Mobitelex 404 – 23 février 2023

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les décryptages de Mobilettre

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Régulateur en danger ?

Les signes s’accumulent d’une volonté de reprise en mains par l’Etat. A rebours d’une patiente construction de cadres régulés, qui fait ses preuves

Selon le Canard enchaîné, lors d’un dîner à l’Elysée le 13 février dernier, Gérard Larcher président du Sénat «a confié au Président qu’il était favorable […] à la limitation voire à la suppression des autorités administratives indépendantes (AAI).»

Comment ne pas faire le rapprochement avec l’actualité de l’ART (Autorité de régulation des Transports) ? Six mois de vacance de sa présidence depuis la fin du mandat de Bernard Roman, la désignation comme candidat pressenti d’un haut fonctionnaire zélé, Marc Papinutti, et quelques avis récents, sur les sociétés d’autoroute ou les aéroports, qui n’ont pas eu l’heur de plaire au pouvoir exécutif ?

L’affaire n’est pas anodine. La création puis le renforcement des AAI ont contribué à objectiver des situations confuses, à établir des règles claires et partagées, bref à déterminer des conditions d’activité stables, transparentes et pérennes pour les opérateurs. Alors oui, c’est pour l’Etat une sorte de transfert de pouvoir, mais que ne le savait-il pas ! De toute manière, qu’il les aime ou pas, il ne peut pas s’en débarrasser si facilement puisque c’est la condition posée par l’Europe à l’ouverture de la plupart des services.

Le hasard parfois fait bien les choses. La publication de deux avis, que nous traitons dans cette parution de Mobilettre, illustre s’il en était besoin deux des rôles essentiels du régulateur : stabilisateur sur la durée des bases de la tarification ferroviaire par son avis conforme (en fonction des choix stratégiques de l’Etat, il faut le rappeler), analyste rigoureux des modèles d’organisation des aéroports.

Qu’un contre-pouvoir aussi compétent que le Sénat, par la voix de son Président, envisage de limiter – ou supprimer! – d’autres contre-pouvoirs, tout aussi compétents, que sont devenus les AAI, c’est assez révélateur des jeux malsains qui régissent la vie politique nationale. Qu’en pensent les Commissions parlementaires qui, au jour le jour, saisissent toute l’importance du travail d’éclairage des régulateurs ? Cela tombe bien, elles auditionnent Marc Papinutti les 1er et 8 mars prochain. G. D.

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Les mensonges du Stade de France

On se souvient encore des défausses de Gérald Darmanin, après le tragique fiasco de la finale de la Champion’s League au Stade de France entre Liverpool et Madrid: c’est la faute aux supporters, au trafic de faux billets et aux opérateurs de transport. Il s’agissait, en fait, de mensonges pour couvrir l’impéritie du dispositif de sécurité publique et de son pilotage. Neuf mois plus tard, le rapport de l’UEFA est édifiant. Nous republions ci-dessous l’excellent éditorial de notre confrère Vincent Duluc dans l’Equipe du 21 février, sans concession sur une forme d’impunité politique. En Espagne, le cafouillage des trains trop larges s’est soldé par la démission conjointe du président de la Renfe et de la secrétaire d’Etat aux Transports… Un autre monde, une autre conception de la responsabilité.


« S’en souvenir, demain »

Par Vincent Duluc, L’Equipe

Près d’un an après les incidents en marge de la finale de Ligue des champions entre le Real et Liverpool (1-0), la France a intérêt d’avoir retenu la leçon alors que se profilent la Coupe de monde de rugby 2023 et les JO 2024.

Une semaine après la publication du rapport de la commission indépendante saisie par l’UEFA, le huitième de finale de Ligue des champions entre Liverpool et le Real Madrid, mardi, à Anfield, ramène à la surface le meilleur et le pire du football européen, ainsi que le cauchemar d’une soirée française.

Le sentiment de honte ne nous a pas quittés depuis ces quelques jours de mai où les autorités et les ministres de ce pays ont colporté un mensonge d’État sur l’origine des graves incidents ayant précédé et suivi la dernière finale de la C1, au Stade de France, décalant le coup d’envoi de trente-six minutes et menaçant l’intégrité de milliers de supporters. Par-delà les excuses officielles qui ont été présentées par la suite, il reste surprenant, voire sidérant, qu’aucun des responsables de ce fiasco n’ait eu à payer le prix de ses erreurs, de ses manquements ou de ses mensonges. Le préfet de police de l’époque, Didier Lallement, a certes fini par quitter son poste quelques semaines plus tard, mais il avait un historique qui expliquait mieux son débarquement que la seule soirée de Saint-Denis.

