/ / /
Point de rupture ?
Une rupture s’impose en matière de politique économique et fiscale, faute de quoi le contentieux entre le pouvoir macronien et les Français pourrait en arriver à un point de… rupture.
La politique est-elle seulement une affaire de méthode, de pédagogie et de communication ? Assurément non. La plupart des présidents de la République française ont assumé des changements de cap importants sur le fond, en premier lieu en matière économique : Valéry Giscard d’Estaing en 1976 avec la nouvelle politique monétaire de Raymond Barre, François Mitterrand en 1983 avec la rigueur, François Hollande en 2015 avec le CICE etc. Jacques Chirac y a été contraint par sa dissolution ratée de 1997 et la cohabitation qui s’en est suivie, Nicolas Sarkozy par la crise financière de 2008.
La mobilisation dans les transports le 18 septembre s’annonce très forte
Emmanuel Macron, lui, n’a toujours pas bougé d’un iota, depuis huit ans, malgré une multitude d’alertes majeures : des scrutins électoraux, des mouvements sociaux, des déficits records, une dette de plus en plus difficilement soutenable. Le soutien massif aux entreprises et aux ménages sans conditions ou presque, avec en corollaire le refus de s’attaquer aux défiscalisations et sous-fiscalisations des très grandes fortunes, est toujours d’actualité au nom d’une politique d’encouragement de l’offre qui est le paravent d’une politique de classe.
Alors quand son nouveau Premier ministre, Sébastien Lecornu, fidèle parmi les fidèles, parle de rupture «y compris sur le fond», on s’interroge : est-ce une nouvelle ruse faciale et rhétorique, ou une vraie promesse d’affranchissement d’un dogme qui est en train de précipiter le pays dans le chaos politique et social ? Les prochains jours devraient livrer quelques indications : à coup sûr les qualités de négociateur du Premier ministre ne suffiront pas si elles sont au service uniquement d’arrangements de surface.
Présider la France, avec les pouvoirs accordés par la lettre et l’esprit des institutions de la Vè République, cela impose de privilégier par-dessus tout l’unité et les intérêts du pays, quitte à devoir réviser ses credos – ou à démissionner, à l’instar du général De Gaulle. Manifestement Emmanuel Macron n’a pas l’intention de remiser son ego surdimensionné et de tirer les conséquences de sa dissolution mortifère de 2024. Il préfère accuser les partis et les parlementaires : «C’est pas moi c’est eux».
Les Français dans une proportion de plus en plus majoritaire ne supportent plus cette défausse. Les plus lassés d’entre eux en viennent à ne plus faire de nuances, à rejeter les usages du vivre ensemble voire les formes démocratiques : leur neutralisation, mercredi dernier, par 80 000 policiers, reporte le mécontentement et la colère aux mobilisations encadrées par les syndicats, jeudi prochain, qui s’annoncent très suivies dans les transports. A la RATP Force Ouvrière parle d’ores et déjà de journée noire à la Traction, comparable au 13 septembre 2019. Avis de bourrasques d’automne en septembre. G. D.
Philippe Tabarot, stop ou encore ?
Malgré les perturbations politiques et sociales un gouvernement devrait prochainement être constitué, et l’on peut même espérer qu’il soit plus expérimenté que les précédents. Maintenir une Elisabeth Borne en place à l’Education Nationale aurait par exemple le mérite de tenir et stabiliser une «boutique» qui a vu se succéder tant d’amateurs.
Aux Transports, manifestement Philippe Tabarot se laisserait bien tenter par une reconduction, encouragé par les dirigeants du secteur qui ont apprécié son style et son investissement lors des huit premiers mois de 2025. Il a tenu, à sa manière, la promesse de son prédécesseur François Durovray d’organiser une conférence des financements de la mobilité (Ambition France Transports), et obtenu in extremis des arbitrages de Matignon en faveur d’une loi-cadre d’ici la fin de l’année.
