MobiEdito – 24 février 2023

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par Gilles Dansart


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L’esquisse d’une ambition

En choisissant officiellement le scénario 2 dit de planification écologique élaboré par le COI (conseil d’orientation des infrastructures) et en promettant 100 milliards d’euros d’investissements dans le mode ferroviaire d’ici 2040, Elisabeth Borne a fixé une trajectoire enfin dynamique pour les mobilités décarbonées. Mais il va falloir concrétiser: le dialogue avec les collectivités territoriales et la recherche de financements s’annoncent difficiles.

David Valence président du COI remet son rapport à la Première ministre, vendredi 24 février à Matignon, en présence de Clément Beaune et Christophe Béchu.

Le discours de la Première ministre, ce vendredi 24 février à Matignon, comportait un lot somme toute habituel d’engagements qui demanderont d’indispensables précisions dans les semaines et les mois qui viennent – comme le dit le président du COI David Valence, qui a pris à l’occasion une réelle épaisseur politique, le comment importe autant sinon plus que le combien. Mais quand même, malgré la légitime impatience des porteurs de projets dans l’hexagone et notre méfiance instinctive devant les effets d’annonce des pouvoirs exécutifs, il serait asynchrone de ne pas relever quelques promesses de rupture dans la politique nationale des mobilités.

Car même si l’objectif d’«une programmation des investissements d’ici l’été», confiée à Clément Beaune, n’a pas été accompagné dans la bouche de la Première ministre du mot tant attendu – une «loi» de programmation -, la défaite publique de Bercy (spectaculairement absent ce vendredi à Matignon) est historique et symbolique. Son scénario de cadrage budgétaire ? Mis en joue par le COI, fusillé par le gouvernement. Alors oui, on n’est pas dupe, Bercy va refaire le match en coulisses, et gageons que le calendrier des investissements dans le ferroviaire fera immanquablement glisser quelques bons projets au-delà de 2027 et 2030. On a cru comprendre, par exemple, que les Services Express Métropolitains devenaient prioritaires, alors que les LGV et les trains de nuit déboucheraient du tunnel à l’horizon de la prochaine décennie, et on sait ce que veut dire décennie dans le langage techno-politique. Malgré tout, comme nous le confiait Clément Beaune, «ce n’est pas fini, mais le première haie, la plus haute, est franchie.»

Avant que de mesurer ces quelques haies, attardons-nous quand même sur les nouvelles trajectoires esquissées par le gouvernement et la Première ministre

Il flottait d’ailleurs, avant la remise officielle du rapport, lors de la réunion d’échanges avec les élus et les professionnels de la mobilité à laquelle Mobilettre avait été convié, comme un petit air d’enthousiasme – restons mesurés: la Première ministre ne s’est pas muée miraculeusement en chauffeuse de salle, et la solennité du dispositif enjoignit à la sobriété. Seuls les élus, Karima Delli en tête, Franck Leroy et Louis Nègre, ont osé faire un peu de style et de politique, et les nouveaux acteurs de la mobilité un peu moins de langage convenu.

1) Des enveloppes conséquentes. Le scénario 2 dit de planification écologique prévoit d’investir 25,8 milliards d’euros d’ici 2027, et 29,4 milliards de 2028 à 2032. Pour le ferroviaire, sans qu’on sache encore comment la somme totale se décompose, c’est 100 milliards d’ici 2040 qui devraient être dégagés. On commence à se rapprocher des ambitions allemandes et italiennes… en volume, car à leurs dix années de programmation nous en rajoutons déjà sept… avant les dérapages.

2) Priorité aux transports du quotidien sur les grands projets. Les chiffres, s’ils furent rares ce vendredi matin, ne mentent pas : d’ici 2027 un milliard d’euros de plus par an pour la régénération ferroviaire, 500 millions supplémentaires par an pour la modernisation ferroviaire. Le gouvernement Castex fut-il une parenthèse ? Elisabeth Borne en revient clairement à l’esprit du 1er juillet 2017, à Rennes, lors du fameux discours du Président de la République sur les transports du quotidien. On entendait presque gronder à Paris les élus d’Occitanie et de Nouvelle-Aquitaine, inquiets d’un report mortifère de GPSO et de Montpellier-Perpignan, et du Lyon-Turin, qu’aucune parole gouvernementale n’a rassurés sur le choix et le calendrier des voies d’accès.

