La bataille pour la rénovation du Vélib

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La bataille pour la rénovation du Vélib

La bataille pour la rénovation du Vélib

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par Julien de Labaca

JC Decaux-SNCF-RATP contre Smoove-Indigo-Mobivia: face à face, deux offres pour exploiter pendant quinze ans le service de VLS (vélo en libre service) de Paris et ses communes limitrophes, qui a fait la renommée de la capitale dans le monde entier. Qui gagnera Vélib 2? Les solutions techniques seront déterminantes pour apporter un souffle nouveau et des réponses convaincantes au vol et au vanda-lisme. Mais l’adoption d’une nouvelle gouvernance et d’un modèle économique débarrassé des revenus de l’affichage devraient également permettre de stabiliser un système devenu l’emblème d’une autre façon de vivre la ville. Notre enquête.

Un succès planétaire, un modèle fragile

Vélib, lancé en 2007 par Bertrand Delanoë, est le plus vaste programme de vélos en libre service du monde, et celui qui génère le plus de locations. Selon Albert Asseraf, directeur général de la stratégie, des études et du marketing chez JC Decaux, ce sont «40 millions de locations par an, soit 120 000 locations par jour, un vélo loué chaque seconde sur Paris». Vélib, c’est aussi 300 000 abonnés, un trajet moyen de deux kilomètres, une station tous les 300 mètres et un outil de communication formidable pour le développement du vélo dans les centres-villes. Bref, dix ans après son lancement, le bilan est flatteur.

«Le marché initial s’est révélé fragile et incomplet pour résoudre les problèmes liés à la gestion du réseau et à l’offre surdimensionnée»

Pourtant, en 2007, lancer un tel dispositif à Paris relevait du défi, doublé d’un symbole politique fort pour Bertrand Delanoë, à moins d’un an des municipales. C’était se lancer dans une aventure aux nombreuses inconnues, dont le rapport de l’Inspection Générale de la Mairie de Paris fait le bilan dix ans après: «Le marché initial s’est révélé fragile et incomplet pour résoudre les problèmes liés à la gestion du réseau et à l’offre surdimensionnée». La pilule est sûrement difficile à avaler pour les élus en charge du projet, mais elle a l’intérêt de mettre cartes sur table. Anne Hidalgo récupère un dispositif dont elle connait toutes les lacunes, après les rapports successifs de la Chambre Régionale des Comptes d’Ile de France de 2012 et de l’inspection des finances de la Mairie de Paris de 2016: impact négatif des différents avenants sur le modèle économique, équilibre du contrat aujourd’hui en défaveur de la Ville, critiques importantes du marché couplé entre mobilier urbain et exploitation des vélos, efficience du service Vélib difficile à mesurer en l’absence d’indicateurs fiables et pertinents…

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Si ces rapports ont le mérite d’aborder de nombreux sujets juridiques, administratifs et financiers, ils touchent également du doigt des éléments opérationnels. La question du vol et du vandalisme est de loin la plus préoccupante, car le phénomène est devenu mon-naie courante. Albert Asseraf le reconnait: «La gestion de l’entretien et de la maintenance est très lourde. C’est pour JC Decaux une entreprise à part entière, avec 330 collaborateurs, 110 mécaniciens. Il faut faire face à un niveau d’intervention considérable, jusqu’à 1500 vélos à prendre en charge au quotidien». Il rappelle que depuis le lancement du service, il n’y a jamais eu de coupure ni de problème structurant, ce qui demande des res-sources considérables. Avant de confesser: «Le vandalisme et le vol sont allés au-delà des estimations de JC Decaux». Le phénomène serait particulièrement important à Paris, oÙ plusieurs milliers de vélos sont volés chaque année (dont 90% récupérés) à l’inverse d’autres villes dans lesquelles le groupe exploite des dispositifs similaires.

La Ville de Paris a supporté l’essentiel du coût des vols et des destructions des vélos

Le vandalisme et le vol ont aussi eu des conséquences néfastes sur le modèle économique du Vélib. Selon l’audit de 2016, «difficilement appréciables dans le contrat initial, les conséquences du vandalisme et des vols de vélos ont donné lieu à une modification des conditions du marché public au travers de l’avenant n°1 (…) avec de nouvelles dispositions contractuelles qui se sont révélées extrêmement favorables à JC Decaux». La Mairie de Paris cible un effet collatéral des différents avenants (trois au total): «Dès lors que la Ville de Paris a supporté l’essentiel du coût des vols et des destructions des vélos, JC. Decaux a pu ne pas être incité à renforcer ou à développer des dispositifs antivol». Pour le dire autrement, dès que la Mairie de Paris a pris en charge financièrement le vol, l’opérateur se serait moins intéressé au sujet!

