Grand débat transport: ce qui s’est dit

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Grand débat transport: ce qui s’est dit

Grand Débat Transport:

ce qui s’est dit

Pendant plus de trois heures, Philippe Tabarot, David Belliard, Jacques Baudrier, Fabienne Keller, Olivier Jacquin et Arsène Ruhlmann ont été invités à parler transports et mobilité devant la fine fleur de la profession. Voici notre synthèse.


Par Anne Barlet

D

irigeants d’entreprise, syndicalistes, représentants des organisations professionnelles: le monde du transport avait répondu présent, jeudi 17 mars après-midi au Pavillon Gabriel pour le grand débat organisé par TDIE et Mobilettre, ou plutôt la grande interpellation des candidats à la présidentielle. Pas de candidat « en chair et en os » (seules les grandes associations d’élus et la FNTP arrivent à en attirer quelques-uns, et encore), mais pour ceux qui avaient accepté de jouer le jeu, des représentants qui ont fait le job, avaient bossé leurs dossiers et sont entrés dans le dur des sujets de financement. Et quand ils n’étaient pas suffisamment précis, on pouvait faire confiance à Gilles Dansart qui animait la rencontre pour les pousser dans leurs retranchements. On comprend donc la satisfaction du co-président de TDIE Philippe Duron qui estimait que des trois débats que TDIE Mobilettre avaient organisés avant des élections présidentielles, c’était certainement le meilleur.

Fabienne Keller, qui représentait le président-candidat, nous a offert une grande fresque d’art abstrait

Une seule exception. On va s’affranchir tout de suite du sujet: Fabienne Keller, qui représentait le président-candidat, nous a offert une grande fresque d’art abstrait. Les arbitrages ne sont pas faits? A trois semaines de l’élection présidentielle? Le Président n’a pas encore présenté ce volet de son programme? Apparemment à la République en Marche, la fin de l’exercice solitaire du pouvoir n’est pas pour demain. Seul soulagement pour Fabienne Keller, elle pouvait annoncer un objectif de «sobriété», parce qu’Emmanuel Macron l’avait dit lui-même… Pour le reste, elle évoquait, presque en s’excusant (auprès du candidat-président), une probable reconduction des aides au fret (lesquelles, on ne sait pas, mais si c’est une prise en charge des péages et s’ils ne sont pas plus versés à Réseau que les compensations précédentes…) ou une aide au leasing pour l’achat de véhicules électriques. Quant aux concessions autoroutières, «il n’y a pas d’urgence». Situation très inconfortable, certes, mais après tout personne ne la contraignait au sacrifice.

Autre sujet dont on va s’affranchir: le bilan du quinquennat. On est en campagne électorale donc la plupart des représentants ont considéré cet exercice comme obligé. Fabienne Keller pour le louer, bien sûr, mais sans grand relief, les autres représentants pour déplorer qu’après des débuts plutôt prometteurs, cela avait continué avec pas mal de « zig zag » entre transports du quotidien et relance des LGV, et surtout que cela s’était très mal terminé avec le pseudo contrat de performance de SNCF Réseau qui fait l’unanimité contre lui.

Comme l’a résumé le sénateur Philippe Tabarot, le sujet des transports est devenu « transcourants »

De l’unanimité, contre toute attente en campagne électorale, il y en eut pas mal : comme l’a résumé le sénateur Philippe Tabarot qui représentait Valérie Pécresse, le sujet des transports est devenu « transcourants ». L’investissement dans les transports et notamment dans le ferroviaire n’est désormais plus facultatif. Autre préoccupation commune: le souci d’une politique des transports cohérente et qui s’engage sur le long terme.

Après, il y a bien sûr des différences, des divergences, et c’est heureux en démocratie, voire même quelques abîmes, mais la nécessité de renforcer et sécuriser le financement des infrastructures ferroviaires, de réfléchir à un nouveau modèle économique n’est plus contestée par personne. Face au « mur d’investissements » constaté par le dernier rapport du COI (Comité d’orientation des infrastructures) il faut faire quelque chose. Même si l’autre co-président de TDIE, Louis Nègre, regrettait en fin de réunion de ne pas avoir trouvé, dans les déclarations, tout l’argent qu’il escomptait, il y a bien eu des réponses.

Philippe Duron, Louis Nègre et Gilles Dansart.

