Mobitelex 386 – 22 septembre 2022

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Mobitélex. L'information transport

les décryptages de Mobilettre

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Réunions de crise 

Les acteurs du transport tirent la sonnette d’alarme. Elisabeth Borne tance Jean-Pierre Farandou

Lyon, Vichy, Berlin : en une semaine trois événements, trois occasions pour Mobilettre d’évaluer l’état d’esprit des acteurs de la mobilité durable, à savoir les opérateurs et les industriels à Innotrans, les élus des agglos et des régions aux débats du Gart et de Régions de France. Vous pouvez lire nos récits ci-dessous. S’il fallait résumer en une phrase : en France nous sommes bel et bien en état de crise des transports publics et ferroviaires.

La semaine dernière, nous avions titré «Crises et chuchotements», pour rendre compte des tractations qui s’engagent afin de combler les déficits des collectivités et des inévitables tensions qui agitent les équipes de direction. Aujourd’hui, nous pourrions presque écrire «Crise et châtiment»…

Il n’y a plus d’argent dans les caisses, ou plutôt il n’y en a pas de disponible pour le ferroviaire

Pour avoir confirmé, lors de son audition au Sénat du 14 septembre, son appel à l’effort budgétaire en faveur du ferroviaire, et relevé que la France était «en train de devenir le mauvais élève européen faute d’investir dans les nouvelles technologies», Jean-Pierre Farandou a récolté la tempête: en fin de semaine dernière, un coup de fil nocturne de la Première ministre en personne, extrêmement courroucée. Dans l’ordre des choses établi par Elisabeth Borne et Emmanuel Macron (cf Jean-Bernard Levy à EDF), un président d’entreprise publique ne devrait pas dire ça. Il n’y a plus d’argent dans les caisses, ou plutôt il n’y en a pas de disponible pour le ferroviaire, donc prière de ne rien demander pour SNCF Réseau, et bien au contraire de faire croire à un contrat de performance historique. Sacré boulot…

On n’en sait pas beaucoup plus : silence radio côté SNCF. On comprend. On comprend aussi que la locataire de Matignon n’a guère envie de porter seule la responsabilité du désastre ferroviaire à venir : ralentissements, perturbations, fermetures, pour ne pas évoquer pire. L’annonce vélo très bien orchestrée, mardi dernier (lire ci-dessous), fera une légère diversion. Les conséquences du sous-investissement public et d’un pilotage excessivement financier se voient déjà. La demande est en forte hausse (+18% au premier semestre pour les seuls TER par rapport à 2019 !) mais l’offre ne suivra pas. Et que l’on n’évoque pas seulement la «fatalité» de l’après-Covid ! Ce sont aussi des projections financières étriquées et erronées qui expliquent, par exemple, la pénurie de conducteurs.

L’intervention de la Première ministre n’est pas anecdotique – à vrai dire, elle ne nous surprend guère, tellement elle correspond à sa façon de gouverner verticale et autoritaire. C’est tellement anachronique de continuer à exiger des dirigeants d’entreprises publiques le silence et le sacrifice, alors qu’ils sont de plus en plus exposés, y compris publiquement et pénalement. A eux d’être responsables… et coupables. Pourtant, il semble que cela plaise aux éternels commentateurs politiques qui n’aiment rien tant que les postures, puisque cela leur évite de parler des contenus.

Comme un miroir de cette désespérante scène politique nationale, aux Etats-Unis Joe Biden retrouve des couleurs. Le vieux président a su écouter ses conseillers et ses structures publiques qui lui conseillaient d’investir massivement dans les infrastructures – et aussi de rembourser partiellement les prêts étudiants. Ici, un jeune président n’écoute que lui-même et se réjouit d’avoir une Première ministre qui obéit et émascule sans états d’âme. G. D.

