Mobitelex 228 – 7 septembre 2018

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Mobitélex. L'information transport

les décryptages de Mobilettre

POLITIQUE

Ce que peut changer l’arrivée de François de Rugy

Nouveau ministre, nouvelle donne. Autant Nicolas Hulot avait choisi ses combats, autant François de Rugy entend exercer l’ensemble des compétences que lui confère son périmètre d’attribution ministériel – y compris, donc, les questions de mobilité. Car outre sa volonté politique de peser sur tous les aspects de la politique environnementale, l’ex-candidat aux primaires socialistes a une appétence toute particulière pour les transports: au début de sa carrière politique, comme jeune adjoint à la mairie de Nantes, c’est sur ce domaine qu’il s’était fait connaître, en en saisissant la complexité et en comprenant déjà leur grande sensibilité politique et médiatique.

Le nouveau ministre exercera toutes les compétences de ses attributions ministérielles – y compris, donc, les questions de mobilité

Quel tandem formera-t-il avec Elisabeth Borne, qui n’a laissé aucune miette transports à Nicolas Hulot? Sur le papier, ils sont complémentaires: lui très politique, elle très techno. Et justement, après la séquence ferroviaire du printemps, il va falloir un certain doigté politique pour que les sujets transports ne subissent pas la dictature du Budget et ne disparaissent pas de l’agenda gouvernemental au profit d’autres priorités. Comment confirmer les arbitrages difficiles sur les infrastructures alors que Bercy se lamente encore soir et matin des conséquences de la reprise de la dette SNCF? L’avertissement de Gênes suffira-t-il? Il y a aussi le plan vélo, la transition énergétique, les gares et les pôles d’échanges multimodaux etc.

Le nouveau ministre devrait arriver aux affaires avec une directrice de cabinet qui connaît bien ces questions: Véronique Hamayon fut secrétaire générale du Stif pendant la majeure partie de la décade de Sophie Mougard, puis dircab des secrétaires d’Etat aux Transports Frédéric Cuvillier et Alain Vidalies – elle partagea leur souffrance au contact d’une Ségolène Royal au sommet de son autolâtrie, et qui avait alors comme dircab… Elisabeth Borne. En quelques mois, à la présidence de l’Assemblée nationale, où Véronique Hamayon était arrivée à la fin du printemps pour diriger son cabinet, François de Rugy a apprécié sa rigueur et sa force de travail: il souhaite qu’elle le suive à Roquelaure. Voudra-t-il montrer que les défaites de Nicolas Hulot sont aussi dues à un manque d’obstination et de préparation des batailles interministérielles? S’appuiera-t-il sur l’opinion publique pour contrebalancer le poids de certains lobbies?


INDUSTRIE

Appel d’offres Intercités: l’étrange mission flash
de l’Assemblée nationale

L‘agenda de la commission des Finances de l’Assemblée nationale ne la mentionne pas, mais selon des informations concordantes, c’est bien la semaine prochaine que ses membres auditionneront un certain nombre d’acteurs de l’appel d’offres Intercités. Cet appel d’offres avait été décidé par Alain Vidalies suite à une expertise juridique qui avait conclu que les commandes de matériel roulant pour les trois lignes structurantes à la charge de l’Etat (POLT, Paris-Clermont et Bordeaux-Marseille) ne pouvaient se faire sous l’auvent du contrat-cadre des TER, utilisé pour d’autres liaisons Intercités plus courtes, et ce malgré la pression d’Alstom. L’arbitrage semblait logique, y compris au vu d’une redynamisation des longues distances sur voies classiques qui permettait de renoncer aux coûteux investissements de LGV.

Les députés souhaitent réexaminer l’«utilité» d’un appel d’offres pourtant décidé par le gouvernement Valls en 2015 suite à une expertise juridique indiscutable

Le processus d’appel d’offres a donc suivi son cours, pour une tranche ferme de 28 rames (et une optionnelle de 75), à un prix maximum de 23 millions d’euros la rame. Deux constructeurs ont remis des offres (Alstom et CAF), en cours d’évaluation par le maître d’œuvre SNCF. Mais à l’initiative notamment du député du Nord Fabien Roussel (PC), la Commission des Finances de l’Assemblée nationale souhaite quand même (et manifestement très discrètement) réexaminer l’«utilité» de cet appel d’offres…

Est-ce à nouveau l’union politique sacrée autour d’Alstom qui pourrait ne pas gagner cet appel d’offres qui dépasserait probablement les 800 millions d’euros pour 43 rames, si les 15 rames nécessaires à Bordeaux-Marseille étaient ajoutées aux 28 de Polt et Paris-Clermont? Anne-Laure Cattelot, jeune députée LREM… du Nord, serait co-rapporteure de cette mission, au sein de laquelle on compte aussi de vieux briscards de la politique industrielle, comme Gilles Carrez et Eric Woerth.

