MobiEdito 24 décembre 2024

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par Gilles Dansart


Illustration: DR Mobilettre

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2024. Notre-Drame de la politique

L’anticipation de la parenthèse enchantée fut performative : les Jeux Olympiques ont bel et bien ravi la France et le monde, puis la politique française a sombré en 2024 aussi sûrement que se multipliaient les perturbations climatiques. Que reste-t-il de nos atours, à part Notre-Dame ? Une étonnante résilience collective face aux désordres? Jusqu’à quand ?

Quand on construit un château de sable au bord de la mer, on regarde les vagues déferler et attaquer les murs, en guettant l’écroulement final. On s’attend depuis si longtemps à ce qu’il en arrive de même à la maison France… Son héroïque résistance à ses démangeaisons internes ressort probablement d’une force enfouie mais puissante, d’une capacité inattendue à refouler le pire quand il s’annonce presque irréversible, un soir de dissolution.

Voilà ce que nous écrivions il y a tout juste un an. «Qu’est-ce qui se joue cette année, une fois encore ? La capacité d’une élite dirigeante à affronter les crises et à vraiment préparer l’avenir, et donc à ne pas se contenter de projeter à intervalles rapprochés son image fantasmée sur la grande scène mondiale.» Triste prophétie. On a eu le miracle des Jeux, la résurrection de Notre-Dame – et des gouvernements bavards, un Président hagard.

Progressivement, le corps social, jusqu’à ses CSP+, s’est protégé de la politique comme pour éviter d’être contaminé lui aussi par le jeu des égos et des zéros, alors qu’il ne rêve que d’égaux et de héros. C’est en toute logique qu’il a célébré la force et la modestie collective des rebâtisseurs de Notre-Dame, applaudi les volontaires et les sportifs de Paris 2024, soutenu avec respect et admiration Gisèle Pelicot.

Bon, il ne faudrait quand même pas jouer indéfiniment avec le feu qui couve un peu partout, dans une société fragilisée par les précarités, les inégalités et les réseaux sociaux pyromanes.

Pour l’instant, la République tient bon, avec une Justice qui résiste aux intimidations, l’Education nationale qui affronte des violences sociales assez inouïes, des collectivités locales et des services publics résilients malgré le désordre institutionnel et managérial. Mais jusqu’à quand ? La politique française, avec son amplificateur médiatique, est toujours très malade, à l’image d’un François Bayrou qui ne semble guère préparé à gouverner malgré quarante ans de réflexions et bricole une équipe d’hommes d’expérience à défaut d’être renouvelée, ouverte et inclusive (lire aussi ci-dessous).

Le secteur des mobilités illustre bien ce grand paradoxe. L’exécutif ne fait pas grand-chose pour clarifier la situation, en tout cas il ne trace pas des perspectives d’avenir engageantes et cohérentes, mais les trains, les trams et les bus roulent, les avions volent, les bateaux naviguent. Que n’a-t-on lu sur l’inéluctable grève des cheminots ? L’appel à la responsabilité des uns et des autres peut porter ses fruits. Le pire n’est jamais sûr.

Le moment est décisif : les Français plébiscitent le transport public, comme les Allemands, les Italiens et bien d’autres, et ils s’interrogent sur les motorisations électriques. Il est temps de les aider, de préparer le monde d’après, celui des villes et des campagnes aux circulations apaisées.

Pour envisager ce monde-là, on aurait bien succombé à instruire le procès de celui d’avant, mais au vu de la situation l’exercice nous semble dorénavant un peu vain. 2024 va s’éteindre avec une gouvernance d’Etat crépusculaire et une défiance populaire majuscule. Il est temps de tourner la page et de réfléchir au rebond plutôt qu’aux convulsions.

Nanti de cette résolution je vais donc éviter le syndrome du film français qui ne sait pas se terminer, et vous souhaiter, sobrement, un joyeux Noël et d’excellentes fêtes de fin d’année!

Gilles Dansart


Philippe Tabarot succède à François Durovray

Le sortant peut concevoir une légitime amertume à quitter le ministère des Transports, trois mois après sa nomination, et pas seulement parce qu’il n’avait pas démérité, selon la formule consacrée: François Durovray a bel et bien pris les dossiers difficiles du secteur à bras-le-corps, obtenant in extremis l’accord de Michel Barnier pour une conférence de financement des mobilités au mois de mars. Le président du Conseil départemental de l’Essonne victime de l’affrontement Xavier Bertrand/Marine Le Pen et de l’illisible Laurent Wauquiez? S’il fallait une preuve supplémentaire d’une politique française très malade, la voilà: changer un ministre compétent pour de piètres arguments politiciens. Les courants du PS de la fin du XXè  siècle, c’est presque de la petite bière au regard de ce que sont devenus les LR et leurs écuries personnelles.

