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Après le 7 juillet
Le chaos politique provoqué par la dissolution de l’Assemblée nationale inquiète les acteurs publics et le secteur de la mobilité.
Au rythme où s’enchaînent les coups de théâtre politique (trahisons de Ciotti et Maréchal, union express de la gauche, dissensions au sein de la majorité présidentielle), on se gardera bien de tout pronostic sur la composition de la future Assemblée nationale. Le scrutin à deux tours par circonscription génère mécaniquement des dynamiques d’entre-deux tours que les sondages sur les intentions de vote ne peuvent anticiper.
Les dirigeants que nous avons interrogés redoutent logiquement l’hypothèse d’un gouvernement mené par Jordan Bardella
Mais une chose est quasiment certaine, le Président de la République va probablement par sa dissolution au calendrier insensé rendre instable la gouvernance politique de la France à deux semaines de l’ouverture des Jeux Olympiques, puisqu’il semble acquis qu’il ne réussira pas à récupérer une majorité absolue pour son camp. Quel exploit ! Plus d’instabilité après qu’avant la dissolution! Le 8 juillet, il est même possible qu’aucune majorité relative ne soit en position de gouverner durablement. Une première en 66 ans de Cinquième République.
Les dirigeants que nous avons interrogés redoutent logiquement l’hypothèse d’un gouvernement mené par Jordan Bardella, même s’ils restent silencieux publiquement. A un tel niveau électoral, bien au-delà des 30%, le vote d’extrême droite touche parfois massivement leurs salariés, y compris dans des entreprises publiques qui sont dans le viseur des populistes de droite (Eric Ciotti, nouvel allié du RN, a récemment appelé à la privatisation de la SNCF). Leur inquiétude tient aussi bien aux fondements idéologiques du Rassemblement National qu’aux contenus spécifiques de la politique des transports qui pourrait être suivie. Comment poursuivre une politique ambitieuse de transport public avec la priorité absolue accordée à la baisse du prix de l’essence et à la voiture particulière ?
Certains se rassurent avec l’inertie du système qui condamnerait de trop fortes foucades idéologiques, d’autres insistent sur les risques inhérents à la libération des pulsions intolérantes dans l’espace public. Gardons espoir : le vote n’est jamais sûr. G. D.
Quand le politique vacille, que reste-t-il ?
La solidité des acteurs publics et des entreprises publiques et privées! Et dans les prochaines semaines, il va leur falloir une sacrée dose de résilience pour affronter les défis estivaux : départs en vacances et Jeux Olympiques.
Il leur en faudra tout particulièrement, de la résilience, aux dirigeants des deux entreprises publiques phares du secteur. Jean-Pierre Farandou s’était vu notifier son départ de la SNCF en octobre prochain – même si formellement son mandat expirera en mai 2025. Jean Castex n’a pas eu le temps d’être auditionné par les Commissions parlementaires, il va donc se trouver en juillet dans un interim de fait.
Nul doute que dans le bazar des prochaines semaines, ils sauront rester solides avec leurs équipes pour garantir la continuité et l’essentiel du service public.
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France 2030
Formation, la très bonne affaire de l’UTP
La fédération patronale vient de se voir attribuer par France 2030 une somme de 8 millions d’euros pour financer un projet intersectoriel de développement d’outils de formation aux métiers de la mobilité.
Au vu du calendrier politique, c’est in extremis qu’a été formalisée et validée l’attribution à l’UTP par le Premier ministre Gabriel Attal, au titre de France 2030, de huit millions d’euros. Mais en réalité, c’est l’aboutissement logique d’un long travail de mise au point (depuis la mi-2023) d’une candidature solide, par les équipes de la déléguée générale de l’UTP, Florence Sautejeau. Bruno Bonnell, secrétaire général de France 2030, n’a-t-il pas confié que le projet de l’UTP était «le plus systémique» de ceux qu’il avait pu analyser ?