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Des évolutions nécessaires à tous les niveaux

Les rapports successifs présentés par la collectivité publique sont parfois sévères. JC Decaux n’est d’ailleurs pas toujours d’accord avec ces derniers. Néanmoins, cela montre qu’il est temps de faire évoluer le dispositif, d’autant plus que le dernier audit est clair dans ses 29 recommandations.

Comment les élus et techniciens parisiens ont-ils relevé le défi dans le cadre du nouvel appel d’offres? La première étape consistait à construire le meilleur cahier des charges pour le Vélib 2. Devant la complexité de la tâche, l’avenant de dix mois signé en 2016 a créé une «phase de transition» selon le groupe des écologistes de Paris. Cela a permis de lancer un dialogue compétitif de neuf mois durant lesquels le Syndicat mixte a pu discuter avec les candidats afin de définir ou développer les solutions les plus pertinentes pour le nouveau contrat. La méthode a permis d’affiner les éléments techniques du dossier.

Cela a aussi permis de faire évoluer la gouvernance du projet: création fin 2015 du Syndicat d’études Vélib Métropole, puis fusion des Syndicats Vélib et Autolib en décembre 2016. Une évolution institutionnelle qui correspond à une volonté d’extension territoriale, sujet hautement sensible puisque c’est en partie ce qui avait pénalisé le modèle économique initial de Vélib 1. Alors pour éviter de fauter à nouveau, une étude prospective a été confiée à l’Apur pour identifier le périmètre de pertinence de Vélib 2, et s’affranchir du périmètre limité à 1,5 kilomètre de Paris (imposé par le Conseil d’Etat après les plaintes de Clear Channel). Désormais, chaque commune qui souhaite déployer des stations adhère au Syndicat Mixte. Le Vélib de la Métropole du Grand Paris est en route. Cette évolution territoriale n’est pas sans conséquence sur le modèle économique du dispositif car, comme indiqué dans l’audit de 2016, «la volonté de la Maire de Paris de mettre en place un dispositif de vélos en libre-service à l’échelle métropolitaine exclut de recourir au même montage qu’en 2007».

La compétence de location de vélos
transmise à un nouveau Syndicat mixte

La délibération 2016 DVD 190 a acté en décembre 2016 le transfert de la compétence de location de vélos au Syndicat Mixte Autolib et Vélib Métropole. «Une décision logique» pour Catherine Baratti-Elbaz, maire du 12ème arrondissement, qui a plusieurs fois défendu l’évolution territoriale de Vélib au Conseil de Paris.
Ainsi, avec l’évolution territoriale, la déconnexion du marché de publicité de JC Decaux, et surtout, les importantes synergies dans la manière de déployer les dispositifs Vélib et Autolib, il était logique de proposer une telle évolution. Dans le détail, le Syndicat mixte Autolib-Vélib est composé d’élus des communes qui adhèrent au système Vélib. Chaque commune participe à cette gouvernance avec un nombre de voix égal au nombre de stations présentes sur son périmètre. Paris est donc majoritaire. La délibération du 10 février 2017 a également validé l’intégration de la Métropole du Grand Paris au sein de la gouvernance, dont la présidence est assurée par Marie-Pierre de La Gontrie, conseillère de Paris.

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Voila pourquoi le nouveau contrat (d’une durée de quinze ans) ne concernera que les VLS. Exit donc le marché global avec d’un côté la publicité sur le mobilier urbain, de l’autre l’exploitation des vélos (sur lequel la Mairie de Paris abandonnait les recettes publicitaires). Un montage impossible à l’échelle métropolitaine, car chaque ville en dehors de Paris gère directement son marché de mobilier urbain. Est-ce la seule raison de ce changement? Pas vraiment. C’est aussi un souhait de plus de transparence pour le Syndicat, après les dérives pointées par l’audit de 2016: «Si le recours à une société dédiée pour gérer le marché public pouvait laisser présager une meilleure transparence des financements, la réalité est toute autre». Des propos qu’Albert Asseraf n’accepte pas. Selon lui, «les comptes de JC Decaux ont toujours été transmis à la Mairie de Paris dans une transparence totale».

Deux candidats pour trouver la meilleure solution technico-financière

Si le processus de marché public semble désormais plus solide, il faut aussi des candidats capables de se lancer dans l’aventure. Durant le dialogue compétitif, SFR a jeté l’éponge. Contactée par Mobilettre, la multinationale n’a pas souhaité évoquer de raison particulière. Selon des proches du dossier, SFR avait demandé un report des délais pour répondre au marché, ce qui a été refusé. On évoque une «boulimie» de projets qui aurait empêché l’opérateur de répondre dans les temps. Selon nos informations c’est Patrick Drahi lui-même qui a décidé de ne pas aller jusqu’au bout. Par conséquent, seules deux offres sont actuellement analysées par le Syndicat mixte.

