Mobitelex 362 – 7 janvier 2022

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Mobitélex. L'information transport

les décryptages de Mobilettre

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Janvier à sec

Pour la deuxième année consécutive la plupart des cérémonies de vœux sont annulées et nous privent de ces échanges rituels qui égaient un premier mois calendaire jamais très folichon. Sous cet aspect-là, prenons la nouvelle offensive du Covid de façon positive: ce dry january sous la contrainte permet de préparer au mieux un printemps politique sportif.

En revanche, la période est franchement plus désagréable sous ses aspects opérationnels: des offres de transport réduites par manque de personnel en ce début janvier, c’est un quotidien perturbé pour tous ceux qui n’ont pas d’autre choix que de prendre métros, bus ou trams. Une sorte de double peine pour les exclus du télétravail.

Des offres de transport réduites par manque de personnel, c’est la double peine pour les exclus du télétravail

Bon, l’excuse Covid est parfois un peu vite dégainée par les communicants pour camoufler quelques turpitudes internes moins avouables, mais là n’est pas le plus important: le variant Omicron achève de rappeler la sensibilité d’un certain nombre de services essentiels. Et à vrai dire, c’est une bonne chose.

Qui dit services essentiels dit souvent servitudes d’emploi. En l’occurrence, les contraintes de rythmes et d’horaires de travail sont moins bien acceptées par nombre de salariés après deux années de pandémie. Jusqu’ici la plupart des Français ne s’en émeuvaient guère – quelques applaudissements à l’adresse du personnel hospitalier, et surtout l’espoir d’un retour à la «normale», évitaient de se poser des questions trop fondamentales. Mais si la désorganisation se poursuit, l’affaire deviendrait plus embêtante pour tout un chacun….

Car les signes sont nombreux d’une pénurie de recrutements des personnels que nous qualifierons d’astreinte. «Soyez indulgents avec nos employés!», a-t-on lu cet automne dans des restaurants québécois qui jouaient franc-jeu avec leur clientèle. Verrait-on des messages similaires sur les quais et dans les hôpitaux hexagonaux: «Soyez indulgents avec les cheminots et les infirmières qui font ce qu’ils peuvent»?

Les tensions sociales spécifiques à notre pays lui reviennent en boomerang en ce mois de janvier. La constante stigmatisation et dévalorisation de plusieurs professions de première ligne, depuis de nombreuses années, menace bel et bien la qualité et la performance de services publics essentiels: l’éducation, la santé, la mobilité. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette crise pandémique que d’alimenter un reflux des outrances comptables et libérales. G. D.

SNCF

Les effets retard de la suppression du statut cheminot

Déstabilisation des syndicats, renforcement des contestations catégorielles, accroissement des coûts pour les contractuels…

Emmanuel Macron avait fait de la suppression du statut des cheminots un symbole de sa volonté de réforme. Il l’a voulu, il l’a eu. Aujourd’hui tout nouvel embauché à la SNCF est un salarié de droit commun. Mais au-delà de ce simple fait, on n’a peut-être pas bien mesuré toutes les conséquences de cette suppression.

Pour les organisations syndicales, cela va changer totalement la donne : la défense du statut a longtemps constitué un ciment puissant et un objectif simple de revendications communes. Désormais, les cheminots encore au statut ne se sentent plus menacés; quant aux contractuels, ce n’est pas leur problème. A terme, à mesure que les effectifs de statutaires se réduisent, les OS perdront également ce puissant outil de fidélisation des troupes que sont les commissions de notation.

Le statut cheminot, dérogatoire au droit du travail, s’il coûtait cher à la collectivité, présentait des avantages pour l’entreprise

A l’heure du chacun pour soi et de l’éclatement de la « grande maison » SNCF en autant de SA, on voit déjà poindre des revendications catégorielles, assez largement dominées par les questions de rémunération. Va-t-on vers une situation proche de celle d’Air France où pilotes, personnels navigants et personnels au sol se la jouent perso ? Va-t-on vers des conflits localisés, circonscrits à un atelier, à un axe, à une catégorie de personnels où les organisations nationales auront peu de prise et où les accords locaux risquent de revenir pour régler les problèmes ? Qu’on le veuille ou non, un conducteur de TGV de l’axe Atlantique ne pèse pas pareil qu’un tractionnaire du fret.

