: Mobitelex spécial, n°187 – 22 juin 2017

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L’HISTOIRE

Parly, c’est inouï!

Comment la directrice générale déléguée de la SNCF est passée de la quarantaine aux cinq étoiles


Si la nomination d’Elisabeth Borne ministre des Transports était la surprise du chef il y a un mois, comment baptiser la promotion hier de Florence Parly à la tête de nos soldats et pandores?

En quelques heures le destin de la directrice de Voyages a basculé. En conflit ouvert avec Guillaume Pepy, elle voyait depuis plusieurs mois les trains de la décision passer devant elle, le dernier en date étant le choix d’inOui, qu’elle ne partageait pas. Elle était pourtant censée harmoniser et impulser la politique voyageurs de la SNCF… Mais aussi bien Rachel Picard, directrice du TGV, que Patrick Ropert, directeur de Gares & Connexions, faisaient désormais sans elle, ou presque. Et Guillaume Pepy ne faisait plus l’effort de la conciliation. En demandant à sa DGA, il y a trois semaines, de préparer un rapport d’étonnement en direction des journalistes pour un séminaire de presse à Bordeaux, il avait quasiment provoqué la rupture: Florence Parly est à la SNCF depuis deux ans… Finalement elle avait préparé une comparaison ferroviaire/aérien, qu’elle n’a pas présentée puisqu’absente dudit séminaire.

Selon nos informations, en cas d’échec à la RATP elle aurait démissionné début juillet, pour ne pas s’entêter davantage dans une situation qui la déprimait. Mais elle espérait bien ne pas en être réduite à cette extrémité, et décrocher la succession d’Elisabeth Borne, qui lui avait soigneusement préparé le terrain (lire ci-dessous).

Problème: si elle avait été nommée quai de la Râpée, cela aurait obligé son mari Martin Vial à démissionner de la présidence de l’APE (Agence des Participations de l’Etat). Sa mise en retrait du processus de sélection était indispensable pour garantir sa neutralité, mais elle aurait été insuffisante pour la suite. Par ailleurs, alors que l’avenir de la mobilité y compris en Ile-de-France est à la concurrence, la nomination d’une cadre dirigeante de la SNCF à la tête de la RATP n’aurait pas été des plus heureuses. Du chemin a été parcouru depuis Anne-Marie Idrac, passée de la RATP à la SNCF en 2006.

En revanche, quel esprit ingénieux a eu l’idée fulgurante de propulser Florence Parly en remplacement de Sylvie Goulard, éphémère ministre de la Défense? Peu importe son appétit pour le poste, sa connaissance des armes et des militaires, on résout plusieurs problèmes d’un coup… On pencherait pour Alexis Kohler, secrétaire général de l’Elysée, déjà aux manettes pour l’opération Borne aux Transports. Mais pour encore quelque temps, cette histoire-là restera entre les murs de l’Elysée.


L’EXCLUSIVITE

La liste finale pour la présidence de la RATP

Après le retrait de Parly, ils sont restés six en lice. Deux semblent favoris


Ils étaient auditionnés depuis le début de la semaine par l’APE (Lucie Minuesa) et la DGITM (François Poupard), à l’issue d’un premier cycle de sélection mené par le cabinet Progress d’Alain Prestat. Après la nomination de Florence Parly à la Défense, ils se retrouvent six à pouvoir prétendre succéder à Elisabeth Borne quai de la Râpée.

  • Bruno Angles, président France et Belgique du Crédit suisse, actuel administrateur de la RATP
  • Christophe Beaux, directeur général de la Monnaie de Paris de 2007 à 2017, aujourd’hui à la cour des comptes
  • Agnès Pannier, CEO de la Compagnie des Alpes (groupe Caisse des Dépôts)
  • Sandra Lagumina, présidente du conseil d’administration de la Compagnie nationale de la Danse, ex-DGA d’Engie
  • Fabienne Keller, sénatrice, ancienne maire de Strasbourg
  • Catherine Guillouard, directrice générale déléguée de Rexel jusqu’en février dernier.

Selon nos informations, deux ou trois noms doivent émerger pour être présentés très vite au président de la République, les autres étant placés dans une sorte de liste de réserve. La nomination de Florence Parly au ministère de la Défense ouvre le jeu, puisqu’il ne fait pas mystère qu’elle était favorite, de par son parcours et sa proximité avec Elisabeth Borne et de hauts dirigeants de l’Etat, nonobstant les réserves liées à son mari et à son origine SNCF (lire ci-dessus).

Il est probable que Sandra Lagumina et Bruno Angles soient désormais favoris, avec chacun quelques lacunes.

