MobiEdito – 8 septembre 2022

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par Gilles Dansart


La bascule ?

L’histoire retiendra peut-être qu’en France, cet été 2022 changea la nature du débat sur la transition écologique dans les transports. Trafics, phénomènes météorologiques, polémiques : le récit de Mobilettre

On a bien cru que ce serait encore un été pour rien. Un été meurtrier pour quelques-uns, victimes d’un spectaculaire derecho au large de la Corse ou de précipitations torrentielles au Pakistan; un été de souffrance pour les plus fragiles face aux températures caniculaires ; un été de vaines polémiques, ponctué des sempiternels éléments de langage sur la mobilisation collective non punitive et une programmation écologique ambitieuse.

Jet ski, jets privés… Devant tant de provocations, on a failli se résigner à siroter un… Get 27, en toute modération bien sûr

Autant vous dire que le moral fin août était contrasté. Le président de la République avait pu tranquillement réaffirmer sa ligne politique que l’on qualifiera de libérale-américaine, après une petite virée en jet ski, et adresser indirectement une remontrance à son ministre Clément Beaune qui voulait réguler l’usage des jets… privés. Touchez pas au grisbi, ou plutôt aux joujous de la haute. Pour tout vous avouer, devant tant de provocations, on a failli se résigner à siroter un… Get 27, en toute modération bien sûr. C’est vous dire notre désarroi.

On s’est même approché du précipice à l’«annonce» par le Parisien d’une possible réduction du nombre de trains cet hiver pour cause de pénuries électriques. C’était le pompon. Vous reprendrez bien votre voiture, chers Français ? A moins que vous ne restiez chez vous à regarder BFM TV ? Grosse déprime.

Heureusement ils sont arrivés… Ils nous ont sauvés, grâce à un buzz spontané, immersif et improbable, une séquence qui caramélise tous les sceptiques de la planète. Le char à voile de l’entraîneur du PSG Christophe Galtier, et l’hilarité conséquente du jeune Mbappé. 30 millions de vues en 24 heures… La condamnation unanime d’une forme de mépris de classe. Et en quelques heures, un monumental renversement de l’opinion dominante: et s’il fallait aussi toucher à quelques symboles pour changer de paradigme ?

Comme l’a très justement écrit notre confrère Thomas Legrand dans sa chronique quotidienne à Libération, «le coup des 0,01 % de bilan carbone pour dédouaner l’utilisation à tout-va des jets privés revient à dire à tous les quidams qui se préoccupent de leur bilan carbone, en privilégiant les transports en commun, que leurs efforts sont dérisoires. […] Il s’agit désormais de promouvoir une morale conséquentialiste, c’est-à-dire fondée sur les conséquences des actes et des choix de chacun et non pas sur des normes sociales ou des principes intangibles.»

Tiens! et si c’était Clément Beaune qui avait eu raison au cœur de l’été ?

Voilà qui nous va bien. On renvoie dos à dos l’égoïsme de classe et l’égalitarisme réducteur. Ni libertarisme à l’américaine ni dictature écologique, mais au contraire, la voie d’une mobilisation collective encouragée par la société civile et balisée par des outils de régulation. Le PSG ne s’y est pas trompé qui craint de voir son image – et son attractivité marchande – affectées par une telle séquence. Tiens! et si c’était Clément Beaune qui avait eu raison au cœur de l’été ? Utiliser le levier du kérosène, réguler par le prix ou quelques taxes spécifiques sur l’aviation d’affaires.

Ca va donc mieux depuis quelques jours, mais gardons-nous de toute euphorie : le héraut élyséen de la voiture et les comptables de la République n’ont pas encore désarmé, il en faudra des efforts pour que les courbes de financement public se redressent. Alors que les Français ont plébiscité le train, tous les trains cet été (TGV, Intercités, TER), probablement au-delà d’un mécanique rebond post-Covid, nul signe majeur de réinvestissement dans le transport collectif. Il a fallu l’insistance des sénateurs et particulièrement de Philippe Tabarot pour imposer au gouvernement d’Elisabeth Borne la possibilité de prise en charge par l’employeur à 75% de l’abonnement transport du salarié (contre 50% jusqu’ici). Voilà un premier exemple concret du réveil du Parlement. A défaut, la France aurait été le seul pays à ne pas tenter quelque chose pour doper la fréquentation de ses réseaux de transport public.

