Mobitelex 424 – 8 septembre 2023

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A contretemps

Dur retour aux affaires : la trêve estivale n’a pas découragé les facilités politiques.

La fin de l’été fut pathétique : la tentative de retour politique de Ségolène Royal avec le soutien de Jean-Luc Mélenchon, les nouvelles saillies gratuites de Nicolas Sarkozy, servies par des médias généralistes complaisants. Passons : le passé leur appartient, leur péremption les condamne.

Mais en cette rentrée, leurs successeurs ne se montrent pas davantage à la hauteur des événements : Emmanuel Macron improvise avec un Youtubeur sur un Pass Rail à l’allemande, quand d’évidence l’urgence est à un choc d’offre pour répondre à la demande (lire ci-dessous). Lui a-t-on dit que la plupart des trains, des TER aux TGV en passant par les Intercités, étaient bondés cet été ?

Tout n’est pas une question d’argent… A lier quasi-systématiquement les changements de comportements à des aides publiques supplémentaires et visibles, les gouvernants infantilisent les Français et réduisent le champ des ambitions. Pire, ils privilégient les effets de signe à court terme aux engagements structurels qui demeurent du ressort principal des autorités publiques.

Les Français demandent plus de transport public, plus de trains, moins chers en ce qui concerne la grande vitesse, avec une meilleure qualité de service. Qu’on les écoute ! Qu’on prenne exemple sur la mobilisation générale en Ile-de-France, amorcée au milieu des années 2000 avec la régionalisation du Stif puis le Grand Paris Express : elle va sauver progressivement la région capitale de la thrombose.

La crise climatique et écologique pourrait se montrer impitoyable avec tous ceux qui privilégient l’intérêt politique à court terme ou restent crispés sur leur matrice idéologique. Les quelques écologistes qui s’opposent par principe au Lyon-Turin et ceux qui tergiversent encore sur le sujet dans l’appareil d’Etat ont l’air malin, depuis l’éboulement en vallée de la Maurienne. Eux aussi sont à contretemps de l’Histoire. G. D.

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Planification

Ferroviaire : pourquoi il faut d’abord relever le défi de l’offre

Et pourquoi les trois années qui viennent seront forcément difficiles

En reprenant, lors de son entretien lundi dernier avec le Youtubeur HugoDécrypte, l’idée d’un billet unique pour les TER et Intercités + quelques métropoles, le Président de la République a confirmé l’impression de confusion politique qui se dégage depuis sa réélection en juin 2023. «Oui, ça part dans tous les sens», soupire un vice-président de région : les RER métropolitains, les 100 milliards du ferroviaire, et maintenant le Pass Rail, mais toujours aussi peu de confirmations en matière de financement. Les annonces succèdent aux annonces.

Et si l’on faisait les choses dans l’ordre ? A commencer par prendre conscience du changement de paradigme : les Français (et les Européens dans leur majorité) sont de plus en plus nombreux à être convaincus qu’il faut adapter son comportement en matière de mobilité. Les premiers chiffres de l’été sont spectaculaires : 24 millions de billets de trains vendus, des progressions de 20% sur certains TER, beaucoup d’Intercités et de TGV bondés. La question principale est bien celle de l’offre, qui doit croître pour qu’enfin les parts de marché du ferroviaire en France décollent franchement des 10% et se rapprochent de celles de nos principaux voisins.

Le taux de remplissage à 100% est un mythe technocratique

Profitons-en pour tordre le cou à une relativisation qui consiste à dire que tous les trains ne sont pas pleins, et que donc il faut modérer son enthousiasme… et les investissements. Le taux de remplissage à 100% est un mythe technocratique qui ne correspond pas aux spécificités ferroviaires : il est assez logique que le matin les trains du quotidien qui irriguent les bassins d’emploi soient davantage remplis que ceux qui en partent, ou que certaines origines-destinations TGV soient plus prisées que d’autres. En 2022 le taux moyen d’occupation des trains en Suisse, la référence mondiale du ferroviaire avec le Japon, était de 23,9%, juste quelques points en-dessous de l’avant-pandémie.

Donc, faire les choses dans l’ordre, et commencer par augmenter l’offre, sur tous les segments, y compris le fret. L’affaire n’est pas simple : quand ce ne sont pas les travaux d’infrastructures qui obèrent la capacité, c’est la pénurie de matériel roulant qui limite le renfort d’offre, quand ce sont pas les finances qui font défaut, c’est le manque de conducteurs qui menace.

