Mobitelex 380 – 15 juin 2022

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Mobitélex. L'information transport

les décryptages de Mobilettre

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Cinquième tour

On pourrait ne voir dans la succession des mouvements sociaux désordonnés de ce mois de juin (ADP, SNCF, RATP etc) qu’une tension née des problèmes d’adaptation des effectifs à la forte reprise des trafics et aux travaux sur les réseaux. Mais d’autres revendications, notamment sur les salaires, mettent en évidence une contestation croissante des perspectives économiques et sociales.

Crise Covid + crise ukrainienne = plus d’inégalités?

C’est un peu comme au rugby: les premières lignes se relèvent quand la pression est trop forte. Manifestement, avoir supporté l’impératif de continuité des services pendant les périodes de restriction Covid et se trouver confronté aujourd’hui à une tension des effectifs et des salaires sur fond d’inflation, ce n’est pas du goût d’un certain nombre de salariés qui regardent autour d’eux.

Que voient-ils? Un peu partout, des «profiteurs de guerre», excusez l’analogie très exagérée: on veut désigner tous ceux qui ont bénéficié, voire ont exploité l’opportunité de la quasi absence de conditionnalité des aides Covid, qui nous semble avoir duré un peu trop longtemps, une fois passée la sidération des six mois de 2020.

La baisse de la consommation et quelques subsides généreux de l’Etat ont fait gonfler les économies des classes supérieures. Le rebond actuel, légèrement amorti par la pénurie de certaines matières premières, en atteste: avions et trains bondés, restaurants et hôtels saturés, lieux de culture pris d’assaut.

L’intention qu’on prête à Emmanuel Macron d’un retour dès 2027 à un déficit public limité à 3% du PIB va-t-elle nourrir une contestation sociale, style cinquième tour après les deux élections du printemps, y compris dans les transports? On demanderait bien son avis à Amélie de Montchalin, mais il faudrait pour cela qu’elle passe le quatrième tour… G. D.

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CONJONCTURE

Sur la longue distance, la démobilité n’est pas pour tout de suite

Dans cette période de retour à une vie plus « normale », les chiffres des déplacements dans les différents modes confirment l’hypothèse d’un très fort rebond post-crise – et par ce terme, on entend la crise Covid, tellement la crise ukrainienne semble avoir été mise de côté. Mobilettre a déjà évoqué la semaine dernière (lire Mobitelex 379) les prochains records de fréquentation du TGV et la pénurie de rames qui affecte fâcheusement une réponse appropriée à la demande des voyageurs – les témoignages affluent en ce sens. Regardons ce qui se passe sur les autres modes.

Côté routes, sur le réseau Vinci Autoroutes le mois d’avril 2022 a été stable en nombre de passages de véhicules légers par rapport à avril 2019 (+29,7% par rapport à 2021, année faible). Sans attendre les chiffres semestriels officiels, une simple observation des trafics et embouteillages du mois de mai, notamment pendant le week-end de l’Ascension, dégagerait une tendance positive, mais attention: dans quelle mesure cette tendance résistera, ces prochains mois, à la forte hausse du prix des carburants? Question complémentaire: cette hausse inciterait-elle à prendre davantage le train, et explique-t-elle en partie l’envol de la demande estivale que connaît la SNCF?

Dans les airs, Eurocontrol, l’organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne vient de publier ses prévisions de trafic révisées pour la période 2022-2024 : alors que depuis le début de l’année le trafic aérien était revenu à hauteur de 77% de son niveau de 2019 (pré-Covid), on note une très nette accélération puisque sur la dernière semaine de mai on atteignait déjà 88%. L’été s’annonce très bon, à tel point que certains personnels ont débrayé pour demander des réembauches.

Les trois scénarios pour le secteur aérien

Sur la période 2022-2024, Eurocontrol a construit trois scénarios. Le scénario dit de base est en fait un scénario moyen dans lequel il faudra attendre 2024 pour que le secteur aérien retrouve son niveau de 2019. Il prend pour hypothèse un Covid en phase endémique avec la survivance de quelques restrictions de circulation. Les voyages d’affaires repartent lentement. Les questions de recrutement du personnel n’ont qu’un impact limité sur les activités des aéroports comme des compagnies aériennes. Impact limité également de la hausse des prix sur le pouvoir d’achat.

