Mobitelex 438 – 19 janvier 2023

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Mobitélex. L'information transport

les décryptages de Mobilettre

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Semaine blanche

Il neige et Jupiter prend son temps. Cela fait une semaine que quinze ministres ont été nommés, et la suite du gouvernement pourrait encore attendre quelques jours. Pour l’instant, on reste dans la phase du récit disruptif et du mouvement permanent. Gabriel Attal un peu partout, Rachida Dati à Clichy avec le Président. Il faut bien essayer de faire oublier l’ahurissante et longue séquence Oudéa-Castéra.

La neige tombe et Paris bruisse. L’incertitude aiguise les appétits et stimule les imaginations. La liste des noms des candidats avérés ou supposés s’allonge chaque jour, les périmètres ministériels sont évolutifs. Hier matin Patrice Vergriete prenait la tête d’un grand ministère Logement-Transports. Le soir même l’échafaudage s’effondrait.

Jupiter doit contempler ces élucubrations avec une certaine délectation. Lui seul finira par décider, un jour, puisque c’est son bon vouloir.

Les frimas persistent, les quartiers généraux frémissent; les Français se lassent. Il serait temps de passer à la suite, c’est-à-dire à l’essentiel : gouverner. G. D.

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RECIT

Des vœux et des messages

De lundi à jeudi, Optile, IDFM, RATP, Gart et UTP ont organisé leurs cérémonies de vœux. Mobilettre raconte.

Le marathon des vœux a commencé lundi sous le pendule de Foucault, aux Arts-et-Métiers, à l’initiative des opérateurs d’Optile. Pourtant, à entendre leur Président Youenn Dupuis, ça ne tourne pas très rond pour eux dans les réseaux de bus de grande couronne: trop de pénalités pour services non exécutés, et des pertes qui s’accumulent. «Mettons-nous autour de la table pour améliorer les conditions contractuelles», propose-t-il – voire implore-t-il – à IDFM.

La réponse de Grégoire de Lasteyrie, maire de Palaiseau et vice-président d’IDFM, était plus carrée que ronde: «Les contrats sont conçus pour être exécutés, et non pour être structurellement avenantés. D’autant plus dans un contexte de mise en concurrence où les termes du contrat sont déterminants dans l’attribution des marchés. Pour être encore plus concret : la théorie de l’imprévision ne peut être utilisée pour neutraliser le risque économique d’un contrat, mais bien pour prendre en compte des faits nouveaux qui ne pouvaient être imaginés au moment de l’attribution du marché.»

Cela dit, IDFM est prêt «à entamer les discussions bilatérales nécessaires dans les prochaines semaines» pour étudier une évolution desdits contrats. Selon nos informations, certains opérateurs souhaiteraient obtenir une progressivité des objectifs de régularité, histoire de se donner le temps de la transition en cas d’alternance, d’autres carrément une baisse des pénalités en cas de non-réalisation de l’offre. On imagine qu’il sera difficile pour les élus d’accepter a priori l’hypothèse d’une exploitation dégradée, alors même que l’autorité organisatrice a beaucoup dépensé pour moderniser les ateliers et les dépôts.

On va même aller plus loin, étant entendu que la viabilité structurelle des contrats est essentielle à la performance du transport public: les très belles marges dégagées pendant des années par les opérateurs d’Optile, du temps des droits de lignes historiques, ne vaudraient-elles pas une forme de compensation dans la durée : «J’ai beaucoup gagné, j’accepte de perdre pendant quelque temps» ? A bas la dictature du bilan annuel… Surtout, il appartient aux groupes, collectivement, de ne pas livrer des réponses financières trop basses aux appels d’offres afin de faire face aux aléas de l’exécution des contrats. Il se dit que même l’autorité organisatrice semblait surprise des prix proposés par les opérateurs sur certains lots ouverts à la concurrence.

Grégoire de Lasteyrie n’en avait pas fini avec les amabilités à l’égard des opérateurs :

«Nous constatons trop souvent que la fluidité, l’intérêt général, le fair play si j’ose le mot, pourraient être plus encore renforcés lors d’une transition d’un opérateur à un autre».

Les opérateurs avaient le choix entre regarder leurs chaussures et l’inexorable mouvement du pendule de Foucault.

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Rebelote sur ce sujet le lendemain dans une sorte de mezzanine assez obscure en façade de la gare Saint-Lazare, avec les vœux de Valérie Pécresse. La présidente d’IDFM a parlé encore plus cash que son vice-président : «Je le dis calmement mais fermement : les petites mesquineries des opérateurs qui consistent à planter les concurrents à la suite d’un échec à un appel d’offre sont contre-productives : elles contribuent à dégrader l’image des transports au quotidien et elles prennent en otage les voyageurs. J’en appelle à la responsabilité des opérateurs. Sinon Île-de-France Mobilités prendra les sanctions qui s’imposent.»

