Mobitelex 454 – 21 juin 2024

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les décryptages de Mobilettre

Cynisme électoral

La stratégie d’Emmanuel Macron et Gabriel Attal : bombarder en priorité le Nouveau Front Populaire, qu’ils réduisent aux outrances de Mélenchon, pour sauver leurs députés et envisager un improbable bloc central majoritaire. Ce qui, par la mécanique du scrutin, renforcera le Rassemblement National au deuxième tour. Le risque est énorme. Où s’arrêteront-ils?

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Chronique d’une drôle de période

Parallèlement à l’inquiétude des dirigeants devant les risques politiques et les incertitudes de gouvernance, les inaugurations de gares et prolongements de lignes se multiplient, comme si de rien n’était. En coulisses les plus rigoureux des serviteurs de l’Etat avouent que depuis le début de l’année l’exécutif ne dirige plus grand-chose. Et si la menace d’un raidissement de l’Europe devant les promesses et les engagements non tenus de la France avait précipité la désagrégation politique ? Le récit de Mobilettre.


Le marathon des inaugurations parisiennes

Commençons par les événements publics. La semaine dernière, c’était l’inauguration du prolongement de la ligne 11 du métro parisien, de mairie des Lilas à Rosny-Bois-Périer, et cette semaine, en prélude à la mise en service des prolongements de la ligne 14 (lire ci-dessous), l’inauguration des six nouvelles gares entre Olympiades et Aéroport d’Orly.

Manifestement les quatre gares à maîtrise d’ouvrage RATP vont connaître trois derniers jours d’intense activité. C’est particulièrement vrai à la station Maison-Blanche, dans le 13ème arrondissement de Paris, que nous avons visitée. Il reste pas mal de petits travaux, sans parler des accès immédiats qui, eux, sont de la responsabilité de la mairie. Mais ces scories de fin de chantier, que les autres maîtres d’ouvrage ont réussi à gommer avant les séances inaugurales, ne doivent pas cacher l’essentiel: les délais ont été tenus, in extremis certes avec six derniers mois tendus en matière de mise au point des systèmes et d’essais de circulation, mais les rames neuves circulent sans encombre sur l’intégralité du parcours Orly-Saint-Denis. Bravo. Les voyageurs, c’est pour lundi.

Pour en revenir aux inaugurations de cette semaine, l’ascétisme esthétique de ces gares RATP, entre gris clair et gris foncé, tranche avec les ouvrages sous maîtrise d’ouvrage SGP (et ADP à Orly), imaginées par des architectes qui n’étaient pas bridés par des cahiers des charges volumineux, normatifs et très prescriptifs. Les obsessions d’exploitabilité de la RATP empêchent manifestement d’imaginer des espaces plus attractifs.

Seule attraction de cette nouvelle Maison-Blanche en interconnexion avec la ligne 7, dans un environnement tristouille, sous la tour d’Italie et quelques bâtiments en béton sans relief, la Rivière d’air de l’artiste environnementaliste américain Ned Kahn. Une voile de 70 mètres de long et six mètres de large, portée uniquement par quatre mâts terminaux de 10 mètres de haut, et constituée de 18600 feuilles d’aluminium bicolores. Avec un peu de vent, l’impression visuelle est formidable.

Sur les six gares inaugurées mercredi et jeudi, le principe de les doter d’œuvres d’artistes a fait l’unanimité. Ce parti pris est porté depuis le début du Grand Paris Express par Pierre-Emmanuel Bécherand, qui dirige le service en charge de l’architecture et de la culture de la Société des Grands Projets (et il vient d’être lauréat de la prestigieuse Bourse de recherche en design Loeb Fellowship d’Harvard). Les présidents successifs ont tous su soutenir cette démarche, y compris contre une certaine orthodoxie de la maîtrise d’ouvrage publique concentrée sur l’objet transport. Il a quand même fallu créer un fonds de mécénat pour réduire cette facture «culturelle», alors même qu’elle est ridicule eu égard les 35 milliards d’euros du projet.

