Mobitelex 376 – 20 mai 2022

Voir dans un navigateur

Mobitélex. L'information transport

les décryptages de Mobilettre

/ / /

Gouvernement: ni transports ni effusion!

On s’était préparé à quelques noms pour le ministère des Transports: la liste du gouvernement dévoilée ce vendredi 20 mai après-midi par Alexis Kohler n’en comporte aucun. Il faudra voir dans les prochains jours à qui revient la tutelle du secteur: probablement Amélie de Montchalin, nouvelle ministre de la Planification écologique et de la Cohésion des territoires. Et un peu à Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique ? A moins qu’Elisabeth Borne ne le récupère de fait via ces deux ministères adjoints à Matignon ? Arrêtons là les spéculations.

Il y aura un ministère de la Mer, mais pas de ministère des Transports!

La situation est suffisamment stupéfiante, car quelle que soit l’importance de la Transition écologique, les Transports (mais aussi le Logement, absent lui aussi) sont des domaines essentiels d’intervention publique, à forte valeur financière, sociale et réglementaire. Il y aura donc un ministère de la Mer (confié à Justine Bénin), mais pas de ministère des Transports. La descente aux enfers du grand ministère de l’Equipement d’antan continue. L’absence de propositions transports dans le programme du candidat Macron n’était pas un accident : le Président et Bercy considèrent toujours que le secteur dépense un pognon de dingue et que la priorité doit aller à la conversion électrique des véhicules automobiles. Le reste est à gérer comme on peut. Pour l’instant, il n’y a pas au programme du quinquennat de grande politique de mobilité.

Amélie de Montchalin et Agnès Pannier-Runacher auront probablement un dialogue de qualité avec la Première ministre sur la question des transports, puisqu’elles parlent le même langage techno désincarné. Avec les professionnels, cela risque d’être davantage sportif. Dans un gouvernement marqué à droite de par le choix hiérarchique des ministres, ces deux techniciennes ne garantissent pas la prise en compte, autrement que par la litanie des chiffres, du quotidien de millions de Français pour lesquels le transport public est une donnée essentielle.

Gageons que la situation pourrait évoluer après les élections législatives. On n’imagine pas les professionnels et les élus en charge de la mobilité se contenter de la situation actuelle, et se résigner à toquer à la porte de Christophe Béchu, chargé des collectivités locales, pour plaider leurs causes auprès des technos de l’étage du dessus. Certains doivent déjà regretter leurs gentils communiqués de ces derniers jours à l’endroit de la nouvelle Première ministre, rédigés comme si l’indulgence née de l’entre-soi garantissait des déconvenues. G. D.

. . .

INFRASTRUCTURES

Lyon-Turin : ça se dégage pour les voies d’accès

Une majorité de collectivités se sont prononcées pour l’option du Fret Grand Gabarit. Une décision lors de la réunion de la Commission intergouvernementale du 23 juin est attendue, avant la fin de la PFUE. Il y a urgence : l’Europe piaffe et ça craint côté tunnel du Mont-Blanc…

En considérant en 2018 que le Lyon-Turin n’avait pas sa place dans le rapport du Comité d’Orientation des Infrastructures qu’il présidait, parce que c’était « un coup parti » et que pour les voies d’accès on pouvait attendre, Philippe Duron a fait un très mauvais coup et failli faire du projet un coup très mal parti… Pour être tout à fait juste, le péché originel remonte à 2013 lorsqu’il ne s’est rien passé après la DUP (déclaration d’utilité publique), qu’aucune décision n’a été prise sur les voies d’accès, laissant se développer des hypothèses préjudiciables. Et puisque l’on a décidé de rendre à César ce qui appartient à César (on peut être sévère et juste…), c’est grâce à Elisabeth Borne, alors ministre des Transports, que le dossier a été désembourbé en 2019, puisqu’elle a demandé de rechercher toutes les pistes d’optimisation des coûts et des phasages des accès nouveaux pour assurer la soutenabilité financière du projet.

Seules des voies d’accès nouvelles rendront possible le report modal

Les promoteurs du Lyon-Turin ont aujourd’hui des raisons d’espérer sortir par le haut de cette question des voies d’accès. Mais rappelons d’abord pourquoi elle est essentielle : le tunnel de base du Lyon-Turin de par ses capacités permet de faire circuler 40 millions de tonnes de marchandises. Il est évident que sans toucher aux infrastructures d’accès au tunnel, tant côté français que côté italien d’ailleurs, non seulement on « gâche » ce potentiel mais surtout, cela ne passe pas. Pour ne prendre que le côté français, la ligne historique Dijon-Modane dispose d’une capacité qui n’excède pas un tiers de celle du tunnel et doit de plus partager avec les mobilités du quotidien. Seules des voies d’accès nouvelles rendront donc possible le report modal, garantiront la robustesse de l’exploitation et répondront à la finalité du tunnel.

