Mobitelex 398 – 20 janvier 2023

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Mobitélex. L'information transport

les décryptages de Mobilettre

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De la défiance

La contestation de la réforme des retraites révèle aussi la crise persistante du pouvoir exécutif en France

Manque-t-il quelques paragraphes dans le manuel du bon communicant macroniste ? «C’est désespérant de constater qu’en 2023 autant de gens puissent encore se mobiliser contre un projet», nous confiait hier un conseiller de l’exécutif, dépité de voir le succès des manifestations contre la réforme des retraites dans toute la France. Comment dire, c’est un peu comme si l’on s’étonnait que l’on fête une victoire plutôt qu’une défaite. C’est tellement injuste la démocratie…

C’est comme les trains, les réformes «justes et responsables» en cachent toujours d’autres

La mobilisation dans les rues devrait inquiéter le gouvernement en quête de caricatures: elle est calme et déterminée, elle est plus large qu’attendue, elle est très loin d’être le seul fait des bataillons salariés et syndiqués du secteur public, elle rassemble aussi des artisans, des commerçants, des cadres, des indépendants… Car il est probable que les Français aient de la mémoire. C’est comme les trains, les réformes «justes et responsables», pour reprendre les mots du Président de la République en Espagne, en cachent toujours d’autres. La réforme de la SNCF en 2018 devait tout changer pour les usagers du quotidien : cinq ans après, les Français n’ont guère de raisons de succomber à nouveau aux promesses.

Plutôt que s’appesantir sur le peuple pas assez raisonnable, on devrait se demander pourquoi les pouvoirs exécutifs français s’offrent régulièrement de tels épisodes. Comme si les conflits à ciel ouvert étaient des miroirs de la nouvelle impuissance jacobine. Comme si la réforme au fil de l’eau, authentiquement concertée et partenariale, était inaccessible à des quartiers généraux archaïques.

On est sidéré par les lacunes récurrentes de pédagogie. Elisabeth Borne sur France Inter le 14 janvier: «Ceux dont la durée de travail s’allongera le moins, ce sont les deux premiers déciles et un peu le troisième décile ».

Le gouvernement tire sa puissance des recettes du budget central mais considère comme étanches les comptes de dépenses. Pourtant les Français s’interrogent sur les effets d’aubaine pour les entreprises du financement public des fins de carrière, sur l’opportunité et l’ampleur du quoi qu’il en coûte et des boucliers, sur l’absence de taxation temporaire des super profits, sur la détérioration des biens communs (routes et ferroviaire). La défiance globale est un puissant moteur de contestation quand le sujet de discorde est aussi sensible que la fin de carrière, avant la dernière partie de sa vie. G. D.

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PREPARATION

Jeux Olympiques, le compte-à-rebours

A dix-huit mois des premières épreuves, la question des transports mobilise l’ensemble des structures publiques et des partenaires opérationnels. Le défi organisationnel est immense.

Cinq pages: le rapport de la Cour des comptes sur l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques aborde succinctement la question des transports mais pose sur la table un certain nombre de problèmes. Le Comité stratégique des mobilités mis en place autour de Clément Beaune l’automne dernier, avec Florent Bardon comme «M. Transports JOP» et la DIJOP (délégation interministérielle aux JOP, dirigée par le préfet Cadot) chargée de son secrétariat, les examine toutes les six semaines, avec l’ensemble des parties prenantes. «Cette accélération du travail est logique et nous l’avions anticipée, nous explique Etienne Thobois, directeur général du COJO, car nous venons de finaliser les données nécessaires aux plans de transport: la carte des sites, le calendrier et les horaires des épreuves, l’identification des jauges.» Place maintenant aux mises en œuvre avec les opérateurs et les autorités publiques. Pour Laurent Probst, directeur général d’IDFM, «il est logique comme dans toutes les villes accueillant les Jeux Olympiques, que ce soit l’autorité organisatrice des mobilités qui assure le pilotage de l’ensemble des offres de transport collectif.»