L’incompétence abyssale et le cynisme absolu de ceux qui ont eu à gérer la crise, ce soir-là

Dans cette affaire, qui a vu l’UEFA se tenir suffisamment bien pour accepter qu’une commission d’enquête ait pointé sa propre responsabilité, les autorités françaises, FFF incluse, ont peu brillé par leur mea culpa, après que cette soirée à Saint-Denis a profondément touché l’image du pays, à l’aube de l’organisation de la Coupe du monde de rugby 2023 et des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, deux événements porteurs d’enjeux de sécurité dissemblables. Il est évident que la France n’a pas le monopole du chaos à l’approche des finales, et que l’Angleterre va elle-même porter le fardeau des graves incidents de Wembley avant la finale de l’Euro 2021 dans ses futures candidatures.

Mais c’est bien la France qui sera le centre du monde en août 2024, même si un visiteur qui débarquerait à Roissy et traverserait Paris, aujourd’hui, n’en percevrait pas le moindre signe. Il lui faut absolument tirer les leçons d’une soirée de cauchemar qui n’a désormais qu’une seule vérité, celle de l’incompétence abyssale et du cynisme absolu de ceux qui ont eu à gérer la crise, ce soir-là, le plus souvent réglée à coups de bombes lacrymogènes envers un public héroïque, solidaire, patient, et qui aura fini par se faire détrousser en quittant le stade trois heures plus tard.

Le « plus jamais ça » est toujours une illusion, mais on a le droit d’essayer et de réclamer un peu de morale dans la parole publique : le sport national, ici et ailleurs, consistant à sauver ses fesses, n’a pas besoin de nouveaux pratiquants. V. D.


FERROVIAIRE

Tarification de l’infrastructure : la paix est déclarée

L’ART a validé la quasi-totalité des tarifs des péages de SNCF Réseau pour la période 2024/2026. Le gestionnaire d’infrastructure a profondément refondu sa structure de tarification selon les indications du régulateur. Les régions, selon nos informations, envisagent de former recours.

S’il fallait un exemple parlant de l’apport du régulateur à la maturité du système ferroviaire, en voici un, amené sur un plateau : son avis conforme sur les tarifs 2024/2026 de l’infrastructure ferroviaire, agrémenté d’un avis motivé sur la partie non tarifaire du DRR (document de référence du réseau). Après des années de tensions et de bisbilles, ce serait donc une bonne nouvelle pour un secteur qui a besoin de stabilité, de visibilité et de lisibilité.

Globalement, les hausses prévues du niveau des redevances sont de 8% pour les services conventionnés et de 7,6% pour les SLO

Nous employons le conditionnel, car cette normalisation s’inscrit malgré tout dans un cadre général fixé par l’exécutif – la couverture à terme des coûts complets de gestion de l’infrastructure par les péages ferroviaires. Et le régulateur, instruit par une décision du Conseil d’Etat de 2019, n’est pas autorisé à évaluer la capacité contributive des donneurs d’ordre : il se contente de remarquer, à juste titre, que de nombreux pays font le choix de recourir à des concours publics (et pas seulement aux péages) pour couvrir le coût complet, dans une optique de forte incitation au développement des trafics. Par conséquent, il n’est pas étonnant que les régions envisagent de former recours devant la hausse de leurs péages d’infrastructure. Globalement, les hausses prévues du niveau des redevances sont de 8% pour les services conventionnés (+7,6% pour les SLO) à l’horaire de service 2024, un chiffre largement supérieur à l’inflation prévisionnelle (+2,7%). Pour le cycle 2024/2026, l’ART admet également le principe d’une indexation des tarifs sur le taux d’inflation réel, «dès lors que le montant total des redevances n’excède pas le coût complet» – lire ci-dessous.

Quoi qu’il en soit, la hausse est considérable. Mais en s’attaquant à cette tarification, c’est davantage la politique de l’Etat que les régions mettent en cause que les nouveaux mécanismes de la tarification de l’infrastructure. Les services conventionnés obéissent en effet désormais à une tarification binomiale. Kesaco ? Il s’agit de distinguer d’une part «les majorations tarifaires forfaitaires visant à assurer la couverture des coûts fixes liés à la mise à disposition d’une capacité sur le réseau», en d’autres termes une redevance de marché forfaitisée et la redevance d’accès au réseau, d’autre part «des redevances applicables à chaque circulation visant à assurer la couverture du coût qui leur est directement imputable.» Dit comme cela, c’est assez simple, mais cela a nécessité un profond travail d’identification des coûts de la part de SNCF Réseau. Surtout, cela garantit, selon le régulateur, «qu’aucune circulation capable d’acquitter au moins le coût qui lui est directement imputable n’est écartée de l’utilisation du réseau.»