L’initiative paraît pour le moins surprenante, ne serait-ce que d’un point de vue juridique: comment interrompre une procédure menée par le ministère des Transports lui-même? On se souvient de l’appel d’offres RER NG, dont les conditions finales de l’attribution par la SNCF à Alstom avaient été obscures et rocambolesques. Mais cette fois-ci, c’est l’Etat lui-même qui est aux commandes de l’appel d’offres, avec la SNCF comme maître d’œuvre.

Respect des règles et procédures vs nationalisme industriel et clientélisme: voilà un nouvel épisode du dilemme qui alimente la schizophrénie d’une partie de la classe politique. On vote des lois et on applique des dispositions libérales, mais on voudrait bien que le résultat ne soit pas contraire aux intérêts politiques, locaux comme nationaux… A l’époque de l’arbitrage gouvernemental en faveur de l’appel d’offres, soutenu avec rigueur et vigueur par Alain Vidalies sur la foi d’une expertise juridique indiscutable, un certain Emmanuel Macron ministre de l’Economie, s’était montré dubitatif : était-ce bien la peine de relancer une procédure? Sous-entendu: alors qu’Alstom a des trains tout prêts…


CRISES

SNCF à Marseille: pourquoi le rail a-t-il cassé?

Les conclusions du rapport d’enquête de la SNCF sur le déraillement du TGV en gare de Marseille Saint-Charles le 24 août dernier sont résumées en une phrase: «Au vu de l’ensemble des éléments recueillis sur le domaine de l’Infrastructure, les enquêteurs de la Direction des Audits de Sécurité retiennent comme cause immédiate du déraillement le scénario d’une évolution d’un défaut oxydé non visible sous le patin du rail en une rupture sous le passage d’un essieu, suivi d’efforts latéraux répétés conduisant à un désaffleurement du rail, puis à la montée d’un essieu du TGV 6145».

Une fissure invisible du rail est donc à l’origine de sa rupture. Mais les enquêteurs eux-mêmes n’ont pas d’explication définitive et plus précise sur la cause exacte de cette rupture, ni sur le déraillement: si tous les rails oxydés ou fissurés cassaient et si tous les rails cassés provoquaient des déraillements, mieux vaudrait passer tout de suite au vélo ou à la marche à pied. L’hypothèse pour l’instant privilégiée est celle du «caractère sinueux du parcours en gare Saint-Charles». C’est encore vague et insuffisant comme explication. Des examens et des simulations complémentaires, y compris avec du matériel roulant, vont être menés pour établir les scénarios précis de la cassure puis du déraillement.

DOCUMENT

rail

Le rail cassé et deux boulons manquants

Mobilettre a récupéré la photographie complète du rail cassé, et s’est demandé pourquoi il manquait deux boulons à l’éclisse. «Les traces fraîches sur le rail et sur l’éclisse attestent la « descente » de roue lors du déraillement et le sectionnement consécutif de deux boulons de l’éclisse», a répondu la SNCF. Dont acte. On attend désormais l’analyse du BEA-TT, la justice ayant renoncé à toute procédure à ce stade puisqu’il n’y a ni victime ni soupçon d’acte de malveillance.

Une situation bien maîtrisée

«Le pilotage de cette crise a été globalement très correct sur les plans techniques et voyageurs, le volet médiatique a été également très bien maîtrisé sur la durée»: la SNCF se décerne, dans un document interne, un satisfecit pour la façon dont elle a réagi au déraillement du TGV 6145 le vendredi 24 juillet. Au tableau d’honneur, l’efficacité des opérations de remise sur rail, la réorganisation du plan de transport comme la disponibilité des informations digitales pour les voyageurs dès le dimanche. Quelques regrets malgré tout dans ce bilan positif, comme « une maitrise insuffisante de la situation dans les premières heures» – la circulation du poste principal a été totalement bloquée alors que de nombreux itinéraires n’étaient pas impactés.

Est-ce la répétition des crises qui instruit et fait progresser? En l’occurrence, le choix de laisser les locaux aux manettes de la crise et de la communication a semblé payant – en l’occurrence deux hommes d’expérience (Jean-Aimé Mougenot directeur régional et Jean-François Trestard à la com).