La cérémonie d’ouverture d’Innotrans, le 20 septembre à Berlin (photo Gilles Dansart)

A Berlin, la mobilisation d’une filière

Beaucoup d’optimisme chez les industriels et les opérateurs européens, réunis au salon Innotrans. Puisse-t-il avoir inspiré les pouvoirs publics français…

Quatre ans et une pandémie plus tard, revoilà le monde ferroviaire réuni à Berlin. Pour ceux qui ne connaissent pas Innotrans, une accumulation impressionnante de stands et de matériels vous assure de ne jamais y perdre votre temps, d’autant que vous y croisez souvent des connaissances. C’est le lieu de tous les échanges qui permettent de vous faire une meilleure idée sur tout un tas de sujets. Cette année, par exemple, le boom des commandes de trains à batterie, dans toute l’Europe – on y reviendra la semaine prochaine.

Pour le ministre français des Transports, c’était un baptême du feu. On l’a croisé, après un échange avec Louis Nègre, le président de la FIF (fédération des industries ferroviaires) et des représentants de Fer de France, de la SNCF et de la RATP. Manifestement Clément Beaune tient bon le cap d’une immersion pédagogique dans cet univers si particulier du transport terrestre en général et du ferroviaire en particulier. Il a à nouveau entendu les demandes de la filière ferroviaire française (50 milliards d’euros), qu’un vieux routier de la politique comme Louis Nègre a désormais le droit d’égrener sans fioritures ni abus de précautions : ce n’est pas la rituelle liste de courses d’une filière volontariste, mais bel et bien l’indispensable ticket d’entrée dans un avenir ferroviaire modernisé.

Les investissements et les commandes de matériels explosent un peu partout

Car Clément Beaune n’a pas pu ne pas percevoir à Berlin la belle dynamique européenne en faveur du ferroviaire – et en miroir, la crise hexagonale. Même la relative discrétion du géant chinois CRRC, après sa démonstration de puissance de 2018, redonne des couleurs aux champions du Vieux Continent. Surtout, les investissements et les commandes de matériels explosent un peu partout, et entraînent dans leur sillage un tissu d’industriels et d’opérateurs ravis de l’aubaine. A côté d’une myriade d’entreprises hyperspécialisées, on a vu les chemins de fer italiens et autrichiens vanter leur nouvel optimisme, des constructeurs ne sachant plus comment accueillir leurs clients, et des boîtes d’infra multiplier les innovations digitales. Passionnant.

Et nous ? Un très visible pavillon français monté par Business France, réservé aux PME et ETI (avec la participation de Hauts-de-France et Occitanie, conçu pour augmenter la visibilité des stands par de l’animation, des rencontres et quelques événements. Aux champions hexagonaux de se débrouiller par eux-mêmes… ou pas. Si Alstom a impressionné par la surface au sol de son stand et l’afflux de clients, côté opérateurs français c’était service très minimum. Pas de stand global pour la SNCF, hormis Masteris et une petite présence SNCF Voyageurs, ni pour les trois grands du transport public. Le pompon, quand même, pour Keolis : un stand annoncé, numéro 310 au Hall A, mais un emplacement resté vide, avec… un pot de fleurs au milieu.

Cela en dit long sur une forme de décalage entre la France et la plupart des pays d’Europe, y compris les Anglais qui même s’ils ont rompu institutionnellement avec l’Europe comptent bien continuer à y faire des affaires (GoAhead va candidater avec les cars Lacroix aux appels d’offres de bus à Paris et en petite couronne). Lors de la cérémonie d’ouverture, le mardi matin, la commissaire européenne Adrian Valean a exhorté les opérateurs et industriels nationaux à développer leurs services ferroviaires dans le sillage d’une Europe enfin dynamique sur la transition écologique ; le ministre allemand de la mobilité et du digital Volker Wissing a réitéré sa demande d’aller plus vite dans la modernisation des infrastructures. On s’est souvenu du Sommet ferroviaire européen, organisé par la SNCF à Paris en février dernier. Quel recul, depuis ! Les autorités françaises n’ont pas entendu le grand appel à la dynamisation des offres ferroviaires au service des citoyens et de la décarbonation. Nos voisins, allemands, italiens, autrichiens… eux, ont embrayé.

