Etat-IDFM : crise capitale
L’hypothèse d’une augmentation du pass Navigo à 90 € (contre 75,20€ aujourd’hui) cristallise les tensions entre Valérie Pécresse et le gouvernement. Ou comment une succession d’impasses de financement débouche aujourd’hui sur une crise politique, en pleine transition écologique. Nos explications
Comme dans tout bon scénario il y a un suspense et une date : le 7 décembre, jour de réunion du conseil d’administration d’Ile-de-France Mobilités, qui doit voter son budget 2023. En l’état, le projet de grille tarifaire dit scénario 3 prévoit un passage du pass Navigo toutes zones mensuel à 90€ (et le ticket à 2,30€). «Voici la délibération tarifaire que je suis contrainte de soumettre à notre conseil, dans un contexte inédit d’envolée des coûts de fonctionnement des transports franciliens, liée à la crise énergétique», écrivait Valérie Pécresse aux administrateurs d’IDFM vendredi dernier, avant de préciser: «L’heure est grave car malgré toutes mes tentatives pour obtenir de l’Etat de nouvelles recettes, le blocage du gouvernement dessine la voie d’un Passe Navigo à 90€. Ceci serait socialement inacceptable.»
Quinze euros d’augmentation d’un coup, soit 20%, c’est explosif
Voilà au moins un point d’accord établi ce week-end avec les deux ministres qui se sont exprimés sur le sujet, Clément Beaune et Olivier Véran : quinze euros d’augmentation d’un coup, soit 20%, c’est explosif. Mais c’est bien le seul point de convergence, car pour l’instant le gouvernement n’a montré aucun signe de conciliation et a de fait transformé cette crise de financement en affrontement politique – rappelons que le loi interdit à l’établissement public IDFM de présenter un budget en déficit.
L’exécutif reproche à Valérie Pécresse de n’avoir pas suffisamment augmenté le pass Navigo. Certes, mais cela concerne l’avant crise-Covid, et cela n’aurait guère changé les termes de la crise actuelle. Depuis 2020, difficile de proposer une augmentation des tarifs alors que le trafic était réduit par les vagues pandémiques, puis l’offre nominale non respectée par les opérateurs et notamment la RATP. D’où la situation actuelle : une lacune de 950 millions d’euros pour le budget, que les efforts conjoints des collectivités franciliennes et des opérateurs ne peuvent compenser totalement. Les collectivités pourraient-elles faire davantage? Au fil du temps, elles ont vu leurs marges de manœuvres réduites, les dotations de l’Etat prenant le dessus à la grande satisfaction de Bercy…
Les entreprises? Le Sénat, soutenu par l’exécutif, refuse d’autoriser l’augmentation du Versement Mobilité. De ce côté-là, impasse. Restent alors les voyageurs… et l’Etat, mais ce dernier ne veut pas mettre la main à la poche, arguant des 2,1 milliards d’euros versés pendant la crise pandémique. En réalité, sur cette somme globale destinée à compenser les pertes de recettes et les dépenses exceptionnelles dues à la Covid-19, seulement 151 millions d’euros étaient des subventions, le reste, près des 2 milliards, étant constitué d’avances remboursables par IDFM, de 2023 à 2036, soit 11 millions d’euros par mois…
Cette fois-ci, le gouvernement n’ouvre pas ses caisses
Face à l’envolée des prix de l’énergie et de l’inflation, IDFM comme toutes les autorités organisatrices hexagonales se trouve donc à nouveau au pied du mur. Mais cette fois-ci, le gouvernement n’ouvre pas ses caisses. Pas de bouclier tarifaire pour le transport public (alors qu’il a en demandé un à la SNCF sur le TGV, non subventionné !), pas de subvention publique alors que l’Allemagne, pour ne citer qu’elle, aide massivement les exploitants.
La crise, donc, et le bras de fer. Qui apparaîtra responsable des 15 euros de hausse ? C’est tout l’enjeu des joutes du moment. Valérie Pécresse, qui incarne les transports franciliens depuis son élection à la tête de la Région? L’Etat, inflexible, qui semble prendre un certain plaisir à déstabiliser l’ex-candidate à l’élection présidentielle ? Valérie Pécresse essaie d’imposer dans le débat public le concept d’une taxe Macron à 15 €. Ambiance…
De fait, cette tension intervient alors que le modèle économique des transports franciliens se fissure au grand jour. Côté recettes, une tarification trop faible au regard de l’offre (c’est aussi une conséquence directe, il faut le rappeler, de la tarification unique sans augmentation du Pass décidée avant l’élection de 2015), et les limites bientôt atteintes de la ressource Versement Mobilité ; côté dépenses, le mur d’un milliard d’euros à trouver pour l’exploitation des lignes du Grand Paris Express, et que seule, faute de ressources nouvelles, Ile-de-France Mobilités ne peut trouver. Pour l’instant, alors que les premiers décaissements sont prévus en 2023, l’Etat reste silencieux. Pour combien de temps? L’hypothèse d’un compromis à 82 ou 83€, avec un geste de conciliation de l’Etat, apparaîtrait raisonnable vu le contexte.