La disponibilité des infrastructures nouvelles

La ligne 14 suscite le plus d’inquiétudes, car en matière de flux elle est indispensable à la desserte des sites de Saint-Denis

C’est la ligne 14 qui suscite le plus d’inquiétudes, car en matière de flux elle est indispensable à la desserte des sites de Saint-Denis. Les RER B et D, les lignes 13 et 12, et même la ligne H avec sa station de l’Ile-Saint-Denis, ne suffiront pas, notamment en cas d’incidents qui ne manqueront pas de survenir. Il n’existe aucune marge pour la mise en service des prolongements de la ligne 14 prévue en juin 2024, avec seulement un mois de marche à blanc. Certes, plus on avance, plus les risques majeurs sont évacués : génie civil et pose des voies sont globalement achevés. Mais c’est du côté des systèmes que réside le suspense: une exploitation cadencée sous les 95 secondes exige une nouveau système de pilotage, et les difficultés rencontrées par exemple sur la ligne 4 n’incitent pas au plus parfait optimisme. A ce jour, le plan B d’une exploitation dégradée n’est pas déclenché. Côté matériel roulant, Alstom semble avoir garanti la livraison de rames MP14 en nombre suffisant pour des circulations toutes les 95 secondes – il n’en manquerait que trois ou quatre pour passer en-dessous, mais ce n’est pas indispensable aux dessertes olympiques.

S’agissant d’Eole (porte Maillot et La Défense), sa disponibilité n’est pas indispensable du strict point de vue des flux vers l’Arena de La Défense, par exemple. En tout état de cause, le calendrier de mise en service début 2024 est toujours d’actualité. Mais c’est surtout l’incertitude sur la livraison de l’aménagement en surface de la porte Maillot qui pose problème. Il est très symbolique: c’est notamment là que résideront les officiels du CIO (Comité international olympique). En gros la Ville de Paris reproche à SNCF Réseau de tarder à dégager le terrain…

Côté Gare du Nord, les travaux prévus pour améliorer la circulation des voyageurs, la prise en charge taxis et VTC et la rotation des bus se déroulent comme prévu, voire même avec un peu d’avance. A Pleyel, malgré quelques cafouillages d’ordre administratif, la construction de la passerelle piéton au-dessus du faisceau nord, nécessaire à l’acheminement des spectateurs vers les sites olympiques, ne suscite pas d’inquiétude particulière à ce jour.

La gestion des flux spectateurs – dans les transports et sur la voirie

D’une certaine façon la question de l’acheminement des spectateurs par transport collectif ne semble pas poser de gros problèmes – sous réserve de disponibilité de la ligne 14, lire ci-dessus. Les dessertes du Stade de France, par exemple, sont rôdées depuis vingt-cinq ans. Mais c’est surtout l’atypicité des flux qui nécessite une adaptation. Du fait des horaires des épreuves et de la billetterie, sur une même journée les spectateurs arrivant au stade pourront en croiser d’autres qui en partiront. Pas simple à gérer.

Selon nos informations, si tout se passe plutôt bien en Seine-et-Marne et dans les Yvelines, la mise au point des dispositifs de gestion des flux sur la voirie est plus compliquée en Seine-Saint-Denis.

A cet égard les enjeux de la signalétique et de la sécurité sont liés, comme l’a montré le fâcheux précédent de la finale de la Champions League de football au printemps 2022. L’ampleur des flux nécessite de faire face à toutes les situations, par une supervision efficace et des scénarios alternatifs bien préparés. Dans ce contexte général, l’organisation de la cérémonie d’ouverture prend une importance toute particulière.

Le coût de l’offre supplémentaire

Il y a de fait trois grands types de population à transporter: les spectateurs, quasiment tous en transport collectif, les accrédités (athlètes, officiels, médias…) par une offre spécifique bus (lire ci-dessous) et le «sur-mesure», c’est-à-dire les déplacements hors compétition dans la ville, gérés par le TDM (Transport Demand Management), auxquels il faut rajouter de façon transversale la mobilité spécifique des PMR (personnes à mobilité réduite).

En recoupant les différentes évaluations des uns et des autres, Mobilettre arrive à un coût global d’environ 200 millions d’euros. S’agissant de l’offre Accrédités, c’est le COJO qui réglera la facture à IDFM (15 à 20 millions d’euros probablement). Pour le reste, c’est IDFM qui rémunérera les opérateurs – ce qui nourrit les tensions actuelles avec l’Etat sur le financement de la mobilité francilienne. D’un point de vue technique, les renforts d’offres feront l’objet d’avenants aux contrats avec les opérateurs.