Pour six autorités organisatrices (Bourgogne Franche-Comté, Bretagne, Centre Val-de-Loire, Grand-Est, Hauts-de-France et Sud-Paca), l’ART considère que la concertation pour calibrer les augmentations tarifaires des redevances de marché n’avait pas été suffisante – une nouvelle saisine devra intervenir sous trois mois. En substance, les volumes prévisionnels de circulation auraient fait l’objet de retraitements unilatéraux par SNCF Réseau.

Une nouvelle segmentation de la redevance de marché

Concernant les SLO (services librement organisés), leur segmentation plus affinée semble satisfaire le régulateur. Concrètement, cela donnerait des baisses substantielles de péages sur la période 2024/2026 : -1,2% sur Paris-Londres en heures normales, -22% sur Paris-Lyon en heures creuses pour des rames simples, -4,6% sur Paris-Lille en heures pleines pour des rames simples. Ces incitations à ne pas envisager que le volume de sièges global sur une origine-destination (OD), au profit d’une offre horaire plus riche, va dans le sens des demandes des usagers. Il sera donc intéressant d’en observer les effets sur la fréquentation. Mobilettre reviendra sur le détail de la nouvelle segmentation de la redevance de marché, mais on peut d’ores et déjà souligner des innovations comme la création d’un horaire d’hyperpointe (HH) ou une nouvelle modulation des péages en fonction de la gamme de confort, de la densité en nombre de sièges (pour distinguer les low cost) et de la capacité d’emport structurée par intervalles de nombre de sièges.

L’ART insiste également sur une vérification: que les redevances ne dépassent pas le coût complet de gestion de l’infrastructure, au global et pour chaque service conventionné. Ce serait un comble… Mais elle est rassurée par les éléments fournis par SNCF Réseau, même si elle lui demande d’améliorer sa méthodologie de calcul du coût complet et son estimation du coût directement imputable pour le futur cycle 2027-2029.

A noter enfin que l’ART émet un avis défavorable à l’augmentation des redevances particulières (pour des projets d’investissements spécifiques, comme l’ERTMS sur Paris Lyon, dit «Projet LGV + Paris Lyon»), au motif que leur indexation n’apparaît pas justifiée : «SNCF Réseau n’a pas démontré que les coûts qui fondent spécifiquement des -redevances particulières – et dont la couverture doit s’apprécier aux bornes de chaque projet d’investissement spécifique – suivaient cette indexation.»

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Energie : une recommandation de bon sens

Parmi les 17 recommandations qui figurent dans l’avis motivé de l’ART sur le DRR, l’une devrait être particulièrement appréciée par les opérateurs de fret, dont 75% des trains.km est réalisée par une traction électrique : «que SNCF donne aux entreprises ferroviaires la possibilité de résilier leurs engagements en matière de fourniture d’électricité dans des conditions raisonnables pour leur permettre de rechercher des conditions d’approvisionnement plus favorables, le cas échéant, auprès d’un autre fournisseur.»

L’évaluation est la suivante : en cas de renoncement de toutes les entreprises de fret, SNCF Réseau se verrait infliger par son fournisseur d’électricité des pénalités comprises entre 4,9 et 7,5 millions d’euros. En comparaison, les économies réalisées par ces entreprises en se fournissant elles-mêmes auprès d’un autre fournisseur que Réseau seraient comprises entre 43 et 68 millions d’euros, «en première approche, soit un ordre de grandeur dix fois supérieur.» A première vue, cela en vaut la peine!

De fait, l’ART prend acte du blocage des discussions : les opérateurs de fret sont furieux, SNCF Réseau entend toujours répercuter une augmentation de plus de 400% du tarif de l’électricité, et pour l’instant ni Matignon ni les Transports n’envisagent d’aider les opérateurs ou n’ont vraiment pesé sur Bercy pour compenser à Réseau les quelques millions d’éventuels dédits de contrats.

