Mobitelex 449 – 26 avril 2024

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L’impasse

Siphonnés par le quoi qu’il en coûte et les subventions aux entreprises, les ressources publiques ne peuvent plus financer les investissements d’avenir, notamment pour les mobilités du quotidien.

Ça ressemble un peu à un dégrisement. Avec les aides Covid et surtout les boucliers énergie, certains avaient fini par croire aux vertus d’un parapluie public éternel. Mais en quelques semaines, l’état des finances publiques, la remontée du chômage et plusieurs entreprises en difficulté enjoignent à la sobriété : il n’y aura pas d’économie heureuse pour tous en 2024.

Quelques exemples tout frais. La distribution est profondément bouleversée par l’essor du e-commerce : Casino licencie, les plates-formes logistiques poussent comme des champignons. Le bio est affecté par les problèmes de pouvoir d’achat : producteurs et distributeurs peinent à amortir leurs investissements. Nexity supprime 522 postes. La vente de véhicules électriques ne poursuit pas sa croissance, ce qui pourrait fragiliser les stratégies industrielles de long terme. Ces crispations de l’économie rendent ridicules les adeptes du #pasdevague à tout prix. Le marché n’est pas un long fleuve tranquille.

Un bon accord ne vaut-il pas mieux que des absentéismes de fin de carrière ?

Dans ce contexte économique à nouveau tendu, la guerre de tous contre tous est brutalement de retour. L’accord sur les fins de carrière à la SNCF serait donc une insulte aux salariés du privé. #pasdenuance. Doit-on oublier la subsidiarité et la responsabilisation de la négociation collective érigées en principe par les lois Larcher de 2007 puis consacrées par la réforme ferroviaire de 2018 ? Un bon accord ne vaut-il pas mieux que des absentéismes de fin de carrière (lire aussi ci-dessous) ? Et pourquoi, en miroir, ferme-t-on les yeux sur ces trop nombreuses ruptures conventionnelles de cadres du privé à quelques années de la retraite… prises en charge de fait par la collectivité ? Qui spolie qui, en définitive ?

Emmanuel Macron a choisi le ruissellement en 2017 : soutien à des niveaux jamais vus aux entreprises (subventions, défiscalisations, passe-droits) en contrepartie d’embauches pour se rapprocher du plein emploi. Mais la France n’est pas l’Amérique, et cela ne s’explique pas uniquement par nos protections sociales et une supposée inertie de notre appareil économique : ici la rente et le patrimoine l’emportent sur la répartition de la richesse.

L’élastique est tendu à l’extrême. Le double choix du quoi qu’il en coûte et des subventions aux entreprises a fragilisé les finances publiques, qui faute de revirement stratégique ou de nouvelles ressources (impôts exceptionnels) ne peuvent plus abonder les mécanismes de solidarité : indemnisation du chômage, services publics, investissements d’avenir notamment sur le développement des mobilités décarbonées. A lire les éléments de planification des futurs Serm, fournis par le gouvernement, les moyens conséquents n’arriveront pas avant de longues années… Après la crise politique, l’impasse économique. G. D.

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ENQUETE

A Bordeaux, cet incident grave qui va obliger les contrôleurs aériens à badger

Le récent rapport du BEA-aérien sur l’incident survenu en décembre 2022 à l’aéroport de Bordeaux n’a pas laissé le choix à la DGAC… Il fallait mettre fin au «clearance», une sorte de pratique informelle, officieuse mais tolérée par la hiérarchie qui autorisait des agents en service à rester chez eux tout étant rémunérés. Le récit, les explications.

On est passé tout près de la catastrophe, ce 31 décembre 2022 à l’aéroport de Mérignac. En ce dernier jour de l’année, au petit matin, six contrôleurs sont inscrits au tableau de service. Mais le chef de tour, «en accord avec son équipe», écrivent les inspecteurs du BEA en décembre dernier, avait modifié les effectifs à la baisse avant le début de la vacation : ils n’étaient que trois au moment de l’incident, en milieu de matinée. Les trois autres ? Chez eux. Deux n’arriveront qu’à midi, une troisième ne viendra même pas du tout.

A 10h52 un DR-400 (un petit avion à hélices) s’aligne sur la piste pour un décollage, quand un Airbus A320 d’EasyJet Europe est en attente d’autorisation d’atterrissage, sur la même piste. Pris par les nombreux échanges avec les vols VFR (règles de vols à vue), le contrôleur alors en charge des mouvements autorise l’atterrissage de l’Airbus… mais oublie que le DR-400 est sur la piste. Le pilote de ce dernier, impatient de n’avoir pas été autorisé à décoller, se signale alors au contrôleur qui comprend la situation et ordonne à l’A320 d’interrompre l’approche d’atterrissage. L’Airbus remet les gaz in extremis.

«Le point le plus bas de la trajectoire de l’A320 s’est situé à une hauteur de 103ft (c’est-à-dire 31 mètres)», dit le rapport, à environ 290 mètres du seuil de piste. L’appareil a survolé le DR400 à 178ft (soit 54 mètres). Autant dire, en langage de tous les jours, que c’était très très chaud : si le pilote du DR400 ne s’était pas manifesté la collision aurait pu se produire quelques secondes plus tard.