Ici c’est Paris, comme on dit au PSG, et à Paris on se laisse surtout bercer par l’euphorie des taux de remplissage du TGV

Pire, on se permet encore de se gausser de l’initiative allemande du billet à 9 euros, au motif tout à fait exact qu’il n’a pas généré de report modal. Oublierait-on que nos voisins sont en train de rectifier le tir ? Que les Espagnols rendent gratuits jusqu’au 31 décembre certains parcours quotidiens ? Que les Italiens alignent les dizaines de milliards ? Ici c’est Paris, comme on dit au PSG, et à Paris on se laisse surtout bercer par l’euphorie des taux de remplissage du TGV. Comme au bon vieux temps.

Ainsi va, ou plutôt ne va plus, le système ferroviaire français en cette fin 2022, moralisé du point de vue de ses comptes, avec le Nouveau Pacte ferroviaire de 2018 et la mise en place de SA qui interdit la création de déficits. Mais cette morale-là, aussi justifiée soit-elle, ne peut valoir ambition d’avenir. On ne peut plus se contenter des mots de 2017 et du printemps 2022 sur les transports du quotidien : des signes tangibles de soutien sont attendus dès le PLF (projet de loi de Finances) 2023. Au-delà, surtout, la mise en place d’une loi de programmation ferroviaire pluri-annuelle pourrait enfin donner de la visibilité à la filière. Les contrats de performance avec Réseau et Gares & Connexions, signés en loucedé, sont de fait déjà en total décalage avec la réalité du réseau et les besoins des voyageurs et des chargeurs.

Il appartient au politique, et singulièrement au Parlement newlook, de se réveiller et de financer, au-delà même du ferroviaire, l’essor d’une offre de transport multimodale décarbonée, y compris pour les marchandises. Les métropoles et les collectivités territoriales y sont prêtes, et une partie de nos concitoyens aussi, manifestement, même s’il ne faut pas sous-estimer la puissance d’attraction de la voiture individuelle.

Car il va falloir améliorer encore davantage la qualité de service et respecter les engagements auprès des voyageurs. Un certain reflux du SNCF bashing cet été est à saluer, mais ne doit pas faire oublier de graves lacunes dans plusieurs gestions de crises estivales. D’une certaine façon, de ce point de vue, l’aérien a soulagé le ferroviaire, avec la crise des bagages de Roissy en juin et les trop nombreux reports/annulations de vols, sans respect des compensations prévues par l’Europe. Le ministre Clément Beaune a envoyé la semaine dernière plusieurs missives pour rappeler leurs devoirs aux différents acteurs de l’aérien, et pas seulement français comme certains médias l’ont laissé entendre.

Cette initiative nous semble particulièrement intéressante si elle ressort d’une gouvernance politique actualisée du secteur des transports dans son ensemble. Débarrassés d’une tutelle exagérément interventionniste, les opérateurs ont malheureusement pris quelques libertés avec certains de leurs devoirs au quotidien. On nous oppose encore régulièrement des statistiques compilées qui aplatissent les perturbations subies. Que veut dire une moyenne de régularité régionale à 85% quand sur une ligne en exploitation, pour un voyageur pendulaire, trois ou quatre trajets par semaine sur dix sont fortement affectés ?

Il faudrait d’une certaine façon aboutir à une sorte de deal gagnant/gagnant : j’arrête de faire de la com trompeuse avec des statistiques globales, tu reconnais la valeur de mes performances. Cet été, par exemple, en pleine canicule, des dizaines de chantiers ont été menés dans toute l’Ile-de-France, par la SNCF, la RATP, sur le Grand Paris Express.

Bon, manifestement ça y est, on a replongé dans la marmite. Un peu plus optimiste qu’au cœur de l’été, même si… Malgré quelques frémissements, l’heure de la refondation d’une politique de mobilité, celle-là sans instrumentalisation de l’histoire de la Résistance, n’a pas encore sonné. G. D.

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