De Brétigny à Puisseguin

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De Brétigny à Puisseguin

De Brétigny à Puisseguin

cesar-noir

Lithographie sur papier de César, compression de véhicules.

A priori, pas grand-chose de comparable entre les deux événements, sinon les bilans humains : 7 morts et 61 blessés en juillet 2013 dans la gare de Brétigny, 43 morts et cinq blessés, deux ans plus tard, sur une route girondine. Le premier est un déraillement de transport guidé, le second un accident de la route. Et pourtant, à Brétigny comme à Puisseguin, on retrouve les mêmes mécanismes de confusion et d’amalgame qui troublent la perception des enjeux : le transport collectif, quel que soit le mode, est sûr quand la route reste si dangereuse. Notre analyse.

Une catastrophe résulte toujours de causes multiples

A Puisseguin, un camion, pour une cause encore indéterminée, dévie de sa trajectoire au moment où surgit un car en sens inverse, la collision projette un élément métallique qui provoquerait l’éventrement d’un réservoir, puis un incendie aussi rapide que violent. A Brétigny, des négligences de maintenance laissent opérationnel un appareil de voie détérioré, un morceau d’éclisse vient se loger de façon improbable dans l’aiguillage et provoque un déraillement avant les quais. Dans les deux cas, comme dans le crash du Concorde il y a tout juste quinze ans, les meilleurs scénaristes de films catastrophes auraient du mal à imaginer de tels enchaînements. Il faut donc du temps pour fixer les reconstitutions, indispensables à la justice.

La modération est un exercice difficile face
à la recherche rapide des responsabilités

Nous avons écouté et regardé avec intérêt et distance critique les médias d’information en continu, le jour même de l’accident de Puisseguin. La rapidité avec laquelle le groupe propriétaire de RMC et BFM-TV est passé de la description des faits à l’énumération des causes et des responsabilités est phénoménale. Sans précaution. On a même entendu, seulement quatre heures après les faits, une avocate réclamer la pénalisation des élus locaux pour défaut d’entretien de la route départementale! Sans modération ou presque, les témoignages se sont bousculés pour dénoncer la faillite des pouvoirs publics, des élus, estampillés a priori responsables des catastrophes. Rien, ou si peu, sur d’éventuelles responsabilités individuelles : la faute est implicitement reportée sur l’entité publique. L’information en temps réel, quand elle est délivrée sans le minimum de précautions, est le terreau du populisme par les simplifications qu’elle véhicule. Mobilettre continuera de son côté à porter, y compris dans les médias d’instantanéité, le recul nécessaire à une analyse crédible, et à affirmer la double exigence de la modération et de la clarté, selon les informations et les éléments de certitude disponibles.

Le sang-froid ne prime pas toujours sur l’instinct de récupération

Dans la confusion de l’effervescence médiatique, le sang-froid des dirigeants est essentiel. On a apprécié la sobriété de Manuel Valls et Alain Vidalies à Puisseguin, comme à Brétigny les postures de Frédéric Cuvillier et Guillaume Pepy furent des paravents bienvenus à l’exploitation des peurs et des émotions. Mais que penser de la sortie à chaud de Noël Mamère contre les cars Macron ? Elle fut indigne d’un élu pourtant souvent remarqué pour sa pertinence. A Brétigny, on avait aussi entendu Jean-Paul Huchon parler à chaud d’acte de malveillance… De son côté la CGT Transports, malgré une petite réserve formelle dans son communiqué officiel, n’a pas pu s’empêcher, cinq heures après l’accident, d’établir une relation avec «la politique de mobilité low cost, qui conduirait à du tourisme low cost». Amalgame ou récupération, vous pouvez choisir.

