Mobitelex 365 – 31 janvier 2022

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Mobitélex. L'information transport

les décryptages de Mobilettre

Après tout

«Nous étions mi-janvier en ce creux de l’hiver où les courages s’épuisent», écrivait Clavel. En ce 31 janvier, considérons que nous remontons la pente.

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L’essence de la politique

Il fallait bien que ça arrive: Geoffroy Roux de Bézieux, le patron du Medef, a proposé publiquement la semaine dernière la suppression du Versement Mobilité (VM) et, ce qui a provoqué son écho médiatique, son remplacement par un chèque «essence ou véhicule» de 300 euros annuels. Certes, trois jours après, le programme officiel de l’organisation patronale attestait d’une marche arrière, sous de multiples pressions (lire ci-dessous). Fin du psychodrame? L’épisode mérite quelque analyse.

Comment échapper au piège du carburant trop cher qui pétrifie les gouvernants et fragilise les politiques publiques ambitieuses?

Passons sur la défense du VM, très bien assurée par les organisations représentatives d’élus. Passons même sur ses travers et ses limites – une ressource sûre qui dissuade parfois les autorités organisatrices de privilégier les flux-domicile-travail au bénéfice de dessertes plus «électorales». Et posons plutôt la question: comment échapper au piège de l’essence trop chère qui pétrifie les gouvernants et fragilise les politiques publiques les plus ambitieuses ?

Les vraies «victimes» du prix de l’essence sont celles et ceux qui bouclent si difficilement leurs fins de mois et n’ont vraiment pas d’autre choix que prendre quotidiennement leur véhicule pour aller travailler. Combien sont-ils? Assurément trop nombreux au regard de leur détresse sociale, mais pas assez pour justifier le niveau de vulnérabilité de tous les gouvernements sur la question.

TICPE flottante, chèque essence, défiscalisations des frais kilométriques… Chaque majorité amortit à sa manière les effets des crises successives sans savoir affronter sur la durée le tabou de la mobilité automobile et carbonée. Des débats publics caricaturaux («Faut-il abandonner sa voiture?») achèvent d’hystériser la question.

Davantage que de slogans et de calendriers assénés qui angoissent, c’est d’une planification et d’une méthode de la décarbonation dont les citoyens ont besoin. Les conséquences sur l’économie et la vie au quotidien de la fin du moteur thermique sont si importantes qu’il faut baliser avec soin les étapes de transition. Le chemin est indissociable de l’objectif, il est même un préalable indispensable à son acceptabilité.

Autrement dit, c’est l’exact contraire des gouvernances classiques: «Fixons la cible, l’intendance suivra», ou bien, «là où il y a une volonté il y a un chemin.» Les temps ont changé, la nostalgie des exécutifs à poigne nourrit les illusions électorales. Le grand défi des pouvoirs modernes consiste à tracer des chemins acceptables et partagés. En quelque sorte, l’essence de la politique, plutôt que la politique de l’essence. G. D.

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POLEMIQUE

Versement Mobilité:
les flottements du Medef

Attaque frontale le mardi, repli tactique le vendredi: l’organisation patronale est traversée par des envies contraires, entre réduire la fiscalité sur les entreprises, améliorer la desserte des sites d’emploi et préserver le transport public à la française.

Une polémique pour rien? En fin de semaine dernière, une version actualisée des propositions du Medef pour la présidentielle 2022 envoyait dans les archives des punchlines télévisuelles les déclarations radicales de Geoffroy Roux de Bézieux du mardi précédent, qui proposait de «remplacer le « versement transport » payé par les entreprises aux intercommunalités pour financer les transports en commun par une indemnité essence ou véhicule». Il faut dire que le patron du Medef avait pris de court une partie de ses propres adhérents, à savoir les opérateurs de mobilité et les industriels du transport qui savent tout ce qu’ils doivent depuis des décennies au Versement Transport devenu Versement Mobilité. Lesquelles entreprises ont reçu le soutien rapide et massif des associations d’élus, tout aussi inquiets de voir disparaître une manne ô combien précieuse quand tant de politiques publiques sont soumises à des mécanismes budgétaires encore plus complexes que la pensée du président Macron.

