L’essentiel du rapport Spinetta

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L’essentiel du rapport Spinetta

JEUDI 15 FEVRIER 2018, 12h30

C’est une première lecture rapide, qui nécessitera comme pour le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures (COI, lire Mobizoom 60) un examen plus attentif. Mais elle ne laisse guère de doutes sur la philosophie générale développée à la demande du gouvernement par l’ancien PDG d’Air France: il faut absolument réduire les dépenses ferroviaires en France. Contraction drastique du réseau circulé, maîtrise des coûts, ajustement de la gouvernance et transformation des Epic en SA à capitaux publics, ouverture à la concurrence, nouveau contrat social : le rapport Spinetta n’a guère de pudeurs de gazelles.

Edouard Philippe, qui s’est investi ces derniers jours sur la question ferroviaire, va-t-il considérer que ce rapport constitue sa feuille de route ? C’est tout l’enjeu des prochaines semaines : comment les cheminots et leurs syndicats vont-ils réagir à ces préconisations radicales qui ressortent d’une réelle attrition ferroviaire, même si les objectifs de meilleure utilisation de l’argent public sont légitimes ? Jean-Cyril Spinetta a pris soin d’éviter toute provocation sociale trop évidente, mais certaines grenades sont bien dégoupillées…


    Une analyse classique de la situation

  • On va résumer le point de départ du rapport en une phrase car ce n’en était pas le passage le plus attendu: «Les tendances sont favorables» au ferroviaire (croissance démographique, métropolisation, développement durable, intégration modale…) qui est pénalisé par «des performances insatisfaisantes» (régularité, information voyageurs, sécurité…) dues aux «incohérences et insuffisances de la gouvernance publique». Tout jeune universitaire aurait pu écrire ainsi après avoir lu les abondantes littératures sur la question.
  • Une nouvelle consistance du réseau circulé

  • C’est un fil rouge insistant du rapport : «La cohérence des choix exige de recentrer le transport ferroviaire sur son domaine de pertinence : les transports du quotidien en zone urbaine et périurbaine, et les dessertes à grande vitesse entre les principales métropoles françaises.» Autrement dit, «il est impensable de consacrer près de 2 milliards d’euros à seulement 2% des voyageurs». Le rapport Duron a préparé le terrain d’une «nouvelle allocation des ressources»; il faut donc fermer massivement les lignes qui coûtent trop cher. La notion si riche et complexe d’effet réseau, avec son cortège de rabattements et d’externalités positives, est quasiment oubliée: on parle désormais besoins, solutions… et outils, pourrait rajouter la ministre Elisabeth Borne.

    La priorité doit donc aller aux «zones urbaines denses», qui nécessitent un «immense effort», et aux lignes à grande vitesse, qu’il faut «moderniser progressivement»: Paris-Lyon en priorité, puis Paris-Tours et Paris-Lille. «Poursuivre l’effort de développement [du réseau TGV NDLR] entraînerait le TGV au-delà de sa zone de pertinence économique», avance Jean-Cyril Spinetta.

    On arrête la construction de nouvelles LGV, on ferme les petites lignes, on met le paquet sur les grandes agglomérations: on est bien dans la perspective d’une attrition ferroviaire hexagonale, justifiée par la mise au rencart de l’ambition de report modal.

  • SNCF Réseau, le grand bouleversement

  • C’est l’une des surprises du rapport : choyé depuis quelques années par les gouvernements conscients des conséquences mortifères de la priorité absolue longtemps accordée au TGV et au développement de SNCF Mobilités, le gestionnaire d’infrastructures dans sa politique actuelle est clairement considéré comme un frein à l’équilibre des comptes :
      «SNCF Réseau ne doit plus s’endetter au-delà de ce que seraient ses capacités de portage indépendamment de la garantie implicite de l’Etat»
      «Il ne doit plus investir à perte»
      «Le management doit être responsabilisé quant à la maîtrise des coûts».

    On passe sous silence la poursuite des injonctions contradictoires de l’Etat (CDG Express, par exemple), mais une phrase va faire réagir en province: «Les autorités organisatrices doivent assumer le coût complet des services d’infrastructures qu’elles utilisent.» En clair, qu’elles se préparent à voir les péages augmenter.