Deux questions se sont posées aux enquêteurs : pourquoi y a-t-il eu délivrance d’une autorisation d’atterrissage sur une piste occupée, pourquoi les effectifs de contrôle étaient-ils insuffisants ?

Les enquêteurs mettent enfin des mots sur l’étendue d’un système informel de gestion des effectifs : «Un consensus social, ancré depuis de nombreuses années à la DSNA (Direction des Services de la Navigation Aérienne), laisse perdurer une situation dans laquelle les équipes de contrôleurs organisent, en dehors de tout cadre légal, un niveau d’effectif présent généralement inférieur à l’effectif théoriquement déterminé comme nécessaire.» Pire encore, «cette situation, hors du cadre légal, mais connue et tolérée implicitement, est de nature à interdire toute collecte officielle d’informations qui conduirait à identifier ces écarts y compris dans le cadre de l’analyse d’événements de sécurité.» Pas de traçabilité, pas de responsabilité !

L’incident grave qui aurait pu se transformer en accident grave a réveillé la DGAC. Les 21 février et 4 avril 2023, la DSNA a effectué de nouveaux contrôles de présence dans les principaux centres français. Sur les deux journées contrôlées, il est noté que : «69 % des agents effectuent la moitié ou plus du temps de travail prévu, sans pouvoir déterminer avec certitude combien d’agents effectuent la totalité de la vacation ; 12 % des agents ne se présentent pas du tout ; 13 % des agents font la moitié ou moins que l’horaire prévu, dont certains moins de deux heures de présence totale.»

Suite à un incident grave à Bordeaux on découvre donc qu’un peu partout en France perdure un système opaque de transgression des règles de présence. Magique… Mais presque tragique.

Mobilettre vous donne à lire une bonne part de la longue énumération des recommandations finales du BEA, qui clôture ainsi tous ses rapports d’enquête, car cela donne la pleine mesure de la situation à laquelle la DGAC a décidé de mettre fin en imposant le badgeage des contrôleurs.

«Considérant:

qu’un armement insuffisant des positions de contrôle et un nombre insuffisant de contrôleurs présents sur leur lieu de travail ont contribué à la survenue de l’incident grave,

les latitudes implicitement laissées par les organismes de contrôle aux chefs de tour pour réduire les effectifs de contrôleurs réellement présents lors des vacations par rapport aux effectifs prévus par le tableau de service, et en dehors de tout cadre légal ;

l’absence de visibilité de l’encadrement sur les effectifs réellement présents ;

la généralisation de ces pratiques au niveau national ;

que ces pratiques, ancrées depuis de nombreuses années et tolérées implicitement dans une recherche de paix sociale, ne permettent pas de s’appuyer sur un système déclaratif pour connaître de façon fiable l’armement des positions de contrôle et la présence des contrôleurs sur leur lieu de travail ;

que la DSNA n’a pas de moyen à l’heure actuelle de connaître de manière fiable et objective l’armement des positions de contrôle et la présence des contrôleurs sur leur lieu de travail ;

que l’armement des positions de contrôle et le nombre de contrôleurs présents sont des composantes essentielles du niveau de sécurité du service rendu ;

[…]

Le BEA recommande que la DSNA équipe les centres de contrôle d’un moyen automatique et nominatif d’enregistrement de présence des contrôleurs sur position et sur le lieu de travail, et s’assure que ces informations soient utilisables par les services de la DSNA, notamment pour s’assurer de l’adéquation des effectifs et permettre l’analyse des événements de sécurité.»

A la lecture de ce rapport du BEA, on se dit que le mouvement de grève actuel des contrôleurs n’est pas des plus admissibles, à tout le moins pour ce qui touchait à la compensation du badgeage. Car manifestement, lesdits contrôleurs entendaient bien obtenir une contrepartie au strict respect de leurs tableaux de service. Une augmentation de salaire pour revenir à la normale, il fallait y penser !


GROUPE SNCF

L’accord social qui réunit et divise

Un accord social signé par tous les syndicats représentatifs de la SNCF, c’est inédit. C’est forcément louche, en ont conclu toute la semaine une ribambelle de commentateurs. Mais qu’y a-t-il de louche à mieux organiser la fin de carrière de salariés aux métiers pénibles ? Pour 35 millions d’euros par an et une amélioration de la prévisibilité des effectifs, ce n’est peut-être pas le scandale dénoncé par les Républicains et moultes médias.

La SNCF est définitivement le meilleur punching ball national. On en comprend les mécanismes : la pénurie de places dans les TGV, la perception majoritaire de leur chèreté et la persistance d’irrégularités à trop haut niveau dans les trains du quotidien incitent les Français, les médias et les élus à des critiques récurrentes auxquelles, pour notre part, nous associons souvent les pouvoirs publics puisque le couple Etat/SNCF reste bien trop consanguin. Pourtant, la légitime exigence du voyageur doit-elle induire la mauvaise foi ?