Que dit le nouveau texte?

S’il rappelle utilement certaines vertus du Versement Mobilité («Les transports publics permettent un gain de pouvoir d’achat pour les usagers et une réduction de l’empreinte carbone des mobilités»), il n’en cache pas plusieurs lacunes: «Dans certaines situations, les prises en charge de l’entreprise (NDLR le Versement Mobilité, mais aussi les remboursements kilométriques, une partie des abonnements longue distance, le forfait de mobilité durable) doublonnent à la charge de l’employeur, ce qui n’est pas justifié. Dans d’autres situations, les versements ne correspondent à aucun service effectif.»

S’en suivent quelques suggestions/propositions un peu plus constructives que celle du président Roux de Bézieux:

«que les collectivités autorités organisatrices de mobilité (AOM) fassent mieux converger leur offre avec les besoins de mobilité domicile-travail et qu’elles s’efforcent de couvrir les besoins de tous les salariés, notamment ceux qui habitent en périphérie des agglomérations et viennent quotidiennement y travailler»

«lorsque les transports publics restent inaccessibles à certains salariés éloignés et que le service n’est pas effectif, que les entreprises ne soient pas redevables d’un Versement Mobilité»

«que le Versement Mobilité soit modulé pour tenir compte du développement du télétravail, qui réduit l’usage des transports en commun»

«comme le préconise le rapport parlementaire Duron (2021), proscrire toute hausse du Versement Mobilité qui ne viserait qu’à financer la gratuité des transports publics : la persistance d’un « reste à payer » est indispensable à la compréhension des coûts par les usagers et au respect de l’outil de transport.»

Disons que de telles suggestions d’adaptation sont davantage compatibles avec la structure du transport public à la française, comme elles ont le mérite d’insister sur les trous dans la raquette des offres de mobilité, notamment en zone périphérique. Mais il faudrait sans doute aller bien plus loin, sans paralyser les dynamiques de création de valeur économique ni retomber dans l’économie administrée: les implantations de sites d’activités s’affranchissent encore trop souvent des questions d’accessibilité des salariés via le transport public. Pourtant, de nombreux chefs d’entreprise ont compris que leur attractivité dépend de plus en plus de la qualité de leur accessibilité, a fortiori si la croissance se poursuit.

En somme, il ne suffit pas de dénoncer les lacunes du Versement Mobilité, il faut aussi s’attaquer aux racines des absurdités du mitage périphérique.

La France périphérique, une représentation erronée?

C’est un livre qui, d’une certaine façon, est sorti «au mauvais moment», en 2019: un peu après les gilets jaunes, un peu avant la pandémie. «Ceux qui restent» *, écrit par le sociologue Benoît Coquard, est pourtant le récit instructif d’une étude immersive de plusieurs années dans les campagnes en déclin du Grand Est. L’auteur n’hésite pas à contredire le postulat dominant d’une France périphérique apathique et résignée, asservie par une France urbaine active et dominatrice. «La sociabilité des campagnes en déclin continue d’être intense et vitale», affirme-t-il, en contestant certains amalgames utilisés à fins de représentations politiques.

Deux ans plus tard, Benoît Coquard insiste et ajoute une touche plus idéologique à sa critique, dans un entretien récemment accordé à nos confrères de La Gazette: «Les inégalités de territoires cachent des inégalités de classe. Les classes sociales qui restent dans les territoires en déclin voient se dégrader leurs conditions de vie dans toute la France. Aujourd’hui, tout un tas de concepts masquent la réalité. Ce sont des écrans de fumée.»

* Ceux qui restent. Benoît Coquard, Ed La Découverte, 19€.

