Mobitelex 421 – 12 juillet 2023

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Retour au calme

Après une année de tumultes, plusieurs points d’accord sont en vue sur les transports en Ile-de-France.

Voilà qu’à quelques jours des vacances d’été il flotte comme un air plus léger sur les multiples sujets de friction entre Valérie Pécresse et le gouvernement, qui ont rythmé depuis un an la chronique médiatique des transports en Ile-de-France. Est-ce le contre-coup du blast social des banlieues qui incite chacun à n’en pas rajouter dans la machine à discrédit politique ? Toujours est-il que sur le financement d’Ile-de-France Mobilités, le contrat de plan Etat-région, le calendrier de la mise en concurrence des bus RATP ou le financement de l’offre supplémentaire de mobilité pendant les Jeux Olympiques, quelques points d’accord semblent possibles (lire aussi ci-dessous).

Les Jeux Olympiques constituent plus que jamais le nouvel horizon d’un pouvoir exécutif fragilisé

Tout est encore fragile et soumis de fait à un suspense, mis en place par Valérie Pécresse en vue de la réunion du dernier conseil d’administration d’Ile-de-France Mobilités avant les congés estivaux, mardi prochain le 18 juillet : financement de l’offre supplémentaire pendant les JO contre déblocage sur le montant de la taxe de séjour et le plafond du Versement Mobilité (VM). Chacun a montré au préalable de meilleures dispositions: IDFM a assoupli le calendrier et les conditions sociales de la mise en concurrence des réseaux de bus RATP, l’Etat a lâché du lest sur sa contribution au futur contrat de plan.

Selon nos informations, des promesses ont été faites dans le bureau de la Première ministre Elisabeth Borne vendredi dernier sur les futurs budgets de l’autorité organisatrice francilienne. Il n’est point besoin d’avoir fait l’ENA pour comprendre qu’à un an des Jeux Olympiques, qui constituent plus que jamais le nouvel horizon d’un pouvoir exécutif fragilisé par la succession de crises sociales, l’apaisement était indispensable.

Il était temps.

Car déjà s’annonce un nouveau chambardement gouvernemental dont seul le roi de l’Elysée maîtrise le calendrier et l’ampleur : avant la fin juillet, à la rentrée, après les sénatoriales, avec ou sans Borne, plus à droite – on n’ose dire plus à gauche ? Pour notre part, puisque depuis les émeutes l’exécutif préfère parler respect de l’ordre et de la loi plutôt qu’affronter la grave perturbation de notre modèle social, il nous paraît indispensable au préalable de montrer le minimum d’exemplarité en mettant fin à l’imposture Marlène Schiappa. G. D.

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EXCLUSIF

L’ART place le réseau ferroviaire au pied du mur d’investissements

Le régulateur vient de réaliser un utile et complet exercice de modélisation qui présente les évolutions à long terme du réseau ferroviaire en fonction des moyens mobilisés. C’est bien simple: avec le contrat de performance actuel Etat/SNCF Réseau et le scénario dit de cadrage budgétaire voulu par Bercy, on va droit dans le butoir, et sans freiner. Nos explications

C’est quand même bien un régulateur indépendant. S’il n’existait pas les services de l’Etat pourraient-ils écrire noir sur blanc les deux phrases suivantes en forme de vérité qui blesse ? «L’actuel contrat de performance entre l’Etat et SNCF Réseau pour la période 2021-2030 fait l’impasse sur la définition d’une véritable vision cible industrielle pour le réseau ferroviaire et sa consistance à dix ans», «le maintien des trajectoires d’investissement actuelles entraînerait inévitablement le gestionnaire d’infrastructure dans une spirale de paupérisation industrielle.»

L’ART prend soin de préciser dans sa synthèse que son exercice de modélisation s’inscrit dans les missions que lui a confiées le législateur, de concourir «au suivi et au bon fonctionnement, dans ses dimensions techniques, économiques et financières, du système de transport ferroviaire national. […] Elle peut après avoir procédé à toute consultation qu’elle estime utile des acteurs, formuler et publier toute recommandation.»

Nous y voilà

Les 100 pages rédigées par le régulateur «avec l’appui des travaux externes de SNCF Réseau et du COI (conseil d’orientation des infrastructures)» puis soumises à échange contradictoire avec la SNCF, SNCF Réseau, Bercy et les Transports sont bien à tour à tour techniques, économiques et financières ; elles dressent un diagnostic aussi clair et limpide qu’une prise de parole publique de François Molins: «Le scénario tendanciel conduit à une concentration des moyens sur le réseau structurant le plus circulé et à une stagnation des trafics durant les deux prochaines décennies.»