Les critiques sur l’accord sur l’amélioration des conditions de fin de carrière n’en sont pas dénuées. Faudrait-il faire un palmarès des métiers les plus pénibles pour stopper la course aux comparaisons? A Bruno Retailleau, le chef des sénateurs Républicains, la palme de l’exagération : il estime le cadeau fait aux cheminots à 300 millions d’euros : de bonne source, il s’agirait de 35 millions, presque dix fois moins. Et sans comptabiliser les «bénéfices» que pourrait générer une modélisation des effectifs de sortie. En effet, au lieu de mettre sa hiérarchie devant le fait accompli d’un soudain départ à la retraite, le cheminot pourra signer une cessation programmée d’activité, ce qui permettra de garantir une meilleure gestion prévisionnelle des effectifs. On pourrait même spéculer sur une nouvelle forme de fidélisation à l’entreprise, puisque la fin de carrière est améliorée. Ainsi, depuis la fin de la crise Covid, pas mal de salariés expérimentés des ateliers ont en effet déserté sans avoir le temps de transmettre leur savoir.

Le gouvernement précédent voyait plutôt d’un bon œil ces négociations de nature à adoucir la situation sociale suite à la réforme des retraites. Et l’actuel, même s’il s’en défend, avait tout intérêt à ce que Jean-Pierre Farandou apaise le climat avant les Jeux Olympiques. Ce dernier pouvait-il faire autrement ? Et comment ? Les censeurs sont rarement aux manettes. On verra ce que réussit à faire Jean Castex de son côté pour apaiser le climat social.

En attendant, les concurrents de la SNCF craignent une «contagion» de ces dispositions généreuses à la branche ferroviaire qui compromette leur compétitivité. Seront-ils contraints de s’aligner ? Ou trouveront-ils, chacun dans son entreprise ou collectivement, d’autres ressorts de fidélisation par une meilleure organisation du travail, des incitations au mérite ou une meilleure gestion des carrières individuelles ?


MANAGEMENT

Transdev se renforce dans le ferroviaire

A quelques semaines de l’attribution officielle de la ligne 14 Nancy-Contrexéville par la région Grand-Est au groupement qu’il a constitué avec NGE, Transdev réorganise le management de son activité ferroviaire. Et manifestement, c’est pour la consolider et la développer.

Laurent Sénigout, ex-Keolis passé par Montpellier, n’en finit pas de monter dans l’organigramme de Transdev puisqu’il devient DGA (directeur général adjoint) ferroviaire et transports urbains (sous la responsabilité d’Edouard Hénaut, directeur France). Alix Lecadre qui lui rapporte est nommée directrice ferroviaire, dans une succession fluide et préparée de l’expérimenté Claude Steinmetz, qui reste président de Transdev Rail et accompagnera spécifiquement sur le ferroviaire Alexandre Mora dans son travail commercial et institutionnel.

La mise en route du contrat avec la région Sud sur Marseille-Vintimille dans un peu plus d’un an est au premier rang des priorités de Transdev en matière ferroviaire ; mais déjà se profilent quelques appels d’offres auxquels l’entreprise candidatera probablement. Ce devrait être le cas du Lot 3 de la région Sud, puisqu’une première rencontre avec les représentants d’usagers (le Collectif de l’Etoile ferroviaire de Veynes) a eu lieu le 10 avril dernier.

Allemagne : le transport public déjà victime des 49 euros

C’est une sérieuse alerte rapportée par nos confrères des Nahverkehrs-Nachrichten : le Land du Schleswig-Holstein s’apprête à réduire l’offre ferroviaire en 2024/2025, jusqu’à 10 % en trains.km, car il lui manque 50 millions d’euros. En clair, comme le forfait à 49 euros n’a pas été contre-financé par une ressource particulière (par exemple la suppression de la défiscalisation des voitures de fonction), les 3 milliards de manque à gagner de recettes, partagés entre Länder et Bund (le niveau fédéral), sont pris sur les budgets d’investissement et de fonctionnement. Et selon nos confrères, les services de bus et certaines sections du RER (S-Bahn) de Hambourg seraient aussi impactés.

Voilà donc l’addition ! A ceux qui, ici en France, critiquaient les régions pour leur tiédeur face à la mesure, la réponse est cinglante : si la baisse des tarifs aboutit à une réduction d’offre, où est le bénéfice pour les voyageurs et la décarbonation ?


Mobilettre et TDIE poursuivent leur partenariat au long cours, ouvert avec l’élection présidentielle de 2012, élargi depuis 2019 à l’élection européenne. Ils organisent ensemble un grand débat deux semaines avant le scrutin du 9 juin, avec les candidats et leurs équipes, pour les inciter à se saisir des questions politiques du secteur des transports et faire des propositions engagées, argumentées, étayées.


Le jeudi 23 mai 2024, de 16h à 19h, au Beffroi de Montrouge
43, Avenue de la République, 92120 Montrouge
Métro Mairie de Montrouge | Bus 68.



Attention le nombre de places étant limité, il est indispensable de s’inscrire. Vous recevrez alors une confirmation et des informations complémentaires quelques jours avant l’événement. Merci.

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