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Climato-pragmatisme
S’il fallait une raison supplémentaire de financer au plus vite la résilience des infrastructures de transport, la voici : ne rien faire aujourd’hui coûtera une fortune demain.
La succession d’épisodes climatiques intenses et leurs conséquences sur les infrastructures de transport convaincront-elles le gouvernement de changer de braquet sur l’adaptation ? Pas sûr, même si les contenus produits lors de la conférence Ambition France Transports ont bien établi l’urgence d’en faire plus et plus vite.
Au-delà de la sécurité des circulations et de la pérennité des infrastructures, il y a une autre raison à agir plus et plus vite : plus on attend, plus cela coûtera cher. Le coût de l’inaction en matière d’adaptation est ahurissant pour le réseau routier. Sur les seuls 10 000 kilomètres des routes nationales non concédées, a calculé la DGITM dirigée par Rodolphe Gintz, ne pas dépenser un milliard d’euros de régénération supplémentaires par an dès 2026 coûterait deux milliards d’entretien/reconstruction chaque année à partir de 2030 + trois milliards de pertes économiques. Soyons, a minima, climato-pragmatiques !
SNCF Réseau a intégré à son «milliard et demi» d’euros supplémentaires pour la régénération du réseau ferroviaire les travaux nécessaires pour parer les effets du changement climatique – lire ci-dessous. C’est à la fois logique techniquement – profiter d’une régénération cyclique pour upgrader les équipements – et pertinent stratégiquement : l’adaptation n’est pas une option mais une partie constitutive de la résilience du réseau.
Les Français peuvent parfois montrer de l’agacement face à la répétition mécanique des appels à la décarbonation sans qu’ils soient assortis d’objectifs compréhensibles et visibles, ou de modes d’emploi pédagogiques. Mais ils soutiennent très majoritairement la transition énergétique (lire les résultats de l’Observatoire de la Transition énergétique des Territoires d’Idex et Villes de France) ainsi que les travaux d’adaptation… quitte à payer un peu plus cher. Le courage politique consisterait donc à aller chercher ce civisme écolo pour légitimer les transformations plutôt qu’à succomber aux injonctions des néo-conservateurs qui veulent creuser et rouler toujours plus. G. D.
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ANALYSE
Réseau ferroviaire : de l’adaptation réactive à l’anticipation stratégique
Pour garantir un haut niveau de résilience SNCF Réseau a fait le choix d’intégrer l’adaptation au changement climatique à tous les niveaux de la gestion de l’infrastructure ferroviaire. Cela passe par une meilleure connaissance des risques à mesure que se multiplient les désordres climatiques.
Sur la ligne CNM (contournement Nîmes-Montpellier), des viaducs interrompent les remblais pour donner de la «transparence hydraulique» et garantir les circulations en cas d’intempéries et d’inondations. En 2021, lors d’un épisode de pluies cévenoles à Lunel, la ligne a servi d’itinéraire de détournement de tous les trains. © DR.
Le petit Caillou est devenu trop gros. A Tonneins, entre Bordeaux et Agen, le 19 mai dernier, le ruisseau dénommé Caillou, qui traverse la commune et passe sous la voie de chemin de fer, est sorti de son lit jusqu’à provoquer l’effondrement de la voie ferrée, probablement à cause d’aménagements en amont qui ont diminué la porosité des sols. Pas de victime, le TGV qui circulait s’est arrêté à temps, mais une leçon : SNCF Réseau doit évaluer les risques liés aux épisodes climatiques en analysant les données bien au-delà de son emprise purement ferroviaire.
Une bonne connaissance des conséquences des aléas climatiques était un préalable à la stratégie définie par SNCF Réseau sous l’égide de son directeur général adjoint Régulation et Stratégie durable Alain Quinet, et présentée en conseil d’administration en février 2024. Végétation, fortes pluies et vents forts représentent 80% (en minutes perdues) des causes des défaillances de l’infrastructure liées à la météo, auxquelles il faut ajouter le froid, la grêle, le givre, la neige… et les fortes chaleurs. En 2023 et 2024, ce sont environ 15 000 trains qui ont été supprimés ou retardés, soit l’équivalent d’une journée de circulations ferroviaires. Entre 2011 et 2023, le nombre de trains supprimés a été multiplié par cinq, y compris du fait d’une méthode nouvelle d’anticipation (lire plus loin).
Les arbres ? Leur mortalité a été multipliée par deux en dix ans.