Le Premier ministre portugais a fait le déplacement

Les Premiers ministres ne s’y sont pas trompés… A Hôpital Bicêtre, c’est Lionel Jospin qui est venu admirer l’œuvre de sa fille plasticienne Eva Jospin : «Sur la façade extérieure, un flanc de roche en béton constitué de strates superposées sur lesquelles prolifèrent des lianes de bronze». A Aéroport d’Orly, c’est le Premier ministre portugais Luis Montenegro qui s’est invité pour célébrer son compatriote Vhils, véritable gloire nationale, et auteur d’une fresque monumentale.

Peu ou pas de responsables politiques de premier ordre lors de ce marathon de six inaugurations, hormis, et c’est logique, les élus locaux ravis de l’aubaine. La dissolution écrase tout. Plus étonnante, l’absence du ministre des Transports, Patrice Vergriete, et celle de Jean Castex, PDG de la RATP, alors que Jean-François Monteils (SGP) et Laurent Probst (IDFM) ont tenu la distance.

Luis Montenegro a été accueilli à Orly par… Augustin de Romanet, PDG d’Aéroports de Paris, qui sait y faire, mais manifestement aucun ministre n’était disponible pour venir sur le tarmac. Etonnant. Le Premier ministre portugais est ensuite allé déjeûner à l’Elysée. A-t-il donné la leçon à son hôte? Doté d’une majorité relative de droite depuis les élections d’avril, il récupère un confortable excédent budgétaire de 3,2 milliards d’euros. Il a entrepris de gouverner sans céder à l’extrême-droite, en recul aux Européennes. Avec l’ambition de réussir des compromis politiques, ce qu’Emmanuel Macron a refusé d’assumer pendant deux ans, pour en arriver à cette funeste dissolution.


A la verticale de la nouvelle gare souterraine Maison Blanche, avenue d’Italie à Paris, une grande voile faite de petites feuilles d’aluminium qui créent un effet de vague bleue au moindre souffle de vent. (c) DR


Les langues se délient sur les lacunes de l’exécutif

L’absence d’accueil ministériel à Orly ne nous étonne guère, au vu des confidences recueillies cette semaine auprès de nombreux acteurs publics, y compris ceux connus pour leur grande réserve. Que disent-ils, comme libérés par l’incompréhensible coup de force – ou coup de faiblesse? – politique du Président Macron ? Depuis janvier, l’exécutif se désagrège au quotidien : Matignon n’arbitre plus, la plupart des ministres sont à mi-temps, les RIM se tiennent sans la présence des dircabs etc. Le Premier ministre, nommé pour sauver les Européennes, faisait de la com politique matin, midi et soir. La première fois, sans doute, qu’un locataire de Matignon ne s’épuise pas à faire tourner la grosse machine gouvernementale et les affaires de l’Etat qui y convergent encore énormément, au profit du combat politique. Avec le résultat final que l’on sait.

La suractivité médiatique du printemps et l’échéance électorale ont contribué à camoufler cette réalité. Mais la solidité de l’appareil d’Etat aurait tenu sans problème jusqu’à l’automne : on n’a pas trouvé de dirigeant de haut niveau pour justifier cette dissolution d’avant JO, avec tous les risques qu’elle induit à court terme, selon les résultats du 7 juillet, des possibles protestations populaires aux soubresauts politiques consécutifs à une ingouvernabilité.

Cette incertitude à court terme – on n’évoque même pas les programmes politiques transports des partis, encore bien squelettiques, et c’est compréhensible vu le timing de l’élection – inquiète les dirigeants publics et privés du secteur des transports, Mobilettre l’a narré la semaine dernière. L’absence, à ce jour, de projections crédibles en termes de sièges de la part des sondeurs (mais elles ne devraient pas tarder), alimente un spectre très large de scénarii… et de situations de crise. Des hauts fonctionnaires qui s’interrogent sur leur devoir d’obéissance à l’égard d’un pouvoir d’extrême-droite, des syndicats qui sont embarrassés de compter dans leurs rangs des proportions significatives de votants RN, des patrons qui se déchirent entre opportunistes, prêts à travailler avec le RN plutôt qu’avec les «rouges», et tenants d’une ligne morale à tendance social-démocrate… A Paris, l’horizon se limite aux Jeux Olympiques, dont personne n’envisage rationnellement qu’ils puissent être perturbés. Dans les territoires, la stabilité des collectivités locales (pas d’élection avant 2026) rassure un peu…


