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Lyon-Turin, l’autre irresponsabilité
On peut pointer du doigt les incohérences écologistes. Mais il ne faudrait pas oublier les coupables procrastinations d’Etat
Des vallées alpines et un littoral méditerranéen saccagés par trois millions de poids lourds annuels, et il faudrait ne rien faire ? Ou laisser croire que l’actuelle ligne ferroviaire du Fréjus pourrait absorber des reports massifs de trafic ? Avec des rampes à 30‰ et des conditions de sécurité très insuffisantes ?
Un projet politique de décroissance, tout légitime fût-il, ne diminuera pas par enchantement tous les flux transalpins. Si les tonnages transportés sur le fer ont chuté, c’est parce qu’ils sont passés sur la route, faute d’infrastructure capacitaire! Que se passera-t-il quand il faudra, probablement, fermer aux poids lourds le tunnel du Mont-Blanc pour des raisons de sécurité ? Les écosystèmes alpins ne valent-ils pas une alternative ferrée et décarbonée ?
On n’en rajoutera pas sur les incohérences de certains écologistes, le week-end dernier sur les plateaux de télévision à l’occasion des manifestations en Maurienne. Car si le débat rebondit aujourd’hui, après déjà vingt-cinq ans d’études, de décisions et de travaux, ce n’est pas principalement à cause d’une nouvelle génération d’activistes radicaux. C’est bien parce qu’au-delà des hésitations italiennes d’hier, de quelques oppositions idéologiques et de très longues concertations, subsiste à haut niveau en France, dans l’administration, une résistance sourde et profonde au Lyon-Turin : trop cher au regard de ses externalités positives. Alors même que l’Europe en financera plus de 50% !
On a du mal à accepter non pas la permanence d’une opinion divergente, mais cette posture active de fonctionnaires influents en coulisses qui a conduit, par exemple, à reporter à la Saint-Glinglin le financement des voies d’accès indispensables à la pertinence opérationnelle et économique de l’ensemble (lors du rapport Duron de 2018). On se demande même comment les politiques successifs, si attachés à l’obéissance républicaine de leur administration, tolèrent depuis si longtemps une telle sédition (oui, le mot est un peu fort…). Heureusement, et la récente réunion de la Commission intergouvernementale (CIG) en atteste, les choses semblent évoluer favorablement.
Le Lyon-Turin ne suffira pas à capter par miracle tous les trafics : c’est pour cela qu’il doit être accompagné d’une interdiction de trafic poids lourds sur les axes routiers concernés ou, s’il faut ménager les formes juridiques, d’une fiscalité dissuasive des tunnels routiers pour le rendre incontournable. En Suisse les flux transfrontaliers sont à 75% sur le rail. CQFD.
Un jour peut-être, deux vallées alpines et l’axe côtier retrouveront de la sérénité et un air meilleur, des trains de voyageurs supplanteront définitivement les avions et une partie du trafic voitures. A condition d’assumer, enfin, une politique de long terme et de la concrétiser au plus vite. G. D.
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SNCF RESEAU
Matthieu Chabanel, la réforme tranquille
Huit mois après son arrivée, pas de grande réorganisation, pas de grand soir managérial ni même d’annonce ronflante, mais quelques axes forts partagés avec les cadres et les équipes. Mobilettre raconte.
Et pourquoi pas ? Pourquoi ne pas oser une forme originale de communication qui consiste à privilégier les pédagogies internes plutôt que les annonces médiatiques prônées par des agences intéressées ? En tout état de cause, à l’heure où nous écrivons, c’est le choix effectué par Matthieu Chabanel pour partager ses nouvelles priorités stratégiques : une communication de proximité, au contact, ces dernières semaines, des DET (directeurs d’établissements) et du Top 300. Viendra peut-être, plus tard, une phase de communication plus externe.
On finissait par se demander si, huit mois après avoir remplacé Luc Lallemand congédié pour intégrisme, Matthieu Chabanel avait renoncé à apporter sa patte à une entreprise écartelée entre le malthusianisme d’Etat et les exigences des territoires. Non pas qu’il faille succomber à la facilité du grand ménage managérial et à l’exercice médiatique pour prendre le pouvoir, mais tout simplement pour rassurer et redonner une consistance stratégique à SNCF Réseau, au-delà de la feuille de route financière de Bercy.