Quiconque comprend dès lors le hiatus entre les proclamations publiques pro-ferroviaires du gouvernement, Elisabeth Borne et Clément Beaune en tête, et les trajectoires officiellement fixées. Pire, «cela ne permet pas de conserver les gains de productivité prévus par le contrat de performances au-delà de 2030 en raison d’un renouvellement limité et d’une modernisation lente de l’infrastructure.» C’est la double peine : pas assez d’investissement, c’est pas plus de trains pour pas moins cher. A ce compte-là, les successeurs de Guillaumat auront réussi leur coup : des lignes à grande vitesse, du mass transit dans les grandes métropoles, et basta !

On connaît le mécanisme

Pas assez de régénération c’est plus de coûts d’entretien, et pas assez d’investissements dans la CCR (commande centralisée du réseau) et la signalisation (ERTMS) c’est une absence de baisse des coûts d’exploitation. Les régions seront d’ailleurs particulièrement ravies d’apprendre que la dégradation de l’infrastructure touchera particulièrement les services conventionnés, même si le développement des services express métropolitains apporterait déjà 10 millions de trains.km en 2030. CQFD : de l’argent pour les métropoles (et la grande vitesse), quant au reste…

L’ART précise la mauvaise tendance de la modernisation du réseau : «Au rythme actuel le déploiement de la CCR sur le réseau français ne sera pas achevé avant les années 2070», quand tous nos voisins sont au-dessus de 60% : Suisse 100%, Allemagne 90%, Italie 70%, Grande-Bretagne 60%. Et nous ? A peine 15% des 277 secteurs de circulation sont équipés. Quand je me compare je me désole. Conséquence économique, la France a le bonnet d’âne en matière de trafic par agent circulation (en trains.km annuels) : un peu moins de 40000, contre 140000 pour les Suisses et les Suédois, près de 120000 pour les Anglais et même 50000 pour les Allemands.

Comme dirait Sandrine Rousseau après avoir mis le feu au début public avec assiduité depuis deux ans, «et maintenant qu’est-ce qu’on fait ?»

Pour l’ART, c’est bien simple, le scénario de transition écologique retenu par le COI et son président David Valence «permet de préserver le réseau existant et d’en assurer la modernisation.» Surtout, il accompagnerait la croissance des trafics, conserverait malgré cette hausse des trafics la maîtrise des coûts d’exploitation, grâce à une baisse forte (-42% d’ici 2042!) et durable du coût d’exploitation par kilomètre, et même il permettrait d’augmenter la capacité d’autofinancement de SNCF Réseau. Si tout cela ne ressemble pas à un scénario vertueux : plus de trains, c’est plus de voyageurs et fret, moins de CO2 et une meilleure marge opérationnelle pour le GI.

Cette implacable démonstration va-t-elle convaincre l’Etat et Bercy ? De son côté SNCF Réseau, qui «a nourri le travail mené part l’ART», fait officiellement savoir à Mobilettre que «les scénarios d’investissement de l’ART sont cohérents avec ses propres analyses». Les chiffres ne trompent pas. En revanche, il est probable que le gestionnaire d’infrastructure goûte plus modérément la proposition finale de l’ART, qui souhaite «un renforcement de la planification et du suivi de la réalisation des investissements»: «L’Autorité pourrait assurer un suivi régulier de la réalisation des investissements dans une logique d’incitation à la performance», sur le modèle de la CRE (Commission de régulation de l’électricité).

La planification écologique voulue par Elisabeth Borne va-t-elle avoir raison du malthusianisme ferroviaire de Bercy et de la vision persistante TGV/métropoles d’une partie des décideurs nationaux ? Le travail du régulateur clarifie de façon définitive la situation et les enjeux. Le niveau actuel et probablement durable de la demande de la part des voyageurs et des chargeurs devrait inciter à envisager autrement l’avenir des mobilités, dans le cadre d’une multimodalité rénovée avec la route et d’une économie ferroviaire assainie par la stabilisation à haut niveau de ses investissements.


ILE-DE-FRANCE

Les éléments de l’apaisement

Sur la plupart des sujets de désaccord les choses ont avancé ces dernières semaines entre la région, IDFM et le gouvernement. Suffisant pour débloquer le conseil d’administration d’IDFM du 18 juillet ?