Malgré tout, le secteur peut se consoler en voyant arriver un autre éminent spécialiste des Transports, Philippe Tabarot (LR, comme François Durovray), plutôt qu’un ou une néophyte qui aurait consacré quelques mois à prendre ses marques. Elu sénateur en 2020, il s’est vite imposé au sein de la Commission de l’Aménagement du Territoire et du Développement durable, en bonne entente avec son homologue socialiste Olivier Jacquin. Probablement un peu plus libéral que son prédécesseur (vice-président de la Région Paca, il avait préparé l’ouverture à la concurrence des TER), il se montre lui aussi très à l’écoute des professionnels de tous les modes. L’aisance oratoire et l’envergure de ce grand passionné de rugby est un atout de premier ordre : au milieu d’un pack d’anciens Premiers ministres et ministres d’expérience, il faudra exister. «Je vais poursuivre les actions de Clément [Beaune] et François [Durovray], en espérant gagner des arbitrages», explique-t-il à Mobilettre. «D’autant que je suis ministre de plein exercice», rajoute-t-il. Cela pèse effectivement un peu plus qu’un ministre délégué ou un secrétaire d’Etat.


Quelques priorités pour le nouveau ministre

La grande conférence des financements de la mobilité et des infrastructures, chère à François Durovray. On ne peut pas éternellement bricoler avec les instruments et dire aux collectivités: «Je vous reprends vos excédents budgétaires, mais je vous donne un peu de VM». Le Gart a vite réagi en espérant «que Philippe Tabarot reprendra à son compte les engagements pris par son prédécesseur d’organiser avant la fin du Premier trimestre 2025 une conférence nationale du financement de la mobilité et de ses infrastructures.»

La fin des actuelles concessions autoroutières et la suite. Tout le monde lorgne sur les revenus des péages… Encore faut-il fixer les règles de sortie et imaginer un nouveau cycle sans les défauts du précédent.

La nomination des dirigeants des entreprises de transport, dans le cadre de l’article 13. La succession de Jean-Pierre Farandou à la SNCF est en tête de programme. Espérons que Philippe Tabarot aura les arguments auprès du Premier ministre en faveur d’une transition préparée et pas improvisée. Le cas d’ADP (Augustin de Romanet n’a toujours pas de successeur à quelques jours de la fin de son mandat) devrait servir de contrexemple.

L’extrême attention à la sensibilité sociale du secteur. Les cheminots n’ont pas fait grève à Noël, mais les dockers et les contrôleurs aériens sont en embuscade.

On imagine aussi que Philippe Tabarot, qui hérite de François Rebsamen comme ministre «de tutelle» (Aménagement du territoire et Décentralisation), tombera d’accord avec Eric Lombard pour poursuivre la privatisation de Transdev, puisque le nouveau ministre de l’Economie et des Finances, qui devra se déporter, venait d’en lancer le processus en tant que directeur général de la Caisse des Dépôts.

Passation des pouvoirs: une cérémonie lunaire

Quelle illustration d’une situation politique abracadabrantesque (on n’a pas trouvé d’autre qualificatif que cette référence chiraquienne), cette cérémonie de passation des pouvoirs à l’Hôtel de Roquelaure, en ce jour de Réveillon de Noël! Mis à part le fait que tout le monde semblait un peu perdu dans les périmètres, rattachements et appellations, les éléments de langage des trois ministres qui ont pris la parole sont partis un peu dans tous les sens. Si Catherine Vautrin a fait dans le très classique, donc sans risque, avec une pointe d’humour sur la fonction éphémère de ministre, François Rebsamen a emmené son auditoire bien loin: une seule référence, mais quelle référence!, à Gaston Defferre, que les moins de… 40 ans? ne peuvent pas connaître, puis une pathétique tentative de consolation de François Durovray: «Tu sais c’est pas grand-chose… [Silence prolongé] C’est si important de servir la République.»

Agnès Pannier-Runacher a choisi un autre registre, totalement décalé: voilà mon programme de ministre de l’Ecologie. Avec, entre autres, et sans bégayer, l’emploi assez inédit d’un terme: «Opérationnalisation.» Peut-être aurait-elle dû se contenter de ce verbiage, et ne pas vouloir finir sur une note politique: «Nous sommes des ministres de gauche, avec François Rebsamen et Juliette Meadel. […] Et je suis contre tous les populismes». On lui suggère de le rappeler à ses supérieurs qui n’ont pas voulu déplaire à Marine Le Pen.

Devant l’extrême sobriété des applaudissements, il fallait siffler l’épilogue. Hésitations à la tribune. Et c’est François Durovray qui s’y est collé avec un certain sens de la situation: «Joyeux Noël», a-t-il lancé puissamment. Fin du supplice. Ce soir bûche et marrons. La prochaine passation, c’est pour bientôt?


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