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Barnier, faute de mieux
Il devenait urgent pour Emmanuel Macron de faire baisser la pression politique. La Macronie exhale le sang des Atrides, la crise budgétaire menace.
La désinvolture institutionnelle du chef de l’Etat a fini par lasser ses plus fidèles soutiens. Après les spectaculaires prises d’indépendance de Gabriel Attal et, surtout, d’Edouard Philippe candidat à la prochaine élection présidentielle, l’hypothèse d’une démission d’Emmanuel Macron n’était plus un crime anti-républicain, en ce milieu de semaine. Seule la nomination d’un Premier ministre pouvait stopper – temporairement ? – la décomposition à l’œuvre.
Place donc à Michel Barnier qui ne correspond pas vraiment au volontarisme de son N+1. Mais à force de vouloir garder la main contre l’évidence électorale et démocratique, Emmanuel Macron n’avait plus guère le choix. Reste à trouver des ministres tout aussi sacrificiels que l’ancien Commissaire européen dont l’âge est plus du double de celui de son prédécesseur Gabriel Attal. Car l’équation financière est très mauvaise. La lettre de cadrage budgétaire déjà envoyée cet été à Christophe Béchu et Patrice Vergriete est catastrophique. A ignorer la question de la maîtrise des dépenses en misant tout sur les bénéfices d’une croissance finalement insuffisante, les gouvernements successifs ont cramé la caisse. Valérie Pécresse avait raison. Il faudra assumer les conséquences d’une politique du ruissellement désastreuse pour les finances publiques.
Qui sont donc les vrais irresponsables ? Ceux qui cherchent à sortir de l’ornière, ou ceux qui ont distribué à tout-va depuis la fin de la crise Covid (les cadeaux de Jean Castex aux collectivités, les dix milliards d’euros d’Elisabeth Borne sur le prix de l’essence, les allègements fiscaux, les généreuses subventions, et tutti quanti)?
Dans ce contexte, on se permet de recommander à Michel Barnier, lui qui avait dirigé les JO d’Albertville en 1992 avec Jean-Claude Killy, de renoncer à ceux de 2030, et à la garantie d’Etat exigée par le CIO. Pourra-t-il fâcher Laurent Wauquiez ? Car même s’il faudra attendre un an avant que la Cour des Comptes ne rende son rapport sur le vrai coût des Jeux Olympiques de cet été 2024 (c’est-à-dire pas seulement le budget du COJO Paris 2024 : il faut additionner toutes les dépenses publiques liées à leur organisation), il est patent qu’ils auront contribué à aggraver le déficit public, pour d’hypothétiques retombées souvent chiffrées au doigt mouillé.
Voilà où nous en sommes en ce début septembre. Nous espérons que vous avez toutes et tous passé d’excellentes vacances, comme Mobilettre. Car la suite promet d’être agitée. G. D.
Des ministres compétents sur leur secteur?
Disons que Michel Barnier est d’un style très classique et pourrait contribuer à dépassionner un débat public que les Français dans leur majorité reprochent aux partis politiques d’hystériser, loin des problèmes majeurs et urgents qui se posent au pays et à l’Europe. A la double condition qu’il trouve une cohérence politique et une crédibilité de fond à même de neutraliser les oppositions, et qu’Emmanuel Macron se fasse discret… C’est très loin d’être gagné.
Dans cette optique il pourrait choisir des ministres compétents dans leur domaine, qu’ils soient politiques ou techniques. Ainsi, sur le portefeuille des transports, voudra-t-il s’entourer d’un LR aguerri (François Durovray ? Philippe Tabarot ?), ou «recycler» les ex-députés Ensemble (David Valence ? Jean-Marc Zulesi ?), s’orienter vers des profils plus «sociaux», à même de désamorcer d’éventuels conflits?
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LE BILAN
JO: pourquoi le sans-faute
Quelques décisions ont particulièrement contribué à la belle performance du transport public pendant les Jeux Olympiques cet été.