Revoir le débat en vidéo.

L’intégralité du Grand Débat transport peut être visionnée sur Youtube.

Voir la vidéo

Le détail des programmes


Valérie Pecresse

Philippe Tabarot: «Une fiscalité écologique est acceptable dès lors qu’elle est fléchée»

Pour Valérie Pecresse, Philippe Tabarot, qui avait gagné le droit de commencer, a annoncé, en bousculant un peu les mots et les modes: la fusion du Livret A et du livret de Développement Durable en « Livret Vert », une taxe carbone aux frontière, un verdissement des routes (voies réservées aux transports collectifs et au covoiturage, expérimentation de l’électrification de certains tronçons…), 200 000 bornes de recharges électriques pour les voitures, un crédit à taux zéro pour l’achat de véhicules électriques en direction des ménages modestes dans les ZFE (Zones à Faible Emissions), la production de batteries sur le sol national, la multiplication par deux des trafics fret et voyageurs et le passage de 2,8 à 3,5 milliards par an du budget annuel de SNCF Réseau.

En réponse aux questions de Gilles Dansart, il a précisé qu’une fiscalité écologique est acceptable dès lors qu’elle est fléchée, qu’il n’avait rien contre les partenariats public-privé, que le Versement Mobilité allait « continuer », qu’il fallait revoir le mode de financement de SNCF Réseau parce qu’il n’était pas possible de continuer avec des taux de péages aussi élevés. De même sur les concessions autoroutières, il faudra trouver un autre modèle et ne pas attendre 2031 pour s’en préoccuper.

Yannick Jadot

David Belliard: «Sortir du tout-voiture individuel»

David Belliard, adjoint à la mairie de Paris en charge notamment des transports et de la mobilité, représentait le candidat écologiste Yannick Jadot. De tous, ce fut sans doute le moins précis. Dommage, parce que défendre sans concessions et depuis longtemps la décarbonation ne permet pas pour autant de faire l’économie d’une véritable réflexion sur la politique des transports. Quoi qu’il en soit, le ferroviaire, pour « sortir du tout voiture individuel », est au cœur de la stratégie des écologistes qui veulent: 7 milliards d’euros d’investissement par an dans les infrastructures ferroviaires, une loi de programmation annuelle, 300.000 bornes de recharge électrique supplémentaires, la mise en place d’une véritable filière industrielle de « retrofit » pour transformer les véhicules thermiques en véhicules électriques, la gratuité des transports scolaires, un « ticket climat » pour les 16-25 ans offrant la gratuité de tous les transports (avion excepté), moyennant un abonnement de 100 euros par mois pour les jeunes salariés et de 50 pour les autres. Et un objectif général : il faut que chacun puisse disposer d’une offre de transport public « ou assimilé » à moins de cinq minutes de chez soi.

Sur le financement de ces propositions, Gilles Dansart a eu beau insister il n’a pas une réponse bien précise : appliquer le principe du pollueur-payeur, mettre en place des incitations financières pour développer l’autopartage, possible recours à des acteurs privés, on n’en saura pas plus. Ah si! Réunir une « grande convention » pour réfléchir aux « nouveaux modèles de financement ». Cela nous rappelle quelque chose…

Fabien Roussel

Jacques Baudrier: « On ne s’est peut-être pas suffisamment occupé de la voiture »

Le candidat communiste Fabien Roussel avait choisi Jacques Baudrier, adjoint à la mairie de Paris pour la construction et les grands chantiers, pour le représenter. Là on retrouvait une vieille habitude d’ordre et de structure combinée à la préoccupation d’éviter une décroissance forte pour des raisons sociales et démocratiques et un aveu pragmatique: « On ne s’est peut-être pas suffisamment occupé de la voiture. » Au programme: gratuité des transports publics, gratuité du TER domicile-travail, baisse du prix du train de 30%, investissements massifs pour le rail avec 5 milliards d’euros supplémentaires par an, 3 milliards par an pour le transport public et 1 milliard par an pour le vélo. Quant à l’automobile: gratuité du permis de conduire pour les moins de 25 ans, développement d’un marché de l’occasion des véhicules électriques, règlementation pour la captation à la source des particules de freinage. Coût total du programme (dont compensation de la gratuité des transports publics): 25 milliards d’euros par an « au maximum pendant 15 ans ». Quel financement ? Elémentaire… Prendre l’argent là où il se trouve : augmentation de la taxe sur les bureaux avec un rendement escompté de 10 à 15 milliards de plus par an, mise en place d’une taxe sur les parkings de bureaux et de supermarchés (rapport escompté 1,5 milliard), taxe spécifique sur les billets d’avion pour les jets privés et la classe affaire (rapport escompté 1 milliard), etc.