Les fortes chaleurs ? Elles perturbent la tension des caténaires, dilatent les rails et contribuent, avec les sécheresses, aux feux de végétation. Les précipitations ? Elles provoquent des inondations par ruissellement et des glissements de terrain, emportent talus ou couches de ballast. Mais c’est surtout la combinaison de facteurs qui est la plus redoutée, les Italiens le savent bien qui y sont exposés depuis de nombreuses années : le froid puis la canicule sollicitent la «plasticité» des composants (rail et caténaires), la sécheresse puis les pluies provoquent des retraits et gonflements d’argiles, y compris sous les bâtiments.
«Nous échangeons avec les autres gestionnaires d’infrastructures de tous les modes pour accroître nos connaissances dans la perspective d’un réchauffement de + 4 degrés à l’horizon 2100», synthétise Alain Quinet, qui insiste sur l’importance des bases de données (par exemple la plate-forme Toutatis pour la surveillance des ouvrages en terre) et les études de risques, nationales et territoriales – achevées en Vallée de Seine et sur l’arc languedocien, en cours sur la LGV Nord, la Bretagne, l’axe Dijon-Modane, Paca etc.
Connaître c’est indispensable, agir c’est encore mieux…
Le premier effort concerne l’exploitation, avec notamment la stratégie des Stop Circulation : en fonction des alertes météo, à J – 17 heures peuvent être décrétés des interruptions préventives de circulation, pour protéger les matériels, les passagers, les personnels, mais aussi garantir un retour plus rapide à la normale. Par exemple, en cas de tempête, le premier train embarque des bûcherons aptes à dégager la voie plus vite qu’ils n’auraient pu le faire si la voie avait été «encombrée» de trains bloqués. Autre possibilité ; le ralentissement de la vitesse des trains, pour éviter les arrachements de caténaires.
Ce sont aussi la prévention et la maintenance qui sont décisives en matière d’anticipation des perturbations: accroître les tournées de surveillance des talus, multiplier les capteurs de pluviométrie, traiter la végétation. Pour le seul traitement préventif des arbres et végétaux, 50 millions d’euros supplémentaires ont dû être dégagés sur une somme totale de 230 millions d’euros.
De façon plus structurelle, l’adaptation des actifs apparaît comme la clé de la prévention des variations de température.
Tout particulièrement il s’agit d’affiner les réglages des rails et des caténaires. «170 référentiels techniques sont à adapter», précise Kian Gavtache, Directeur Général Adjoint Ingénierie Gestion des Actifs et Maintenance, qui explique comment, dans certains cas, on modifie la température de référentiel lors de la pose d’un rail pour qu’il puisse se dilater en haute température – ce qui évite sa déformation. Problème : la «plage» de fonctionnement, elle, ne se dilate pas, et si un grand froid survient, alors le rail est davantage exposé à la rupture. Trop chaud, trop froid, on n’en sort pas…
La caténaire 1500 volts, elle, a tendance à pendre avec la chaleur – on parle alors des «poids à cul», c’est-à-dire que les contrepoids au fil de contact touchent terre et ne peuvent plus la tendre, avec un risque élevé d’arrachage par le pantographe. Une nouvelle génération dite C2SR, avec le contrepoids également lié au porteur, est censée résoudre le problème.
Benoît Chevalier, directeur du programme Adaptation au Changement Climatique de SNCF Réseau, parle de «régénération améliorative», c’est-à-dire qu’on «profite» d’un programme de régénération pour améliorer la résilience des composants au changement climatique : on remplace le cuivre par de la fibre optique, par exemple. «Un réseau rénové est un réseau plus résilient», résume Alain Quinet, qui évoque aussi des opérations modestes mais efficaces, comme des guérites de signalisation peintes en blanche, ce qui aboutit à une baisse de température de 4 à 6 degrés.
Dernier terrain d’application, les nouveaux projets qui peuvent bénéficier des dernières innovations en matière de résilience et de résistance aux variations climatiques. C’est le cas du contournement de Nîmes-Montpellier, achevé en 2017, conçu pour résister aux inondations grâce à une douzaine de viaducs qui laissent passer de grandes quantités d’eau quand des remblais classiques pourraient être emportés par les flots tumultueux (notre photo ci-dessus).
On finit par les évaluations chiffrées. Même si SNCF Réseau a intégré le coût de l’adaptation au milliard et demi d’euros supplémentaire qui assurera globalement une régénération suffisante du réseau, une estimation plus fine des coûts spécifiques reste à établir, d’ici 2026, dans la feuille de route du programme «Adaptation au changement climatique». Car à mesure de la croissance des phénomènes météorologiques, les dépenses opérationnelles devraient, elles aussi, s’échauffer.