3) Lier les services aux infras, notamment par l’intermodalité. Esprit de la LOM es-tu là ? C’est au plus près des bassins de vie que doivent s’envisager les solutions nouvelles aux problèmes de déplacement de nos concitoyens. C’est l’une des raisons de la priorité accordée aux Services Express Métropolitains : répondre concrètement aux colères des périurbains – entendez les gilets jaunes, notamment.

4) Introduire un nouvel acteur dans le ferroviaire, la Société du Grand Paris. Jean Castex l’avait esquissé au crépuscule de sa fonction à Matignon, Elisabeth Borne a promis de porter devant le Parlement les éléments législatifs nécessaires à cette petite révolution : la mise en place d’un nouveau maître d’ouvrage ferroviaire pour les Services Express Métropolitains, en bonne intelligence avec SNCF Réseau qui continuera, lui, à gérer les scories et ingratitudes du réseau existant…

Revenons aux haies à franchir pour que cette annonce du 24 février prenne consistance. Elles appartiennent globalement à quatre catégories

Le dialogue avec les collectivités

Elisabeth Borne l’a répété à de si nombreuses reprises qu’on comprend que c’est à la fois une légitime obsession et une réelle inquiétude: le dialogue avec les collectivités est prioritaire. Dès le mois de mars, les préfets recevront des mandats de négociation pour les CPER volets mobilités. Comment les collectivités, et notamment les régions, exsangues, réagiront ? Ecartelées, pour la plupart, entre leur volonté intacte de produire de nouvelles infras et la nécessité de rénover les infras existantes, elles voient d’un mauvais œil ce que certaines n’hésitent pas à appeler de la propagande gouvernementale sans les budgets nécessaires. A suivre.

La recherche de financements

On a cru comprendre que sur les 100 milliards du ferroviaire l’Etat ne pourrait en apporter lui-même que 25. Il va donc falloir trouver de nouvelles ressources, dans l’aérien, auprès des SCA (sociétés concessionnaires d’autoroute), auprès de l’Europe… et des collectivités. Pas simple.

La capacité à délivrer vite et bien

Cette fois-ci c’est la bonne ! On va enfin donner de la stabilité, de la visibilité et de la lisibilité aux maîtres d’ouvrage et aux filières industrielles. Chiche ? Cela fait tellement longtemps que l’appareil industriel ferroviaire est soumis aux «stop and go« qu’il paraît grippé au moment d’enclencher la vitesse supérieure. Du coup, la SGP, qui a développé depuis dix ans une vraie expertise, arrive à la rescousse… Matthieu Chabanel, PDG de SNCF Réseau, assure prendre de façon positive cette «complémentarité». A surveiller.

Les sujets qui fâchent

Evidemment, on pense d’abord au Lyon-Turin, toujours contesté par une partie de la technostructure, et à GPSO, qu’un report trop tardif de la branche vers Dax pourrait condamner globalement aux yeux de la Commission européenne. Mais il faudra aussi attendre des précisions du gouvernement sur tous les autres points chauds du rapport du COI, et notamment sur les projets routiers, car pour ce mode également la Première ministre a privilégié l’entretien du réseau existant aux nouvelles dessertes.

La culture française des co-financements rend forcément compliquée toute feuille de route générale en matière d’investissements. C’est donc d’ici l’été, au travers des dialogues avec les collectivités et de l’élaboration de la programmation confiée à Clément Beaune, que l’on pourra évaluer précisément la consistance de l’ambition gouvernementale. Après l’esquisse, le tableau : c’est parfois le plus difficile. G. D.

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