Le scénario le plus optimiste prévoit un retour au niveau de 2019 dès 2023. Il présuppose que toutes les restrictions sanitaires aient été levées, le retour rapide des voyageurs d’affaires et aucun impact des hausses de prix.

Enfin, le scénario pessimiste ne prévoit, lui, le retour au niveau de 2019 qu’en… 2027. La faute à la réapparition des confinements et des restrictions sanitaires, l’accroissement des contraintes environnementales, les problèmes de recrutement, et une hausse des prix qui ampute le pouvoir d’achat et restreint la capacité à voyager.

Dans les trois cas, il a évidemment été tenu compte du conflit en Ukraine et de la fermeture de certains espaces aériens qui ne permettent pas d’envisager un retour aux routes « normales » avant trois ans.

Comme tout exercice de prévision, celui-ci est condamné à être rapidement caduc, sous l’effet d’événements imprévus ou de comportements nouveaux. La mobilisation écologique va-t-elle affecter la courte distance aérienne et faire basculer des voyageurs vers le train – à supposer que l’offre ferroviaire puisse être augmentée? L’installation du télétravail dans les process et méthodes d’entreprise va-t-elle durablement faire baisser le nombre de voyages d’affaires?

Pour les transports de proximité, le vélo et la marche à pied s’envolent, les transports collectifs moins empruntés en Ile-de-France

Après l’avion, prenons l’autre bout de la chaîne, le vélo, sur les transports essentiellement de proximité: il devient de plus en plus utilitaire. L’association Vélo et Territoires vient en effet de reprendre, après deux ans d’interruption, la publication des passages vélos aux « compteurs » de près de 140 collectivités qui centralisent leurs données. Qu’y lit-on de la fréquentation du vélo en France en 2022 ?

Par rapport à 2021, le nombre de passages de vélo est en hausse de 13%, avec une hausse de 18% en semaine et une quasi stabilité le week-end. Ceci confirme, avec le retour du travail en présentiel, que le vélo a bien gagné son statut de mode « utilitaire », et principalement en milieu urbain. Toujours par rapport à 2021, on relève en effet une progression de 17% en zone urbaine, contre une baisse de 2% dans le périrurbain et une stabilité en zone rurale. Dans les deux cas, périurbain et milieu rural, on notera que le vélo semble avoir trouvé sa zone de pertinence mais qu’il ne progresse plus, probablement faute d’aménagements suffisants : hausse de 27% dans les deux cas entre 2022 et 2019, mais quasi-stagnation entre 2021 et 2022.

Le cas de Paris est exceptionnel : une progression des passages de 22% entre 2021 et 2022, et de 78% entre 2019 et 2022! C’est-à-dire quasiment un doublement en très peu de temps. Autrement dit, à l’effet Covid, il faut ajouter d’autres motivations, notamment écologiques, encouragées par des travaux d’infrastructures, des incitations économiques des collectivités et une offre de matériels de plus en plus séduisante et innovante.

En revanche, si nombre de villes ont retrouvé des niveaux de fréquentation de leur offre de transport public d’avant-pandémie, ce n’est pas le cas en Ile-de-France. La marche à pied et le vélo en sont en partie responsables, mais la persistance du télétravail aux sièges des grandes entreprises notamment a aussi tendance à réduire le nombre de déplacements en semaine… notamment les lundis, mercredis et vendredis. Les mardis et jeudis restent donc assez chargés, puisque rares sont les administrations et entreprises à imposer ces deux jours en télétravail, de même que les jeudis et les vendredis soirs et les week-ends, avec une reprise des activités de loisirs et de tourisme international.

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BILLET

EuMo Expo, l’écologie au secours de la filière

Que retenir du salon européen des mobilités qui s’est tenu du 7 au 9 juin à la porte de Versailles? Des conférences très suivies, une affluence record le mercredi à ne plus pouvoir arpenter tranquillement certaines allées, et, sur le fond, la grande disponibilité d’acteurs pour développer et améliorer l’offre de transport public, au sens large du terme, du ferroviaire lourd jusqu’au vélo. Même si en conférence plénière d’ouverture Louis Nègre, président du Gart, a déploré l’absence de ministre des Transports, l’inquiétude face au silence des pouvoirs publics sur une vraie stratégie des mobilités n’a pas refroidi les ardeurs. Comme si quelques exemples venus d’ailleurs, Lausanne et Milan, l’invité d’honneur, et la mobilisation écologique post-Covid étaient d’efficaces antidotes.