Sandra Lagumina a la réputation d’être une manager humaine, axée nouvelles technologies et réseaux sociaux (on pourrait oser un rapprochement, une Bénédicte Tilloy de l’énergie…). Peu sensible à ce positionnement, Isabelle Kocher, PDG d’Engie, l’a cataloguée intrigante voire démago et remerciée un an après son arrivée au poste de DGA juridique. Opportunément marcheuse auprès d’Emmanuel Macron depuis cette date, elle s’est également mise à la danse en devenant présidente du conseil d’administration du Conservatoire national de la Danse.

Bruno Angles avait fait son apparition dans le transport lors des Assises du ferroviaire, en étant l’un des quatre présidents de commission, chargé de la filière ferroviaire. Aux commandes de l’ATMB (Autoroutes et tunnels du Mont-Blanc) en 1996, il est vite devenu financier, après deux rapides passages à Vinci Energie et à Mercer Consulting: d’abord à Macquarie Infrastructure pendant neuf ans puis au Crédit Suisse depuis avril 2016. Mais c’est surtout une mission fort sensible qui lui a permis de se faire remarquer en haut lieu. Lors de la crise ouverte entre Ségolène Royal et les sociétés d’autoroutes, il y a trois ans, il a succédé à Pierre Coppey pour trouver une porte de sortie et s’est retrouvé à la table des négociations en compagnie de… Elisabeth Borne et Alexis Kohler, secrétaire général de l’Elysée. Une vraie lacune: Bruno Angles n’a jamais managé d’équipe consistante.

Les quatre autres candidats semblent un peu en retrait. Agnès Pannier était déjà candidate à la succession de Jean-Marc Janaillac à Transdev. Fabienne Keller a fait un forcing très politique pour être dans la liste, alors qu’elle ne cochait pas vraiment plusieurs cases exigées (quelle expérience à l’international et en management?). Christophe Beaux et Catherine Guillouard ont l’avantage d’être immédiatement disponibles puisque sur le marché (!), n’y connaissent rien ou presque en transport et n’ont pas vraiment d’expérience de management à ce niveau.


ANALYSE

Un process en sur-promesse?

Et si David Azéma avait raison? Un Etat incapable d’assumer ses ambitions managériales car pris au piège de son propre désir de maîtrise…


Résumons: pour faire du neuf et désigner un(e) président(e) compétent(e) et audacieux(se) à la tête de la RATP, en rupture avec les soupçons habituels de connivence et de réseaux, l’Etat commence par faire une fiche de poste: surtout une expérience internationale, mais aussi une compétence transports, le sens du management, etc. Ensuite, il désigne un cabinet de recrutement chargé de dégager une première liste, puis des auditions resserrées (APE et DGITM) préparent deux ou trois noms à l’attention des ministres et du président de la République.

Sur la papier c’est si beau. Mais pour tenir la belle ambition, encore aurait-il fallu confier la première phase, qui conditionne toute la suite, à un cabinet de recrutement international ou un collège indépendant au-dessus de tout soupçon. Aucun des sept nominés n’a vraiment le profil d’un industriel d’envergure internationale, sauf Florence Parly avec Air France Cargo… Et puis on n’attire pas les mouches avec du vinaigre: à 300000 euros annuels (+ une prime d’environ 100000 euros), difficile d’obtenir d’autres profils que des énarques et X-Ponts bien de chez nous…

On va aller plus loin:
Progress, c’est bien la voix de ses maîtres (l’Etat, les collectivités locales, les entreprises publiques), un cabinet au business florissant qui ne déplaît jamais à ses commanditaires et puise toujours dans le même vivier. On connaît des agences plus internationales et moins conventionnelles. Nous avons essayé de joindre son patron Alain Prestat: motus et bouche cousue.

Quelques candidats furent surpris de leur entretien initial: est-ce ainsi que l’Etat considère ses serviteurs et cherche à alimenter le bashing des concurrents? Comment ne pas douter de la sincérité et de la qualité du processus? On encourage Philippe Martin, doté d’une légitimité maison, avant de le reléguer sans ménagement. On exclut Sophie Mougard et Patrick Vieu, mais on sélectionne l’ex-patron de la Monnaie de Paris et une sénatrice… Tout cela respire l’air habituel de la manipulation, loin de la proclamation d’ouverture et de sérieux. D’ailleurs deux anciens PDG sont rentrés dans une danse d’influence dont ils devraient s’exclure, par sagesse et sens de l’Etat macronien: Pierre Mongin a soutenu Philippe Martin puis Fabienne Keller puis Sandra Lagumina, Anne-Marie Idrac a encouragé tout le monde ou presque… On ne doute pas une seconde que leur expérience est précieuse: pourquoi ne pas les inclure officiellement dans un processus d’évaluation?

Tout change, rien ne change? M. le président de la République, vous vouliez rénover les pratiques de l’Etat. La RATP était un test, êtes-vous bien certain que le primat de la compétence et de la transparence a été respecté?


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