Reste à connaître la réaction officielle à cette proposition de conciliation de SNCF Réseau, pour l’instant droit dans ses bottes contractuelles, et la capacité des petites entreprises de fret à s’aventurer elles-mêmes sur le marché de l’électricité, avec les nouvelles compétences à acquérir.

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AERIEN

Revenus commerciaux : les aéroports en font des (doubles) caisses

Forte offensive des gestionnaires d’aéroports pour passer en double caisse. Les compagnies résistent, le régulateur est prudent et revendique d’être consulté. Que fera le ministre ?

En novembre dernier, à l’occasion du congrès de l’Union des aéroports de France, son président en invoquant les conditions favorables à la transition énergétique avait souhaité « poser à nouveau la question de l’application du régime de la double caisse à l’ensemble des aéroports régulés. (…) Tous les aéroports régulés doivent pouvoir sortir de la caisse unique. »

Selon nos informations, le ministère des Transports fait actuellement l’objet de fortes pressions de certains gestionnaires d’aéroports en caisse unique pour passer en système de double caisse. Cette décision est en effet une compétence règlementaire du seul ministre chargé de l’aviation civile – il suffit d’un arrêté du ministre Clément Beaune, sans concertation ni consultation du régulateur, alors que les conséquences seraient majeures pour l’économie du secteur et notamment des compagnies aériennes.

A la manœuvre on trouve Eiffage, qui gère l’aéroport de Toulouse, mais surtout Vinci qui est notamment gestionnaire de l’aéroport de Lyon-Saint-Exupéry et d’autres aéroports de province comme Nantes ou Rennes. Il est vrai que les trafics revenant proches de leurs niveaux d’avant Covid, la perspective de recettes commerciales fortes attire les convoitises.

Ce lobbying intense a poussé les représentants de compagnies aériennes à réagir.

Un courrier co-signé de la Chambre syndicale des Transporteurs aériens, de IATA et de BAR France (Board of Airlines Representations), qui regroupe les directeurs généraux des compagnies aériennes exerçant leur activité en France, vient d’être adressé au ministre des Transports pour faire valoir leur point de vue sur ce sujet fortement controversé entre gestionnaires d’aéroports et transporteurs aériens. Ils contestent notamment le prétendu lien entre double caisse et financement de la transition environnementale : « comment affirmer par exemple qu’en retirant la première source de recettes issues des activités extra-aéronautiques (toutefois liées en grande majorité au trafic aérien des compagnies et de leurs passagers) de la « caisse » assurant le financement des infrastructures aéroportuaires, les aéroports seront mieux à même de relever les défis de la décarbonation du transport aérien ? ». Il serait par ailleurs « particulièrement inacceptable que l’ensemble des recettes commerciales attendues à l’issue des travaux d’ampleur en cours sur certains aéroports (travaux du Terminal 2 à Lyon ou projet « cœur d’aéroport » à Marseille faisant l’objet d’un mécanisme de pré-financement par les compagnies aériennes), soit purement et simplement « confisqué » au bénéfice exclusif des aéroports et de leurs actionnaires alors que les compagnies ont contribué à ces investissements en plein cœur de la crise. »

Enfin, les transporteurs aériens se réfèrent à une étude que vient de publier l’ART (« Enjeux et perspectives des systèmes de caisse dans le secteur aéroportuaire ») et qui relève que « le changement de système de caisse d’un aéroport entraine des conséquences importantes sur les redevances payées par les compagnies aériennes » pour le financement du Service Public aéroportuaire. De fait, le changement n’est pas anodin puisque l’on touche à la fois au financement des redevances et au périmètre régulé, donc au contrôle exercé ou non par l’autorité indépendante.

« L’étude de l’ART fait une revue critique des arguments mis en avant par les parties prenantes sur les différents systèmes de caisse afin «d’objectiver les termes du débat sur les systèmes de caisse des aéroports régulés.»