Contrat de plan : l’Etat monterait à trois milliards

Au début de l’histoire Valérie Pécresse espérait un 4+4+2 : 4 milliards de l’Etat, 4 milliards de la Région, 2 milliards des autres collectivités locales franciliennes, soit 10 milliards au total. L’Etat, lui, partait à moins de 2 milliards, y compris la contribution de l’Ile-de-France à la budgétivore LNPN (ligne nouvelle Paris-Normandie).

Manifestement Clément Beaune et le gouvernement ont choisi l’apaisement, pour les raisons évoquées plus haut. On se dirige en effet vers un «8 milliards+», avec l’Etat qui monterait à 3 milliards, la Région et les collectivités ajustant ensuite leurs propres contributions. A noter que le T11 phase 2 (ouest et est) absorberait à lui seul un milliard d’euros.

Financement d’IDFM : banco sur une augmentation de la taxe de séjour et du VM ?

Tout ça pour ça ? Six mois, entre les Assises du financement au mois de janvier et l’arbitrage en cours pour le PLF 2024 et le budget d’IDFM 2024, pour en revenir aux leviers traditionnels : augmentation du Versement Mobilité et de la taxe de séjour, sur lesquels d’intenses échanges ont lieu cette semaine entre Matignon et IDFM, en vue d’un engagement écrit. Tiens! il n’est plus question pour le gouvernement de donner publiquement la leçon en matière de tarification voyageurs. Une nouvelle crise sociale est passée par là, ainsi qu’un rapport IGF/IGEDD trop conventionnel.

Concurrence : on étale en douceur

Sur ce sujet aussi le bon sens semble avoir parlé : point n’est besoin d’une loi pour étaler le calendrier d’ouverture à la concurrence des réseaux de bus RATP, avec des mises en exploitation entre le 1er avril 2025 et la fin 2026, c’est-à-dire après… les Jeux Olympiques. Mais les premières attributions auront bien lieu avant le 31 décembre 2024, pour ne pas contrevenir à la lettre et à l’esprit de la loi, et c’est assez similaire à ce qui s’était passé pour Optile où il a fallu plus de quatre ans pour attribuer tous les lots, tout en respectant la date butoir initiale de 2019 pour les premières adjudications. «Je suis heureux que la Région Ile-de-France se rallie à l’idée d’un décalage de l’ouverture à la concurrence, qui serait étalée sur deux ans. Ce report pragmatique, que je défends de longue date, est bon pour les usagers et pour les salariés», a commenté le ministre Clément Beaune.

Sur les aspects sociaux, les choses ne sont pas absolument claires. Les dispositions réglementaires du CST (cadre social territorial) garantissaient déjà aux salariés RATP le maintien de leurs avantages; Jean-Paul Bailly a livré des recommandations proches de celles qu’il avait faites pour les réseaux Optile. On comprend que l’essentiel désormais se joue sur l’affectation géographique des salariés après les attributions. Jean Castex Premier ministre avait signé le décret CST qui garantissait l’attachement des salariés à leur ligne, Jean Castex PDG de la RATP s’aperçoit que lesdits salariés préféreraient l’attachement à leur dépôt, puisqu’une même ligne peut avoir deux dépôts. Quelques ajustements réglementaires seraient donc à l’ordre du jour, de façon à rassurer… avant les Jeux Olympiques.

JO : place au financement des renforts d’offre

C’est une urgence opérationnelle : de façon à engager des discussions avec les personnels sur leurs disponibilités à l’été 2024, la RATP et la SNCF ont besoin que soient précisés – et financés – les renforts d’offres nécessaires. Autant IDFM a mené à bien son propre processus d’appels d’offres sur les transports des accrédités, officiels et autres volontaires, autant elle a lié le financement des renforts d’offres sur les services RER, métro et bus à un soutien clair de l’Etat sur la structure de ses budgets à venir. D’où la dramaturgie du conseil d’administration du 18 juillet.

Eole, le bon tempo

En 2016 la mise en service technique d’Eole section Haussmann-Saint-Lazare/La Défense Nanterre était prévue pour juin 2022. Elle vient d’être effectuée, avec seulement un an de décalage, malgré les lourdes conséquences de la crise Covid sur les délais industriels. Ce n’est pas un mince exploit, à mettre à l’actif du directeur de projet Xavier Gruz, de ses équipes de maîtrise d’ouvrage et des entreprises prestataires, dont on a déjà loué la qualité et l’efficience.