EN BREF
SNCF Réseau : Résonances appliqué
La CGT confédérale n’a pas réussi à faire plier la CGT normande. Faute de retrait de la plainte qui a conduit le Tribunal de Bobigny à suspendre l’application de Résonances dans la zone NEN (Nord Est Normandie), Matthieu Chabanel a choisi d’appliquer immédiatement sa réforme dans l’ensemble de l’entreprise, excepté NEN, donc. Ce qui ne manque pas de poser quelques problèmes organisationnels et opérationnels, mais une suspension plus longue aurait été bien plus dommageable. Rendez-vous début septembre pour l’audience sur le fond, et quelques semaines/mois plus tard pour le jugement définitif.
Le Bourget: grève finie
Elle durait depuis le mois d’avril et désorganisait une bonne partie du fret ferroviaire hexagonal passant par l’Ile-de-France. Une sortie médiatique massive des «victimes» (Afra, GNTC, 4F), mardi dernier, a grandement contribué à la résolution du conflit. Tant mieux pour un secteur qui n’a pas besoin de telles irrégularités, mais il a fallu trois mois, en tout, pour sortir d’un conflit mené par la cellule locale d’un seul syndicat.
Bordeaux: Transdev débouté
Trois ans après sa victoire à Bordeaux, Keolis a la satisfaction de voir son concurrent Transdev débouté devant le Tribunal administratif de la ville. Ni annulation ni résiliation du contrat de DSP passé avec Bordeaux Métropole, donc, et un rejet des huit requêtes de l’opérateur perdant, aussi bien sur la méthode d’analyse des offres par la métropole et sa neutralité vis-à-vis des candidats que sur ses obligations de publicité et de mise en concurrence, ou encore la «crédibilité» de l’offre tramway de Keolis.
Légion d’Honneur
Petite promotion du 14 juillet 2025 pour les professionnels de la mobilité : Guillaume Faury (Airbus) promu Officier, et c’est à peu près tout. En étendant les critères de recherche à des personnalités ayant œuvré plus ou moins directement dans le secteur, on aboutit, sans prétention d’exhaustivité, à Véronique Bédague, ex-dircab de Manuel Valls, promue elle aussi officier, Thierry Lajoie (passé entre autres par VNF, artisan du Grand Paris au cabinet de Cécile Duflot) et Hervé Mariton, ancien député de la Drôme très actif sur le ferroviaire avant son retrait de la vie politique nationale en 2017.
Il faut dire que les six premiers mois de 2025 ont vu se succéder les remises d’insignes de la Légion d’honneur et du Mérite pour de valeureux serviteurs de la République dans les transports, au cours de cérémonies toutes différentes, de moins en moins guindées, de plus en plus humaines. Désormais décorés de la Rouge, Laurent Probst, tout en modestie, Jean-Manuel Hue, au service de la France, Muriel Signouret, l’éclectique. Arborant la Bleue, Séverine Lepère, la dévouée au collectif, Florent Bardon, l’olympien, Laurent Mazille, le fidèle, Ghislaine Collinet, l’intuitive. Allez, on ne résiste pas à décerner notre propre palme de l’éloquence, au remettant Marc Guillaume préfet de la région Ile-de-France. Les autres étaient tous très bien aussi!
DISPARITION
Loïk Le Floch-Prigent, marqué par le fer
Six mois et presque une légende. Nommé fin 1995 président de la SNCF par Jacques Chirac, Loïk Le Floch-Prigent la quitte dès le 4 juillet suivant, rattrapé par l’affaire Elf (pots-de-vin et détournements de fonds). Et pourtant, trente ans après, les plus anciens des cheminots parlent encore de son bref passage, lui le patron attentif aux personnels de terrain qui n’hésitait pas à prendre un train de nuit avec sa femme, la valise à la main et sans escorte…
Il a marqué les cheminots, qui l’ont aussi marqué. Lors de son premier séjour en prison il avait sollicité un service gratuit de La Vie Du Rail – il nous en avait été reconnaissant, n’hésitant pas à nous confier de temps en temps ses propres pensées et analyses sur le secteur ferroviaire, la grande maison et ce monde politique qui l’avait, selon les jours, lâché, ou sacrifié. Son goût de la transgression l’a emmené sur des rivages aventureux, à la fin de sa vie, de la contestation des conclusions du Giec à des fréquentations d’extrême-droite.