L’autre crise budgétaire

Et si la dissolution avait aussi comme origine la fuite en avant budgétaire de la France, incapable de tenir ses promesses successives à Bruxelles? La Commission européenne a averti cette semaine six pays, dont la France, pour leurs déficits supérieurs aux engagements européens, ainsi que la Roumanie, plus gravement, pour non-prise en compte des précédentes alarmes. Surtout, selon nos informations, Bruxelles est lassée des atermoiments et petits mensonges de Paris. A la rentrée de septembre, il aurait fallu affronter tout à la fois l’opposition parlementaire sur le budget 2025 et la colère de Bruxelles?

Dans ce contexte, les leçons de maîtrise budgétaire adressées au RN et surtout au Nouveau Front Populaire ressortent d’un sacré toupet. Pour avoir refusé, tout à la fois, de réduire les énormes subventions aux entreprises au nom du ruissellement (dont on ne trouve trace réelle que dans les nappes phréatiques) et de créer un impôt temporaire sur les super-profits post-Covid, la majorité présidentielle a aggravé les déficits et creusé la dette. Plus c’est gros mieux ça passe?


Et une mauvaise nouvelle pour finir la semaine

Selon nos informations, Alstom ne pourra livrer les premiers TGV-M en 2025. Les premières mises en circulation sont désormais reportées à janvier 2026 – ce qui laisse encore suffisamment de temps pour annoncer un nouveau report. En effet, tous les six mois le calendrier dérape aussi sûrement qu’un budget de Bruno Le Maire, et SNCF Voyageurs se retrouve plus que jamais pris en étau entre une demande exponentielle et une offre limitée par la pénurie de rames – dont on ne rappellera jamais assez fort qu’elle l’a initialement organisée.

On ne sait pas encore à quoi est dû ce nouveau retard – en janvier dernier, le report à fin 2025 était attribué aux difficultés du fabricant de batteries de Saft. Mais on ne peut que s’interroger: est-ce à 100% un problème de production industrielle, ou est-ce lié à la conception du TGV-M qui serait trop «complexe» ou difficile à produire? La mise en place d’un plateau commun de conception SNCF/Alstom il y a dix ans avait pour but de produire mieux et moins cher. Ce sera donc, aussi, beaucoup plus long.

Rappelons, sans remonter au lancement du projet par le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg en… 2013, qu’au moment de la commande de 100 rames en 2018 par Rachel Picard, les mises en circulation étaient prévues pour 2023. 2023, 2024, 2025, 2026… L’horizon recule toujours, même quand on avance lentement.

Imaginée par l’architecte Kuma, la gare-hub de Saint-Denis-Pleyel (c) Michel Denancé.


Lundi, l’inauguration de Saint-Denis-Pleyel

Le Président Emmanuel Macron viendra-t-il? Parlera-t-il? Invité par quelques proches à ne pas reproduire ses saillies bretonnes empruntées au vocabulaire d’extrême droite, il est à l’heure où nous publions toujours attendu lundi matin à 10 heures pour l’inauguration de la gare Saint-Denis-Pleyel et, dans la foulée, des prolongements de la ligne 14. Cette nouvelle desserte directe Saint-Denis/aéroport d’Orly devait constituer un moment fort du compte-à-rebours des Jeux Olympiques. C’est, en effet, la seule ligne promise lors du dossier de candidature qui a été réalisée dans les temps. Et c’est un soulagement pour tous: par son itinéraire et sa capacité, elle constituera un élément majeur de la desserte des enceintes sportives du nord de Paris, y compris le stade de France.

Lors de notre visite en septembre dernier (lire Mobitelex 425), nous avions pu mesurer le bon avancement des travaux, grâce notamment à un excellent directeur de projet, Mathieu Mallet, qui a su avec ses équipes et les entreprises sous-traitantes programmer les finitions toujours délicates. Dans le prolongement de la gare, le FUP (franchissement urbain Pleyel) dessiné par Marc Mimram, et inauguré il y a trois semaines, assure la liaison avec la partie est des voies ferroviaires et l’accès aux enceintes sportives.

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