Cela mérite quelques explications. L’UTP, présidée par Marie-Ange Debon, a répondu à l’appel à manifestation d’intérêt «Compétences et métiers d’avenir», dans le cadre du plan de production de deux millions de véhicules zéro émission à l’horizon 2030. Surtout, elle y a répondu dans une logique de filière, en associant l’ensemble des partenaires des secteurs de la mobilité urbaine, interurbaine et ferrée) : Opco Mobilité, Aftral, Klesia, FNTV… La stratégie : créer un collectif pour mettre en place des outils de formation tous niveaux, du CAP au Bac Pro en passant par les diplômes d’ingénieurs. 90 actions de formation ont été imaginées et conçues, tous métiers : conduite fret et voyageurs, maintenance infrastructure, smart mobility, IA…
Au total les besoins sont énormes : 100 000 recrutements d’ici 2030
Les deux mastodontes du transport, la RATP et la SNCF, ont compris qu’ils ne pouvaient plus tout faire tout seuls, a fortiori dans un contexte d’ouverture à la concurrence qui impose de partager des bases communes, notamment en matière de sécurité. Au total les besoins sont énormes : 100 000 recrutements d’ici 2030. Il s’agit donc d’aller convaincre de nouveaux profils, bien au-delà des gisements habituels. Il en va de l’attractivité d’une filière et donc de sa performance économique et sociale.
Cette ambition d’acculturation œcuménique s’est déjà matérialisée dans un lycée professionnel de Limoges, avec un diplôme de maintenance cars et bus. L’UTP a d’ailleurs poussé l’esprit de concorde en mettant en place un comité consultatif associant les différentes parties prenantes, au-delà des opérateurs : Gart, Régions de France, Cerema, ANCF…
Concrètement, c’est Géraldine Adam, directrice adjointe du département des Affaires sociales, qui pilotera le projet appelé «Transformeurs», à la tête d’une équipe de sept personnes. La contractualisation, menée par la Caisse des Dépôts d’ici le printemps 2025, aboutira au déblocage de huit millions, auxquels il faut ajouter 4 millions de la part des partenaires financeurs et une valorisation des temps consacrés par les équipes de la fédération.
STRATEGIE
Pourquoi SNCF Voyageurs se développe en Italie
Aller chercher hors de France du chiffre d’affaires et des marges qui pourraient se réduire ici même.
SVI (SNCF Voyages Italie) avait pris soin ces dernières années de garder son certificat d’opérateur dans la Péninsule, où les souvenirs du groupe SNCF sont très mitigés (Guillaume Pepy avait renoncé en 2015 à poursuivre sa participation au sein du consortium NTV/Italo). Mais malgré les bruits récurrents autour d’une nouvelle offensive stratégique, nous n’avions pu en établir ni la matérialité ni le calendrier, jusqu’à douter de sa mise en œuvre. Etant donné les pénuries d’offre et de matériel dans l’Hexagone, est-il raisonnable de consacrer des moyens matériels, humains et financiers à une diversification à l’étranger ?
La réponse de SNCF Voyageurs est donc tombée cette semaine : c’est oui. Des accords-cadres ont été sollicités auprès du régulateur italien pour quinze ans, à partir de 2026, sur treize allers-retours quotidiens sur deux axes : Turin-Milan-Rome-Naples (neuf AR) et Turin-Venise (quatre AR). Pour un voyageur français, Turin peut donc devenir un hub européen d’offres TGV. Quinze rames TGV-M avaient été commandées spécifiquement en 2022, en sus des 100 rames pour l’Hexagone.
Le marché italien est présenté par SNCF Voyageurs comme «dynamique, avec un réseau en plein développement, naturel et pertinent»… mais pas encore mature : 80% des voyageurs italiens qui ne prennent pas le train sont pourtant tentés de le faire. Une telle aubaine commerciale ne se refuse pas?
La profitabilité ne serait atteinte que la quatrième année – soit en 2029 (à titre de comparaison les bénéfices de Ouigo España sont attendus sur l’actuelle année 2024, au terme de presque quatre années d’exploitation, et de deux années de déficit, selon nos informations). A cette date, des offres concurrentes de la SNCF sur la grande vitesse en France (Trenitalia, Renfe et les start up) devraient s’être affirmées.
