L’étonnant parcours de l’épouse de Marc Ladreit de Lacharrière à la SNCF

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L’étonnant parcours de l’épouse de Marc Ladreit de Lacharrière à la SNCF

L’étonnant parcours de l’épouse de Marc Ladreit de Lacharrière à la SNCF

Véronique Morali, administratrice de SNCF Mobilités depuis juillet 2015, préside aussi le directoire de Webedia, spécialiste français des médias numériques, qui est un fournisseur conséquent de… SNCF Mobilités. Elle démissionne aujourd’hui de ses fonctions.


Véronique Morali est apparue dans le paysage des transports à l’occasion des Assises du ferroviaire, organisées en 2011 à l’initiative de Nathalie Kosciuzko-Morizet. Elle y présidait l’une des quatre commissions, sans doute la plus sensible, chargée de la gouvernance du système ferroviaire. L’entourage d’Hubert du Mesnil, président de RFF, en rivalité avec la SNCF sur la vision du futur système, n’avait alors pas caché son courroux, considérant que Véronique Morali ne montrait pas l’indépendance à toute épreuve qu’on pouvait attendre de sa part. Cette dernière avait fini la séquence épuisée, au terme d’une plongée sans oxygène dans un océan de tensions extrêmement vives.

MoraliOKQui est Véronique Morali? Une naissance en 1959 à Paris, un beau parcours classique (Sciences-Po, ENA promotion 1986), le choix de l’IGF (Inspection générale des Finances) pendant quatre ans, avant d’atterrir en 1990 à Fimalac, l’entreprise de Marc Ladreit de Lacharrière – qu’elle épouse un peu plus tard. C’est l’une des femmes d’affaires françaises les plus actives, notamment au sein de Women’s Forum qu’elle a présidé jusqu’en 2014, avant d’en laisser la présidence à Clara Gaymard, camarade de promotion à l’ENA.

En 2015 le montant des contrats entre SNCF Mobilités et Webedia atteignait déjà quelque 3 millions d’euros

On la retrouve sur la scène ferroviaire en juillet 2015, nommée en tant que personnalité qualifiée au conseil d’administration de… SNCF Mobilités, tout juste créé suite à la loi de réforme d’août 2014. Son arrivée ne va pourtant pas de soi. L’entreprise Webedia (214 millions d’euros de CA en 2016), qu’elle dirige depuis son rachat en 2013 par Fimalac, est un leader français des médias en ligne, une pépite française qui est devenue incontournable dans le secteur du tourisme et de l’entertainment. Elle se trouve logiquement en affaires avec l’opérateur SNCF Mobilités, qui multiplie les innovations digitales liées au voyage. Selon nos informations, à cette date, le montant des contrats entre les différentes entités de SNCF Mobilités et Webedia atteignait déjà la coquette somme de 3 millions d’euros de chiffre d’affaires.

Du coup, avant la nomination, une analyse juridique a été demandée à la direction juridique du groupe SNCF. Nous l’avons consultée. Plusieurs précautions sont requises, en particulier que «le cas échéant elle ne participe pas aux discussions du conseil d’administration relatives aux marchés de communication ou liés au digital.» La conclusion est pourtant claire: «Aucune disposition n’interdit à madame VM (sic) d’être nommée administrateur au sein du conseil d’administration de l’Epic SNCF Mobilités à raison de son seul statut de prestataire de ce dernier.»

Guillaume Pepy tient pourtant à déclarer en séance d’installation du nouveau conseil d’administration: «La SNCF est actuellement cliente de Webedia, ce qui impose de prendre des précautions particulières pour éviter tout conflit d’intérêt. Ainsi Véronique Morali veillera à ne pas prendre part aux votes ni aux débats pour tous les sujets liés aux relations commerciales entre SNCF et Webedia.» Tout le monde est rassuré. L’Etat se range à cette position. La nomination est donc approuvée à l’unanimité.

Que se passe-t-il ensuite? Véronique Morali se montre une administratrice effacée et réservée en séance, faisant valoir de temps en temps par ses remarques qu’elle connaît bien l’entreprise privée. En revanche, hors séance, son activité en faveur de Webedia est bien plus débordante: les contrats défilent, avec la direction de la communication, avec Voyages, ou encore VSC (voyages-sncf.com). La cheffe d’entreprise ne rejette aucune affaire, grosse ou petite. Webedia construit par exemple le site de SNCF Au féminin, qu’elle héberge et maintient à Levallois, pour un total de 700000 euros, assure l’animation de réseaux sociaux, accompagne les adaptations permanentes du site de commerce en ligne.

