Mobitelex 441 – 9 février 2024

Voir dans un navigateur

Mobitélex. L'information transport

les décryptages de Mobilettre

/ / /

Patrice Vergriete, un choix payant?

Le nouveau ministre délégué aux Transports, promoteur de la gratuité dans sa ville de Dunkerque dès 2018, inquiète déjà professionnels et élus.

Tout ça pour ça. Un mois de vacance de plusieurs portefeuilles essentiels (Logement, Transports, Mer, Industrie, Energie, Outremer…), pour, à l’arrivée hier soir, seulement quelques confirmations et échanges de postes, sur fond de pataquès avec François Bayrou. Un quasi chef d’œuvre de procrastination. Patrice Vergriete, dont il se dit qu’il ne partageait pas les nouvelles options de l’exécutif sur la politique du Logement, atterrit aux Transports.

Pas plus aujourd’hui qu’hier Mobilettre ne fera de procès d’intention : l’ancien maire de Dunkerque, ingénieur des Ponts, des Eaux et des Forêts, a le droit de se révéler à la lumière des mobilités. Mais nommer ministre délégué aux Transports l’un des seuls édiles à avoir instauré la gratuité des transports dans son agglomération alors que le secteur des mobilités urbaines est très affecté par la dégradation de son modèle économique, cela équivaut presque à promouvoir le patron de Total Energies comme ministre de la décarbonation. Tous ceux que nous avons contactés hier étaient «abasourdis» voire même «désespérés».

Première hypothèse: le duo Macron-Attal sait ce qu’il fait, dans la perspective des élections municipales de 2026, et les professionnels et la majorité des élus peuvent se faire du souci. Entre Bruno Le Maire qui ne veut pas lâcher le relèvement du Versement Mobilité en province et un nouveau ministre des Transports promoteur de la gratuité, leur position sera aussi inconfortable que celle d’un militant vegan qui voudrait ripailler au prochain salon de l’Agriculture. Au demeurant, vu la qualité de stratège du commandeur en chef lors des dernières élections (Lyon, Bordeaux ou Marseille gagnées par la gauche), cette stratégie de la gratuité paraît un tantinet aventureuse.

Toutes les enquêtes urbaines montrent que la clé du report modal, c’est le choc d’offre, très très loin devant la tarification.

Deuxième hypothèse: le transfert de Patrice Vergriete aux Transports est juste le résultat d’un jeu de bonneteau, ainsi va la Macronie déclinante. Il faudra donc au nouveau ministre manger son Zot’che en public, à coups de formules qui relativiseront la portée de son choix de la gratuité: «Ce que je veux dire aux maires c’est : n’écartez pas la gratuité par principe, c’est un outil de politique publique qui produit beaucoup de bonnes choses», déclarait-il il y a six mois à Libération. On est plus que circonspect devant ces «bonnes choses» : un report modal voiture/bus très faible, hormis les week-ends, un report modal inattendu et contreproductif des mobilités actives (marche et vélo) vers le bus, et quelques millions d’euros disparus alors qu’il faut développer l’offre. Toutes les enquêtes urbaines montrent que la clé du report modal, c’est le choc d’offre, très très loin devant la tarification.

La situation financière des collectivités locales, effrayées des rumeurs insistantes sur une suppression progressive de la taxe foncière sur les résidences principales (en échange d’un pourcentage de TVA), exclut toute nouvelle improvisation. Il ne manquerait plus qu’une paupérisation du transport public pour que s’allume un nouveau foyer de contestation sociale, de la part de ces invisibles du quotidien qui ne supporteront pas une nouvelle dégradation du service.

Comme prévu Clément Beaune est sacrifié sur l’autel de l’autorité incontestable, au sens premier du terme, du grand chef de l’Elysée. Patrice Vergriete reprendra-t-il ses priorités (titre unique, Passe Rail) ? Réussira-t-il à concrétiser les engagements du précédent gouvernement en faveur de la décarbonation (100 milliards du ferroviaire, SERM) ? Ou bien se contentera-t-il de favoriser l’électrification des véhicules individuels (trois sites de production de batteries sont en construction à Dunkerque) ? Son court mandat à la tête de l’Afitf, début 2022, ne donne aucune indication sur ses dispositions de négociateur face à Bercy. Pourtant, c’est bien là que se joue dans les années qui viennent l’avenir des mobilités pour des Français résolument prêts à changer de comportement. G. D.