Selon nos informations, un «squelette» de cette future loi a même été écrit cet été, pour faciliter un travail à venir avec des parlementaires plutôt favorables à des dispositions qui sécuriseront les mobilités du quotidien. Cette perspective joue clairement en faveur d’une continuité à l’Hôtel Le Play – tout nouveau changement de locataire (on en est à quatre ministres des Transports en trois ans), a fortiori au profit d’un néophyte, ralentirait un processus de clarification déjà si difficile, notamment en ce qui concerne les Serm et autres projets budgétivores. Parmi les urgences du moment, citons aussi les décrets d’application de la loi… Tabarot et ceux relatifs à la reconnaissance faciale.
Jean Castex, enfin ou jamais ?
Pour la énième fois l’annonce de l’Elysée d’une proposition de Jean Castex à la tête de la SNCF serait imminente : elle interviendrait dans les quinze jours, après le mouvement du 18 septembre. Formellement il n’est pas nécessaire que le gouvernement soit constitué pour que l’Elysée pressente un candidat sur proposition du Premier ministre.
Si, à nouveau, cette énième promesse d’annonce faisait pschitt, alors il serait permis de douter définitivement de la matérialité de l’arrivée de Jean Castex à la tête de la SNCF. Au moins trois arguments continuent d’alimenter quelques réticences en haut lieu :
L’accueil d’un Parlement de moins en moins bien disposé envers les initiatives du Président de la République, surtout si celle-ci résulte d’une promesse du Prince à son ancien chambellan de Matignon de lui donner la plus belle des entreprises publiques. Le candidat de l’Elysée doit recueillir l’assentiment d’un tiers des votants des deux commissions parlementaires.
La capacité de l’impétrant à présider une entreprise «normale» aux chiffres d’affaires très majoritairement réalisés sur des marchés ouverts (TGV, Keolis, Geodis, fret…). La RATP au contraire est financée aux trois quarts par des subventions publiques.
L’absence d’un processus de recrutement en cours pour sa succession à la RATP, ce qui nourrirait les sentiments de jalousie envers la grande SNCF et de déficit de reconnaissance par la Nation, chez des salariés déjà passablement énervés par les mises en concurrence des activités bus et bientôt trams.
. . .
TRANSPORT PUBLIC
UTPF : une rentrée dynamique
Quelles priorités pour le PLF 2026 et la future loi-cadre ? Quel plan de charge pour les deux ans à venir ? Les dirigeants du secteur ont passé un jeudi studieux au siège de l’UTPF.
Ils sont venus ils étaient tous là, mais ce n’était pas pour voir mourir la mamma (ou la Macronie). Hier jeudi 11 septembre au siège de l’UTPF (Union des transports publics et ferroviaires) à Paris, le conseil d’administration au grand complet a vu débouler, excusez du peu, Jean Castex, Jean-Pierre Farandou et Matthieu Chabanel. Tous les chefs du secteur réunis afin d’évoquer en ce jour de séminaire stratégique les objectifs de l’organisation sur les deux prochaines années, mais aussi ses priorités pour les deux urgences du moment : le PLF 2026 et la loi-cadre annoncée à l’arraché en cloture d’Ambition France Transports.
Cerise sur le gâteau, ce prestigieux aréopage patronal recevait en ouverture de ses travaux le président d’AFT et ancien ministre, Dominique Bussereau, afin d’échanger sur les concrétisations législatives à venir. Manifestement les dirigeants du secteur, qui peuvent avoir des stratégies d’entreprises divergentes, ont compris l’intérêt d’avancer groupés dans le contexte actuel de crise des finances publiques. Et c’est dans ce même esprit qu’ils ont été priés de dégager au cours de l’après-midi dix priorités pour le mandat de Thierry Mallet, à transmettre publiquement début octobre. Un exercice pas si facile, notamment quand il s’agit de traiter les questions de concurrence.
