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Il faudra savoir finir une trêve
Quelques semaines d’accalmie. Ouf… Mais l’équation politique reste extrêmement compliquée.
Il a provoqué au mois de juin une inédite confusion politique par une dissolution capricieuse – un gouvernement démissionnaire dont 17 ministres ont permis d’élire la présidente de l’Assemblée nationale, ce n’est pas courant. Il impose désormais une trêve unilatérale jusqu’au 15 août a minima. Décidément, Emmanuel Macron est à l’extrême limite du respect des institutions, les plus orthodoxes des juristes le reconnaissent volontiers.
Personne, y compris lui-même, ne semble savoir comment se finira cette trêve. Pourra-t-il rejeter la candidature de Lucie Castets au motif de son âge et de sa relative inexpérience à très haut niveau ? Il a lui-même nommé Jean Castex puis Gabriel Attal… Malgré ses appels répétés à l’union nationale, aucun dispositif ne semble susceptible de recueillir une majorité absolue à l’Assemblée. Il va donc lui falloir choisir… et s’effacer dans l’exercice quotidien des prérogatives gouvernementales.
Cela dit, il serait judicieux que ces prochaines semaines permettent un retour au calme politique. La violence des diatribes internes à chaque camp est, elle aussi, assez inédite. Tout le monde va donc en profiter pour souffler un peu, y compris Mobilettre – mais nous vous proposerons quand même chaque matin un regard sur les Jeux Olympiques.
Les Jeux Olympiques. On continue à en aimer le principe, on en regrette les excès mercantiles. Nous vous racontons ci-dessous comment Paris 2024 et le CIO protègent leurs sponsors y compris au détriment des intérêts publics sans lesquels, faut-il le rappeler encore une fois, rien n’aurait pu se faire. A ce propos, la suspension de l’attribution des Jeux Olympiques d’Hiver en 2030 à une garantie d’Etat déconstruit le mythe d’un événement à peu près neutre pour les finances publiques.
On voudrait bien que la Cour des Comptes esquisse au plus vite le vrai bilan financier des Jeux 2024, qui ne se limite évidemment pas au budget de Paris 2024, pour ne pas se précipiter à nouveau dans un modèle économique aberrant en 2030, fait de couverture publique des risques et de prise en charge masquée des coûts. Cela éclairerait la décision du futur gouvernement – puisqu’il y en aura un : est-ce raisonnable d’organiser des Jeux d’Hiver en 2030 quand les finances publiques sont au plus mal, l’enneigement hivernal au plus bas et l’impératif écologique au plus haut?
Nous souhaitons à toutes celles et tous ceux qui prennent leurs congés d’excellentes vacances, et à tous les autres qui assurent la continuité des services de mobilité, nos plus sincères encouragements. G. D.
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L’HISTOIRE
A la Gare du Nord, une innovation mondiale en toute discrétion
Mobilettre vous raconte comment Paris 2024 a obtenu un quasi silence autour d’une nouvelle borne interactive en IA générative assez bluffante…
Cela commence par une effervescence de la bulle digitale : ce mardi 23 juillet, Mark Zuckerberg, patron de Meta, vante en personne le meilleur «cas d’usage» au monde de sa nouvelle plate-forme d’IA générative Llama3, mise à disposition en open source. En l’occurrence, une borne interactive installée gare du Nord, à Paris, qui répond aux demandes des voyageurs en six langues (français, anglais, allemand, espagnol, italien, portugais). L’avatar d’un athlète SNCF (la judoka Sarah-Léonie Cysique et le rugbyman en fauteuil Cédric Nankin) répond à des questions d’itinéraires, mais aussi pratiques ou touristiques (voir photo ci-dessus). Un WhatsApp dédié permet ensuite au voyageur de continuer à dialoguer pendant son déplacement. Le résultat est assez bluffant.
Un communiqué de Meta confirme ensuite l’adoubement par la firme californienne de cette application française déjà montrée au récent salon VivaTech, avec un avatar de la célèbre Simone, la voix de le SNCF. On s’attendait donc à quelques tambours et trompettes de la part de SNCF et de Gares & Connexions, y compris sur place, gare du Nord, avec une adaptation au contexte JO. Car on a vu des innovations bien moins rutilantes faire l’objet de communications très généreuses. Eh bien non, mercredi 24 juillet, juste un sobre communiqué… et pas une trace de la collaboration avec Meta ! Le lancement, annoncé il y a quelques jours, de l’«espace immersif connecté», avec Jean-Pierre Farandou, Marlène Dolveck et Laurent Solly, vice-président Europe du Sud de Meta, est reporté.