    Du coup, Jean-Cyril Spinetta propose de transformer SNCF Réseau en Société anonyme à capitaux publics (probablement incessibles pour rassurer contre une évolution similaire à celle d’ADP), qui lui «interdirait de reconstituer une dette non amortissable» et «responsabiliserait enfin (sic) la société et ses dirigeants sur les efforts de gestion indispensables pour interdire la reconstitution d’une dette irrécouvrable.»

    On a compris que le désendettement conditionne cette transformation en SA. «Le désendettement est une décision difficile et lourde de conséquences pour l’Etat français», admet Jean-Cyril Spinetta. Suffira-t-il à redonner de l’oxygène au système dans son ensemble? C’est une condition nécessaire mais pas suffisante, apprend-on en mathématique. En l’occurrence les dysfonctionnements sont bien partagés dans l’ensemble du groupe ferroviaire, et pas seulement à SNCF Réseau…

    Mais Jean-Cyril Spinetta n’en a pas fini avec SNCF Réseau : il veut en faire «le gestionnaire de toutes les fonctions essentielles, infrastructures et services aux entreprises ferroviaires, notamment en intégrant les gares et la sûreté ferroviaire, et en assurant la gestion des crises».

    Vous avez aimé 2014 et la loi de réforme ferroviaire ? Quatre ans plus tard c’est déjà reparti pour un tour, avec la transformation des deux EPIC en SA (lire ci-dessous l’évolution similaire de SNCF Mobilités), l’intégration de Gares & Connexions dans SNCF Réseau, le déshabillage de l’Epic de tête qui perdrait la Suge (l’Epic de tête serait désormais «centré sur sa mission de pilotage stratégique et d’unité sociale du groupe»). Le rapport ne va pourtant pas jusqu’à préconiser sa mort d’ici cinq ans, comme certains l’avaient escompté du côté de l’APE (Agence des Participations de l’Etat).

  • La préparation minutieuse de l’ouverture à la concurrence

  • Cette mutation du gestionnaire d’infrastructure est en partie justifiée par la nécessité de l’ouverture à la concurrence, dont «il ne faut pas sous-estimer la difficulté de la période de transition», avertit le rapport, qui demande la levée de certaines barrières, comme «la fin des peréquations internes au transporteur historique».

    SNCF Mobilités devrait donc être transformée elle aussi en SA à capitaux publics. Surtout, l’ouverture à la concurrence doit la «conduire à conserver un rôle prééminent au moins jusqu’en 2023 et très probablement au-delà», à condition de ne pas devoir «assumer des charges injustifiées». Globalement, on sent une certaine indulgence envers cet Epic-là, soumis aux trop fortes pressions de l’Etat et des collectivités locales, mais dont on ne va guère chercher profondément les racines fonctionnelles de l’improductivité et des lacunes de performances (Mobilettre peut aussi s’adonner à la novlangue techno, à l’occasion).

    D’ailleurs, Jean-Cyril Spinetta se soucie de ménager les investissements de SNCF Mobilités sur le marché de la longue distance, en proposant notamment une visibilité pluriannuelle sur les péages d’infrastructures et des accords-cadres sur les dessertes les moins rentables (on croit comprendre qu’il s’agit de franchises), de façon à éviter le plus possible le retour à des conventionnements. Quelle sollicitude pour les activités vedettes de son ami Guillaume Pepy!