Cette étape n’était pas une formalité, car il s’agissait de mettre en fonctionnement tous les services ferroviaires de la nouvelle infrastructure, en sécurité : ventilation continue entre les tunnels, mise sous tension de la caténaire à partir des générateurs électriques à l’est, mise en service des postes de signalisation (avec notamment la préfiguration ATS/Nexteo). S’en suivra la réception de la voie elle-même fin juillet début août, avec vérification de sa géométrie notamment.

Le respect du calendrier de la mise en service technique était essentiel car il détermine les phases d’après, à savoir les premiers essais dynamiques qui nécessitent des interruptions de circulation – puisque la montée en vitesse des rames NAT/Francilien se fera en amont de la nouvelle infrastructure. Ces essais déboucheront à l’automne sur une autorisation de l’EPSF nécessaire à la poursuite des opérations par Transilien, parallèlement à l’achèvement des espaces voyageurs en vue d’une mise en service commercial progressive dans un an.

Voilà donc un projet qui dément la réputation d’inéluctabilité des retards industriels en matière de grands travaux en général et d’infrastructures ferroviaires en particulier. Les surcoûts? Ils sont à la mesure des adaptations aux changements de cahiers des charges (notamment sur la gare de la porte Maillot), des aléas techniques, inévitables vu certains défis de génie civil (la gare sous le Cnit) et de l’envolée des coûts des matières premières. Peut-être n’ont-ils pas été suffisamment renseignés en temps réel ? Mais à choisir, faut-il privilégier un reporting comptable au cordeau, qui peut ralentir les processus, ou la livraison dans les temps ?

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MODERNISATION

Métro parisien : difficiles transitions

Les statistiques de régularité au mois de juin sont mauvaises sur les lignes 4, 6 et 11, soumises à des programmes de modernisation importants. Selon nos informations IDFM a commandé une étude à un cabinet d’ingénierie pour savoir si on pouvait automatiser autrement, plus vite et moins cher le métro parisien.

Les statistiques de régularité du mois de juin font apparaître trois lignes en souffrance dans le métro parisien : la 6, la 11, la 4. Un point commun : elles sont toutes les trois en transition : travaux et nouveau matériel roulant pour la 6, prolongement et nouvelles rames sur la 11, automatisation progressive sur la 4. Résultat, de fortes perturbations pendant l’exploitation, malgré un dispositif de fermetures à la circulation très conséquent sur la 4 et la 11.

C’est la semaine prochaine que la RATP présentera à IDFM son rapport sur l’incident d’exploitation de la ligne 4 du 14 juin dernier, qui a révélé les difficultés de l’exploitant à gérer la transition de la ligne. Manifestement, les répercussions sur la régularité de la mise en service des rames 100% automatiques sont bien plus importantes que sur la ligne 1, dont l’automatisation s’est achevée en 2012. On attend du rapport qu’il fasse la lumière sur ces incidents à répétition qui mécontentent les usagers pourtant globalement patients et indulgents, et contrastent avec les autoproclamations récurrentes d’excellence technique de l’entreprise RATP.

Logiquement l’autorité organisatrice s’interroge. La succession d’incidents pendant la période de transition de cette ligne 4, les très importants surcoûts de son automatisation (environ 400 millions d’euros aujourd’hui contre une enveloppe de 256 millions en 2014) mais aussi les rythmes d’automatisation et les devis proposés par la RATP (sur la ligne 13) l’ont conduite, selon nos informations, à commander une étude alternative à un cabinet d’ingénierie. Est-il possible d’automatiser autrement, plus vite, moins cher ? Au rythme d’une automatisation tous les dix ans, voire douze ans, comme le propose la RATP, le métro parisien sera entièrement automatique en 2150. C’est loin.


VIDEO

La joute Djebbari-Beaune

L’échange à distance ne manque pas de piquant. Invité par Le Crayon à réagir à une déclaration de son prédécesseur Jean-Baptiste Djebbari, devant un petit avion, sur «le temps précieux des décideurs» (sic), dans le cadre des Rencontres économiques d’Aix, le week-end dernier, Clément Beaune n’a pas pris de gants : «Je ne suis pas sûr que le temps d’un footballeur ou d’une star hollywoodienne soit beaucoup plus précieux que quelqu’un qui va bosser tous les jours depuis une cité HLM jusqu’au centre des villes pour nettoyer et faire fonctionner nos services publics.» On vous laisse écouter l’échange. Et dire qu’ils appartiennent au même mouvement politique…


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