Notre photo symbole d’une desserte réussie des sites olympiques, prise le dimanche 4 août, à la gare Plaine Stade de France du RER B, à Saint-Denis (c) Moctar Kane
Les dessertes des sites olympiques ne nécessitaient pas un exploit en termes de capacité et d’offre: les horaires et les jauges de presque 100% des épreuves étaient prévues très longtemps à l’avance, et le nombre de voyageurs du quotidien est assez faible au mois d’août. En revanche, le nombre et la nature des flux, la typologie des spectateurs (nombre d’entre eux découvraient l’Ile-de-France et ses transports) la multiplicité des sites, parfois mal desservis par des modes lourds, l’exigence de sécurité et les conditions atmosphériques (canicule et orages) imposaient une planification, une information et un accompagnement spécifiques voire inédits à cette échelle. C’est à cette aune-là que l’on peut saluer plusieurs décisions et réussites managériales.
Une planification irréprochable de l’offre. Même si Paris 2024 a parfois tardé à délivrer quelques informations essentielles, le travail réalisé en amont a été remarquable – il faut saluer tout particulièrement IDFM et les équipes autour de Laurent Probst et Laurence Debrincat. Il a permis de commander l’offre nécessaire, sur les modes lourds comme sur les bus, mais aussi de dimensionner les services d’information et d’accompagnement (gilets rouges et violets, équipes de sûreté etc).
Un choix radical et payant : une desserte 100% transport public (y compris vélo et marche à pied) pour les spectateurs. C’est clair, ça paye ! Mieux que des demi-mesures frileuses parce qu’on ne veut pas mécontenter tel ou tel, cette option a simplifié les dessertes et la gestion des flux. Ils étaient où les excités du volant ? Cela pacifie considérablement l’espace public.
Le civisme, le calme et la patience des spectateurs/voyageurs. Quand les transports fonctionnent bien, tout va mieux… Une nouvelle population (provinciale, étrangère ou même francilienne) a découvert avec plaisir la performance des transports publics de la capitale. Qui l’eût crû ?
Le retour des gardiens de la paix sur le terrain. Pour contribuer à la sécurité des espaces, il n’y a rien de tel qu’une forte présence humaine, celle des gilets de toutes les couleurs, souvent félicités par les voyageurs, mais aussi celle des forces de l’ordre qui ont retrouvé massivement une fonction de dissuasion et de pacification. Manifestement, ils étaient davantage heureux sur le terrain que dans leurs bureaux à travailler aux statistiques…
La victoire du mass transit. Si on pouvait en finir avec des missions parfois baroques issues de quelques arrangements locaux sous pression… Le transport en zone dense, c’est la répétition maîtrisée et partagée des process, pour une qualité de service optimale (lire aussi notre conclusion). IDFM, SNCF et RATP enfin alignés sur une telle conception industrielle, ce serait une bonne nouvelle. Dans le même registre, la décision de stopper tous travaux pendant les JO fut judicieuse. Même si le retour des interruptions de trafic va mécontenter les franciliens en cet automne.
La revanche des professionnels contre les politiques… et les médias. Que n’a-t-on entendu sur les accords sociaux noués à la RATP et à la SNCF, et précédemment sur les risques de perturbation sociale pendant les épreuves… Jean-Pierre Farandou a eu raison de nouer un accord sur les fins de carrière à la SNCF, qui coûtera moins de 500 millions d’euros sur trente ans, et qui a grandement contribué au calme social. Surtout que le politique ne se mêle pas de la vie interne des entreprises !
Concluons sur deux impératifs :
L’indispensable soutien financier au transport public. Avec une telle performance pendant les JO, preuve est faite que ce sont bien les stop & go, les injonctions contradictoires et autres mesquineries de Bercy qui pénalisent en temps normal un développement quantitatif et qualitatif de solutions collectives à même de contribuer à une ville plus durable et de répondre aux besoins quotidiens des populations.
Pérenniser au sein des équipes de terrain la culture de la qualité et l’exigence de la régularité. Il existe encore trop souvent de «marges de tolérance» (ou d’attitudes désinvoltes) qui impactent les circulations ou les informations temps réel, au-delà même des inévitables défaillances techniques.