Examinons activité par activité

Sur la grande vitesse, pendant les trois ans qui viennent la SNCF devra bricoler avec son parc actuel. Les TGV M d’Alstom ne seront pas livrés avant 2025 au mieux, et à un rythme d’un par mois si tout va bien. Le programme Botox de prolongation de la durée de vie des rames ne donnera pas de résultat, si tout va bien, avant 2026. Bref, malgré l’optimisation des roulements et l’augmentation tendancielle des durées quotidiennes de circulation, il ne faut pas s’attendre à des miracles. Côté concurrence, dans ce laps de temps seuls Trenitalia et la Renfe sont en mesure de contribuer à augmenter sensiblement le nombre de places. En résumé, la seule infrastructure en très bon état qui pourrait accueillir plus de trains n’en accueillera guère plus dans les trois années qui viennent. C’est ballot.

Sur les Intercités, de jour comme de nuit, les problèmes d’infrastructures et des matériels à bout de souffle compliquent les exploitations. Les nouvelles rames actuellement construites par CAF sont attendues avec impatience. L’appel d’offres sur Bordeaux-Nantes et Nantes-Lyon sera-t-il fructueux ? De manière générale, l’appétit des voyageurs pour ces liaisons moins rapides exige d’y consacrer à nouveau des efforts conséquents, après deux décennies de négligence voire d’abandon.

Pour les TER, le retour des voyageurs est une excellente nouvelle même s’il met en évidence un système ici et là trop artisanal, qu’il va falloir moderniser à coups d’investissements massifs, aussi bien en matière de maintenance qu’en termes d’infrastructures et d’exploitation (signalisation, alimentation électrique, présence humaine etc). Plusieurs régions se montrent inquiètes : si la croissance du trafic se poursuit, comment pourront-elles faire face avec leur finances corsetées par la décentralisation à la française ?

Pour le fret, les opportunités de croissance pourraient finalement être assez rapides. Les chargeurs poussent à la diversification de leurs flux logistiques et les opérateurs sont disponibles avec de vraies réserves de matériel roulant vu l’existence d’un marché de l’occasion. La vraie limitation relève de l’infrastructure, avec beaucoup de travaux de nuit et des terminaux qu’il faut urgemment moderniser ou mettre en service. Mais en accélérant l’application des mesures de la stratégie nationale de développement du fret ferroviaire, de premiers résultats pourraient embellir le paysage.

Faute d’avoir pris suffisamment tôt la mesure de la crise écologique, les pouvoirs publics se retrouvent piégés par les conséquences de leurs sous-investissements ferroviaires et la priorité accordée à l’assainissement comptable. Certains de nos voisins ont su anticiper, comme les Italiens et les Anglais. La France est, elle, au pied du mur, mais au lieu de construire une échelle, elle continue à faire des phrases. Comme l’a souligné avec humour sur France Info Frank Dhersin, vice-président de la région Hauts-de-France, «il faut surtout qu’Emmanuel Macron arrête d’avoir des idées avec le pognon des collectivités locales.»

Augmenter l’offre… et améliorer la qualité de service. L’autre leçon de cet été, outre les très nombreuses saturations, c’est la multiplication surtout en août de perturbations qui montrent la fragilité du système sous tension. Trains annulés au dernier moment, retards très conséquents (notamment sur les transversales Intercités), déficience ou absence d’accompagnement des voyageurs en perdition : manifestement le système n’est pas configuré pour une forte croissance, encore moins pour le X2. Il va falloir accélérer là aussi la modernisation des infrastructures (gares, postes de commande, signalisation etc) et des ateliers de maintenance, ainsi qu’adapter les organisations de production.

Emmanuel Macron veut-il copier les Allemands ? Les Néerlandais ? Fait-il trop confiance à son ministre Clément Beaune qui a choisi ce cheval de bataille du billet unique pour exister sur la grande scène publique ? En tout état de cause, il n’y a qu’une option d’avenir pour le ferroviaire français : elle est systémique, et passe par un engagement de long terme des pouvoirs publics.

SNCF, dix milliards pour le ferroviaire?

On ne sait pas encore d’où viendront les 100 milliards promis au printemps dernier par Elisabeth Borne au développement du ferroviaire, mais ce qui semble déjà se profiler, c’est une ponction supplémentaire sur la SNCF.