RATP à Paris: les lacunes sont identifiées

Quand ce n’est pas la SNCF c’est la RATP… Deux incidents majeurs ont perturbé les deux lignes de métro automatique à Paris, le 31 juillet avec l’évacuation longue et difficile d’environ 3000 voyageurs dans une chaleur extrême (ligne 1), le 29 août avec une panne totale d’alimentation électrique en début de soirée (ligne 14). Mobilettre a récupéré les explications de ces deux crises qui, notamment pour la première, ont provoqué de vives réactions chez les élus et sur les réseaux sociaux.

  • Ligne 1: la gestion de l’incident est à revoir

L’incident était répertorié: un train devenu muet (c’est-à-dire qu’il n’est plus identifié par le système) s’immobilise et bloque la rame qui le suit. Dans ce cas, la procédure est simple: un agent qualifié fait redémarrer la rame en manuel. Le 31 juillet dernier, c’est ce qu’il s’est passé, au bout de 20 à 25 minutes, le temps que l’agent rejoigne la rame immobilisée. Mais ce qui n’était pas prévu, c’est que la deuxième rame, elle, ne reparte pas en automatique, et continue de fait à bloquer les autres rames sur la ligne, très nombreux du fait de l’interruption de circulation du RER A pour cause de travaux estivaux.

Le temps qu’un deuxième agent qualifié arrive, quarante minutes après le début de l’incident, plusieurs voyageurs indisposés par la chaleur (car la ventilation réfrigérée des rames fonctionne extrêmement mal…) et le manque d’information ont perdu patience et actionné les freins de secours, ce qui libère les portes et coupe l’alimentation électrique sur toute la ligne. Impossible de faire repartir la moindre rame: il faut évacuer des milliers de voyageurs, ce qui prendra plus de deux heures… La mobilisation d’au moins 200 agents ne suffit pas à endiguer le flot de protestations.

Cette séquence oblige la RATP à analyser trois défaillances:
– une gestion technique trop «optimiste» de l’incident. Jusqu’au redémarrage de la première rame muette, tout est sous contrôle. Mais le process de gestion de l’incident ne prévoit pas le deuxième problème, le non-redémarrage de la deuxième rame. Du coup, la situation devient potentiellement critique car le niveau d’acceptabilité des voyageurs est dépassé, au-delà de la demi-heure, dans la chaleur, sans eau et sans information crédible. Il semble probable que la RATP, dans le cas de figure d’une rame devenue muette, doive envoyer systématiquement un deuxième agent pour veiller au redémarrage de la deuxième rame.

– une information voyageurs pas suffisamment réactive. Submergé par les appels (131 boutons d’appels ont été actionnés), le responsable de la ligne a privilégié les réponses personnalisées et n’a délivré dans les rames qu’une information trop générale, répétitive et pas assez rassurante.

– une évacuation trop lente et imparfaite. Malgré la mobilisation rapide des agents une fois établi le constat que les rames ne redémarreraient pas, l’ampleur de la crise (il fallait aussi gérer les voyageurs en attente sur les quais et dans les espaces) a compliqué les opérations: très peu de bouteilles d’eau distribuées, des messages inaudibles etc.

  • Ligne 14: l’alarme est passée inaperçue…

Le mercredi 29 août, à 19 heures, le PCC de la ligne 14 constate la mise hors tension électrique de toutes les sections. Une seule solution est vite envisagée: l’évacuation, réalisée en 1h15, ce qui ne fera rater à quelques spectateurs qu’une petite partie du concert de Britney Spears à l’Accor Arena (bon, là, pour le coup, une évacuation plus lente n’aurait pas été un drame culturel).

Rien à dire sur cette gestion-là de la crise. En revanche, la RATP n’aurait pas dû subir la panne électrique: c’est à 17 heures, soit deux heures avant la mise hors tension du réseau, que le disjoncteur différentiel basse tension qui commande le circuit des disjoncteurs haute tension a sauté, ce qui a provoqué automatiquement le relais des batteries de secours. Mais à 19 heures, elles étaient à plat… Entre 17h et 19h, l’alarme sur le disjoncteur différentiel n’a pas été repérée, ce qui pose le problème de la gestion des alarmes critiques dans le flot des alarmes banales.

Pour la RATP, septembre et octobre vont voir se multiplier les REX, en conseil d’administration comme devant IDFM et le ministère des Transports. Une meilleure gestion des incidents des métros automatiques est impérative. Les remarquables performances des métros automatiques en matière de régularité ne peuvent constituer des «excuses» aux quelques très rares crises depuis la mise en service des lignes 1 et 14: le voyageur admet difficilement un blocage prolongé dans un tunnel (au-delà de 30 minutes?), a fortiori quand l’information est insuffisante et la ventilation réfrigérée défaillante.