En réalité, Matthieu Chabanel connaît suffisamment bien sa maison et ses collègues pour ne pas ressentir le besoin de brusquer sa nature et ses pratiques managériales. Il ne jouera pas à ce qu’il n’est pas – un bateleur d’estrade. Et sur le fond, pourquoi une énième réorganisation après tant d’autres – quatre en dix ans ?
En revanche, il lui fallait affirmer quelques nouvelles trajectoires, de type transversal, que Mobilettre peut énumérer ainsi :
Les territoires. Conscient que les élus encaissaient de plus en plus mal les rigidités techniques et financières de SNCF Réseau, Matthieu Chabanel, lui-même souvent en mission, renforce le dialogue avec les territoires et prône une méthode plus douce et pédagogique. La direction «Clients et Services» est renommée «Clients et Territoires», et Jérôme Grand, qui connaît bien la maison, va piloter une direction des territoires.
La filière industrielle. Sur les six milliards d’investissements programmés, 80% vont aux achats, au bénéfice d’une large palette d’industriels et de prestataires. Frédéric Michaud, directeur de l’ingénierie, et Valérie Giraudon, directrice des achats, animeront la dynamique de cette filière industrielle très majoritairement non délocalisable.
La performance économique. Un meilleur dialogue avec les territoires ne signifie pas que l’objectif du cash flow positif en 2024 est abandonné, bien au contraire – la réduction des frais de siège reste au programme, par exemple. Mais désormais, en matière industrielle et économique, seuls 20 programmes (sur 42 précédemment) feront l’objet d’une attention plus soutenue, confiée à une responsable bientôt nommée, une ex-DET.
La transition écologique. Toujours pilotée par Alain Quinet, elle devra être plus transversale entre le central et le local, et s’appuyer bien davantage sur les bénéfices de l’économie circulaire. Tout en assumant plus fortement ses hautes vertus décarbonées et ses innovations : quel industriel en Europe a fait disparaître en si peu de temps le glyphosate ?
L’humain. Le tryptique n’est pas très original : recruter, former, fidéliser. Mais manifestement, la nouvelle DRH Misoo Yoon a redonné de l’énergie à ses équipes, par sa franchise et son empathie, pour porter des dynamiques un peu moins techno et déshumanisées – sans oublier de cajoler les sensibles EIC. Il y a du boulot, tellement grande reste la tension sur les effectifs entre la direction financière et les besoins exprimés par le terrain.
Si l’on ajoute à ces cinq axes majeurs une dimension technique (le retour en force de l’ERTMS et l’accélération de la CCR – commande centralisée du réseau), le pilotage des SERM (services express régionaux métropolitains) confié à Thomas Allary et des signes d’ouverture à destination des régions sur les LDFT (lignes de dessertes fines du territoire), on obtient une feuille de route stratégique qui sort des poncifs habituels – la qualité de service, la performance opérationnelle, etc.
Ainsi va Matthieu Chabanel : pas ou peu d’esbroufe, mais de la proximité et de l’attention portées aussi bien aux partenaires territoriaux qu’aux équipes de terrain, sur un fond de crédibilité techno – même si la réforme «Maintenir demain» reste problématique. Quand tant de patrons cèdent à l’injonction d’un management politique par la surmédiatisation externe, l’option Chabanel sera intéressante à suivre.
Nexteo, encore un peu de tension sur les surcoûts
Un an après, est-ce reparti pour un nouveau psychodrame Nexteo ? Souvenons-nous : juillet 2022, Luc Lallemand stoppe unilatéralement et brutalement l’appel d’offres Nexteo RER B et D. Les élus se révoltent ; il n’a pas passé l’été.