L’avenir est plus que jamais aux intermodalités et à un autre usage de l’infrastructure routière

Il se passe quelque chose sur le front des mobilités, à mesure que se confirme l’évolution de la place de la voiture. Le vote quelques jours après la clôture du salon, par le Parlement européen, de l’interdiction de la commercialisation de modèles thermiques en 2035 confirme spectaculairement l’inévitable construction d’un nouveau paradigme de la mobilité. Si certains font mine de croire que la voiture électrique remplacera la voiture thermique, tout professionnel de la mobilité sait qu’il n’en sera rien, vu les contraintes d’usage voire de prix, et que l’avenir est plus que jamais aux intermodalités et à un autre usage de l’infrastructure routière et autoroutière (covoiturage, bus et cars etc).

Cet horizon-là, que pour l’instant le gouvernement français ne veut pas envisager dans la dimension qu’il mérite, autorise toutes les innovations, techniques, organisationnelles, tarifaires et commerciales, à la condition que la gouvernance publique suive et mette en connexion tous les réseaux de façon complémentaire. Ce n’est pas un hasard si l’entretien accordé à Mobilettre par Valérie Pécresse, paru la veille de l’ouverture du salon, a beaucoup fait parler: le statu quo organisationnel en Ile-de-France n’est plus possible, notamment du point de vue de la responsabilité des infrastructures, routières et ferroviaires.

Puissent le prochain gouvernement et son ministre des Transports entendre l’enthousiasme des élus et professionnels à relever le défi d’une mobilité décarbonée… G. D.

PLANIFICATION

Jeux Olympiques et paralympiques, la grande mobilisation

A l’espace Agora du salon de la mobilité, ce mercredi 8 juin, c’était comme dans un stade à l’ancienne: il y avait des gens assis partout et beaucoup de spectateurs debout, pour assister à la présentation conjointe du dispositif transports des prochains Jeux Olympiques par Paris 2024 et Ile-de-France Mobilités.

Il y a un mois l’organisation des Jeux Olympiques n’intéressait pas grand-monde. Et puis il y eut les incidents du Stade de France lors du match Liverpool-Madrid: projecteurs braqués sur la gestion des flux, largement délaissée côté préfecture par la priorité au maintien de l’ordre.

Heureusement, pour 2024, la parole appartient d’abord aux professionnels de la mobilité. Et en l’occurrence, il y a pas mal de changements en matière de gouvernance par rapport à des événements précédents, à la fois du fait de l’ampleur de l’événement olympique, de sa complexité mais aussi de la montée en puissance d’IDFM. Argyris Caridakis, directeur des services de Paris 2024, et Cyrille Rostaing, son directeur des transports, ont accompagné dans leurs explications Laurent Probst, directeur général d’IDFM, et sa nouvelle directrice des Jeux, l’expérimentée Laurence Debrincat.

Pour les accrédités, des appels d’offres seront lancés d’ici la fin juillet

Simplifions: l’organisateur Paris 2024 définit la demande de mobilité (flux, origines-destinations, horaires, aléas prévisibles) pour deux types de population: les spectateurs et les accrédités, aussi bien athlètes que bénévoles, membres des fédérations, entraîneurs… Le sponsor Toyota met à disposition 3000 véhicules individuels qui ne peuvent répondre qu’à une partie des acheminements.

Du coup, c’est IDFM qui élabore les plans de transport.

Pour les spectateurs, c’est le réseau de transport public qui sera sollicité, mais pas seulement: pour un certain nombre de sites (Versailles, Vaires-sur-Marne), une desserte spécifique à base de bus devra être inventée pour faire face aux flux annoncés. En outre, les épreuves sur voirie (cérémonie d’ouverture, courses cyclistes, marathons) nécessiteront des mobilisations particulières, étant donné l’afflux attendu. Malgré la prévisibilité de la plupart des compétitions (à l’exception des matches de tennis, par exemple), les «perturbations» sont toujours possibles: intempéries, pannes matériels voire grèves… La mise en place de scénarios B, C voire D ou plus est donc essentielle pour parer à toutes les situations.