Plus le temps passe, plus l’on oublie les leçons…

Prendre le temps d’analyser les causes d’un accident ne signifie pas qu’il faille renoncer à en tirer les leçons, bien au contraire. La complexité ne doit pas exclure, in fine, l’identification des responsabilités, collectives et individuelles. Y compris des années après, même si l’«intérêt médiatique», drôle de notion contemporaine, s’est amoindri. Pour Brétigny, on sait aujourd’hui que le vieillissement accéléré des infrastructures ferroviaires, du fait de l’accroissement des circulations et de la réduction des budgets, a créé un contexte dégradé ; la désorganisation et l’insuffisante performance des équipes de maintenance de SNCF Infra n’ont pas assuré une couverture suffisante de ce risque. Mais deux ans après, qui se soucie que les services de Bercy entendent réduire les budgets de la maintenance ferroviaire en Ile-de-France ? C’est pourtant là que se joue, en partie, l’avenir du réseau francilien et de sa sécurité, de même qu’à l’intérieur de l’entreprise SNCF, qui peine à réformer en profondeur ses process et méthodes. A Puisseguin, si on découvre pourquoi le camion a dévié de sa trajectoire, il faudra en tirer des enseignements d’ordre général, y compris en ce qui concerne la responsabilité des conducteurs et de leurs entreprises. On pense à la fatigue accumulée, à l’usage du téléphone portable, aux psychotropes, voire au visionnage de films pendant les trajets…

L’exigence d’excellence du transport collectif est difficile et coûteuse

Car la vraie différence entre Brétigny et Puisseguin tient à l’appréhension de la variable humaine. La crédibilité des entreprises de transport collectif, aérien, ferroviaire ou routier, repose sur un système de sécurité qui encadre au plus près l’intervention humaine. Ce maintien à un haut niveau de la culture de la sécurité est un exercice qui peut être politiquement difficile et financièrement coûteux – on le voit actuellement avec les problèmes de déshuntage que rencontrent certains matériels TER: jusqu’où doit prévaloir le principe de précaution? Les questions peuvent être juridiquement complexes, comme la tardive mais indispensable transmission aux entreprises de transport des données individuelles du permis de conduire – on pense au conducteur Ouibus qui n’avait plus de points sur permis. Les chiffres sont pourtant sans appel : rapporté au nombre de voyageurs/kilomètres, l’avion est le mode de transport le plus sûr, devant le train et l’autocar (Gilles Savary l’a justement et courageusement rappelé, à chaud), bien loin devant la voiture et les deux-roues motorisés. Faut-il rappeler que le terrible bilan de Puisseguin correspond à quatre jours de mortalité sur les routes hexagonales ?

L’hécatombe routière reste à un haut niveau en France

Il serait paradoxal que l’image du transport collectif soit abîmée par ces catastrophes successives, alors que la voiture individuelle et le camion sont de très loin les premiers responsables de la mortalité dans les transports, y compris aux passages à niveau dont la plupart des accidents sont imputés à tort au mode ferroviaire. Quelques chiffres attestent cette réalité indéniable : 15,2% des accidents avec un poids lourd impliqué sont mortels, contre 5,5% pour l’ensemble des accidents corporels. 65% des accidents corporels impliquant des poids lourds ont lieu sur des routes départementales et des voiries locales (chiffres 2010)… La France, malgré une nette amélioration due au permis à points et aux radars automatiques, est tout juste dans la moyenne européenne de l’accidentologie routière, avec 50 décès par million d’habitants, quand l’Allemagne (41), l’Espagne (37) et surtout le Royaume-Uni (29) sont bien en-dessous (chiffres 2013).

On ne peut donc que s’interroger sur la persistance d’une politique globale en faveur de la route, qui ne paie toujours pas l’énormité de ses coûts externes, notamment en matière de prise en charge des victimes. Des fortunes sont dépensées en aménagements d’infrastructures dont la pertinence est parfois douteuse: à trop fluidifier les circulations et rectifier des trajectoires a priori dangereuses, n’encourage-t-on pas les vitesses excessives? Alors que la clé d’une meilleure sécurité réside surtout dans la modification des comportements à risque et dans l’entretien courant de l’infrastructure… Ce n’est pas la moindre des contradictions des pouvoirs publics, plus prompts à financer des ronds-points qu’à prendre des mesures impopulaires de sécurité routière, plus enclins à réglementer les transports collectifs qu’à les développer et les moderniser – à l’exception notable des grandes métropoles. Les slogans en faveur du fret ferroviaire ne cachent plus la réalité d’un désengagement de long terme. Alors, si l’on fait l’effort d’écarter l’argument de la fatalité, les accidents de Brétigny et Puisseguin, dans leur singularité, ne font que révéler un renoncement latent, collectif à l’idéal d’une mobilité plus sûre et plus écologique.
Gilles Dansart

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