Plusieurs cadres que nous avons rencontrés considèrent la double casquette de Véronique Morali contraire à l’éthique que les consignes officielles ne cessent de rappeler

Aucun marché avec Webedia n’est abordé en séance du conseil d’administration – les débats portent sur bien d’autres sujets plus stratégiques. Donc réglementairement parlant, il n’y a rien à redire. Sauf que la définition du conflit d’intérêt va bien au-delà de ces critères. La suspicion du conflit d’intérêt, dans le cas de Véronique Morali, est a minima légitime. Peut-on sérieusement considérer que le patron d’une entreprise de création digitale est a priori sur un pied d’égalité avec Véronique Morali, qui se trouve au contact direct de tous les dirigeants décisionnaires au sein de SNCF Mobilités? On ne peut pas dire que la concurrence soit équitable. Elle remet même les insignes de l’Ordre national du Mérite à l’un d’entre eux, gros consommateur de développements digitaux.

Plusieurs cadres de SNCF Mobilités que nous avons rencontrés considèrent la double casquette de Véronique Morali contraire à l’éthique que les consignes officielles ne cessent de rappeler. On ajoutera que Véronique Morali est vice-présidente du groupe Fitch et fait partie des directeurs de Fitch Rating qui note entre autres la SNCF. Pour l’instant l’entreprise publique bénéficie de la même note que l’Etat mais il y a d’autres façons de faire preuve d’indulgence, par exemple dans la manière d’apprécier la dette et ses conséquences à terme.

Manifestement la situation embarrasse la direction de la SNCF, consciente que l’exposition politique de Marc Ladreit de Lacharrière, mari de Véronique Morali et employeur généreux de Pénélope Fillon à La Revue des deux mondes, peut attirer une lumière médiatique potentiellement inopportune. On pourrait aussi extrapoler sur la porosité entre les milieux d’affaires, les entreprises publiques et les dirigeants politiques, sur les outils d’influences et la moralité des réseaux. En période d’élection présidentielle, c’est très moyen pour l’entreprise SNCF.

Du coup, outre les précautions juridiques mises en avant, il nous a été précisé que le recrutement de Véronique Morali comme administratrice était une idée de l’Etat. Côté puissance publique, plusieurs sources concordantes nous assurent qu’il s’agissait au contraire d’une idée de Guillaume Pepy. Dans ce monde sans pitié, lorsqu’une idée est bonne chacun essaie de se l’attribuer, lorsqu’elle devient le mistigri c’est qu’elle n’est pas si bonne que cela…

Enfin, dernier élément communiqué à Mobilettre vendredi dernier, la démission de Véronique Morali de ses fonctions d’administratrice, décision prise «il y a une quinzaine de jours» (ce qui correspond au moment où nous avons commencé à nous intéresser avec attention à sa situation). La présidente de Webedia, accaparée par le développement international de son entreprise, «se désengage progressivement de plusieurs tâches comme le Women’s Forum ou sa participation au CA de SNCF Mobilités». Sa démission ne serait donc pas corrélée à ces suspicions de conflit d’intérêt? Mais c’est dès 2014 qu’elle a renoncé à la présidence de Women’s Forum…

En tout état de cause, la démission de Véronique Morali, que nous avons tenté de joindre pendant le week-end, devrait être effective ce lundi 3 avril. A trois semaines des élections, ce n’était pas le moment de tergiverser.

COMMENTAIRE

Des pratiques à bannir

On entend l’argument: pour faire progresser les entreprises publiques il est souhaitable que les personnalités qualifiées venues du monde réel (l’entreprise privée, pour faire vite) intègrent leurs conseils d’administration. A SNCF Mobilités, figurent par exemple Christine Cabau-Woehrel (Grand Port Maritime de Marseille, entité publique), Mercedes Erra (BETC, le géant de la com et de la pub) et Philippe Segretain, ex-patron de Transdev.

Suffit-il alors de respecter les formes, c’est-à-dire que les administrateurs sortent des séances en cas de discussion contractuelle qui met en jeu leur propre entreprise? C’est évidemment un préalable, mais il ne lèvera pas la suspicion de position privilégiée de l’administrateur(rice). La nécessité d’ouvrir les conseils d’administration ne peut légitimer toutes les situations. On embête suffisamment de fonctionnaires au quotidien qui voudraient évoluer dans leur carrière, au nom du moindre soupçon de conflit d’intérêt, pour devoir se montrer aussi intransigeant avec des chefs d’entreprise qui pourraient profiter de leur position pour faire des affaires bien plus juteuses.

Le débat ne s’arrête d’ailleurs pas là: certains conseils d’administration et de surveillance sont encore bien trop majoritairement des lieux d’affichage et d’influence, plutôt que des structures où les administrateurs travaillent, surveillent scrupuleusement les directoires et les exécutifs, bref jouent leur rôle. A ce que nous savons, Véronique Morali ne s’est jamais vraiment distinguée au CA de SNCF Mobilités par son expertise ou son indépendance d’esprit.

Il est temps que la puissance publique revienne à ces fondamentaux pour constituer des conseils de surveillance et d’administration de personnalités au-dessus de tout soupçon, aptes à définir, surveiller, accompagner les politiques d’entreprise. Mais quand l’Etat est trop faible, peut-il exiger des puissants responsables d’entreprises publiques qu’ils n’outrepassent pas leurs prérogatives? G. D.

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