Quelles voies d’accès ?

Trois hypothèses sont sur la table selon les fonctionnalités retenues. Deux sont à dominante fret. La troisième, mixte voyageurs et fret, introduite par l’ancien ministre et ancien maire de Chambéry Louis Besson, est toujours soutenue par ses héritiers. Cette dernière (scénario 3) offre un gain de temps théorique pour la desserte voyageurs de Chambéry/Annecy, mais ce n’est pas pour cela qu’il y aurait plus de trains, surtout si l’opérateur historique continue à privilégier le taux de remplissage. Le scénario 1 dit du « fret du pauvre » offrirait des capacités à peine supérieures à 20 millions de tonnes par an. Peut mieux faire. C’est le cas du scénario 2 du fret Grand Gabarit qui monte à 28 millions de tonnes. Quant au scénario mixte, il est très en deçà, puisqu’il n’atteint même pas les 18 millions de tonnes ! Côté coûts, le 1 et le 3 se valent (5,5 milliards d’euros). Le 2 (fret Grand Gabarit) est plus cher de 2 milliards mais il comporte la réalisation de tunnels sous Chartreuse-Belledonne-Glandon. Il va logiquement de pair avec le contournement de Lyon (CFAL), ou tout au moins, dans un premier temps sa partie nord.

Pourquoi voyons-nous enfin des raisons d’espérer ?

Tout d’abord, à la différence de 2018, le nouveau président du COI, David Valence, n’a pas exclu le Lyon-Turin de son rapport, ou plus précisément les voies d’accès puisque le tunnel lui-même est déjà en chantier. On peut donc logiquement attendre un arbitrage. Et on peut même espérer un arbitrage sur l’option Grand Gabarit : le préfet de région qui pilote le projet a en effet demandé aux collectivités locales concernées de se prononcer sur les différentes options. Résultat, sur 39 collectivités, 29 se sont prononcées pour l’option Grand Gabarit, 8 seulement pour l’option mixte, les deux dernières ayant seulement souligné l’urgence d’une décision. Le dossier et le vote des collectivités sont donc désormais sur le bureau du Président et de sa Première ministre.

Sur le fond, on imagine mal un début de septennat où un tel choix des collectivités serait ignoré. Quant au timing, il devrait aussi être favorable : la prochaine CIG (Conférence intergouvernementale) se tiendra fin juin à Chambéry, juste avant la fin de la présidence française de l’Union européenne. Les Italiens sont en phase puisqu’en début de mois le gouvernement italien a autorisé le gestionnaire d’infrastructure, RFI, à développer le projet de ligne nouvelle « Avigliana-Orbassano », soit la voie d’accès côté italien.

L’Europe considère Lyon-Turin comme un tout, tunnel de base et voies d’accès

Deux autres facteurs pèsent pour une décision rapide : l’Europe et le Mont-Blanc. La commission européenne prévoit de porter sa participation financière à 55% (au lieu de 40) sur le tunnel de base et 50% (au lieu de 30) sur les accès des deux côtés mais elle surveille attentivement le dossier. Les gouvernements français et italiens sont en train de préparer la réponse à l’acte d’exécution émis par Bruxelles, rendant compte de l’avancement des chantiers et des projets. Dans le cadre de la révision du règlement RTE-T, l’Europe considère Lyon-Turin comme un tout, tunnel de base et voies d’accès, même si les clés de financement sont différentes. Pas question donc de trainer sur les accès.

Quant au Mont-Blanc, il entre dans le jeu d’abord parce qu’il est en cours de classement par l’UNESCO, ce qui en exclurait à terme les camions. Ensuite parce que cet ouvrage d’art qui date de 1965 est arrivé à l’âge où il demande une maintenance lourde et vraisemblablement même, plus lourde que prévue. Lorsque l’on disposera du Lyon-Turin on pourra envisager une fermeture du tunnel pour maintenance lourde et d’ici là n’assurer que la maintenance strictement nécessaire. Mais il ne faut plus tarder, d’autant que même avec une décision prise en 2022 les voies d’accès ne seront pas prêtes avant 2035.