On pousse encore un peu le contraste ? Certes Berlin n’est ni très peuplée ni dense, et toute comparaison stricte avec la région parisienne serait risquée. Mais quand même… Un nouvel aéroport, Brandenbourg Airport, très bien desservi par le S-Bahn (3,60 € l’aller pour le centre de Berlin), une Hauptbahnhof plus exceptionnelle que jamais quinze ans après son inauguration, une info voyageur dans les U-Bahn aussi simple que lisible, fiable et efficace, et des parcours vélo globalement bien conçus et sécurisés. Certes, c’est parfois moyennement propre, mais comme nous le fit remarquer un éminemment spécialiste des transports ferrés, à ce compte-là à Paris c’est moyennement sale…

Vous l’aurez compris, Innotrans post-pandémie à Berlin, ce fut un bol d’air frais. La prochaine fois, c’est dans deux ans. Le temps, pour la France, de réagir ?

EXCLUSIF

Le Train commande dix rames neuves

On en sourit volontiers: à Innotrans les discussions vont bon train. C’est au cours de l’une d’elles qu’Alain Gétraud, directeur général de Le Train, ce nouvel entrant qui veut dynamiser l’offre ferroviaire sur la façade ouest, a confié à Mobilettre * qu’il va passer commande de dix rames neuves à grande vitesse, au terme d’un appel d’offres rondement mené cet été. Pour le nom de l’industriel lauréat, il faudra encore attendre un peu. Six industriels avaient été consultés, dans le cadre d’une procédure européenne non publique – ce qui explique qu’elle était restée discrète. Trois candidats se sont disputés l’attribution finale.

Cette annonce crédibilise s’il le fallait encore un projet soutenu par des investisseurs du Grand Ouest (Crédit Mutuel Arkea et Crédit Agricole Charente-Périgord) et de nombreux élus insatisfaits de l’offre SNCF actuelle, concentrée sur les dessertes radiales. La commande de matériels enclenche le compte-à-rebours de la mise en service de plusieurs parcours, notamment une desserte cadencée Bordeaux-Angoulême. Après l’arrivée réussie de Trenitalia sur Paris-Lyon-Milan, c’est un projet de nature différente, plus territoriale, qui s’affirme et pourrait redonner quelques couleurs à un maillage ferroviaire délaissé par la course aux volumes de la SNCF.


* Mobilettre et Le Train organisent ensemble le jeudi 17 novembre à Bordeaux un colloque sur l’ouverture à la concurrence. Programme définitif et invitations à suivre dans Mobilettre.

A l’Assemblée générale du Gart, le 14 septembre à Lyon (photo Olivier Razemon)

A Lyon,
la double urgence du Gart

Réunis en Assemblée générale, les élus mobilité sont inquiets pour leurs comptes et mobilisés pour l’écologie. Clément Beaune ne croît ni à la démobilité ni à l’abonnement allemand à 9 euros.

«Quand on annonçait aux gens que le niveau de la mer monterait de 3 millimètres, le dérèglement climatique leur semblait abstrait. Mais depuis qu’ils ne peuvent plus remplir leur piscine, ça devient très concret ». A sa manière, Louis Nègre a décrit l’écoanxiété ressentie par ses administrés de Cagnes-sur-Mer, sur la Côte d’Azur. « On est entré dans les travaux pratiques », a-t-il résumé en clôturant les travaux de l’assemblée générale du Gart, le 14 septembre, dans l’hémicycle de la métropole de Lyon. Pour la première fois, en ces temps d’urgence et de sobriété, les élus à la mobilité ont semblé tourner le dos à deux dogmes qui fondaient jusqu’alors la promotion des transports publics : l’innovation technologique à tout crin et l’accroissement des distances parcourues.

La poursuite infinie de l’innovation rédemptrice joue des tours aux opérateurs comme aux collectivités. Les bus électriques, à hydrogène ou biogaz, appelés à remplacer les modèles normés Euro 6, eux-mêmes présentés comme plus vertueux que les véhicules diesel plus anciens, coûtent aussi plus cher. Et les dépôts ne sont plus aux normes. « Là où stationnent 110 bus diesel en centre-ville, on ne pourra désormais, selon les normes françaises, en accueillir que 70 », a expliqué Stéphane Espinasse, président d’Iveco bus. Ces contraintes pourraient, ajoutées à la pénurie de chauffeurs, peser à terme sur l’offre. Voilà qui tombe mal au moment où l’on compte sur les transports urbains pour limiter la dépendance automobile.

