Concurrence en Ile-de-France:
Keolis se retire du recours d’Optile

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Concurrence en Ile-de-France:
Keolis se retire du recours d’Optile

C‘est un coup de théâtre en plein salon du Transport public, qui se tient jusqu’à jeudi soir à la Porte de Versailles à Paris. Mobilettre y a en effet appris que Keolis venait de se retirer du recours collectif d’Optile contre le calendrier de mise en concurrence adopté par Ile-de-France Mobilités (IDFM), qui prévoit des appels d’offres pour les lignes de bus des opérateurs privés dès 2020. Ce revirement brutal intervient moins de deux mois après l’union sacrée conclue avec Transdev, RATP Dev et les indépendants pour plaider auprès du Tribunal administratif l’alignement de ce calendrier sur celui de l’ouverture à la concurrence des lignes historiques de la RATP, en 2024 (lire Mobitelex 218).

Keolis a échoué dans son opération de croissance externe avec les cars Lacroix, et joue désormais clairement la carte de la concurrence rapide dans les bus en Ile-de-France

«La concurrence c’est notre métier», explique Youenn Dupuis, directeur général adjoint de Keolis, en charge de l’Ile-de-France. «IDFM prépare l’ouverture pour 2021 avec des sujets lourds à traiter, comme le transfert des véhicules et des personnels. Nous l’accompagnerons, et nous serons vigilants à ce que les conditions de cette nouvelle concurrence soient équitables.» Laurence Batlle, présidente du directoire de RATP Dev, nous a confié sa surprise: «Il y avait une stratégie commune, un consensus, et soudain cette volte-face, sans prévenir? Je ne comprends pas». Même «incompréhension» chez Richard Dujardin, directeur France de Transdev, qui ne veut pas davantage commenter. Jean-Sébastien Barrault, président d’Optile, exprime quant à lui une détermination intacte pour gagner le recours: «Nous restons unis avec Transdev et RATP Dev pour obtenir des conditions équitables par rapport au calendrier RATP et préparer au mieux la mise en concurrence.»

Comment expliquer ce coup d’éclat de Keolis? La filiale de la SNCF cherche activement à accroître sa présence en Ile-de-France (environ 400 millions d’euros), qui est bien moindre que celle de son grand concurrent Transdev. Elle espérait en ce printemps 2018 racheter les Cars Lacroix en Ile-de-France, aujourd’hui dirigés par Jean-Sébastien Barrault, également président d’Optile, mais aurait échoué in extremis et récemment face au fonds d’investissements Cube. Du coup, privée de cette croissance externe, Keolis risquait de subir une alliance de fait Transdev/RATP.

Selon nos informations, un cadre social harmonisé pour l’exploitation des bus à Paris et en petite couronne serait en préparation – on en a trouvé la revendication explicite, dans une version élargie à la région capitale, au sein du cahier d’acteurs de la CGT-RATP pour les Assises de la mobilité (télécharger le document). Il réduirait de fait l’avantage compétitif de Keolis à venir challenger les sortants sur leurs marchés. Il ne restait donc à l’entreprise dirigée par Jean-Pierre Farandou qu’à jouer à fond la carte de la concurrence, dans les meilleurs délais.

D’ores et déjà candidat à l’exploitation du futur T9, et demain aux lignes du Grand Paris Express, Keolis joue aussi très clairement la carte de l’autorité organisatrice Ile-de-France Mobilités. Valérie Pécresse et Laurent Probst entendent profiter de la concurrence pour faire baisser les coûts d’exploitation des réseaux de bus, et selon nos informations auraient vu d’un mauvais œil la perspective d’un cadre social qui limiterait les économies espérées lors des mises en concurrence.

Dans ce jeu d’acteurs un brin compliqué, il ne faut donc pas oublier la stratégie acrobatique de l’Etat, tenu par ses engagements européens à ouvrir les réseaux franciliens à la concurrence, mais qui ne tient pas à mettre le feu social à l’Ile-de-France et souhaite protéger autant que faire se peut la RATP (et Transilien). Le vote par les parlementaires d’une mise en concurrence du RER E dès 2025 avait constitué un premier accroc à un calendrier soigneusement étalé jusqu’en 2039; la nouvelle stratégie de Keolis ne devrait guère être appréciée non plus par le gouvernement.