Selon nos informations, la raison en est simple : Paris 2024, le comité d’organisation des JO, a mis son veto à toute communication associant un concurrent de l’un de ses sponsors officiels, en respect des contrats d’exclusivité qu’il a signés. En l’occurrence, Meta n’est pas partenaire, alors que Samsung l’est, pour ne citer que lui.
Reprenons donc l’histoire. SNCF met au point en quelques semaines un démonstrateur public à base d’IA générative, dédié aux JO, qu’il installe gare du Nord, où se concentrent une partie des flux de voyageurs. Les développements s’appuient non seulement sur Llama 3 de Meta mais aussi sur des calculateurs d’itinéraires (celui d’Ile-de-France Mobilités) et des bases de données d’origine 100% publique. Pourtant, il n’est pas question d’en faire la promotion, au motif que Meta ne finance pas Paris 2024… alors même que SNCF et Gares & Connexions, eux, sont partenaires.
C’est juridiquement probablement très bien bordé. Mais du point de vue de la morale publique… Que seraient les JO sans IDFM, sans la SNCF, sans la RATP, sans tous les transporteurs ? En interdisant aux inventeurs d’une innovation destinée aux spectateurs d’en faire la promotion non seulement pendant les JO mais jusqu’au 31 décembre (!), Paris 2024 confirme sa schizophrénie : les règles du privé quand ça m’arrange, le soutien du public pour tout le reste. Applaudissez les artistes de la confiscation, avec le soutien tacite de puissances politiques en mal d’oriflammes.
RESULTATS SEMESTRIELS
Les niveaux de fréquentation ferroviaire continuent à doper le groupe SNCF
C’est le sixième semestre consécutif de résultats semestriels positifs pour la SNCF, avec + 143 millions pour un chiffre d’affaires de 21,4 milliards, en hausse de près de 3% par rapport au premier semestre 2023. Le directeur financier Laurent Trévisani peut s’en montrer satisfait, et pas seulement parce que la permanence de telles trajectoires donne de l’autonomie aux stratégies du groupe et de ses filiales – qui voudra encore reprocher au groupe de soigner les fins de carrière des cheminots ? C’est aussi une confirmation que la diversité des activités garantit la solidité financière du groupe.
En 2022 Geodis tirait la croissance du groupe grâce au renchérissement des prix du fret international, alors que les autres SA commençaient seulement à se relever des années Covid. En ce début 2024, c’est le contraire : le fort recul du chiffre d’affaires de la filiale marchandises (-8,6%, à 5,54 milliards) est compensé par la croissance de toutes les activités voyageurs (SNCF Voyageurs et Keolis, à +8%) et des gestionnaires d’infrastructures, SNCF Réseau et Gares & Connexions (respectivement +8,8% et 10,2%). Même RLE (Rail Logisitics Europe) suit le mouvement avec +9,5%, à 917 millions d’euros.
C’est très nettement la fréquentation voyageurs qui joue le rôle de locomotive. Les progressions donnent même le tournis : + 7,7% pour la grande vitesse, + 10% pour les Intercités, + 11% pour le TER, + 11% pour Transilien ! Logiquement le chiffre d’affaires de la SA Voyageurs bondit de 8,1% à 10,1 milliards d’euros. Keolis est dans la même tendance, à +7,8% – c’est en 2025 que devrait se faire sentir la perte du métro de Lyon et surtout des Yarra Trams en Australie.
Les chiffres d’affaires des gestionnaires d’infrastructures sont eux aussi en croissance : +8,8% pour SNCF Réseau, +10,2% pour Gares & Connexions, avec notamment une explosion de l’activité commerciale en gare : +22% !
Mais pour SNCF Réseau, c’est davantage dû au niveau des investissements et aux redevances d’accès qu’à une dynamique de péages: l’Ile-de-France a en effet connu une réduction des circulations pré-JO (préparation du matériel, congés des conduucteurs…), et la politique de SNCF Voyageurs sur la grande vitesse, avec des rames plus capacitaires donc un peu moins de circulations, provoque de fait une baisse des péages en volumes.