«L’innovation a besoin d’un portage politique. Il faut savoir pourquoi on le fait»

En revanche, le Gart mise beaucoup sur les données, celles des transports publics mais aussi, d’ici l’année prochaine, sur celles des GPS comme Google ou Waze, qui aident à dimensionner les véhicules et à positionner les parkings relais. « L’innovation a besoin d’un portage politique. Il faut savoir pourquoi on le fait », a résumé l’économiste et syndicaliste (UNSA) Fanny Arav, membre du CESE et du conseil scientifique du Gart.

Mais les vieilles habitudes ont la vie dure. Malgré les inventions hasardeuses qui jalonnent l’histoire de la mobilité (de l’aérotrain aux expérimentations de navettes autonomes en passant par Autolib), le projet Urbanloop, nacelles individuelles sur rails effectuant des trajets de quelques kilomètres, s’est frayé un chemin jusqu’à la tribune. « Avec des étudiants, on est parti d’une page blanche. Quels transports publics pourrait-on inventer s’il n’y en avait aucun », a détaillé le directeur du projet. Or, c’est précisément à cela qu’on reconnaît les trouvailles sans avenir : leurs concepteurs partent du principe qu’ils sont les premiers à penser la mobilité, et oublient de prendre en compte ce qui existe déjà.

Louis Nègre: «On construit des lotissements à 30 kilomètres des villes, et leurs habitants nous demandent l’éclairage, la fibre, le bus»

La réduction des distances parcourues était un autre tabou. Le Gart en accepte désormais le principe, de préférence pour les « mobilités subies » et motorisées. « Quand bien même le mode de transport serait vertueux, cela a-t-il un sens d’inciter les gens à effectuer deux heures de trajet par jour ? », a fait mine de s’interroger Fanny Arav. Etirer sans limites des lignes de bus urbains pour desservir une fois par jour tel village où se sont installées quelques familles finit par coûter cher, et c’est une fois encore Louis Nègre qui le dit : « On construit des lotissements à 30 kilomètres des villes, et leurs habitants nous demandent l’éclairage, la fibre, le bus ».

De tout cela, le ministre Clément Beaune, arrivé – à pied, ce n’était pas acquis – de la gare de la Part-Dieu toute proche, n’a pas vraiment tenu compte. « La transition écologique, ça ne sera pas moins de mobilité, mais plus de mobilité », a-t-il assuré, alors que les élus et opérateurs venaient, avant son arrivée, d’envisager l’inverse. Le ministre a passé en revue les demandes récurrentes du Gart, en particulier la TVA à 5,5%, la pérennisation du versement transport, la transformation des avances de trésorerie liées au Covid en subventions pérennes, sans s’engager à rien. « Nous avons compris que le temps des annonces n’était pas venu », a tranché, lapidaire, le Lyonnais Bruno Bernard.

Brillant, s’exprimant sans notes, s’attardant à discuter avec chacun, le ministre a rejeté, poliment mais fermement, la vitesse maximale à 110 km/h sur autoroute, prônée par le climatologue Jean Jouzel dans la matinée, et balayé l’espoir, caressé par certains membres du Gart, d’un « 9€ Ticket » à la française, au motif que « c’est cher, pour un report modal limité ».

L’urgence est là, n’ont pourtant cessé de répéter les intervenants comme les participants. Et elle n’est pas seulement écologique. Le Gart fait ses comptes. La fréquentation moyenne des réseaux, post-Covid, est presque revenue à la normale. Bonne surprise, le versement mobilités se révèle « dynamique », grâce à la baisse du chômage et aux revalorisations de salaires. En revanche, le renchérissement de l’énergie et l’inflation menacent à terme les comptes des AOM. En plus du déficit d’exploitation francilien de 950 millions, le total, pour les autres régions, atteindrait 300 millions.