La Poste suisse lâche Car Postal France

Un coup de théâtre peut en cacher un autre. A la veille de l’ouverture du salon Transports Publics 2018, le conseil d’administration de la Poste suisse a annoncé qu’elle avait demandé à sa direction d’«examiner un retrait programmé de l’activité du transport de voyageurs en France». En clair, c’en est bientôt fini de l’aventure de Car Postal en France (92,5 millions de chiffre d’affaires en 2017, quelques réseaux urbains comme Bourg-en-Bresse ou Macon et des lignes interurbaines dans plusieurs départements dont l’Isère, le Jura, l’Hérault…).

Cette décision qualifiée de «stratégique» par la Poste suisse («Car Postal doit se concentrer sur ses activités en Suisse») s’inscrit en réalité dans le vaste coup de balai décidé au plus haut niveau des autorités suite au scandale révélé en début d’année, et que nous avions évoqué longuement en février dernier (lire Mobitelex 210). Pendant au moins huit ans Car Postal avait dissimulé des bénéfices dans ses comptes; l’entreprise le faisait de manière à percevoir des subventions des collectivités pour lesquelles elle exploitait des lignes de bus dans les vallées alpines – les sommes en jeu dépassent d’ores et déjà les 90 millions. Après les résultats d’une longue enquête, la directrice de la Poste Suisse, Susanne Ruoff, qui ne bénéficiait plus du soutien de son conseil d’administration, a démissionné ce lundi 11 juin, et l’ensemble de la direction de Car Postal a été suspendue.

Guillaume Barazzone, conseiller helvétique: «J’attends qu’on établisse avec transparence ce qui a motivé l’expansion de CarPostal en France et ce qui conduit aujourd’hui à s’en désengager»

Selon notre confrère Le Temps, deux options sont envisagées: une vente de Car Postal France (les opérateurs hexagonaux ne cachent pas leur intérêt) ou une cession différenciée de leurs entités concessionnaires. «Je me réjouis que cette aventure française problématique, coûteuse et risquée s’arrête», commente le conseiller national Guillaume Barazzone, qui avec d’autres élus tels Roger Nordmann s’étaient publiquement interrogés sur la pertinence de la diversification en France. «Mais je m’interroge sur les véritables motivations de cette décision. Est-elle vraiment stratégique? Aurait-elle été prise sans la découverte du scandale en Suisse? J’attends qu’on établisse avec transparence ce qui a motivé l’expansion de CarPostal en France et ce qui conduit aujourd’hui à s’en désengager», réagit Guillaume Barazzone.

Le doute persiste, en effet. Le rapport des experts Kellerhals Carrard qui aboutit aux lourdes sanctions et décisions de ce lundi 11 juin, relève des flux financiers de 54 millions entre CarPostal et sa filiale française entre 2006 et 2011. Fin 2015, CarPostal avait une créance de 55 millions vis-à-vis de la société française. Ces sommes proviennent-elles des subventions indues perçues par Car Postal suisse, ou pas?

Car Postal France fait l’objet ici en France d’une procédure judiciaire pour concurrence déloyale, à l’initiative de transporteurs isérois, les Cars Berthelet et les cars Faure; elle a été condamnée en première instance à verser un dédommagement de 10,6 millions d’euros. L’affaire est en appel. La Cour d’appel de Paris devrait rendre son verdict en septembre.


Poursuivi en diffamation par Car Postal France pour avoir évoqué dès juin 2014, par la voix d’Alain-Jean Berthelet, l’hypothèse de «subventions illicites» de Car Postal en direction de sa filiale française, Mobilettre avait gagné ses deux procès, en première instance à la 17ème chambre du tribunal correctionnel de Paris, puis en appel devant la cour d’appel de Paris en 2016.


DERNIERE HEURE

Saint-Lazare bloqué par une panne de signalisation

A l’heure où nous publions le trafic ferroviaire reste totalement interrompu à l’arrivée et au départ de Saint-Lazare suite à une panne de signalisation, dont l’origine est encore inconnue. Est-ce la conséquence des travaux de nuit quotidiens? Ou des inondations de la veille? Une conjonction des deux? Cette nouvelle crise d’ampleur dans la plus grande gare de banlieue, aux conséquences majeures pour les usagers, est-elle d’origine technique ou un problème de process? Cette affaire tombe mal alors que le gouvernement se croyait sorti des vicissitudes ferroviaires avec les derniers votes de la loi cette semaine au Parlement.


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