Boston: RATP Dev «regardera» le dossier

Ce n’est pas encore la promesse d’un affrontement au sommet, mais la perspective est en elle-même émoustillante: moins de quatre ans (mi-2022) avant l’achèvement du méga-contrat des trains de banlieue de Boston, RATP Dev ne cache pas son intention de «regarder» le dossier du futur appel d’offres du MTA. Après la guerre Transdev-Keolis, un combat RATP-Keolis dans le Massachussets?

Oeil pour œil, dent pour dent? Partenaires à Doha ou sur CDG Express, Keolis et RATP Dev ne se font aucun cadeau sur tous les autres fronts. L’entreprise du quai de la Râpée n’a toujours pas digéré l’année dernière la perte du contrat de Manchester au profit de son rival qui n’avait pas hésité à concourir lors de l’appel d’offres de renouvellement, en considérant que la RATP n’avait rien gagné puisqu’elle avait hérité du marché suite à son rachat de la société exploitante de Metrolink en 2011… Bien implantée à Ryiad, RATP Dev n’avait pas non plus apprécié de voir débarquer Keolis sur le dossier du métro, il y a deux ans. Mais ce coup-là, c’est elle qui sortira vainqueur de la compétition car elle devrait signer incessamment le contrat d’exploitation avec les autorités saoudiennes.

CAP 22

Le rapport qui veut transférer aux régions le financement du réseau ferroviaire d’intérêt régional

La commande de rapports est florissante. Il y a eu le rapport Spinetta et le rapport du Comité d’orientation des investissements. On en a beaucoup parlé. On en parlera peut-être à nouveau. Il y a eu aussi le rapport du Comité Action Publique 2022, en juin et que le gouvernement n’a pas souhaité rendre public. On en a moins parlé. Le libéralisme assumé des premiers mois est moins en vogue… Il contient pourtant des propositions qui concernent les transports. On vous les livre, au cas où cela donnerait des idées…

Le point commun entre elles, c’est qu’elles ont un objectif – a priori légitime – qui est « d’éviter les dépenses publiques inutiles ». A ce titre et pour « améliorer le partenariat entre l’Etat et les collectivités territoriales », le Comité préconise de nouveaux transferts de compétence: « Dans le domaine du transport ferroviaire, donner aux régions tous les leviers pour mettre en œuvre une offre de qualité à un coût maîtrisé, comprenant les externalités (pollution, embouteillages…) et coût de réseau. Il s’agit de transférer aux régions la responsabilité totale du financement du réseau ferroviaire d’intérêt régional, en arrêtant les cofinancements dans le cadre des contrats de plan Etat-Régions (NDLR : une note de bas de page précise toutefois que ce serait seulement à la fin de l’actuelle génération de contrats, soit 2020), d’accompagner l’ouverture à la concurrence des trains express régionaux (TER), de rationaliser les services ferroviaires en recherchant les solutions et le cas échéant, les alternatives les plus pertinentes pour assurer l’offre de transport publique régionale.» Et pour les routes, aux départements de payer: le Comité propose dans le domaine du transport routier, de «remettre en cohérence le réseau routier national en transférant aux départements les routes qui ont perdu leur vocation de desserte nationale (soit jusqu’à 2000 km).» Voilà pour le partenariat! Cela plombe un peu l’ambiance vu qu’il n’y a pas de transfert de financement prévu….

Autre idée: «Développer les externalisations». En plus de la décentralisation prévue, le rapport propose, en ce qui concerne toujours le transport routier, de «mettre à l’étude le transfert dans les concessions autoroutières existantes d’un peu plus d’une quinzaine de tronçons, représentant environ 150 km, pour lesquels cela semble cohérent et qui ont été identifiés par le ministère en charge des transports. Plus largement,» estime le Comité, «on pourrait développer l’externalisation du réseau routier des collectivités et de l’Etat selon un découpage territorial pertinent (par axes ou par territoires), au-delà de ce qui est déjà pratiqué.» De nouvelles concessions donc?

La dernière proposition est plus classique, puisqu’il s’agit d’étendre le principe utilisateur/payeur en «favorisant la mise en place d’un péage urbain dans les principales métropoles» et en instaurant au niveau national «une vignette poids lourds pour l’usage du réseau national non concédé.»


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