Enfin, Mobilettre ne résiste pas à la tentation de faire un clin d’œil à ses « amis » de Bercy qui penseront comme d’habitude que tout cela va coûter beaucoup d’argent. Pensez, « chers amis », si les accès n’étaient pas réalisés, avec pour conséquence de faibles circulations ferroviaires, à l’état des finances de TELT, la société d’exploitation du tunnel, qui ne manquerait pas de se tourner vers l’Etat, c’est-à-dire vers vous, pour équilibrer ses finances… Un coût d’investissement face à un manque à gagner, à vous de choisir.

Pour revenir au calendrier et aux délais de mise en service, une bonne nouvelle est attendue : la prochaine installation par la CIG du comité des exploitants, sur le modèle du comité de sécurité, qui permettra aux deux gestionnaires d’infrastructure de s’assurer que les normes soient bien harmonisées et donc d’anticiper au mieux la mise en service du tunnel de base prévue pour 2030.

A Bordeaux, une journée originale pour développer le fret ferroviaire

Il ne suffit pas de se réjouir que les planètes soient alignées. Certes, le fret ferroviaire est une solution à la pénurie de conducteurs routiers, coche pas mal de cases en matière de vertu environnementale et bénéficie enfin d’une stratégie d’Etat. Mais encore faut-il que les chargeurs à la logistique 100% routière appréhendent, au sens premier du terme, le mode ferroviaire. Et vu sa complexité et, disons-le, un léger manque de pédagogie d’acteurs concentrés sur la défense de leurs marchés, les candidats au report modal ne se précipitaient pas, voire venaient puis repartaient aussi sec, effrayés par le nombre de pièges disséminés sur le ballast et dans les terminaux.

Ce mercredi 18 mai, le Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine a donc convié les chargeurs de son immense territoire (une petite Autriche) à une journée d’un nouveau genre : des rendez-vous d’affaires avec les acteurs du fret ferroviaire. Une quarantaine de contacts bilatéraux ont été établis, précédés par une matinée d’échanges (une séance plénière d’introduction et deux ateliers) destinés à dessiner le panorama actuel. Mobilettre en assurait l’animation avec La Lettre ferroviaire.

Les acteurs présents ont fait l’effort de ne pas tomber dans les pièges de la technique. Leurs témoignages ont été francs et n’ont pas camouflé les problèmes persistants de la filière. On retiendra notamment la narration du retour au ferroviaire de la papeterie Smurfit-Kappa, à Biganos près du bassin d’Arcachon, une usine géante de 470 employés qui fait venir du bois et repartir du papier et du carton, et avait abandonné le fret ferroviaire il y a vingt-cinq ans. Elle a entrepris d’y revenir, tellement l’équation économique est a priori favorable, y compris sur des distances intrarégionales – mais que c’est difficile parfois… Prenons juste l’exemple de l’embranchement de 500 mètres qui sépare le RFN (réseau ferré national) de l’usine, et qui est la propriété de SNCF Réseau : Smurfit-Kappa, qui avait déjà investi 700000 euros pour ses propres voies, s’est vu demander d’en financer la remise en état par SNCF Réseau – qui possède, réalise mais ne paie pas. Il a fallu que le Conseil régional mette la main à la poche…

Avec son vice-président Renaud Lagrave, le président de la Nouvelle-Aquitaine Alain Rousset confirme, par une telle journée d’échanges qu’il souhaite reproduire régulièrement, son engagement en faveur du fret ferroviaire, et en réitère l’impérieuse nécessité. «Le projet de nouveau contournement routier de l’agglomération bordelaise ne me semble pas possible aujourd’hui en termes d’acceptabilité, et on ne peut laisser 10000 camions quotidiens sur l’axe Bordeaux-Espagne : le fer est donc la seule solution alternative, et il passe par la réalisation rapide de GPSO qui dégagera des capacités supplémentaires pour le fret.» Au départ, c’est simple le chemin de fer, c’est après que ça se complique.

Abonnement à Mobilettre

Choisissez votre expérience de Mobilettre. Livré par mail, disponible en lecture sur tous les supports.

En savoir plus

Suivre Mobilettre     icone-twitter   icone-facebook

www.mobilettre.com

Les Editions de l’Equerre,
13 bis, rue de l’Equerre, 75019 Paris

logo-footer

Se désinscrire