Le volet financier, c’est bien l’une des faces cachées des conséquences de la suppression du statut. L’appât du statut ayant disparu, pour recruter des contractuels – et surtout pour les fidéliser – il faut mettre de l’argent sur la table, multiplier les primes. On voit déjà ici et là l’accélération des mouvements, des démissions rapides: «L’esprit de famille» n’existe pas pour les contractuels, d’autant que la perspective d’une retraite calculée sur les six derniers mois d’activité ne les concerne pas. Il n’y a donc aucun frein à aller voir ailleurs. Il suffit de «traverser la rue».

Puisque l’on parle argent, il faut bien dire aussi que le statut, dérogatoire au droit du travail, s’il coûtait cher à la collectivité, présentait des avantages pour l’entreprise. Travail de nuit, astreinte, tout cela il faudra le payer demain au prix fort et de plus en plus fort lorsqu’il n’y aura plus que des contractuels.

Enfin, les métiers du ferroviaire demandent des formations spécifiques, souvent longues. Jusqu’à présent, l’entreprise les amortissait sur la durée : former un salarié qui faisait toute sa carrière à la SNCF n’était pas un problème. Le coût de la formation va désormais en devenir un. Déjà certains contrats comportent des clauses de rachat si le salarié quitte prématurément l’entreprise. Mais sur les métiers « rares » cela ne constitue pas une solution : pour « s’acheter » un conducteur, un nouvel entrant n’hésite pas à prendre à sa charge les droits que devraient acquitter le salarié.

COMMENTAIRE

Le mauvais choix

Que l’on ne s’y trompe pas, Mobilettre ne refait pas le match de 2018 – c’est facile de réécrire l’Histoire à la lumière du présent. Notre propos consiste simplement à mettre en lumière certains effets retard de la suppression du statut qui vont achever de diviser la grande SNCF.

Au demeurant, plus que le statut lui-même dont nous avons toujours pensé que sa suppression constituait un totem politique plus qu’une nécessité économique, c’est le très complexe canevas juridico-organisationnel de la SNCF qui nous semble produire l’essentiel des surcoûts et des déficits de productivité. Et pour le coup, ce n’est pas une seule loi miraculeuse qui pourrait simplifier le fatras actuel, mais un ingrat et patient travail… qui ne suscite aucun enthousiasme.

Le choix du gouvernement Philippe de mettre fin à tout prix au statut paraît aujourd’hui anachronique au vu de la faible attractivité des métiers d’astreinte. Il pourrait coûter très cher à la SNCF dans les années qui viennent.


INTERNATIONAL

Keolis en Allemagne, une retraite douloureuse

Les dirigeants sont soulagés de s’être délaissés du fardeau. Mais le passé coûte cher…

Sur l’objectif, manifestement tout le monde était d’accord à Keolis, depuis le constat effectué par Patrick Jeantet à son arrivée au printemps 2020, repris par sa successeure Marie-Ange Debon: il fallait se désengager au plus vite des activités ferroviaires en Allemagne. Trop de pertes, assurément, et de manière générale trop d’emmerdes, si l’on se sent désormais autorisé à parler ainsi.

Préférons malgré tout un langage châtié – en l’occurrence empruntons l’image du mauvais sparadrap. Il vous colle aux doigts tant que nous n’avez pas trouvé de nouveau porteur, et il risque de vous poursuivre longtemps si vous vous en débarrassez à la légère. Par conséquent, en annonçant le 23 décembre dernier avoir cédé ses activités ferroviaires allemandes à un nouvel actionnaire, TEAM Treuhand GmbH, filiale du Groupe Noerr spécialisé dans la restructuration d’entreprises en difficulté, les dirigeants de Keolis exhalaient le soulagement. La décision était prise en accord avec les autorités de Rhénanie du Nord, les emplois des 900 salariés étaient préservés et la continuité du service public assurée. Ouf…

Une retraite que Bernard Tabary, directeur exécutif International de Keolis, commente auprès de Mobilettre avec son sens inné de la formule: «Mieux vaut une fin douloureuse qu’une douleur sans fin.» Effectivement, selon nos informations, si la retraite est heureuse, elle coûte cher: 135 millions d’euros auraient été versés aux repreneurs. Même si l’on ne connaît pas le montant des pertes annuelles, le groupe ne s’en sortirait pas si mal, puisque l’échéance du dernier contrat était prévue en 2032.