L’ART examine ainsi les modèles de caisse au regard des trois objectifs de régulation : « les redevances doivent fournir un signal-prix permettant d’optimiser l’usage de l’infrastructure aéroportuaire ; l’exploitant doit recevoir des incitations à être efficace et à développer ses activités, qu’elles soient aéroportuaires ou commerciales ; l’exploitant doit pouvoir dégager une juste rémunération des capitaux engagés, sans toutefois être en mesure de prélever une « rente » au sens économique du terme. » Pour ce faire elle passe en revue un certain nombre d’études scientifiques et de documents produits par les parties prenantes dans différents pays européens. Et le moins que l’on puisse dire c’est que la double caisse s’en sort mal…

En système de caisse unique et pour un aéroport doté de capacité inutilisées, baisser les redevances aéroportuaires grâce aux recettes commerciales pour encourager une plus grande activité serait certes bénéfique. En revanche, cela n’a pas de sens dans un aéroport congestionné où « diminuer les redevances aéroportuaires en deçà du coût moyen ne permet pas d’envoyer un signal-prix cohérent avec les capacités disponibles. » C’est là, admet l’ART, l’une des critiques majeures du système de caisse unique. Ce qui ne veut pas dire pour autant que, sur ce point, le système de double caisse règle le problème : « Pour un grand aéroport très congestionné, le gain d’efficacité allocative résultant du passage à un système de double caisse pourrait n’être en réalité que très limité au regard de l’élasticité-prix de la demande de transport aérien. »

Sur les autres points examinés, la double caisse a presque tout faux

D’abord, elle présente « un risque de sur-rémunération des capitaux engagés par les exploitants (capture de rente). En effet, les usagers de l’aéroport sont captifs et les activités commerciales de l’aéroport ne sont donc pas soumises à une pression concurrentielle. Disposant d’un monopole sur le foncier, l’exploitant est en mesure de prélever une rente de situation. » Certains arguments invoqués par les tenants de la double caisse apportent d’ailleurs de l’eau au moulin de l’ART : « Les promoteurs des systèmes de double caisse mettent en avant que les revenus supplémentaires générés par les activités commerciales sont susceptibles d’inciter les aéroports à investir davantage dans les activités aéronautiques ». Mais « cette propriété ne tient que si la rémunération du capital se révèle supérieure à sa valeur de marché, c’est-à-dire s’il existe un prélèvement de rente par l’exploitant. »

De même, l’ART réfute l’argument selon lequel le système de double caisse permettrait de se prémunir contre le risque de sous-rémunération du périmètre régulé. Elle estime que « le principe selon lequel une rente serait la contrepartie d’un risque règlementaire ne constitue pas une bonne pratique de régulation. Le coût du capital doit être conçu pour rémunérer le niveau de risques effectifs. L’existence des rentes ne saurait se justifier comme étant la contrepartie d’un risque de régulation, alors même que la régulation vise justement à éviter les rentes. »

On ne sera pas surpris de la conclusion de l’ART : « la caisse unique est donc largement préférable du point de vue de la régulation économique sectorielle. »

Certes, on pourrait imaginer d’encadrer les rémunérations des activités commerciales pour limiter le risque de capture de rente mais dans ce cas le système de double caisse devient peu ou pas du tout attractif. Si l’on ne veut pas de la caisse unique, reste toujours la possibilité de la caisse hybride, mais elle doit être « paramétrée de façon à limiter le risque de sur-rémunération des capitaux engagés, tout en conservant les incitations de l’exploitant à investir et à développer les activités commerciales. » Et qui mieux que l’ART peut intervenir sur le paramètre des systèmes de caisse hybride ?

C’est donc tout naturellement qu’arrive ce plaidoyer pro domo : le choix du système de caisse est « une question technique justifiant un avis consultatif du régulateur ». En effet, « un changement de système de caisse entraîne des conséquences importantes sur les redevances payées par les usagers et sur la rémunération des exploitants d’aéroports. Par ailleurs », conclut l’ART, « une évolution vers une double caisse est rarement réversible, car le retour à une caisse unique générerait une baisse significative des revenus de l’exploitant aéroportuaire. »

Une majorité de caisses uniques

En 2022, en France, sur 15 aéroports (plus de 5 millions de passagers par an) entrant dans le champ de compétence de l’Autorité de Régulation des Transports (ART), trois seulement ne sont pas en caisse unique, ceux d’Aéroports de Paris, d’Aéroports de la Côte d’Azur et de Bâle-Mulhouse.