FEROVIAIRE
L’été en régions : Pass Rail et polémique TER
Il est encore trop tôt pour faire le bilan estival complet du Pass Rail 2024. Le chiffre des 235000 Pass vendus, bien loin de l’objectif imprudemment affiché par Patrice Vergirte de 700000 unités, n’en dit pas suffisamment sur le nombre moyen de voyages par Pass, ni sur la répartition par type d’offre (TER et Intercités). Il semble toutefois que le dispositif n’ait pas été jugé suffisamment attractif au regard des nombreuses offres tarifaires à destination des jeunes en régions mais aussi sur Intercités. D’ailleurs, selon nos premières informations, sur le nombre des voyages en Intercités effectués via le Pass Rail (16% du total), environ deux tiers seraient des trajets en couchettes, facturés 19€ – soit une vraie économie par rapport aux tarifs 100%. Un bilan complet est attendu pour l’automne.
C’est un autre sujet qui a attisé les réseaux sociaux et une presse grand public en mal de perturbations spectaculaires dans les grandes gares parisiennes : la réservation dans le TER. Expérimentée sur deux liaisons au long cours (Paris-Troyes-Mulhouse et Paris-Châlon-Strasbourg), elle suscite depuis plusieurs mois la mobilisation d’usagers mécontents d’une telle évolution. Mais on est passé très vite, dans quelques médias dont Le Point, sans qu’aucune information officielle n’ait été délivrée, à l’hypothèse d’une généralisation de la réservation obligatoire, reprise par le nouveau président de la Fnaut François Delétraz. Les régions et les opérateurs ont démenti, mais la polémique a eu quelque mal à retomber.
De fait, si l’exploitant SNCF cherche effectivement à résoudre ici et là des situations de surfréquentation, les régions autorités organisatrices n’ont aucun projet de généralisation. Elles cherchent à mieux servir leurs clients abonnés sur ces TER au long cours à réservation, en Grand Est ou en Normandie, par une meilleure flexibilité d’usage (quotas de places libres, échange de train, etc) à même de garantir leur fidélité.
INFRASTRUCTURES
Lyon-Turin, l’aggiornamento
En plein milieu de l’été, TELT, le maître d’ouvrage de la section transfrontalière du Lyon-Turin, a procédé à une actualisation de ses coûts et délais. La nouvelle date de mise en service : fin 2033, au lieu de fin 2032. Disons que ce petit dérapage est très contrôlé, car depuis la création de TELT en 2015, il y a eu le Covid, une grosse tension sur le marché des matières premières et quelques difficultés techniques liées à la géologie sur le puits d’Avrieux. Ces événements, ajoutés à l’explosion de la demande sur la marché des travaux publics en France et en Italie, expliquent également la progression des coûts, plus conséquente : 11,1 milliards (en euros 2012), soit +29%. Pour la France, la facture passe donc à 4,9 milliards (il faudra retrancher le montant des subventions européennes).
Cette transparence était attendue suite à l’achèvement fin 2023 de la phase d’attribution des contrats de génie civil du tunnel de base, qui est déjà creusé sur 13,7 kilomètres. Mais le coût actualisé est encore provisoire, puisque la phase de forage entraînera très probablement de nouveaux aléas techniques. Dans cette optique TELT annonce avoir d’ores et déjà inclus dans ses contrats des clauses de couverture à hauteur de +8%, un niveau équivalent aux recommandations du CETU (Centre d’études des tunnels).
AGENDA
Berlin, Strasbourg, Strasbourg…
Si à Paris le programme politique des semaines à venir s’annonce chargé (constitution du nouveau gouvernement, déclaration de politique générale, préparation du budget 2025), dans le domaine des transports c’est à l’Est qu’il va falloir migrer : Innotrans, le grand salon ferroviaire, à Berlin du 24 au 27 septembre, le congrès des régions à Strasbourg les 25 et 26 septembre, et le salon EuMo du GIE Objectif Transport Public (Gart/UTP), toujours à Strasbourg, du 1er au 3 octobre. Mobilettre sera présent lors de ces trois événements et animera plusieurs échanges.