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FERROVIAIRE

La concurrence, sur tous les tons

La Bourgogne Franche-Comté planifie, les Hauts-de-France s’adaptent. SNCF Réseau change son discours

Première région à majorité de gauche à délibérer sur un calendrier d’ouverture à la concurrence, la région Bourgogne Franche Comté envoie un signal clair à la SNCF. Le 1er janvier 2026, c’est la totalité de l’offre TER qui devrait être soumise à compétition, soit 17 lignes et près de 2000 kilomètres. Pas question de renégocier de façon anticipée la convention actuelle pour redonner dix ans à l’opérateur historique: un avis de pré-information européen devrait confirmer prochainement l’intention de l’exécutif, qui voudrait lancer en 2023 les appels d’offres. Entre quatre et huit lots seraient définis, pour des durées de sept à dix ans. A noter une précaution prise à propos du matériel: «Le renouvellement et la rénovation de matériels pourront être éventuellement confiés en sus au groupement mandataire d’un lot d’exploitation.» La complexité du sujet matériel, voire la sensibilité sociale de l’avenir des ateliers, a incité les services et les élus régionaux à garder sous le coude l’expertise de la SNCF.

Accrochez-vous, car même si on simplifie, l’affaire est complexe juridiquement

Dans les Hauts-de-France, le report d’une année du calendrier d’ouverture a fait courir le bruit d’une hésitation politique. L’analyse du dossier raconte pourtant une autre histoire, liée à l’accès aux données de SNCF Voyageurs. Accrochez-vous, car même si on simplifie, l’affaire est complexe juridiquement.

En avril 2019, la Région saisit le régulateur en règlement de différend car elle estime que l’entreprise publique retient ses données. L’instruction dure une année, à l’issue de laquelle, en juillet 2020, l’ART enjoint la SNCF de fournir sous un mois les données demandées. Mais cette dernière sollicite un sursis à exécution, rejeté fin 2020 par la cour d’appel en attente d’un jugement sur le fond, qui devrait être rendu le… 10 mars prochain. Que la justice est rapide! Le 7 octobre dernier, lors de l’audience à la cour d’appel, les conclusions allaient clairement dans le sens d’un rejet des demandes de la SNCF.

On approche de l’épilogue? Probablement, d’autant plus qu’en ce début janvier l’ART décide une mise en demeure après avoir instruit une procédure en manquement… qu’elle n’avait pas, dans un premier temps, en mars 2021, voulu ouvrir elle-même sur la demande de la Région.

Devant une telle accumulation de mauvaises nouvelles, la SNCF aurait transmis une bonne partie des données manquantes. Mais ses atermoiements ont d’ores et déjà une conséquence: cela oblige la Région à mettre à jour le calendrier de consultation à destination des candidats, et probablement à prolonger l’exploitation par la SNCF sur les lots concernés.

Morale provisoire de l’histoire: beaucoup de temps perdu, que l’on peut assimiler à un frein objectif à l’ouverture à la concurrence. On est curieux d’entendre prochainement l’ART sur les leçons qu’elle tire de ce (long) épisode juridique.

L’ART a eu raison de l’intransigeance du GI, sommé de ne pas ériger de barrière à l’entrée

Est-ce au vu de tous ces éléments que SNCF Réseau se montre un peu plus allant sur son rôle spécifique de gestionnaire d’infrastructure, garant de la dynamique et de l’équité concurrentielles? Depuis son arrivée à la tête de l’entreprise, Luc Lallemand ne cachait guère sa priorité absolue: le cash flow libre en 2024. La concurrence, comment dire… Selon nos informations, il avait fallu trois réunions internes pour qu’une tarification incitative des sillons soit proposée à Trenitalia, conformément aux textes existants à propos des nouveaux entrants. Plus récemment, malgré les dispositions inscrites au DRR (document de référence du réseau), SNCF Réseau voulait faire payer à Railcoop le coût relatif à la réouverture nocturne de plusieurs postes d’aiguillage sur l’axe Bordeaux-Lyon – 500000 euros annuels! L’intervention de l’ART, saisie sur la question, a eu raison de l’intransigeance du GI, sommé de ne pas ériger de barrière à l’entrée.

Du coup, lors des vœux de l’entreprise, mardi 25 janvier, le président Luc Lallemand était accompagné d’Alexandra Debaisieux, directrice déléguée de Railcoop, et de Michel Neugnot, vice-président de la région Bourgogne Franche-Comté, qui vient d’annoncer l’ouverture à la concurrence de ses TER (lire ci-dessus). On verra dans les mois qui viennent si cette adaptation du discours public de Réseau s’accompagne d’un plus profond changement de stratégie. En clair, le gestionnaire d’infrastructures va-t-il vraiment encourager de nouveaux opérateurs, en levant les freins de toutes natures qui persistent, au lieu de se contenter d’appliquer un peu paresseusement les textes?