C’est donc à cette échéance-là qu’il faut analyser cette expansion transalpine. SNCF Voyageurs veut aller chercher à l’étranger du chiffre d’affaires (et de la profitabilité) qu’elle pourrait avoir de plus en plus de mal à développer sur son marché naturel. En Italie, elle développera son offre sur des liaisons très capacitaires, et donc rémunératrices – alors qu’en France, elle doit assurer des dessertes «déficitaires» (Le Creusot, Arras, Remiremont…).
Certes SNCF Voyages est une SA, mais c’est aussi une entreprise à capitaux 100% publics. Il semble difficile d’imaginer que son actionnaire l’Etat l’autorise à stopper ses dessertes «déficitaires» qu’on devrait d’ailleurs rebaptiser «à taux d’occupation très réduit» (n’est-ce pas Sablé-sur-Sarthe?), pour des raisons politiques dites d’aménagement du territoire, mais aussi parce que les collectivités locales ont été soumises à contribution pour la construction des LGV (notamment depuis la LGV Est). Pourtant, la SNCF considère que la probable réduction de ses marges sur les axes majeurs (Paris-Lyon, Paris-Bordeaux etc), du fait de l’arrivée de la concurrence, compliquera la pérennisation de ses trains aux taux de remplissage faibles. Du coup, elle compense en Espagne et en Italie. Sur le papier la stratégie est claire. Dans la réalité, on attend la concrétisation dans les comptes, dès cette année, en Espagne.
MOUVEMENTS
Keolis: quand Christophe remplace Alain
C’est une décision de l’actionnaire SNCF : Christophe Fanichet, PDG de SNCF Voyageurs, intègre le conseil de surveillance de Keolis à la place de celui dont il est le supérieur hiérarchique, Alain Krakovitch, directeur de TGV Intercités, dont le mandat arrivait à terme.
Pousse-toi de là que je m’y mette ? L’actionnaire SNCF n’a pas voulu commenter ce mercato auprès de Mobilettre. On va donc y aller de notre hypothèse : délesté officiellement il y a un mois du numérique SNCF au profit de Marlène Dolveck, Christophe Fanichet aurait-il voulu récupérer une fonction en forme de «compensation»? Au nom d’un principe que l’on énoncera ainsi: «Si on n’avance pas ou si on n’accumule pas, on recule». En tout état de cause la SNCF remplace un administrateur reconnu chez Keolis comme compétent et investi au profit d’un PDG mandataire social déjà surbooké.
Décidément le petit monde discret des administrateurs est animé de mouvements parfois déconcertants. Ainsi la présidente du directoire de ladite société Keolis, Marie-Ange Debon, vient de rejoindre le conseil d’administration de Total Energies lors de sa dernière assemblée générale, en remplacement d’Anne-Marie Idrac et après avoir quitté Technip. Une opportunité «qui ne se refuse pas», pour cette spécialiste de l’énergie (précédemment à Engie), mais qui suscite des étonnements au sein du groupe SNCF comme dans le secteur de la mobilité. La dirigeante exécutive d’une entreprise en pointe dans la décarbonation des mobilités entre au conseil d’administration d’un producteur massif d’énergies fossiles, cela ne ressort pas d’une cohérence absolue, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais le petit monde des dirigeants reste plutôt discret et indulgent, attaché à une forme de schizophrénie au nom du respect du travail et de la responsabilité d’un administrateur. «Il faut séparer la fonction exécutive d’un dirigeant du rôle de surveillance qu’il peut avoir par ailleurs», insiste un administrateur, qui rappelle que Catherine Guillouard, PDG de la RATP, était aussi administratrice d’Airbus, sans que s’émeuvent, alors, les consciences écologiques. Les temps vont-ils changer?
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REPORT
Le colloque annuel d’Avenir Transports aura lieu à l’automne
La dissolution de l’Assemblée nationale nous conduit à reporter le colloque initialement prévu le 27 juin prochain, consacré à la desserte des métropoles. Une nouvelle date sera communiquée après l’élection des nouveaux députés.
Avenir Transports, avec Mobilettre