AOC s’occupera-t-elle des transports des Jeux Olympiques ?

Amélie Oudéa-Castéra, plus éphémère ministre de l’Education que le pape Jean-Paul 1er en 1978 (33 jours), va-t-elle récupérer en co-responsabilité avec Patrice Vergriete la gestion des Transports pendant les JO? Sauvée d’une exclusion définitive par Emmanuel Macron, elle reste en effet ministre des Sports et ministre des Jeux Olympiques et paralympiques. «Pourvu qu’elle reste à l’écart des Transports !», priaient de concert fonctionnaires et opérateurs cette semaine. Etant donné ses talents de négociatrice exhibés pendant ses quelques jours rue de Grenelle, sa plongée dans le grand bain des mobilités olympiques risquerait de provoquer quelques fâcheuses éclaboussures.

. . .

SOCIAL

SNCF : l’offensive Farandou

En partageant les fruits des probables bons résultats 2023 et en proposant une nouvelle «plate-forme de progrès social» aux salariés du groupe, le PDG de la SNCF veut désamorcer les revendications catégorielles, dont le développement dans la SA Voyageurs menaçait la paix sociale au sein du groupe. Explications.

«Il n’y a pas de SNCF à deux vitesses, et je suis le garant de l’unité, de la cohérence et de l’équité sociale pour tous les cheminots et cheminotes» : cette phrase choc, une parmi d’autres, symbolise l’axe stratégique choisi par Jean-Pierre Farandou pour la table ronde sociale surprise à laquelle il avait convié les quatre organisations syndicales représentatives (CGT, Unsa, Sud-Rail et CFDT), jeudi en milieu de journée au siège de Saint-Denis. Pas question, devant la menace d’une grève des contrôleurs pour les départs en vacances, de céder à des revendications jugées par une bonne partie des cheminots comme excessivement catégorielles. Appliquer les promesses de 2022, oui, sur les rémunérations, l’emploi (+ 200 embauches) et les parcours professionnels des ASCT ; mais les bonus, ils doivent concerner tous les cheminots.

L’objectif est double : endiguer la contagion des revendications catégorielles (aujourd’hui les contrôleurs, demain les guichetiers et les agents de la Suge, eux aussi confrontés à l’agressivité des voyageurs ?), promouvoir une dynamique générale à même de s’imposer à toutes les SA. Ces derniers jours, la SA Voyageurs était dans le viseur pour avoir cédé trop facilement à quelques contestations dans des Technicentres, sous la pression de Sud-Rail, et n’avoir pas vu venir la nouvelle mobilisation des contrôleurs.

Face à l’initiative de Jean-Pierre Farandou, la CGT, premier syndicat de l’entreprise, est prise entre deux feux : saluer une conception unitaire du progrès social qui correspond à son ADN, ou soutenir les revendications catégorielles qui s’expriment sur le terrain, au nom du respect de toutes les luttes. En termes syndicaux, faire alliance objective avec l’Unsa qui préfère la négociation (et ses acquis) à la confrontation, ou marquer Sud-Rail à la culotte dans son opportunisme de terrain. Il semble que devant l’accumulation des propositions faites par Jean-Pierre Farandou, l’option 100% contestataire ait du plomb dans l’aile.

Car parallèlement aux promesses de progrès social (vision pluri-annuelle des rémunérations, transparence sur l’enveloppe des RMPP – rémunérations moyennes des personnels présents), plusieurs mesures attestent d’une volonté de partage des fruits de la bonne santé du groupe : 400€ supplémentaires pour tous les agents, augmentation des indemnités de résidence, création d’un plancher d’indemnité de résidence en Ile-de-France à 100€ par mois, 3000 promotions supplémentaires en 2024, 1000 recrutements supplémentaires (en plus des 7300 prévus), ouverture d’une discussion sur les CPA (cessation progressive d’activité), extension aux statutaires de la prise en charge à 65% par le groupe d’une mutuelle, etc. Les résultats du groupe seront publiés le 28 février prochain. Ils devraient être, en toute logique, assez bons, puisqu’ils permettent d’ores et déjà au PDG de concrétiser le tryptique redistribution-attractivité-fidélisation.