Pour les accrédités, des appels d’offres seront lancés d’ici la fin juillet pour assurer toutes les liaisons entre sites, village olympique et centres d’entraînement, avec des fréquences encore à déterminer dans le détail. Pour ce faire 800 à 1000 bus seront mobilisés par IDFM et leur exploitation sera confiée aux opérateurs lauréats. Le coût sera pris en charge par Paris 2024.

La période de vacances, fin juillet début août, devrait faciliter la fluidité des dessertes, d’autant que six mois avant l’ouverture, tous les travaux seront interrompus pour ne pas risquer des perturbations et permettre les préparations et répétitions – il n’en sera pas de même pour les Jeux paralympiques en septembre, pour lesquels les problématiques seront davantage limitées aux déplacements des accrédités. Quoi qu’il en soit, la réussite en matière de gestion des flux est de nature à faciliter les dispositifs de contrôle voire de maintien de l’ordre. De ce point de vue, la répétition en grandeur réelle de la finale de la Champion’s League, si elle fut un navrant fiasco, incite d’ores et déjà les pouvoirs publics à revoir leurs propres méthodes. C’est déjà ça de gagné.


CONGRES

Unsa ferroviaire, la poursuite d’une stratégie d’ouverture

C‘est un score dont Valéry Giscard d’Estaing a toujours rêvé: 66,17%, soit deux inscrits sur trois… Avec une telle majorité on peut dire que Didier Mathis a été très bien réélu secrétaire général de l’Unsa ferroviaire, en compagnie de ses deux acolytes, Fabrice Charrière et Delphine Rott, mardi 14 juin au Futuroscope, où a lieu jusqu’à jeudi le congrès de la deuxième organisation syndicale de la SNCF. 66,17%, c’est dix points de plus que lors du précédent scrutin qui l’avait vu succéder à Roger Dillenseger.

D’une certaine façon cette réélection aux dépens d’un trio mené par Florent Monteilhet confirme la stratégie d’ouverture voulue par Didier Mathis et orchestrée par son conseiller spécial Olivier Armand, un cadre sup venu renforcer l’équipe permanente de l’Unsa il y a deux ans (lire Mobitelex 305). Comme un symbole, ce jeudi matin une table ronde sur la concurrence réunira, en présence des 500 syndicalistes présents, Thierry Mallet (Transdev), Ronan Bois (RegioNeo), Alain Gétraud (Le Train) et Alexandra Debaisieux (Railcoop), soit quatre dirigeants d’entreprises ferroviaires constituées ou en construction qui échangeront avec Jean-Pierre Farandou, PDG de la SNCF, Laurent Probst (IDFM), Bruno Gazeau (Fnaut) et Patrick Vieu (ART). Quel plateau!

Le choix de participer à la configuration du futur monde ferroviaire dans un dialogue de branche qui n’exclut pas, loin de là, les négociations d’entreprise, plutôt que s’arc-bouter sur une ligne du refus parfois plus facile ou populaire, a donc été validée largement par les militants. D’ores et déjà la CGT, toujours marquée par une forte centralisation qui diminue sa capacité à s’adapter aux évolutions du dialogue social «multipolaire» de la SNCF (du CSE aux établissements en passant par les SA du groupe) et aux discussions de branche, a brocardé cette initiative de l’Unsa. Pourtant, il sera éminemment intéressant d’entendre les nouveaux entrants aborder la question des relations sociales à l’intérieur de leurs entreprises, dans un contexte de forte évolution des métiers, des organisations et des parcours professionnels.

Jean-Pierre Farandou souhaite ardemment qu’une stratégie de croissance (son désormais célèbre «X2») aide le ferroviaire à sortir de ses difficultés. Tous, des usagers au régulateur en passant par les AO et les nouveaux opérateurs, le désirent tout autant: voilà au moins un point de convergence, en bon langage syndical! Y en aura-t-il d’autres avec les militants de l’Unsa ferroviaire?

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