Et sur l’organisation du système ferroviaire c’est très clair: on abroge la réforme ferroviaire et on renationalise la SNCF, plus de concurrence ni de dumping social et retour au service public. Quant au vélo, il aura droit à une Agence nationale pour renforcer son statut.

Anne Hidalgo

Olivier Jacquin: un établissement public Routes de France reprendra la gestion des routes et autoroutes en régie ou en délégations de service public

C’est au sénateur Olivier Jacquin qu’il revenait de représenter la candidate socialiste Anne Hidalgo. Objectif général: « Retrouver une cohérence sur les priorités du quotidien et engager une transition sociale et écologique ». A partir de là, en matière de mobilités individuelles, ce sera une multiplication par deux du fonds vélo, la mise en place d’un « leasing social » avec prêt à taux zéro pour accéder aux véhicules électriques, l’installation d’un million de bornes de recharge électrique et le développement d’une filière de retrofit efficace sur la motorisation. S’agissant du ferroviaire, est prévu un milliard d’euros supplémentaire par an pour le contrat de performance de SNCF Réseau, tant sur la régénération que sur la modernisation. Pour les marchandises, l’objectif est de multiplier par deux les trafics ferroviaires et fluviaux. Et sur les autoroutes, une proposition originale: la création d’un établissement public Routes de France, qui en reprendra la gestion en régie ou en délégations de service public à l’issue des concessions. Dans les nouveaux contrats, le risque trafic sera sorti et assumé par l’Etat.

Quid du financement ? Le nouvel établissement public permettra tout d’abord d’assurer et de stabiliser le financement de l’AFITF, l’agence de financement des infrastructures de transport. Le taux de TVA passera à 5,5% pour tous les transports publics. Le Versement Mobilité sera confirmé mais pourra être modulé à la hausse ou à la baisse dans certains territoires. Enfin, revient la vieille idée d’affecter une partie des plus-values foncières.

Jean-Luc Mélenchon

Arsène Ruhlmann: la SNCF redevient un Etablissement public industriel et commercial

Dernier à passer le Grand Oral, Arsène Ruhlmann, qui s’exprimait au nom de Jean-Luc Mélenchon pour la France Insoumise. Un objectif clair: « S’extraire de la voiture comme mode unique de déplacement en France », et «pas seulement décarboner ». Pour y parvenir: 6 milliards d’euros pour la rénovation du réseau ferré. En ce qui concerne le vélo, obliger les employeurs à créer des places de stationnement. Places obligatoires également pour les gares et les lieux publics. Mettre un coup d’arrêt aux niches fiscales qui favorisent les flottes automobiles d’entreprise.

Et plus radicalement, nationalisation des autoroutes (avec un suspense sur la méthode employée vis-à-vis des actuels contrats de concession) et abrogation du pacte ferroviaire: la SNCF redevient un Etablissement public industriel et commercial et un « vrai plafond » est mis en place pour le prix des billets de train. « Ce n’est pas conforme aux directives européennes et on l’assumera », déclare le représentant de la France Insoumise, du coup, plus d’ouverture à la concurrence. Quant à la LOM (Loi d’Orientation des Mobilités), il faudra en abroger les dispositions « régressives » comme celles relatives à l’ouverture des données.

Des idées simples et des idées fausses

Spontanément ou poussés par Gilles Dansart, les représentants des candidats ont pris position sur la place de l’aérien. Pour certains d’entre eux (David Belliard, Olivier Jacquin), il n’y a qu’à taxer le kérosène, comme cela l’avion deviendra plus cher et le train plus attractif. Seulement voilà, comme l’a d’ailleurs relevé le représentant de Jean-Luc Mélenchon, au niveau intérieur, l’avion ne fait plus concurrence au train que sur Paris-Nice, peut-être demain sur Paris-Toulouse. Et l’arbitrage train/avion est vite fait par le client s’il y a une alternative ferroviaire.

