement les trous dans la raquette d’une mise en concurrence correctement régulée sont apparus davantage aux «marges» du système: la Sûreté et la distribution.
En matière de Sûreté, la Suge qui monétise depuis déjà des années ses prestations à l’intérieur du groupe SNCF, est désormais menacée d’une baisse des heures commandées à mesure que les nouveaux opérateurs, voire même les gestionnaires d’infrastructures, cherchent à optimiser leurs modèles économiques. Ne faudrait-il pas trouver un système de financement équitable pour des prestations de sûreté de base, quitte à ce qu’elles soient complétées sur le marché selon des besoins spécifiques?, s’est interrogé son directeur Xavier Roche, qui plaide assidument auprès du gouvernement pour éviter la désagrégation de la Suge – ou sa dilution dans les services de police nationale.
Pour ce qui est de la distribution, c’est François Deletraz qui a allumé la mèche du désordre auquel sont confrontés les voyageurs. Très critique envers les régions qui ne voient guère plus loin que leur propre territoire, il n’a pas épargné SNCF Voyageurs qui a elle-même instauré des frontières – par exemple entre Ouigo et Inoui. Et si l’UTPF devenait le lieu privilégié des négociations à venir pour réduire le fatras, vu l’incapacité de l’Etat à agir lui-même?
En définitive, c’est de l’infrastructure que sont venues les nouvelles les plus «rassurantes» avec Matthieu Chabanel, qui a théorisé la limitation des recours à d’autres acteurs à des actions et projets détachables, en faible interaction avec le RFN – par exemple Nancy-Contrexéville, Montréjeau-Luchon ou GPSO. «Le gestionnaire d’infrastructures a tout intérêt à bénéficier de l’innovation et de l’expertise de nouveaux acteurs», a plaidé Thierry Dallard, partisan des conceptions-réalisations mais assez critique envers des PPP et concessions qui ne réduisent que marginalement les contributions publiques – l’argent n’est jamais magique. Quant à Gares & Connexions, sa grande disponibilité à se mettre au service des nouveaux opérateurs ne semble guère susciter de débats.
L’Unsa ferroviaire dispose de par ses scores électoraux et son audience auprès des cadres d’un atout majeur de crédibilité auprès de la direction de la SNCF, qui rêve de réduire l’influence de Sud-Rail comme elle a réussi à le faire pendant le week-end du 8 mai, avec la «complicité» objective de la CGT qui avait disjoint ses propres préavis. Cela passera aussi par une représentativité aux bornes de la «fragmentation» ferroviaire. Pour l’instant, elle alterne les succès (en Pays-de-la-Loire et sur l’Etoile d’Amiens) et les échecs – sur Marseille-Nice, ou cette semaine sur le T4, au profit de Sud-Rail. L’ouverture des marchés ne sera un long fleuve tranquille pour personne.
Jean-Pierre Farandou, jusqu’où?
Comme nous l’écrivions il y a quelques semaines, la nomination de Jean Castex à la tête de la SNCF n’aura en tout état de cause pas lieu avant l’été. C’est pour novembre, affirment désormais celles et ceux qui l’annonçaient avec tout autant de certitude pour mai ou juin au plus tard. Nous maintenons: rien n’est moins sûr, tellement c’est loin l’automne, dans la vie publique et politique française du moment. Et puis, quand c’est long c’est qu’il y a un… Vu qu’on n’a pas trouvé de rime appropriée, on va dire que c’est parce qu’il y a probablement un problème. Et vu que c’est Emmanuel Macron le principal décideur, on le laisse aux prises avec sa propre conscience: quel que soit le problème, est-il bien raisonnable, à la SNCF comme à La Poste, de tergiverser aussi longtemps?
Ce n’est pas un service à rendre à l’entreprise, à ses salariés… et à son PDG, qui avait été remercié pour de très mauvaises raisons il y a plus d’un an (après un accord pourtant justifié sur les fins de carrière). La prolongation de fait de Jean-Pierre Farandou, sans même qu’elle soit encore consolidée juridiquement pour l’après 4 juillet jour de ses 68 ans, est donc en train de transformer sa fin de mandat en une longue tournée d’adieu. Les syndicalistes de l’Unsa ne s’y sont pas trompés qui l’ont très chaleureusement accueilli mercredi 18 juin, à Marseille (photo ci-dessous), par une ovation debout spontanée et inédite.