L’arrivée de Jean Castex à la tête de la RATP, aujourd’hui même, va-t-elle elle-même contribuer à faire baisser la tension ? L’ancien Premier ministre a rencontré jeudi dernier Valérie Pécresse (lire Mobitelex 394), qui ne lui a pas caché les termes des impasses. Et l’a même averti d’une mise en demeure adressée le lendemain par le DG d’IDFM Laurent Probst à Xavier Léty, président de CAP Ile-de-France, relative à une autre crise, celle du réseau de bus de l’agglomération de Paris Saclay (lire ci-dessous). Ambiance (bis)…
EXCLUSIF
La RATP mise en demeure par IDFM sur Saclay
Le directeur général d’IDFM Laurent Probst pose trois injonctions pour améliorer le taux de réalisation de l’offre bus du réseau de Saclay, exploité par CAP Ile-de-France, la structure dédiée de la RATP, depuis le 1er août en succession de Transdev. A défaut de respect, le contrat pourrait être déchu…
Le timing de la mise en demeure est important : elle a été envoyée vendredi 25 novembre alors que Jean Castex n’avait pas encore pris ses fonctions. C’est habile. C’est à la fois une façon d’éviter l’accusation de défiance publique envers l’ex-premier ministre, tout fraîchement nommé, mais aussi un message clair: l’autorité organisatrice IDFM n’est pas réductible aux questions financières et politiques, elle produit un travail quotidien de contractualisation avec les opérateurs, et ne saurait retenir ses critiques devant des lacunes répétées d’exploitation. En l’occurrence, la crise de Saclay couve depuis début septembre.
La procédure est exceptionnelle : si ses injonctions en matière de réalisation de l’offre ne sont pas respectées, IDFM «déclenchera soit la mise en régie prévue par l’article 95 soit la déchéance du contrat prévue par l’article 96». Laurent Probst dans son courrier énumère les «manquements graves et répétés aux obligations contractuelles»: offre réalisée insuffisante (90% en cumulé, avec une fiable dynamique d’amélioration), incompréhensible pour les voyageurs du fait d’une information inexistante puis non crédible, et «défaillances importantes» dans l’information dynamique du fait de retard dans la mise en fonctionnement des SAEIV (Systèmes d’aide à l’exploitation et à l’information des voyageurs). En outre, IDFM déplore le non-respect des engagements pris en septembre dernier après de première semaines chaotiques et des défaillances dans le reporting auprès de ses services. Cela fait beaucoup.
Fin septembre, la RATP avait confié à Mobilettre avoir souffert de l’état de récupération de la flotte de bus de son prédécesseur, Transdev, le 1er août. Elle n’avait pas encore, en ce début d’après-midi, réagi officiellement au geste d’autorité inédit décidé par son autorité organisatrice, dans un contexte de relations très tumultueuses entre l’AO et la RATP qui se renvoient depuis des semaines la responsabilités des taux de réalisation des offres bus et métros très en-dessous de la moyenne.
RER métropolitains : l’annonce décalée d’Emmanuel Macron
Une video You Tube, un dimanche après-midi, qui prend de court à peu près tout le monde: Emmanuel Macron a réussi un joli coup de communication ce 27 novembre en promettant des RER dans dix grandes agglomérations. Mais c’est une annonce qui apparaît triplement décalée: en pleine crise des budgets de fonctionnement des autorités organisatrices de transport (et ce sont les régions, et non l’Etat, qui sont maîtres du jeu en matière de services express métropolitains!), en pleine lacune de financement de SNCF Réseau sur l’entretien et la régénération du réseau ferroviaire, et en pleine élaboration du programme du COI (conseil d’orientation des infrastructures), promis pour la mi-décembre.
Il faudra donc attendre les précisions du gouvernement pour savoir si derrière l’opération politique, il y a des précisions sur la consistance et surtout le financement de projets qui pour la plupart sont en cours depuis plusieurs années, à Bordeaux, Strasbourg ou Lille – les présidents de régions ont d’ailleurs sollicité un entretien sur le sujet avec la Première ministre. Le modèle de la SGP (Société du Grand Paris), avec des taxes affectées qui permettent de lever des emprunts, a le vent en poupe.
En attendant, nous ne pouvons que vous proposer ce que nous écrivions sur le sujet en… 2020, il y a très exactement deux ans.