Dans les réseaux de province la culture d’une alternance respectueuse s’est progressivement substituée à la pratique de la terre brûlée. En Ile-de-France la concurrence est nouvelle, et si tous les opérateurs ne sont pas égaux en termes de «mesquineries», les transitions sont souvent aussi fluides qu’une prise de poste d’Amélie Oudéa-Castéra. Saclay, Provins et la vallée de Chevreuse font assurément partie du Top Ten des transitions foireuses – elles ne doivent pas ternir un bilan globalement très positif.

Voilà pour Optile. Mais Valérie Pécresse n’a pas réservé ses flèches aux seuls opérateurs de grande couronne. Ce mardi 16 janvier, c’était l’after de Noël. On n’entendait dans la salle pleine à craquer que le bruit des semelles des joggers à l’étage au-dessus, quand la présidente a commencé la distribution des cadeaux. Il y en a eu pour tout le monde.

A Alstom : «Vous savez combien nous aimons vos trains, mais nous attendons qu’ils arrivent à l’heure.»

Au ministre des transports «quand il y en aura un» : «Je souhaite que les règlementations européennes et nationales à respecter ne changent plus tous les trimestres.»

A SNCF Réseau, avec une indulgence remarquée qui contraste avec la crise des années 2021/2022 : «Vous mettez aujourd’hui les bouchées doubles pour la régénération du réseau. Nous attendons que les budgets affichés sur les grands projets ferroviaires soient respectés, comme c’est le cas dans les autres pays.»

A la RATP et à la SNCF : «Il y a encore trop de problèmes sur cinq lignes de métro et sur les RER B, C et D. Le retour à la normale post-Covid a trop tardé. Le redressement de la régularité des lignes est urgent et ne peut plus attendre.»

Et puis, pour ces deux opérateurs publics, il y a eu la cerise sur le cadeau, assez logique eu égard la récurrence des dysfonctionnements : «Dans le cadre du comité de pilotage du RER B que je réunirai la semaine prochaine, j’ai demandé à la RATP et à la SNCF la mise en application immédiate des recommandations du rapport Ramette sur l’amélioration du fonctionnement du RER B, qui doit être leur priorité numéro 1. L’absence de dialogue et de coordination entre les deux opérateurs est source de dysfonctionnements : si cela continue, nous n’aurons pas d’autre choix que de demander la création d’une société unique de gestion de cette ligne.»

Les récipiendaires ont encaissé. Depuis le protocole d’accord avec l’Etat en octobre dernier, IDFM voit son avenir financier dégagé, et c’est tant mieux. Du coup, l’autorité organisatrice sort renforcée. Mieux vaut ne pas polémiquer en public, travailler à l’amélioration du service… et préparer les Jeux Olympiques.

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Des Jeux omniprésents, le lendemain, lors des vœux de la RATP et de Jean Castex qui avaient lieu, seuls les esprits mal tournés auront relevé la coïncidence, à l’Elysée… Montmartre. Contrairement aux années précédentes, pas de spectacle un peu lourdingue avec des agents sur scène en service commandé, juste un long discours du président (de la RATP). Avec un message et deux priorités.

Le message, on le résumera ainsi : «Je suis là !» (et pas au ministère de la Défense, qu’Emmanuel Macron lui aurait proposé). «Chargé en cette heure et en ce moment d’incarner le collectif RATP, je continuerai à aller auprès de mes agents […], à me rendre dans les territoires desservis par la RATP […], à me rendre disponible auprès des voyageurs et de leurs représentants.»

Les deux priorités : les JO et les effectifs. L’ancien Premier ministre a soufflé le chaud et le tiède. D’abord le chaud, sur les JO :

«La messe semble dite : ça va mal se passer ! Mon rôle, celui de la RATP, ce n’est pas d’être inquiet ! C’est de travailler, sans relâche, pour être au rendez-vous de ce très important défi.»

Et d’énumérer les efforts en direction des salariés sollicités.

Le tiède, ce sont trois mots: «Nous l’espérons tous, l’inauguration avant les JOP de la ligne 14, prolongée au Carrefour Pleyel au nord et Orly au sud.» La bascule vers le nouveau système de signalisation, fin février, livrera une indication précieuse sur la tenue du calendrier.

La deuxième priorité, c’est de diminuer la tension sur les effectifs, qui incite Jean Castex à l’analyse socio-managériale : «Lorsque vous exercez vos missions, comme c’est notre cas, dans un champ professionnel où l’essentiel des métiers ne se télétravaillent pas, s’accomplissent en horaires décalés, 365 jours par an week-end et 1er mai compris, et qui plus est dans un périmètre où le coût de la vie est le plus élevé et la difficulté à se loger la plus forte pour les salariés, alors vous subissez de plein fouet ces évolutions qui se traduisent par des difficultés de recrutement encore plus marquées qu’ailleurs – où elles sont déjà gratinées – un absentéisme inédit et un turn-over lui aussi inégalé. “Le marché du travail a la bougeotte”, a écrit un sociologue spécialiste de ces sujets. Ces facteurs ont eu et ont encore un impact très direct sur le niveau de l’offre que nous proposons à nos usagers. J’invite tous et chacun à bien prendre la mesure de ces évolutions profondes. On a, sans doute durablement, changé le monde. Et c’est toute notre politique RH qui se trouve questionnée. Comme tant d’autres entreprises, nous ne choisissons plus nos salariés, ce sont eux qui nous choisissent ! Recruter devient plus compliqué, les conserver aussi !»