Les accrédités – bientôt une convention et le résultat des appels d’offres

Un partenariat/convention devrait prochainement être signé entre le COJO et IDFM pour le transport des accrédités – athlètes, officiels, médias. La clé de la réussite réside dans une programmation minutieuse de tous les déplacements : prise en charge à l’aéroport, acheminement jusqu’aux sites d’épreuves, séquences d’entraînement…

Environ 3000 conducteurs de bus sont nécessaires à l’offre «accrédités»

Sans attendre, IDFM avait lancé en fin d’année dernière plusieurs appels d’offres, à savoir trois lots de dessertes (athlètes, volontaires et médias, fédérations olympiques) et deux pour la gestion des dépôts bus, le principal sur l’ancien site PSA d’Aulnay-sous-Bois (900 véhicules), le deuxième au Mesnil-Amelot, plus modeste (100 bus). Les trois premiers lots, infructueux, ont été relancés avec des clauses moins contraignantes pour les opérateurs : pas de pénalités à 5 minutes de retard (mais maintien des pénalités à 10 minutes), passage de la pénalité pour offre non réalisée à 1€ du kilomètre (contre 15 € initialement). En outre, il est important d’évaluer les éventuelles causes de retard – si elles résultent d’un embouteillage imprévu, l’opérateur ne doit pas être pénalisé.

Les réponses des opérateurs devaient arriver ce vendredi 20 janvier. Environ 3000 conducteurs de bus sont nécessaires à cette offre accrédités. Les matériels seront un mix de gaz et d’hybrides, et peut-être auréolés d’une livrée particulière – rien ne semble acté pour le moment.

L’anticipation des célébrations

C’est un sujet apparemment marginal mais sensible : l’organisation, pendant toute la durée des Jeux, d’événements en dehors des sites d’épreuves. Ils sont de trois ordres:

  • les sites de célébration officielle (dont La Villette pour le CNOSF – comité national olympique du sport français)
  • les zones de célébration grand public (appelées aussi fan zones)
  • les célébrations des comités olympiques étrangers, des fédérations, des sponsors… Elles sont les plus difficiles à tracer, car de différents formats, d’origines multiples… et pas forcément déclarées.

Même si les flux attendus sont plus modestes que pour les enceintes sportives, ils nécessitent d’être pris en compte pour adapter l’offre de transport collectif.

L’arrivée aux aéroports

Pour un certain nombre de sportifs, les bagages sont très particuliers : perches, armes, sans oublier, mais ce ne sont plus des bagages accompagnés, les chevaux ou les vélos… L’accueil à l’aéroport doit être approprié, y compris pour anticiper les éventuelles mouvements de fans – par exemple pour l’équipe américaine de basket-ball.

C’est ADP qui est à la manœuvre, pour mettre au point les services d’accueil et d’information, y compris un éventuel enregistrement décentralisé des bagages au Village Olympique pour le retour.

Le vélo, malgré tout

La Cour des comptes s’est-elle emmêlée dans ses changements de braquet? «L’accessibilité totale des sites olympiques à vélo n’est plus envisageable», écrit-elle dans son rapport. Selon nos informations, sur les 418 kilomètres identifiés pour cette accessibilité totale, environ 305 sont déjà existants et 88 en cours de réalisation pour un usage définitif ou provisoire. Il ne resterait donc que 25 kilomètres de discontinuités : un handicap peut-être pas insurmontable en dix-huit mois.

Le COTO, lieu de centralisation

Coto, pour Centre Opérationnel des Transports Olympiques, à Saint-Denis: il doit permettre de piloter en temps réel et de façon collaborative les trois activités sensibles des Jeux Olympiques hors compétition : le transport, la sécurité, la technologie digitale. Sera-t-il possible de décentraliser pour trois semaines les outils de supervision des offres de transport collectif ? Manifestement la SNCF et la RATP voudraient bien rester dans leurs murs actuels. A tout le moins il faudrait assurer des salles bis à Saint-Denis, afin qu’en cas de crise (incident technique, mouvement de foule, panne des supports d’information etc), les meilleures décisions soient prises au plus vite.