En novembre dernier, peu après son retour aux affaires à SNCF Réseau, Matthieu Chabanel relance l’appel d’offres. On arrive aujourd’hui au stade critique de la BAFO (best and final offer) et au point d’équilibre que constitue le protocole de financement Etat-IDFM-SNCF Réseau-RATP. Il y a quelques semaines tout semblait en bonne voie (clauses de confiance, clés de répartition), car personne ne souhaite assister à un remake d’Eole : bataille sur les surcoûts, chantage à l’arrêt des travaux, tempête médiatique…
Oui mais voilà, justement, sur une opération à marge zéro pour SNCF Réseau et RATP, la question des éventuels surcoûts reste sensible dans les détails : qui en est responsable, qui les paiera ? Et au bout du bout, la clause dite «balai», de couverture a posteriori des coûts à terminaison, inquiète les deux entreprises… qui n’ont pas voulu nous en dire beaucoup plus, notamment la Grande Muette RATP qui affirme se concentrer sur la réglementation et la sécurité.
Prudence donc, mais selon nos informations les partenaires sont à la manœuvre pour aboutir au plus vite à l’étape finale du marché… et éviter un nouveau psychodrame public. «La récente réunion du comité de pilotage a confirmé que la confiance revient et qu’on n’est pas loin de converger», nous confie Stéphane Beaudet (IDFM), «satisfait» de constater l’engagement de chacun, à savoir le préfet de Région Marc Guillaume, Matthieu Chabanel et Jean Castex. Epilogue attendu avant l’été.
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BILLET
Railcoop, le mauvais procès
Le petit milieu ferroviaire bruisse de rumeurs sur la prochaine faillite de Railcoop, la coopérative créée pour relancer des liaisons ferroviaires transversales sur lignes classiques. L’échéancier des besoins en cash laisse en effet peu d’espoirs à une rédemption : 100000 € au 30 juin, 300000 € au 31 juillet, 500000€ au 30 septembre, pour un besoin total estimé à 2,8 millions d’euros d’ici l’été 2024 et le lancement de la première liaison Lyon-Bordeaux. L’exercice 2022 s’est en effet soldé par un déficit de 4,3 millions d’euros.
Il est tellement facile d’accabler ceux qui essaient
«C’était écrit», «ce sont des amateurs», voire des escrocs si l’on se hasarde sur quelques réseaux sociaux… Mobilettre ne participera pas de cet hallali, même si nous avons à plusieurs reprises souligné dans nos papiers une excessive accumulation d’obstacles. Railcoop est sous-capitalisé, elle a cru capter trop facilement l’argent des collectivités et promouvoir une sorte de modèle mixte «open access subventionné», elle a vu trop grand trop vite et a dispersé le cash de ses sociétaires, et elle a voulu commencer par le plus difficile, un Bordeaux-Lyon à l’infra dégradée et à l’exploitation compliquée. Mais il est tellement facile d’accabler ceux qui essaient, à l’abri des monopoles publics ou du capital non risqué.
Et si l’on retenait, à l’inverse, les bénéfices à venir de tout ce que Railcoop a défriché en matière de réglementation, d’homologation, de sillons ? Et si son échec prévisible était aussi dû au refus de l’Etat de faciliter l’émergence de nouveaux entrants (absence de garanties publiques, tracasseries diverses…) ? Après tout, ça ne se joue qu’à quelques dizaines de millions d’euros d’expérimenter en grandeur réelle la réhabilitation d’une ligne abandonnée au cœur de l’Hexagone.
Le rail est très capitalistique, et faute d’audace de la part des financiers et de soutien résolu des autorités publiques, tout se finira peut-être par une pseudo-bataille entre groupes publics européens sur des origines-destinations surfréquentées. C’en serait fini d’un ferroviaire de la proximité dont rêvent encore une bonne partie de nos concitoyens.
Le Train, Midnight Trains, Kevin Speed et autres à venir, tenez bon, soyez réalistes et idéalistes, frugaux et ambitieux, modestes et convaincants face aux investisseurs : un autre ferroviaire de la longue distance, moins jacobin, plus connecté aux territoires, imaginatif en matière de services, est encore possible malgré les obstacles. G. D.
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FERROVIAIRE
Hervé Le Caignec quitte Lisea
Il y a des conflits de calendrier qui laissent pantois. C’est au moment même où le projet d’atelier de maintenance ferroviaire porté à Marcheprime (Gironde) par Lisea, le concessionnaire de Tours-Bordeaux, franchissait un cap décisif (l’achat pour 3,5 millions d’euros des 14 hectares nécessaires à l’implantation), que l’on apprenait le départ au 1er septembre prochain d’Hervé Le Caignec, son président depuis mars 2017. Il sera remplacé par Lionel Epely, directeur des financements structurés à Vinci Concessions.