Les raisons du désastre économique sont connues: des pénalités toutes causes bien trop élevées et des mécanismes d’indexation très défavorables. Vu la pénurie de conducteurs et les perturbations dues aux travaux sur les voies, l’exploitation devenait impossible à coûts raisonnables. Et Keolis n’était pas le seul opérateur à souffrir outre-Rhin.

Reste qu’on ne peut mettre de côté les conditions dans lesquelles les quatre réseaux de Rhénanie avaient été gagnés par la filiale de la SNCF. Notamment, pour les deux marchés repris à Veolia Transport en 2011, rien n’était plus beau alors qu’une victoire – à n’importe quel prix? C’était l’époque de la croissance tous azimuts du chiffre d’affaires du groupe SNCF en général, et de Keolis en Allemagne en particulier. Dix ans plus tard, la facture est lourde.

Par ailleurs, le choix d’un repreneur privé n’allait pas de soi juridiquement. Il a fallu qu’un arrêté du 23 décembre (publié au Journal Officiel du 28 décembre) autorise l’opération, à savoir «la cession par la société Keolis SA à la société Bambino 214. VV UG de 1 part de la société Keolis Deutschland GmbH & Co. KG, soit 100 % du capital de cette société». Le repreneur TEAM Treuhand GmbH, ci-dessus joliment nommé Bambino («Tu as toute la vie pour souffrir comme les grands», chantait Dalida…) n’est ni un opérateur public ni un opérateur ferroviaire compétent, mais un spécialiste des restructurations. A voir, donc, comment il procédera pour transmettre à son tour l’exploitation dans de bonnes conditions. L’histoire n’est pas complètement finie.

Go-Ahead, un allié en difficulté

La cotation de Go-Ahead a été suspendue mardi dernier à la Bourse de Londres, car l’opérateur britannique n’a pas déposé ses comptes dans les délais prévus. Cela fait suite aux déboires liés à l’exploitation de la franchise Southeastern, détenue en commun avec Keolis (minoritaire à 35%). En septembre dernier, le gouvernement anglais avait en effet déchu l’opérateur de son contrat de franchise car il n’avait pas déclaré 25 millions de livres sterling d’aides publiques qui auraient dû être remboursées.

AEROPORTS

ADP International, des pratiques peu glorieuses

C’est par la vertu d’un accord transactionnel que l’on a la confirmation officielle de pratiques frauduleuses réalisées par la filiale internationale du groupe ADP en matière d’appels d’offres. La rumeur courait depuis plusieurs années, elle est désormais étayée juridiquement: ADP International est exclu pour douze mois de tout projet financé par IFC (Société financière internationale), la filiale de financement de la Banque Mondiale, avec une période probatoire supplémentaire de douze mois.

Les faits reprochés à ADP International par la Banque Mondiale remontent à 2013 et 2015: «Des pratiques considérées comme frauduleuses et collusoires intervenues à l’occasion des procédures d’appels d’offres organisées pour l’attribution des concessions des aéroports de Zagreb en Croatie et d’Antananarivo et de Nosy Be à Madagascar». Ces pratiques n’ont pas été détaillées dans le cadre de l’accord transactionnel, mais il s’agit de la tenue de réunions et du versement de commissions incompatibles avec les règlements d’attribution des longues concessions aéroportuaires (28 ans à Madagascar et 30 ans à Zagreb).


CARNET

Marc Papinutti, directeur général de la DGITM, devient Officier dans l’Ordre de la légion d’honneur, Laurence Batlle, ex-présidente du directoire de RATP Dev, est faite chevalier, de même que Valérie Vesque-Jeancard, présidente de Vinci Railways depuis juillet dernier.

Muriel Signouret, directrice de cabinet de Jean-Pierre Farandou, devient également directrice déléguée aux Territoires, aux Relations institutionnelles et à l’International. C’est l’officialisation d’une concentration des affaires «réservées» au plus près du président du groupe.

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