L’innovation, la sobriété, et même les recettes, viendront-elles du vélo ? Les réseaux de transports et cyclables pourraient être « les meilleurs alliés », espère le Gart, qui a assorti son logo tout neuf, adouci et sobre, d’un slogan : « La mobilité en commun ». Si les associations pro-vélo et les élus pro-bus sont tombés d’accord sur la nécessité de construire des pistes cyclables et des stationnements sécurisés (lire aussi ci-dessous), seul Roch Brancour, vice-président de la région Pays de la Loire, a mis les pieds dans le plat : « Le matériel roulant n’est pas extensible. On peut accepter l’emport du vélo pour des usages touristiques estivaux, mais pour les trajets du quotidien, les cyclistes doivent avoir deux vélos ». Autrement dit, la place du vélo est dans la gare, pas dans le train.

Alors que la FUB, aveuglée par certains de ses adhérents, continue de réclamer aux régions « mon vélo dans le train », comment fera-t-on quand 45% des passagers des trains arriveront à la gare à vélo, « comme c’est le cas aux Pays-Bas », a rappelé Camille Thomé (Vélo et territoires). Les vélos en libre-service, peu fiables, ne suffiront pas. La solution vient, comme toujours, des Pays-Bas, où le service OV-fiets, un système de location de vélos appartenant à la compagnie ferroviaire historique NS, se déploie dans toutes les gares, y compris en périphérie. De 100000 locations en 2004, le service est passé à 5,2 millions d’usages en 2019. Reste à convaincre les opérateurs, les collectivités et la SNCF.

Au Congrès des Régions de France, le 15 septembre à Vichy (photo Gilles Dansart)

A Vichy,
la grande inquiétude des régions

Dans les couloirs du congrès annuel de Régions de France on a beaucoup parlé chiffres. Alain Rousset a critiqué les propos de Carole Delga en faveur de la gratuité

Sur scène c’était un peu bis repetita pour le ministre Clément Beaune. Le lendemain de son intervention devant les élus du Gart, il participait à une table ronde sur les infrastructures de transport, notamment ferroviaires. Une nouvelle occasion de faire admirer sa maîtrise naissante des dossiers et de la parole en public, et d’envisager quelques pistes d’avenir au cours de la discussion avec ses contradicteurs, au demeurant fort civils. Notamment, comment récupérer à leur terme la manne des péages d’autoroutes au bénéfice des autres infrastructures ?

Mais ce sont des préoccupations malgré tout un peu moins urgentes pour les élus que le bouclage des budgets à venir. Si Ile-de-France Mobilités a d’ores et déjà chiffré à 950 millions son besoin de recettes nouvelles pour 2023, du fait notamment de l’augmentation prévisionnelle des coûts de l’énergie, les treize régions ne devraient pas être loin d’une somme comparable – il manque encore les budgets prévisionnels des TER. De tout cela, les élus et leurs services ont abondamment discuté, faute de certitudes pour le PLF 2023. Comme à Lyon, le ministre a laissé entrevoir l’hypothèse d’un «geste», puis d’une programmation pluri-annuelle du ferroviaire. On verra.

On verra avec beaucoup de prudence car sur la durée les régions sont confrontées à un retrait de l’Etat sur le ferroviaire : pas de compensation post-Covid (380 millions de pertes d’exploitation en 2021), pas de compensation de la taxe sur les salaires (80 millions par an depuis 2018), des péages ferroviaires à la hausse (malgré le plafonnement décidé par le régulateur), et maintenant le risque d’inflation post-crise ukrainienne. ça fait beaucoup, et rien n’indique que la forte hausse de la demande dans le TER (+18% au premier semestre 2022 par rapport à 2018) sera prise en compte par l’Etat. Car en tout état de cause, la hausse des recettes n’atteindrait que 8 à 9%.