Le coup de gueule du GNTC

On ne peut pas suspecter le Groupement national du transport combiné (GNTC) de râler sans discernement. Certains adhérents critiquaient même parfois en interne la mansuétude affichée depuis deux ans suite aux lacunes répétées du gestionnaire d’infrastructures. Mais depuis quelques semaines, changement d’attitude de l’organisation présidée par Ivan Stempezynski, avec un communiqué au titre sans équivoque, le 20 janvier dernier: «Doit-on sacrifier le transport combiné, ses avancées sociétales et écologiques, à cause d’une qualité de service non maîtrisée?»

A l’origine de cette interpellation publique, la construction des sillons 2022/2023, très insatisfaisante, et la circulation des trains de combiné, trop défaillante – les longs parcours sont très mal maîtrisés. En outre, la demande de mettre en place un indicateur de qualité de service dans le contrat de performances de SNCF Réseau est repoussée: pas de quoi inciter des professionnels à l’indulgence…

SOCIETE DU GRAND PARIS

Jean-François Monteils ajuste son équipe

Les deux premières étapes consécutives à l’arrivée de Jean-François Monteils à la tête de la Société du Grand Paris (SGP), à savoir l’ajustement des délais et des coûts du projet, ont été franchies avec vista, en juin et en septembre dernier. La troisième étape était attendue en ce début 2022, notamment par les équipes internes: celle de la (ré)organisation de l’Etablissement public. En fait, ce n’en est pas vraiment une, d’étape, au sens d’une annonce formelle, mais plutôt la promesse d’une adaptation à l’évolution du projet. Dit comme ça, c’est un brin énigmatique – cela mérite donc quelques explications.

La SGP est entrée dans une nouvelle phase de son développement. Certes, le cœur de l’activité consiste toujours à construire les infrastructures de transport, mais de plus en plus l’Etablissement public porte une responsabilité dans la qualité de l’aménagement urbain autour des gares. L’ampleur des chantiers urbanistiques (construction de logements et de bureaux, réalisation d’espaces publics) modifie de fait la philosophie même de la métropole du Grand Paris. Et Jean-François Monteils confirme vouloir inscrire la stratégie de la SGP dans cette globalité.

Quelle conséquence sur l’organisation et le casting? La société de projet qu’est la SGP doit fatalement fonctionner sur un système matriciel. Et pour le coup, la rapidité de la croissance des effectifs de l’établissement, passés en trois ans de 250 à 950 personnes, a probablement contribué à renforcer des chapelles ou des logiques métiers, au détriment d’un dialogue fécond même s’il a vocation à être parfois engagé, voire d’une franche intégration en mode projet.

Ce n’est pas donc à proprement parler une étape spectaculaire, puisqu’elle touche principalement à la gouvernance au quotidien et à l’état d’esprit des cadres responsables. Mais encore faut-il que ces derniers soient pleinement engagés dans la trajectoire matricielle, et prêts à déconcentrer au profit de plateaux projets multi-activités.

C’est dans ce contexte que Jean-François Monteils a changé deux têtes de son comité exécutif en cette fin janvier.
Julien Peyron remplace Sophie Schmidt à la direction des gares et de la ville. Urbaniste, spécialiste des mobilités et de la ville durable, il a d’abord piloté à partir de 2014 le programme des interconnexions ferroviaires puis celui de l’intermodalité et des espaces publics, avant de rejoindre la direction des gares et de la ville en 2019. Sa double culture (urbanisme et transports-déplacements) devrait favoriser l’insertion urbaine du projet Grand Paris Express depuis les quais du métro jusqu’au cœur des quartiers de gare, en s’attachant à soigner l’architecture, le design, les espaces commerciaux et publicitaires etc, mais aussi la culture et la création.
Xavier Plée succède à Vincent Gaillard à la direction financière. Directeur des risques et de la conformité à la SGP depuis trois ans, il a un profil davantage axé sur le pilotage par les coûts que sur le contrôle de gestion.

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