Justement, sur cette question sensible et selon nos informations, ils semblent être en mesure de se mettre d’accord sur la réponse à une question majeure pour la sérénité des processus d’allotissement des marchés ferroviaires (TER et Transilien) : «Quelles sont les informations dont tous les opérateurs doivent disposer pour répondre aux appels d’offres ?» Le travail a été réalisé sous l’égide de Jean-Denis Combrexelle, haut fonctionnaire et conseiller d’Etat, et doit maintenant être présenté aux régions qui ont elles aussi intérêt à la stabilisation du contexte concurrentiel. Objectif : éviter la multiplication des recours devant les juridictions qui ralentissent les processus déjà passablement compliqués – on se souvient du contentieux SNCF/Hauts-de-France sur les données.
En fin d’après-midi, les administrateurs ont chaleureusement applaudi les équipes de l’UTPF chargées du projet Transformers, qui comme son nom l’indique est en train de transformer les activités de formation aux métiers du transport. Epilogue. Ils sont venus ils étaient tous là, et ce fut manifestement une journée For me, formidable.
REGULATION
Quinze ans de l’ART : frustration persistante ou patience récompensée ?
La montée en puissance progressive du régulateur dans les économies des secteurs qu’il régule est tangible voire spectaculaire. Dans le ferroviaire les résultats en matière de croissance des trafics par l’organisation de l’ouverture à la concurrence sont malgré tout assez lents.
Au commencement était un modeste local parisien, square Desaix, entre Bir-Hakeim et La Motte-Picquet. Le premier président de l’Araf (Autorité de régulation des activités ferroviaires), Pierre Cardo, recevait avec sa décontraction sympathique et la fierté de contribuer à faire rentrer le ferroviaire dans une nouvelle ère. Les services, eux, étaient alors exilés au Mans – parce qu’il fallait alors encourager la Sarthe de François Fillon.
Quinze ans plus tard, le régulateur a beaucoup grandi : après s’être appelé l’Arafer, le voilà affublé non seulement des autoroutes, mais aussi des aéroports (de plus de 5 millions de passagers), des transports publics urbains en Ile-de-France, des cars longue distance et des données et systèmes numériques de mobilité. La croissance n’a pas été de tout repos, y compris parce que l’Etat profond jalouse ce régulateur indépendant qui lui a piqué quelques prérogatives, limite de fait son champ d’action… et paie mieux. Entre petites vexations budgétaires sur les moyens accordés et pressions des uns et des autres, le poids et l’indépendance du régulateur se sont malgré tout imposés au fil de l’édification d’un cadre cohérent de règles d’ouverture à la concurrence.
Ce mercredi 10 septembre, le collège réuni autour du président Thierry Guimbaud et au complet depuis la veille, avec la nomination comme vice-président du sénateur Charles Guéné, n’a pas manqué devant la presse d’énoncer quelques faits et chiffres marquants, avant un grand colloque lundi prochain à Paris. De fait, sur tous les secteurs qui lui sont confiés, l’ART jouit désormais d’une autorité renforcée par ses statistiques, ses avis et ses réglements de différend, et aussi un peu cahin-caha par une succession de textes législatifs qu’elle voudrait bien compléter et consolider par quelques articles de la prochaine loi-cadre (lire ci-dessus). De fait, et Patrick Vieu, vice-président en fin de mandat tout comme Florence Rousse, n’a pas manqué de relever que l’Autorité avait contribué à générer de substantielles économies pour les usagers des autoroutes, le respect des règles relatives à la passation des marchés et aux tarifications des gestionnaires d’infrastructures pèse fortement sur l’économie des secteurs régulés.
Pourtant, dans le secteur ferroviaire qui constitue l’armature historique des activités de l’ART, la quantification de la plus-value au système apportée par le régulateur n’est pas si évidente.
Dans ses missions, le régulateur doit en effet contribuer au développement des trafics par l’arrivée de nouveaux opérateurs. En la matière, principalement sur les activités open access et à un degré moindre sur les activités conventionnées, l’édification d’un corpus de règles d’ouverture à la concurrence ne s’est pas vraiment accompagnée d’une multiplication des acteurs alternatifs et d’une croissance de l’offre – rappelons qu’entre 2015 et 2023, la fréquentation des TGV a globalement stagné. Alors, l’ART, «c’est l’école de la frustration ou de la patience ?», avons-nous questionné ?