La Cour des comptes commence son exposé sur les transports par la délicieuse expression suivante: «La comitologie foisonnante se devait d’être resserrée». On y est. Le Comité stratégique des mobilités supervise l’ensemble des sujets, IDFM et les opérateurs préparent les plans de transport spectateurs et accrédités en fonction des données fournies par Paris 2024. C’est là l’un des points importants du projet global: anticiper au maximum toutes les situations, les flux, les besoins, de manière à gérer au mieux la ou les crises qui ne manqueront pas de survenir pour un événement d’une telle ampleur, sur plus de trois semaines. De ce point de vue, la qualité et la fluidité des rapports entre le COJO qui détient la quasi-totalité des informations en amont (épreuves, entraînements, célébrations) et les autorités publiques (préfectures, IDFM, opérateurs) semblent essentielles.


FINANCEMENT

Clément Beaune sous pression

Lors de leurs vœux le Gart et l’UTP ont interpellé le ministre des Transports sur les lacunes de financement du transport public, en exploitation comme en investissement.

Quelques jours après Marie-Ange Debon, présidente de l’UTP, qui avait poliment mais fermement interpellé le ministre Clément Beaune sur les lacunes de financement des transports collectifs, Louis Nègre, président du Gart, en a rajouté une bonne louche, «à titre personnel», mercredi dernier sur les bords de Seine :

Louis Nègre: «Je fais le constat de notre impuissance collective à dégager les moyens financiers nécessaires aux enjeux, dans le cadre actuel des finances publiques de notre pays. Depuis des décennies, cette impuissance perdure, même la maintenance indispensable est loin d’être assurée. Le système ferroviaire comme le système routier sont à la peine et notre classement européen dans ce domaine le confirme. Cet état des lieux nous conduit à constater que nous sommes désormais au pied d’un « mur d’investissement » que nous sommes incapables de surmonter dans la situation actuelle. Nous continuons en France à nous battre et à recommencer tous les ans pour décrocher une enveloppe toujours insuffisante par rapport aux enjeux.»

Doublement interpellé par les opérateurs et les autorités organisatrices, le ministre ne pouvait plus s’en sortir uniquement par le verbe, qu’il manie au demeurant fort bien. Il a proposé la création d’une conférence des autorités organisatrices afin de dialoguer sur tous les sujets, et principalement du financement.

Clément Beaune a l’opportunité politique d’engager la grande modernisation des infrastructures hexagonales

Quelques jours après notre révélation du rapport du COI (conseil d’orientation des infrastructures, lire MobiAlerte 101), l’embarras du gouvernement est manifeste. Bercy semble furieux des recommandations du COI, et encore davantage du choix de ringardiser son hypothèse dite «cadrage budgétaire». La DGITM elle-même, qui s’était mise au fil des années à intégrer toute seule la contrainte budgétaire, ne semblerait pas disposée à changer radicalement de registre et à soutenir la «transgression» du COI. Dans ces conditions, y aura-t-il une remise officielle du rapport à la Première ministre ? Le Président de la République voudra-t-il arbitrer, influencé par le buzz consécutif à son annonce dominicale de décembre sur les RER métropolitains ? Clément Beaune a l’opportunité politique d’engager la grande modernisation des infrastructures hexagonales, à l’image de ce que font nos voisins : pourra-t-il la saisir, malgré les considérables pressions intra-gouvernementales ?

Dans l’immédiat, il semble déterminé à concrétiser son projet de billet unique, sur le modèle allemand ou suisse, malgré les réserves non dissimulées des opérateurs et autorités organisatrices. L’irruption de l’Etat dans leurs affaires du quotidien a en effet rarement été féconde (tiens, où en est la plate-forme universelle d’informations et d’horaires à destination des voyageurs ?)


EN BREF

Fret SNCF rattrapé par le passé

La Commission européenne ouvre une enquête approfondie sur les aides d’Etat à Fret SNCF. Certains s’étonnaient de son silence prolongé jusqu’à cette annonce surprise cette semaine. Même si les procédures européennes sont longues, cette décision fait planer un risque considérable sur une entreprise qui est revenue à l’équilibre depuis sa filialisation – à suivre.

Jean-Pierre Farandou nouveau président de Fer de France

Le PDG de la SNCF a été élu pour trois ans président de Fer de France, il succède ainsi à Jacques Gounon à la tête de la filière ferroviaire.


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