«Les Français ont envie de train !», s’exclame Laurent Trévisani. Le système ferroviaire pourra-t-il suivre le rythme ? «Nous consacrerons en 2024, toutes origines confondues, 11 milliards d’euros à l’investissement», confirme-t-il, en précisant que le fonds de concours à destination de SNCF Réseau a été alimenté dès ce premier semestre d’1,7 milliard d’euros, comme prévu (lire aussi ci-dessous la conséquence sur le cash flow libre).
Pourtant, il y au moins trois ombres au tableau de cette dynamique : le retard des livraisons des nouvelles rames TGV-M (Alstom) et Oxygène (CAF) pour la longue distance, la capacité financière des autorités organisatrices à poursuivre le soutien à la croissance de l’offre, la capacité de SNCF Réseau à accélérer le rythme des travaux. Ce risque de saturation des moyens humains et matériels conduit notamment le gestionnaire d’infrastructure à augmenter l’externalisation, notamment en Ile-de-France avec un très gros marché-cadre travaux et caténaires, voté lors du dernier conseil d’administration mercredi 24 juillet.
Malgré les efforts d’optimisation de la disponibilité et de l’affectation du parc matériel, et la recherche de meilleurs taux de remplissage, il est possible que la croissance se ralentisse un peu : «Les arbres ne montent pas au ciel», commente joliment Laurent Trévisani, qui souligne que 30% des TGV qui circulent sont déjà pleins – un record historique. En tout état de cause, dans une conjoncture économique globalement atone, la dynamique de la demande devrait inciter le futur gouvernement à encourager la croissance de toutes les offres, y compris celles de la concurrence.
Les différentes agences de notation reconnaissent l’amélioration continue des comptes du groupe. Standard & Poors a relevé la notation intrinsèque du groupe de BBB- à BBB+. Ecovadis, agence de notation extrafinancière, a fait de même avec trois points supplémentaires à 85/100, ce qui place le groupe dans le Top 1% des entreprises évaluées. La dette, en moyenne à douze ans à taux fixe, continue à reculer – au cours du premier semestre, elle a baissé de 200 millions à 24 milliards. Au 30 juin, 80% des besoins de financement annuels ont été souscrits à un taux moyen de 3,14%, à 1,4 milliard d’euros. Aux bornes du groupe le cash flow libre est positif à 2 milliards d’euros. Sera-t-il positif aussi à la fin de l’année pour SNCF Réseau, comme le stipule la loi de 2018? Oui, selon Laurent Trévisani. Selon nos informations, il est tout juste positif au premier semestre grâce au versement anticipé de l’intégralité du fonds concours.
Le Pass Rail, tout doucement
Les chiffres que Mobilettre s’était procurés début juillet (moins de 100 000 Pass Rail vendus toutes plates-formes confondues) ont été confirmés quelques jours plus tard par la SNCF : la barre des 100 000 a été franchie mi-juillet. Le marketing offensif de Trainline au début du mois de juillet («Les ventes ont progressé de 140% entre la première semaine de juin et la première semaine de juillet», pérorait la plate-forme) n’abusait personne : il n’était accompagné d’aucune valeur absolue ! En réalité le boom espéré n’a pas eu lieu.
Il faudra attendre début août pour faire le bilan quasi définitif – la durée de validité d’un Pass Rail est d’un mois, et expire au 31 août. Aucune indication n’est actuellement disponible sur le nombre de billets souscrits par les jeunes dans le cadre de leurs Pass Rail. On sera en tout état de cause bien loin des 700 000 Pass Rail espérés par le ministre Patrice Vergriete, même s’il ne faut pas mépriser le bénéfice concret d’un tel dispositif pour de nombreux jeunes au pouvoir d’achat réduit.
Lyon-Turin, la confirmation
La Commission européenne a accordé le 17 juillet 64,6 millions d’euros pour les études d’avant-projet détaillé du tracé des voies d’accès au futur tunnel Lyon-Turin, dont la mise en service est prévue en 2032. Cette somme était attendue depuis que les partenaires publics français avaient conclu in extremis un accord en janvier sur la répartition des 100 millions qu’il leur revenait de financer (Etat 59,1%, Aura 33% etc).