Dans le système de caisse unique, les activités de l’aéroport, quelle que soit leur nature (aéroportuaire ou commerciale), sont intégrées dans le périmètre régulé. Dans ce cadre, comme l’explique l’ART, « les redevances aéroportuaires tiennent compte des résultats des activités commerciales, dont les bénéfices peuvent ainsi venir réduire les redevances acquittées par les usagers pour assurer la couverture des charges des services publics aéroportuaires. » A l’inverse, dans le cas de la double caisse, il y a deux caisses bien séparées : la caisse régulée est alimentée exclusivement par les activités aéronautiques et correspond au périmètre régulé. « Dans ce cadre, les charges associées aux services publics aéroportuaires sont entièrement financées par les redevances aéroportuaires. » Quant à la caisse hybride ou aménagée, les deux caisses coexistent sans être étanches : « des recettes issues d’activités commerciales peuvent contribuer au périmètre régulé, soit par reversement d’une partie des bénéfices du périmètre non régulé au périmètre régulé, soit par intégration, dans le périmètre régulé, d’activités non aéronautiques. » Des trois aéroports français qui ne sont pas en caisse unique, ceux de la Côte d’Azur et d’ADP sont de « faux hybrides », estime l’ART dans la mesure où seules certaines activités comme les activités de stationnement contribuent au périmètre régulé. Quant à l’aéroport de Bâle-Mulhouse, il « présente davantage les caractéristiques d’une caisse unique, dans le sens où seules des activités très spécifiques situées en zone industrielle sont exclues du périmètre régulé. »

RESULTATS ANNUELS

SNCF, vive l’après-crise !

Les très bons résultats du groupe SNCF en 2022 confirment la bonne santé des filiales d’exploitation, notamment SNCF Voyageurs et Geodis. Mais rien n’est réglé pour les perspectives de développement des deux gestionnaires d’infrastructure SNCF Réseau et Gares & Connexions.

Le directeur Finances et Stratégie Laurent Trévisani n’a pas caché pas sa satisfaction à Mobilettre à l’énoncé des résultats du groupe SNCF. Il en énumère les raisons : «Notre croissance est rentable, avec un chiffre d’affaires historique à 41,4 milliards d’euros et un résultat net récurrent de 2,1 milliards. Nos fondamentaux sont solides, avec un cash flow positif qui reste dans le groupe et finance le système ferroviaire, et une dette à 24,4 milliards devenue très soutenable. » Fin 2021, il fallait huit années de marge pour rembourser la dette, fin 2022 il n’en fallait plus que 3,7. Merci l’Etat (qui a tenu sa promesse de désendettement de la loi de 2018), qui dit aussi merci à la SNCF qui va pouvoir largement abonder le budget de rénovation de SNCF Réseau, comme prévu dans le contrat de performances, tout en gardant des possibilités d’investissements et de développement (matériel roulant, systèmes d’information, etc).

Dans les détails, Geodis apparaît à nouveau comme la locomotive de la croissance du groupe, avec un chiffre d’affaires en croissance de 67,6% entre 2022 et 2019.

SNCF Voyageurs aussi (+26,7% par rapport à 2021), mais de façon contrastée. De 2019 à 2022, Transilien passe de 3,2 à 3,6 milliards d’euros, TER de 5,1 à 5,5 milliards, traduisant une hausse des trafics et des fréquentations, sans compensations Covid majeures de la part des autorités organisatrices en 2022. Pour TGV/Intercités, la tendance est à -3%, malgré une grosse dynamique de reprise à partir du printemps, ce qui attesterait de la difficulté à augmenter l’offre à proportion d’une demande en forte hausse sur la longue distance, du fait notamment d’un parc de matériel insuffisant. Keolis, de son côté, se contente d’un petit +1,9% à 6,7 milliards. Logique, vu sa domination sur les marchés urbains hexagonaux, encore renforcée par la conservation des DSP de Bordeaux et Dijon et les gains de Valenciennes et Perpignan en 2022… mais avant le résultat de l’allotissement de Lyon.

Reste le cas des deux gestionnaires d’infrastructures, SNCF Réseau et sa filiale Gares & Connexions. Leur dynamique de chiffre d’affaires est correcte (respectivement +9,3% et +5,9% par rapport à 2019) mais leur modèle économique, pour l’instant, n’est pas adapté à une forte croissance du mode ferroviaire tel que projeté et espéré par l’ensemble des acteurs. C’est un peu comme si la loi de 2018 était féconde pour les exploitants, responsabilisés sur leurs propres marchés (y compris Fret SNCF, malgré l’épée de Damoclès de la procédure de la Commission), et restrictive pour les GI, qui ne sont pas dotés par l’Etat des ressources nécessaires. On verra ce vendredi matin avec la remise officielle du rapport du COI (Conseil d’orientation des infrastructures) à la Première ministre Elisabeth Borne si l’Etat a infléchi la doxa de Becy en matière d’investissements long terme sur les infrastructures ferroviaires et multimodales.


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