  • Le transfert obligatoire du personnel

  • Jean-Cyril Spinetta est catégorique : «Une loi devra poser le principe d’un transfert obligatoire» des personnels en cas de changement d’opérateur. Jusqu’ici les syndicats ont montré leur vigoureuse opposition à une telle disposition. Seront-ils rassurés par les conditions de son application ? Pas sûr du tout : «Les dispositions statutaires relatives à la mobilité fonctionnelle et géographique s’appliqueront en cas de refus», est-il précisé. C’est bien vague. Le reste (désignation des agents, rémunérations, avantages statutaires) est renvoyé à la négociation collective en cours à l’UTP.
  • Vers une révision partielle du statut et son extinction à terme

  • Que ces mots-là ont dû être pesés au trébuchet avec le gouvernement… Après en avoir fait des tonnes sur le dialogue social à l’intérieur de la SNCF, histoire d’appliquer une pommade anesthésiante à ses recommandations plus brutales, Jean-Cyril Spinetta s’aventure sur le chemin du statut : «La question de l’évolution du statut doit être la résultante de la mise en place d’un nouveau contrat social, sans qu’il soit nécessaire de tout réviser.» En clair, il renvoie la responsabilité «des conservatismes assumés» (sic) à tous (syndicats et management de la SNCF), et évite au gouvernement de plonger publiquement dans le bain à conflits. En tout cas c’est ce qu’on comprend à la lecture, notamment quand il est évoqué un peu plus loin que «la SNCF doit d’ores et déjà se poser la question de l’opportunité de poursuivre des embauches dans un cadre statutaire.»

    Les syndicats ne seront guère dupes: il est écrit ni plus ni moins qu’il faudrait préparer l’extinction du statut (c’est-à-dire en à peine deux générations), par la fin prochaine des embauches dans le cadre statutaire. Il y aurait plus radical: la fin immédiate du statut par la loi. Mais la recommandation de Jean-Cyril Spinetta est déjà en elle-même incandescente, même si elle est adressée à la SNCF et non à l’Etat directement.

  • COMMENTAIRE

    Recettes attendues

    On peut dire sans ironie aucune que Jean-Cyril Spinetta accompagné de ses quatre sherpas a bien appris du ferroviaire en quatre mois. Il a bien appris aussi la leçon préférée des hauts fonctionnaires, reprise d’ailleurs dès son arrivée au ministère des Transports par Elisabeth Borne : le ferroviaire coûte cher, ça ne peut plus durer. Les pistes qu’il propose pour assainir la situation sont donc plutôt sans surprise, elles étaient quasiment toutes évoquées en coulisses depuis tant d’années. Comment le lui reprocher d’avoir écrit noir sur blanc certaines vérités? Il est allé quasiment jusqu’au bout de ses idées, dans une certaine convergence avec les dirigeants de la SNCF et de l’Etat (hormis quand ces derniers n’étaient peut-être pas alignés entre eux, comme sur le régime juridique et la destination de Gares & Connexions, ou le transfert de la Suge).

    Mais cette position attendue ne constitue pourtant pas l’armature d’une stratégie de long terme proposée à l’Etat pour le ferroviaire, qui était pourtant le premier objectif de sa mission. Tout au long du rapport, on navigue essentiellement dans la défaisance, la baisse des coûts, la réduction de voilure. Où imagine-t-on la nouvelle industrie d’un transport collectif porté par le ferroviaire structurant ? La nouvelle pensée dominante consiste à tout miser sur la voiture réinventée, connectée et partagée, et à laisser au ferroviaire ses deux «domaines de pertinence», la longue distance avec le TGV et le mass transit dans les grandes agglomérations. Est-on bien sûr qu’un ferroviaire boosté lui aussi par les nouvelles technologies n’a pas vocation à articuler autour de ses gares l’ensemble des mobilités, quels que soient les territoires ? Jean-Cyril Spinetta avait raté le virage low cost dans l’aérien, il n’a pas entrevu les nouvelles pistes d’un mode ferroviaire débarrassé de ses oripeaux. Son rapport très jacobin néglige manifestement les forces potentielles du terrain. La troisième voie est toujours la plus difficile, entre le statu quo social et la logique comptable.

    C’est comme si, après tant de tergiversations face à la crise de l’économie ferroviaire et de ses performances depuis trente ans, on devait se contenter de se féliciter des remèdes enfin assumés face à l’opinion et aux cheminots. Tout cela n’est pas très dynamique, ce n’est même pas du tout En marche version printemps 2017. La doxa des hauts fonctionnaires a converti par lassitude une bonne partie des décideurs au néomalthusianisme ferroviaire. Faut-il se résigner à mourir guéri ?

    Gilles Dansart

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