Cet effet «blast» du président Farandou suffira-t-il à désarrimer la CGT et la CFDT de Sud-Rail dans le conflit des contrôleurs ? «Ce ne sont pas quelques écarts mineurs et localisés dans l’application de l’accord [NDLR de 2022] qui pourraient empêcher les Français de partir en vacances», s’est exclamé le PDG. Il n’y a pas que des bobos qui prennent le TGV en février…

En prenant très vite la main sous la pression des contrôleurs, Jean-Pierre Farandou montre qu’il a appris du mouvement de 2022 – le ministre Clément Beaune avait regretté qu’il ait agi trop tardivement pour désamorcer la grève. Mais c’est aussi un message fort envoyé à la SA Voyageurs, principalement, et aux métiers : il ne doit pas y avoir de surenchère catégorielle qui déstabilise l’unité sociale du groupe. L’équilibre est difficile : répondre aux spécificités sans risquer la désintégration, source de conflictualités désordonnées.


RAPPORT

SNCF et la maximisation de l’extraction de rente

Dans son avis sur le projet de budget 2024 de SNCF Réseau, l’Autorité de régulation des Transports met le doigt sur les effets nocifs d’un accroissement du fonds de concours, qui incite à optimiser plus que de raison les prix de monopole. Cela mérite quelques explications.

Faut-il avoir lu Marx pour comprendre au mieux le dernier avis de l’Autorité de régulation des Transports ? Disons que cela facilite les choses, car jusqu’à présent on n’a pas fait mieux pour éclairer certains mécanismes de marché.

En l’occurrence, Mobilettre s’est attardé sur une assertion fort intéressante des experts de l’ART, quasiment à la fin de l’avis sur le budget 2024 de SNCF Réseau. Après avoir relevé les insuffisants gains de performance du gestionnaire d’infrastructure et la part devenue majoritaire du fonds de concours versé par les SA du groupe pour financer les investissements de régénération (55% à 1,71 milliard d’euros en 2024), le régulateur écrit ceci :

La récurrence de ces concours financiers – qui finit par leur conférer un caractère « structurel » – pourrait conduire le groupe SNCF à adapter sa stratégie commerciale afin d’anticiper les attentes de son actionnaire : pour être en mesure d’apporter sa contribution indirecte à SNCF Réseau sans obérer la capacité des autres sociétés du groupe à financer leurs propres investissements, celles-ci pourraient être incitées à maximiser l’extraction de rente en pratiquant des « prix de monopole » sur le marché aval, largement dominé par l’opérateur historique, au profit du marché amont mais au détriment des usagers.

En clair, SNCF Voyageurs exploiterait au maximum la capacité contributive de ses clients, qu’ils soient usagers (dans l’activité open access) ou autorités organisatrices (avec la publication des comptes séparés on s’aperçoit des bénéfices réels des activités Transilien et TER), afin de satisfaire son actionnaire l’Etat qui ne veut pas augmenter ses dotations, mais aussi pour protéger sa capacité d’autofinancement. Ce mécanisme n’est tenable qu’en situation de monopole, d’où le peu d’entrain des libéraux à… libéraliser. La concurrence ferait inévitablement baisser les prix de l’ex-monopole, donc ses bénéfices, donc ses contributions au fonds de concours, et obligerait l’Etat à hausser ses subventions. Imparable.

Concrètement, et cela mériterait à tout le moins un débat public, les voyageurs français de la longue distance et, dans une moindre mesure, les autorités organisatrices, financent à haut niveau la régénération des infrastructures. Pour le groupe SNCF, on comprend que ce mécanisme du fonds de concours est vertueux car il protège des vicissitudes de l’annualité budgétaire – il garantit les investissements de SNCF Réseau. Certes, mais ce n’est pas pérenne, rectifie l’ART, ni équitable, puisque cela place SNCF Voyageurs en client privilégié du gestionnaire d’infrastructure.

Autrement dit, comme l’écrit Eugène Ionesco dans La cantatrice chauve, «prenez un cercle vertueux, caressez-le, il deviendra vicieux».

Paris-Bordeaux, enfin la vérité !