Les dotations au fond de concours, pour alimenter les caisses de SNCF Réseau, s’élèvent à 6 milliards d’euros sur dix ans, selon la version de 2022 du contrat de performance Etat/SNCF Réseau signée en catimini par Jean-Baptiste Djebbari et Luc Lallemand juste avant l’élection présidentielle. Selon nos informations, il s’agirait d’y rajouter 4 milliards sur la période, ce qui porterait la contribution de l’entreprise publique à 10 milliards.

Clément Beaune serait vent debout contre cette idée de Bercy, incluse dans le projet de plan stratégique de la SNCF. On comprend pourquoi. Et les Français comprendraient aussi enfin pourquoi ils ont l’impression de payer aussi cher le TGV, pour pallier le désengagement de l’Etat.


INFRASTRUCTURES

Traversées alpines : pourquoi la crise ne fait que commencer

Et pourquoi il ne faut plus tergiverser sur les voies d’accès au Lyon-Turin

Personne n’a osé dire, vu les conséquences de l’éboulement massif dans la vallée de la Maurienne qui bloque l’A43 jusqu’à ce week-end et la ligne ferroviaire jusqu’à nouvel ordre : «Qui aurait pu imaginer que la montagne s’écroulerait ?» Et pour cause : les spécialistes alertent depuis si longtemps sur les risques encourus.

Il y a trois liaisons routières capacitaires entre la France et l’Italie (on exclut les cols difficiles d’accès qui ne peuvent accueillir de trafic important en matière de poids lourds) : le tunnel du Mont-Blanc, le tunnel du Fréjus, Menton-Vintimille. Les trois sont incapables d’absorber à l‘avenir davantage de trafics. Voici pourquoi.

Le tunnel du Mont-Blanc, 1,7 million de véhicules par an mais «seulement» 565 000 camions, doit être soumis rapidement à des travaux conséquents qui exigent des fermetures longues. Elles étaient prévues à partir du 4 septembre, elles ont été reportées in extremis à cause de l’éboulement en Maurienne. Mais cette déjà vieille infrastructure (1965), en partie modernisée après le dramatique accident de 1999 (39 morts), souffre de pressions de toutes sortes et d’infiltrations. Sa voûte et sa dalle doivent être remplacées. Les trois années qui viennent seront consacrées à des travaux d’expérimentation sur quelques centaines de mètres, afin de décider de la méthode employée sur la totalité des… 11,6 kilomètres. Autrement dit, sur les dix ans qui viennent, le tunnel du Mont-Blanc aura des ouvertures intermittentes.

De là à relancer l’hypothèse d’un deuxième tube, il n’y a qu’un pas que les Italiens, surtout, voudraient bien franchir. Mais côté français, ce n’est pas du tout la même tonalité : la vallée de l’Arve et de Chamonix voudrait au contraire en finir avec cet aspirateur à camions qui aggravent la pollution atmosphérique et affecte l’attractivité de lieux de montagne emblématiques.

Le tunnel du Fréjus (2 millions de véhicules par an dont 900000 camions) faisait figure jusqu’à maintenant de voie royale pour les marchandises: un tunnel moins fragile et plus récent (1980) que le Mont-Blanc, et des accès autoroutiers larges et capacitaires de part et d’autre de la frontière. Mais les problèmes répétés en Maurienne – l’éboulement du 27 août est le deuxième d’envergure après celui du 2 juillet 2018, à Freney, 23 kilomètres en amont – ne ressortent pas de la fatalité : l’alternance de sécheresses aigües et de pluies torrentielles fragilise les parois, malgré des protections qui se multiplient.

L’autoroute littorale Menton-Vintimille voit passer plus de 1,5 million de camions par an, soit l’équivalent des deux autres tunnels, et quatre fois davantage de véhicules particuliers, en moyenne (beaucoup plus pendant l’été). La saturation est fréquente, et il n’y a pas de possibilité d’augmentation de la capacité vu le contexte géographique. L’étroitesse des voies, notamment côté italien, rend très dangereuse toute surcharge de fréquentation par les poids lourds.

Bilan : sauf à réduire drastiquement le trafic de marchandises entre les deux pays, ce qui paraît illusoire vu leur importance et leur nature, l’alternative ferroviaire Lyon-Turin reste la seule solution crédible à la fragilisation des axes routiers et à l’indispensable baisse des émissions carbone. D’autant qu’il apparaît encore plus évident depuis le 28 août que la ligne ferroviaire du Mont-Cenis, très endommagée, ne constitue pas une alternative durable et crédible. Alors, qui ne veut toujours pas du Lyon-Turin et de ses accès capacitaires ?


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