On ne sauvera pas le ferroviaire en tuant l’avion

La taxation du kérosène n’est pas un sujet français. L’exonération fiscale du kérosène a été décidée, dans le but de favoriser l’essor du trafic aérien international lors de la convention internationale de Chicago sur l’aviation civile que la France a ratifiée en 1944. Celle-ci ne peut être modifiée qu’à l’unanimité des membres de l’OACI (Organisation de l’aviation civile internationale). Certes, elle ne concerne que les vols internationaux et un Etat (certains l’ont d’ailleurs fait) pourrait décider de taxer les vols domestiques. Mais on voit bien que cela ne change quasiment rien dans la concurrence avec le train au niveau intérieur. Voilà pour en finir avec une idée simple.

Quant à l’idée fausse, ce serait que l’aérien ne paye pas de taxes d’infrastructure, à la différence du ferroviaire qui doit assumer des péages d’un niveau très élevé. Et bien non, l’aérien paye bel et bien une taxe d’infrastructure: la redevance aéroportuaire. Et au petit jeu des taxes, il n’est d’ailleurs pas sûr que le ferroviaire ne s’en sorte pas mieux tant l’aérien accumule de taxes diverses. Il faudrait donc cesser d’opposer les deux modes et on ne sauvera pas le ferroviaire en tuant l’avion. Une fois n’est peut-être pas coutume, mais la position de sagesse a là encore été délivrée par le représentant de Jean-Luc Mélenchon: « Le problème est dans l’explosion des low costs bien plus que sur la question des vols intérieurs ».

A l’issue de ce Grand Débat Transport, on se dit que le candidat-Président, lorsqu’il aura fini ses arbitrages et, si les sondages ont raison, s’il se succède à lui-même ne pourra rester sourd à ce qui s’est dit jeudi pendant ces quatre heures tant certaines évidences ne pourront plus être ignorées, notamment la nécessité de sauver les infrastructures ferroviaires. Quant à la place de la voiture, chacun aura compris qu’il faudra trouver un équilibre durablement et socialement acceptable. Un vrai exercice démocratique pour le prochain quinquennat.
A. B.

. . .

COMMENTAIRE

Le sursaut des partis traditionnels

Le contraste nous semble saisissant. En 2017 les partis traditionnels paraissaient en grand désordre idéologique, et le transgresseur Macron n’avait guère de mal à afficher sa différence, y compris lors du débat TDIE/Mobilettre avec quelques annonces fortes (la reprise de la dette ferroviaire, par exemple). Cinq ans plus tard, c’est le monde à l’envers: cinq partis structurés (LR, PS, EELV, LFI, PCF) ont envoyé des représentants consistants, avec des programmes travaillés et originaux, y compris sur la question des financements, quand des aventuriers (Zemmour, Dupont-Aignan, Lassalle), une cheffe un peu esseulée (Marine Le Pen) et un sortant sûr de lui (Emmanuel Macron) se montraient incapables d’élaborer une doctrine complète et de la confronter en public via un porte-parole crédible.

C’est d’autant plus le monde à l’envers que c’est le parti au pouvoir, doté de moyens considérables, qui s’est le plus discrédité en refusant de fait l’exercice. On reste interdit devant une telle désinvolture à l’égard des Français, d’un secteur au cœur de leur vie quotidienne, et de leurs représentants. Que le Président n’ait pas eu le temps de faire les arbitrages ou que le silence programmatique résulte d’une stratégie électorale (distiller au compte-gouttes les annonces), cela en dit long sur une conception bonapartiste du pouvoir: le refus de jouer cartes sur table – à seulement trois semaines du premier tour! -, constitue une anomalie.

C’est d’autant plus incompréhensible que le bilan du quinquennat est foisonnant sur les questions de mobilité, et qu’il eût été intéressant d’entendre une trajectoire de stabilisation de la politique à venir. Certes, le mandat français n’est pas impératif et notre système institutionnel enjoint surtout de faire confiance à une personnalité. Mais dans une période aussi troublée que celle que nous vivons, la confiance se gagne aussi sur la capacité à parler clair, plutôt qu’à cliver sur les peurs et quelques symboles. A ce jeu-là, les extrêmes auront toujours une longueur d’avance. G. D.

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