Les études, menées par SNCF Réseau, devraient durer trois ans avant le démarrage des travaux du scénario dit Grand Gabarit. On peut considérer qu’avec cette confirmation, et malgré les difficultés budgétaires de l’Europe, le Lyon-Turin risque de moins en moins le syndrome du tunnel à faible trafic du fait d’une limitation de la capacité des voies d’accès. S’agissant des oppositions, il est à souligner qu’il n’y a plus guère que quelques écologistes pour contester la poursuite du projet, le représentant de LFI Bérenger Cernon, au Grand Débat des élections européennes Mobilettre/TDIE, le 23 mai dernier, ayant reconnu que c’était un coup parti.
PUBLICATION
Mots-bidons, quand ils révèlent quelques maux
Bernard Emsellem a un talent intact pour choisir les bons mots. Alors quand il s’agit de parler des mots dont se gargarisent des managements en peine de pertinence, faisons-lui confiance et lisons-le : «C’est en refondant leur rôle dans la société que les entreprises assureront leur pérennité ; elles ne peuvent plus se payer de mots, encore moins de mots-bidons.»
Ils sont 109, ces mots-bidons auxquels l’ancien directeur de la communication de la SNCF, qui a marqué durablement l’entreprise et ceux qu’il a côtoyés, consacre un livre *, pour le coup à la fois pertinent et impertinent. D’ADN («Notre ADN , c’est la qualité») à Valeurs, en passant par Disruption, Ensemble, KPI, Raison d’être, Parties prenantes : pour chacun, Bernard Emsellem s’attache à en décrypter l’inefficacité, le détournement de sens, la vacuité.
Prenons le mot «Com’», puisque Mobilettre est bien placé pour en apprécier de trop fréquentes supercheries . Voici ce qu’en dit Bernard Emsellem: «Que dire des louanges proclamées sur commande ? Elles sont pathétiques. Par ses excès en tous genres dans la célébration, la communication de tant de personnages politiques en donne une terrible illustration. Celle développée par les entreprises est sur la même pente. Ce que l’on appelle de la com’, c’est de la communication dégénérée. […] Si tout est positif, c’est que l’on n’a appliqué aucune évaluation, et plus rien n’est vraiment positif. Les communiqués de presse sont l’exemple typique de cette perte de valeur en étant réduits au rôle de point de vue officiel, et conventionnel, pouvant être détaché du réel.» Et Bernard Emsellem de recommander des preuves et du storytelling, à condition qu’ils ne débouchent pas «sur des histoires jolies mais artificielles».
Un peu d’authenticité dans un monde d’abus ? Les quelques paragraphes de conclusion posent deux enjeux «déterminants» pour l’entreprise: «La primauté accordée à l’individu et la profondeur du désamour.» Bernard Emsellem ne lésine pas : «Les salariés et les autres parties prenantes ne veulent plus subir les contraintes sans réagir. Ce refus prend des modalités de plus en plus diverses. Certaines sont claires et nettes : démission brutale, exigences nouvelles sur les conditions de travail, négociations d’embauche. D’autres sont implicites mais tout aussi éloquentes : absentéisme, formes de burn-out, ruptures brutales de période d’essai. […] Est-il surprenant de constater une résistance à accepter un poste mal payé ou contraignant pour la vie personnelle (exemple criant du déficit de personnel dans l’hôtellerie et la restauration, ou encore du manque de 6000 chauffeurs de bus scolaires à une rentrée scolaire) ? Poser la question, c’est y répondre.»
Et on y répond d’autant mieux quand les mots choisis pour questionner, eux, ne sont pas bidons. G.D.
* Mots-Bidons – Ce qu’ils nous disent de l’entreprise : 109 mots décodés
Par Bernard Emsellem, Editions du Palio, 226 p., 22€.
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RENDEZ-VOUS
J-1 Paris, un chantier olympique, 25 juillet
Tous les matins, à partir du 26 juillet, la photo du jour des JO
Les Jeux Olympiques sont un défi organisationnel en matière de transport. Mobilettre suivra les événements en vous proposant chaque matin une image commentée. N’oubliez pas de placer l’adresse redaction@mobilettre.com dans le carnet d’adresses de votre logiciel de messagerie pour éviter les spams!