«C’est la vie normale d’une entreprise», se borne-t-on à dire du côté de Vinci Concessions, l’actionnaire majoritaire de Lisea (34,5%) qui a voulu le départ d’Hervé Le Caignec (autres actionnaires : Caisse des Dépôts, Meridiam et Ardian). On saura si à la gouvernance mesurée et efficace d’Hervé Le Caignec, soucieux d’être un interlocuteur ouvert aux collectivités et aux opérateurs, se substituera une stratégie différente. En tout état de cause, face aux réticences des opérateurs à concurrencer la SNCF sur SEA (Sud-Europe Atlantique) ou sur d’autres lignes (on pense aux TET), le choix de proposer un atelier neuf et accessible fait figure de booster inédit.
Hervé Le Caignec, 62 ans, qui a fait une grande partie de sa carrière dans le groupe Vinci, depuis 2001, rejoindra Vinci Autoroutes à la rentrée dans des fonctions à définir avec le président Pierre Coppey.
GRAND PARIS EXPRESS
Ligne 15 ouest : le deuxième marché de conception réalisation prolongé jusqu’en septembre
L’accouchement est difficile. Alors que deux des quatre marchés de conception réalisation des lignes 15 Ouest et Est ont déjà été attribués (15 Ouest de Pont de Sèvres à La Défense, 15 Est de Champigny à Bobigny), le processus de consultation des entreprises se poursuit pour le prochain sur la liste, à savoir La Défense-Saint-Denis-Pleyel (ligne 15 Ouest). Selon nos informations, la Société du Grand Paris se serait récemment inquiétée du niveau probable des réponses financières des candidats, et a préféré temporiser pour induire quelques modifications de cahiers des charges susceptibles d’abaisser les coûts.
Il est possible que les entreprises de BTP soient tentées de jouer la surenchère
Sollicitée, la SGP confirme que «le dialogue compétitif, entamé il y a plusieurs mois, va se poursuivre jusqu’en septembre afin d’aboutir au meilleur projet.» Comme il s’agit des derniers gros marchés attribués dans le cadre de la réalisation du schéma d’ensemble du Grand Paris Express, il est possible que les entreprises de BTP soient tentées de jouer la surenchère – dans ce même registre on verra bientôt dans quelle mesure ils se lancent dans des «claims» sur les marchés en cours de réalisation.
C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles la SGP a cherché à se positionner sur d’autres marchés que l’Ile-de-France, via la proposition de loi dite Zulesi : en restant potentiellement maître d’ouvrage attributaire, elle veut envoyer un signal aux groupements : n’insultez pas l’avenir…
BILLET
Ligne 4: la RATP prend son temps
Mercredi 14 juin, c’était il y a déjà une semaine, des centaines de voyageurs se retrouvaient coincés dans cinq rames de la ligne 4 du métro parisien immobilisées dans plusieurs tunnels, suite à un enchaînement d’incidents d’exploitation. Chaleur étouffante, évacuation longue et laborieuse, tous les ingrédients du buzz ont été réunis.
Après quelques communications maladroites sur la responsabilité des voyageurs, la RATP promettait par la voix de son PDG Jean Castex une enquête sur les causes du désordre et notamment d’une gestion de crise défaillante, ainsi que des propositions d’organisation nouvelle.
Qu’apprend-on aujourd’hui, plus d’une semaine après les faits ? Le rapport d’enquête interne sera disponible dans… un mois.
Il ne s’agit ni d’impatience médiatique ni d’une tentation d’un procès public et bâclé. Mais quand même… Après un tel incident, la RATP se devait de bousculer ses process pour revenir sans délai devant les voyageurs avec un récit et un diagnostic clairs et nets, quitte à prendre plus de temps pour mettre en place des solutions – manifestement celles décidées après un incident comparable sur la ligne 1 en 2018 n’ont pas été efficaces.
Au lieu de cela, le train-train du retour d’expérience se poursuit. La RATP continue de s’épanouir dans l’éternité de sa mission et ne comprend pas l’exigence contemporaine. Pourrait-elle prendre un peu plus en considération le monde extérieur ? G. D.