C’est dans ce contexte budgétaire que la présidente de Régions de France Carole Delga a publié dans Le Monde une tribune appelant «à prendre le chemin de la gratuité» pour les trains régionaux. Son voisin de Nouvelle-Aquitaine Alain Rousset nous a confié son total désaccord avec une telle perspective. Sans recettes fiscales directes, les régions se verraient privées de la seule ressource dynamique dont ils disposent grâce à la liberté tarifaire, et qui constitue encore 25 à 30% des coûts d’exploitation.

Ce n’est pas le discours de clôture de la Première ministre qui a redonné espoir aux élus et à leurs collaborateurs – Elisabeth Borne s’est contentée de promesses de dialogue. Comme le dit un vieux routier des discussions Etat-région, il ne suffit pas de parler pour être entendu.

Dans la cour de Matignon, le 20 septembre (photo Olivier Razemon)

Epilogue.
Heureusement, le vélo…

Il coûte – beaucoup ! – moins cher que le ferroviaire et il fait de belles images dans la cour de Matignon : mardi dernier Elisabeth Borne a très bien vanté les 250 millions d’euros supplémentaires pour le vélo en 2023.

«Il ne manque que la reine d’Angleterre », rigolait un convive… Pas moins de six ministres, dont la première d’entre eux, ainsi qu’un aréopage d’élus, d’industriels et d’associatifs, célébraient à Matignon, le mardi 20 septembre, le quatrième anniversaire du plan vélo, et les 250 millions d’euros d’investissements supplémentaires pour 2023. Les amateurs de symboles apprécieront : quand, en 2018, Edouard Philippe annonçait 350 millions en sept ans, Elisabeth Borne était ministre des transports, méconnue du grand public. Et quatre ans plus tôt, elle dirigeait le cabinet de Ségolène Royal, la ministre qui ricanait quand on évoquait le vélo comme moyen de déplacement.

La Première ministre et Clément Beaune font partie des rares gouvernants qui ont reconnu une contradiction entre le soutien au carburant et l’urgence climatique. Le « plan vélo », assorti de belles images d’enfants pédalant dans la cour de Matignon, tombe donc à point nommé. Même s’il est tout sauf improvisé. Dès le mois de mars, lors d’une visite de l’usine Spécialités TA, à Sissonne (Aisne), Olivier Schneider (FUB) et le député Guillaume Gouffier-Cha imaginaient « un nouveau plan vélo en septembre, pour le quatrième anniversaire de celui de 2018 ».

Comme le dit Olivier Schneider, qui parle à l’oreille de la Première ministre, « on n’a jamais vu autant d’argent pour le vélo ». Ce n’est pas si nouveau, corrige le chercheur en aménagement et urbanisme Sébastien Marrec. « Les montants totaux des engagements sont toujours difficiles à calculer, mais en 2022, compte tenu du plan de relance et des appels à projet, on est sans doute déjà à 250 millions. On aurait pu en espérer 500 pour 2023 ».

Les annonces couvrent tout le spectre du « système vélo » : périurbain, rural, stationnement, industrie, apprentissage à l’école, JO24. Et aussi la réunion, deux fois par an, d’un comité interministériel destiné à « lever les blocages », auquel on souhaite bien du courage pour ferrailler au sujet de l’accès aux olympiades avec le comité d’organisation des JO ou IdFM, qui misent jusqu’à présent sur les seuls transports en commun.

Même si Elisabeth Borne n’a pas apprécié qu’on le lui rappelle, les blocages viennent aussi de l’Etat. A Paris, des tronçons de pistes cyclables manquent, ou sont supprimés en cas de travaux, sur la voirie nationale, car la préfecture de police n’en veut pas. En région parisienne, l’aménagement des ponts dépendant de l’Etat n’est pas acquis. Plus généralement, il n’est pas rare qu’un maire rejette un aménagement cyclable, se retranchant derrière le refus du préfet.

« La Première ministre aurait pu préciser qu’il lui est arrivé de lever les blocages, justement. En 2020, lorsqu’il fallait autoriser une piste cyclable temporaire à La Défense ou rouvrir les parcs publics pour laisser passer les cyclistes, elle avait pris son téléphone », se souvient Louis Belenfant, du collectif vélo francilien. Ministre du vélo, c’est un métier.

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