Il en a fallu du temps pour connaître l’exacte vérité sur l’offre grande vitesse entre Paris, Bordeaux et Toulouse, protégée par SNCF Voyageurs au nom du secret commercial. Mais la voilà, grâce notamment à l’obstination du gestionnaire d’infrastructure Lisea, qui a dû développer un dispositif de modélisation de la fréquentation des opérateurs ferroviaires (en l’occurrence SNCF Voyageurs, en monopole sur l’axe) et de leurs recettes basé sur le scraping (en français, moissonnage, une technique d’extraction de données). Du coup, la SNCF, après avoir longtemps choisi le déni et tenté de contrarier les desseins de Lisea, semble en accord avec ces données.

Elles révèlent trois tendances entre 2019 et 2024 : stabilité de l’offre en sièges, baisse des circulations et de la fréquence, augmentation du nombre de trains complets. Dans le détail :

L’offre en sièges-km est restée stable entre 2019 et 2024, grâce à l’arrivée massive des rames Océane et OUIGO, très capacitaires. Le taux d’UM (unités multiples) est passé de 35% en 2019 à 59% en 2023.

Les fréquences ont donc nettement baissé, passant pour les trains quasi-bolides, de 18,5 allers-retours par jour en 2017 à seulement 14 AR/jour en 2024. On a désormais des trous de 2 heures, sans compter les «non-changements» OUIGO/Inoui.

En 2023, 39% des OUIGO ont été complets sur Paris-Bordeaux, 55% sur Paris-Toulouse (30% des Inoui sur Paris-Bordeaux)

Le délai moyen pour que les trains Ouigo deviennent complets s’est spectaculairement raccourci entre 2019 et 2023.

En 2023, le taux d’occupation moyen des OUIGO est estimé à 90% sur Paris-Bordeaux, et 83% sur les Inoui. Du jamais vu !

On estime que ce sont environ 2 millions de voyageurs qui ont été empêchés de prendre le train en 2023 à cause de la pénurie d’offre.

Dernière mauvaise nouvelle, les problèmes d’offre risquent de s’aggraver. En prenant en compte l’évolution du parc TGV en France, son vieillissement, non compensé par les commandes de TGV-M, et en l’absence de concurrence, le nombre de sièges offerts devrait baisser de 10% par rapport à aujourd’hui à l’horizon 2032. Sur la France entière, SNCF Voyageurs affirme pouvoir augmenter de 15% son offre TGV, notamment grâce au programme Botox de prolongation des durées de vie du matériel roulant.


PHOTOS

Gare d’Austerlitz, la belle verrière

C’est une première concrétisation du gigantesque (et très long) chantier de la gare d’Austerlitz : l’inauguration mercredi dernier de la verrière rénovée, au terme de cinq années de travaux (photos ci-dessus, copyright Michel Denancé et Guillaume Satre). Avec ses 7500 mètres carrés, elle couvre la plus grande halle de Paris avec une portée libre de 52 mètres pour 280 mètres de long. Un must, le dégagement en partie ouest de la ligne 5 du métro, qui traverse la halle.

Mais ce n’est pas encore terminé. Si les travaux d’intermodalité seront achevés pour les Jeux Olympiques, les aménagements se poursuivront en 2025, avec la création de 7000 mètres carrés de surfaces commerciales dont un Zeppelin qui accueillera un restaurant (image ci-dessous, ©Wilmotte & Associés Architectes). Et de manière encore plus large, c’est tout le quartier (24000 mètres carrés), entre la gare et la Pitié-Salpêtrière, qui connaît une profonde transformation urbanistique, avec une échéance prévue en 2027.

RENDEZ-VOUS

SERM : des enjeux stratégiques et de gouvernance au service de l’intermodalité

Le 13 mars à 9h30 à Bordeaux, organisé par le Gart et Bordeaux Métropole, animé par Mobilettre

Programme et inscriptions

Abonnement à Mobilettre

Choisissez votre expérience de Mobilettre. Livré par mail, disponible en lecture sur tous les supports.

En savoir plus

Suivre Mobilettre     icone-twitter   icone-facebook

www.mobilettre.com

Les Editions de l’Equerre,
13 bis, rue de l’Equerre, 75019 Paris

logo-footer

Se désinscrire