Forcément les deux. Frustration avouée, à des degrés divers selon les membres du collège, car les opérateurs alternatifs malgré pléthore d’intentions se heurtent à plusieurs murs : la forte capitalisation nécessaire à l’achat des rames sur la longue distance, la complexité des processus d’autorisation et d’homologation… et la résistance passive/active de la SNCF à l’irruption de concurrents. Le mode ferroviaire est, en effet, culturellement assez conservateur.
Oui mais… La patience est en train d’être récompensée, se félicitent les dirigeants de l’ART : SNCF Réseau a vraiment fait sa mue en amtière d’encouragement et de facilitation des nouveaux entrants sous l’influence de son PDG Matthieu Chabanel, Trenitalia et à un degré moindre la Renfe circulent et contribuent à la fois à l’augmentation de l’offre et à la baisse des prix, Transdev permet à la région Sud d’afficher 75% d’offre supplémentaire à coût égal, les appels d’offres entraînent de fait une amélioration de la performance économique du groupe SNCF…
L’ART ne peut aller au-delà des prérogatives que les textes législatifs lui accordent. L’Etat garde un bon paquet de leviers sur le niveau d’encouragement à l’émergence de nouveaux acteurs, y compris en tant qu’autorité organisatrice, et c’est à l’Autorité de la concurrence de veiller au strict respect des règles de la concurrence sur l’attribution des marchés. Une chose est sûre : si l’édification d’un cadre nouveau pour le ferroviaire ne se concrétise pas dans la décennie par davantage de concurrence dans les trafics, alors on aura fragmenté inutilement un système intégré qui continue de constituer majoritairement, au sein du groupe SNCF et malgré l’acceptation formelle de la concurrence, une référence organisationnelle.
ILE-DE-FRANCE
Etat cherche nouvelle taxe désespérément
Tiens ! revoilà Manuel Valls, ou plutôt la taxe qui porte son nom et qui a permis de compenser en 2016, notamment via un taux spécifique de la TCIPE, le passage au titre unique en Ile-de-France. L’Europe a logiquement, quoi que tardivement, invalidé cette majoration spécifique au motif qu’elle devait être uniforme sur tout le territoire. Du coup, l’Etat était face à un dilemme: soit baisser le taux francilien, soit aligner le taux des autres régions sur le taux francilien. La première solution a été choisie. Et ce sont donc 85 millions d’euros qui s’envolent pour IDFM, mais que l’Etat s’est engagé à trouver dans le PLF 2026 (le total de la compensation «Navigo unique» atteindrait 300 millions).
Problème: les pistes s’évanouissent les unes après les autres…
Première idée : une taxe supplémentaire sur les aéroports. Immédiatement, levée de passerelles d’Air France qui explique que cela va dégrader la compétitivité des compagnies aériennes qui la financeront de fait. Vu la croissance continue des trafics et la capacité contributive des passagers, il est permis d’être dubitatif. Soit.
Du coup, la DGITM est priée de trouver une autre idée. Pourquoi pas une taxe sur les cartes grises ? Mais l’augmentation serait très substantielle… et devrait probablement être étendue aux régions hors Ile-de-France, pour des questions d’équité. Voilà comment pour financer le transport public en Ile-de-France on allait générer une taxe nouvelle en province. Coucou ! les gilets jaunes, on est toujours là !
Voilà où nous en sommes, à quelques semaines de l’ouverture des discussions parlementaires sur le PLF 2026. Plusieurs ministres ayant assuré par écrit à Valérie Pécresse et Laurent Probst qu’une solution serait trouvée, indispensable au budget 2026 d’IDFM (qui, on le rappelle, ne peut pas être en déficit), il est probable que dans le brouhaha des amendements Bercy glissera une petite/moyenne taxe, qui fera forcément grincer quelques dents. Lesquelles ?