Smoove, Moventia, Indigo, Mobivia

La première est celle portée par Smoove, PME de Montpellier, qui fournit déjà sa solution de VLS dans douze villes françaises, mais aussi à Moscou, Helsinki, Marrakech, Chicago… Elle s’est associée à Moventia, groupe catalan de transport spécialiste en billettique, et à Indigo, gestionnaire de parking français (733 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014). Le groupe Mobivia (ex-Norauto, 1,76 milliard de chiffre d’affaires en 2015) fait aussi partie du groupement et permet, pour Laurent Mercat, fondateur de Smoove, «de se positionner sur le renouvellement de systèmes tels que Velib ou Velov, car c’est une excellente caution». Avant de rappeler que «Mobivia est le premier producteur de VAE en France, avec près de 24 000 vélos vendus l’an dernier».

Decaux, SNCF, RATP

Le sortant JC Decaux (3,4 milliards de chiffre d’affaires en 2016) s’est associé à la SNCF et à la RATP, «la meilleure manière de répondre aux enjeux de mobilité et d’intermodalité du schéma de la Métropole du Grand Paris», selon Albert Asseraf. Autrement dit, une telle alliance est un atout majeur pour améliorer la présence dans les gares et les pôles d’échanges…

Smoove frappe fort: «Notre société propose un dispositif sur lequel le vol est quasiment impossible»

Un marché gagné d’avance pour JC Decaux, qui se vante d’exploiter le meilleur système de VLS du monde? Tout dépendra de l’évaluation technique et financière des solutions préconisées pour réduire le vol et le vandalisme, problèmes sur lesquels le nouveau cahier des charges est beaucoup plus exigeant. Le fondateur de Smoove frappe fort: «Notre société propose un dispositif sur lequel le vol est quasiment impossible». Un Vélib, selon lui «pouvait se voler en moins d’une minute, à main nue, en cassant la patte d’accrochage». Problème: le coût de la migration de l’ancien système insuffisamment robuste, vers ce fameux système très sécurisé.

Le parc actuel sera remplacé à 100%, dont 30% par des vélos électriques

JC Decaux est moins prolixe sur la question, mais confirme que sa solution sera «très innovante en termes de sécurité et de vandalisme». Ont-ils trouvé une évolution plus convaincante que le système actuel, moins coûteuse qu’un changement de l’infrastructure d’accueil? Une chose est sûre, les utilisateurs devraient circuler l’année prochaine avec des nouveaux vélos (le parc actuel sera remplacé à 100%), dont certains seront électriques (pour 30% du parc) – c’est l’autre grande nouveauté du cahier des charges. «C’est plus logique pour dépasser les limites territoriales de la ville de Paris, et se déplacer dans la Métropole du Grand Paris», explique Catherine Baratti-Elbaz, maire du 12ème arrondissement. «Evident», pour Laurent Mercat, qui rappelle que les ventes des vélos à assistance électrique ont encore progressé de 40% en 2016. «Un pas majeur», renchérit Albert Asseraf, qui explique que son entreprise propose d’ores et déjà deux technologies, dont l’une est basée sur une batterie amovible, que l’on pose sur le vélo.

Cette technologie n’aurait pas été retenue dans le cahier des charges selon le fondateur de Smoove, «pour des problèmes de capacité, de durée de vie et de poids», avant de tenter une pointe d’humour: «Les Parisiens sont toujours stressés pour charger leur smartphone, alors imaginez une batterie de vélo!» Ce passage à l’électrique aura un coût, mais qu’il faut relativiser selon Laurent Mercat: «Si cela peut doubler le prix d’un vélo, ce dernier ne représente que 20% du coût global du système». Plus cher, le nou-veau vélo le sera donc sûrement, mais moins lourd? Plus solide? Plus esthétique? Pour le savoir, il faudra attendre l’attribution du marché, car sur ce sujet ô combien important pour l’image du service, aucun des candidats ne souhaite s’étendre.

Choisir la meilleure solution… La tâche s’annonce exaltante puisqu’avec 40% de la note finale affectés au prix de l’offre, c’est bien la capacité technique des candidats qui sera majoritairement jugée. Le Syndicat mixte, doté d’une nouvelle gouvernance, d’un projet juridique et technique plus abouti, et d’un nouveau périmètre territorial va devoir répondre rapidement à des attentes fortes. Après l’attribution du marché, dans les semaines qui viennent, le dispositif sera déployé dès le mois de janvier 2018. Quant au candidat retenu, il devra assurer l’exploitation du dispositif durant les quinze prochaines années, tout en étant très vite confronté à la réalité des travaux, du déploiement du nouveau système et de l’intégration des vélos électriques : 50% des Vélib actuels devront être remplacés au 1er janvier 2018, la totalité avant mars 2018.

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