Il nous semble que ce diagnostic lucide évite d’avoir à poser publiquement, c’est de bonne guerre, quelques autres questions plus dérangeantes sur le management, la culture d’entreprise et la performance à la RATP. Mais on a bien compris que le président Castex était en mission jusqu’à l’automne : réussir les JO et revenir au service nominal commandé par IDFM. La suite est une autre histoire.

Voilà pour l’Ile-de-France, qui va focaliser l’attention pendant une grande partie de l’année, JO oblige.

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La semaine n’était pas finie : place aux vœux du Gart et de l’UTP. Sur une péniche amarrée face à la Tour Eiffel, Louis Nègre président du Gart semblait un peu déçu de n’avoir pas de ministre à l’attention duquel exprimer ses demandes d’argent, dans le sens d’une équité avec l’Ile-de-France «sauvée» par Clément Beaune au grand dam de Bercy à l’automne dernier : «Le projet de loi de finances 2025 devra consolider à son tour le modèle économique des AOM hors Île-de-France, qu’elles soient urbaines ou régionales, métropolitaines ou ultramarines afin d’éviter que se crée une France à deux vitesses, voire des citoyens de seconde zone. C’est pourquoi, nous demandons instamment l’organisation d’une conférence des financeurs de la mobilité du quotidien rassemblant, aux côtés de l’État et des parlementaires, les représentants des usagers, des employeurs et des autorités organisatrices de la mobilité. Cette conférence devra traiter du financement de la mobilité locale, intermodale et bien entendu régionale qui n’est pas assuré à ce jour. Sera également évoqué le financement des services express régionaux métropolitains prévus par la loi SERM.»

Devant les élus et les professionnels, en absence de tout ministre, Louis Nègre aurait-il pu ouvrir la porte à un nouveau grand chantier d’innovation collective? Nourries par la manne du Versement Mobilité, les AOM en sont devenues progressivement les otages, et oublient pour certaines d’entre elles de travailler sur la demande – commander du kilomètre, c’est parfois la facilité. Au-delà du recours à la tarification pour doper la fréquentation (comme à Montpellier), il existe bien d’autres armes pour accroître l’attractivité du transport public dans le quotidien des Français, si l’on reprend la rhétorique guerrière du Président de la République. Elles nécessitent du temps, de l’obstination, de l’imagination, et pas mal de discussions avec les entreprises, les corps intermédiaires, les structures de la société civile…

Le lendemain le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des Territoires Christophe Béchu rendit visite aux opérateurs de l’UTP, dans un grand hôtel rue de Castiglione près de la rue de Rivoli, en compagnie d’Antoine Peillon, le grand planificateur écologique, du nouveau DGITM, Rodolphe Gintz, et en présence du patron du Medef, Patrick Martin. Un joli parterre. Le ministre a pris soin de dire qu’il ne fallait pas voir dans sa présence de préférence volontaire, que c’était juste une question d’agenda que d’assister à cette cérémonie-là plutôt qu’à la précédente, et que Gart et UTP étaient le recto et le verso d’une même partition – on vous laissera juge de l’attribution du recto cette année.

Le ministre maîtrise l’art oratoire, si parfaitement qu’il n’est pas ressorti grand-chose de son éloquente réponse à Marie-Ange Debon. La présidente de l’UTP a été grand seigneur (hommage aux AO et à Louis Nègre) et a choisi l’humilité face aux lacunes d’offre : «Le niveau des services non réalisés reste élevé et non acceptable pour nos voyageurs, mais notre effort de recrutement, d’intégration et de formation a été considérable.» Elle n’a pas voulu quémander outre-mesure. Un leitmotiv : la confiance, pour répondre au défi écologique. «Le déclencheur du report modal est le choc d’offre», a-t-elle martelé, avant d’oser, quelques jours après la conférence de presse du Président où il ne fut jamais question de mobilité en deux heures et quart : «Mon premier vœu pour 2024, c’est le réarmement des transports publics et ferroviaires, le réarmement écologique et social.»

Faute d’encouragement présidentiel, les professionnels attendent la déclaration de politique générale du Premier ministre. Plusieurs d’entre eux, jeudi soir, se montraient inquiets du passage au second plan des questions environnementales, qui sont censées soutenir les investissements en matière de mobilité. «Clément Beaune nous a un peu énervés avec quelques initiatives, mais il rentrait dans les dossiers et se battait courageusement face à Bercy», reconnaissaient plusieurs dirigeants. Impitoyable, la roue politique tourne vite. Qui sera le futur ministre?

Suite des vœux un peu partout en France et à Paris, jusqu’au 31 janvier. Mais d’ores et déjà un premier enseignement:

2024, année d’exception pour l’Ile-de-France, avec les Jeux Olympiques, année d’incertitude pour les territoires et les mobilités collectives.

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