Mobitelex 460 – 13 septembre 2024

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Mobitélex. L'information transport

les décryptages de Mobilettre

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Questions de méthodes

La R-Pass alsacienne, pas à pas ; le périph parisien, en force. Mais ce n’est pas la même ambition…

En définitive une rentrée sans ministre c’est pas si mal. Le microcosme de la verticalité semble désœuvré. A Mobilettre, on bénit cette transition pour écoper les boîtes mail, préparer la suite et traiter des sujets d’ordinaire négligés. Il sera toujours temps, à partir de la semaine prochaine, de scruter la remise en route gouvernementale avec ses passages obligés : le profil du nouveau ministre des Transports, ses collaborateurs, ses connaissances, ses compétences, sa feuille de route, ses dossiers urgents…

On va donc vous épargner aujourd’hui une nouvelle alerte sur le budget 2025 qui affectera très probablement le secteur des transports, déjà inquiet de la trajectoire des ressources VM (Versement Mobilité) – les premières lettres de cadrage envoyées par le gouvernement démissionnaire devraient finir par être rendues publiques, elles sont déjà très sévères. On a aussi été tenté de traiter le «syndrôme de l’abbé Pierre», ou comment se méfier, partout et toujours, des vedettisations et autres déifications. L’abus de pouvoir est un risque si répandu.

On préfère évoquer succinctement ici un thème d’actualité, la culture du changement appliquée aux infrastructures routières.

Cette semaine, l’accélération du processus d’instauration de la R-Pass alsacienne (une taxe instaurant une redevance sur les poids lourds circulant sur les autoroutes A35 et A36 et certaines routes départementales alsaciennes) et l’abaissement de la vitesse sur le périphérique parisien ont mis en évidence les difficultés à faire évoluer la gestion des infrastructures routières.

En Alsace le déjà vieux projet de taxe poids lourds a été réactivé en 2022 par la CeA (Communauté européenne d’Alsace), et la révélation de l’étude d’impact économique mercredi dernier s’inscrit dans un calendrier public, connu, voté, en vue d’une mise en œuvre début 2027. Et pourtant, malgré l’urgence (le récent relèvement des taux de la LKW-Maut en Allemagne a encore accru les circulations de report en France), les oppositions de principe restent véhémentes, portées par un Collectif pour la compétitivité de l’économie alsacienne (CCEA) qui regroupe fédérations patronales et routiers. Son argumentaire n’est pas dénué de quelques constatations pertinentes, mais la divergence d’intérêts est claire : là où la collectivité alsacienne cherche à la fois une solution à l’engorgement des infrastructures et une nouvelle ressource financière, dans un contexte réglementaire européen contraint, les professionnels refusent toute taxation généralisée, et voudraient bien, en réalité, que ne soient concernés que les camions à plaque étrangère – impossible en droit européen. Que la synthèse sera difficile.

A Paris, Anne Hidalgo ne s’embarrasse guère de concertations ouvertes et décrète, seule, en profitant de la vacance gouvernementale, le passage du périphérique à 50 km/h au 1er octobre, au nom principalement de l’écologie. On a vu à l’occasion des Jeux Olympiques que la radicalité de certaines décisions était vertueuse. Mais en l’occurrence, cette décision unilatérale témoigne surtout de l’incapacité de tous les acteurs (Etat, région, Ville) à mettre en place collectivement un processus ambitieux d’évolution de la ceinture parisienne. Le seul passage à 50 km/h ne résoudra pas grand-chose, y compris en matière de pollutions atmosphériques et sonores, hormis, probablement, l’accidentologie grave. Voies réservées, dispositifs d’interdiction de circulations de transit, fluidification de plusieurs échangeurs antédiluviens, accès restreints à certaines heures selon les véhicules : la régulation suppose un effort politique et un recours aux technologies innovantes. On en est encore bien loin.

Face aux saturations des infrastructures et à l’enjeu climatique, qui a raison ? L’Alsace qui avance méthodiquement dans le respect des lois et des processus d’expertise et de concertation, Paris qui joue, en solo, la radicalité et la dissuasion autoritaire ? L’évolution de ces dossiers dans les prochaines semaines sera instructive. Elle en dira beaucoup sur l’état de notre sphère publique. G. D.

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TARIFICATION

En Allemagne, le billet à 9 euros fut un échec

Il a fallu deux ans pour que soit établi de façon indépendante un bilan complet du billet à 9 euros, mis en place de juin à août 2022 en Allemagne sur les trains régionaux essentiellement. Une étude menée par l’Institut Ifo, Friedrich-Alexander-Universität Erlanger-Nürnberg (FAU) et l’Université de Salzbourg (PLUS) a combiné des données de mobilité provenant d’appareils de réseau mobile, des données sur le volume de trafic concernant le nombre moyen de véhicules par semaine à différents points de comptage du trafic en Allemagne, ainsi que des données sur le trafic ferroviaire de la Deutsche Bahn. La sanction est sans appel : «Le billet à 9 euros en Allemagne réduit très peu le trafic automobile et augmente considérablement les retards de train.» «Il a coûté au gouvernement fédéral 2,5 milliards d’euros et n’a fait qu’atténuer légèrement la circulation automobile, ce qui en fait une mesure coûteuse et inefficace de protection du climat», insiste Sarah Necker, directrice du centre Ludwig Erhard ifo pour l’économie sociale de marché à Fürth.

Et dire que le gouvernement français, à la recherche d’un effet waouh, avait voulu copier cette innovation tarifaire…

Si l’on regarde dans le détail les conclusions des chercheurs, la réduction des trajets en voiture a été faible pour les déplacements du quotidien (- 4 à 5%), quand la croissance des trajets en train (430000 personnes supplémentaires) concernait surtout le week-end, pour des activités de loisirs supplémentaires. D’ailleurs, à l’expiration de la formule à 9 euros, le nombre de trajets en train est revenu à son niveau d’origine, voire même légèrement en-dessous. La dégradation de la ponctualité (30% de retards supplémentaires) pendant cet été 2022 a pu contribuer à lasser quelques voyageurs.

Les auteurs de l’étude s’attendent à ce que la formule qui a succédé au billet à 9 euros, le Deutschlandticket, valable depuis mars 2023 et nettement plus cher, contribue encore moins à la réduction de la circulation automobile. Il devrait surtout bénéficier aux habituels usagers des transports publics, ravis de l’aubaine tarifaire.

Morale de l’histoire allemande : le report modal est davantage une question de choc d’offre (en volume et en simplification) que de tarification. En inversant les priorités, on risque la dégradation de la ponctualité ferroviaire et l’altération des modèles économiques. A bon entendeur français…


ACCIDENTOLOGIE

2 Roues motorisés : l’enquête vérité

La Fondation Vinci Autoroutes et 2-Roues Lab’ mettent évidence des comportements à risque de la part des conducteurs. Certains aveux sont stupéfiants…

Le danger c’est l’autre ? Une majorité de conducteurs de 2-Roues motorisés privilégient les causes externes à leur conduite comme facteurs de risques d’accident : 81% redoutent le comportement des autres usagers de la route, 49% craignent de ne pas être vus par les autres usagers, 36% craignent les conditions météorologiques. Ils attribuent logiquement la responsabilité des accidents mortels causés par un tiers à l’inattention, la somnolence, une manœuvre dangereuse, une vitesse excessive ou inadaptée.

Jusque-là, rien de bien nouveau dans cette étude publiée par la Fondation Vinci Autoroutes et 2-Roues Lab’, et réalisée auprès de 1 963 conducteurs de 2-Roues motorisés interrogés par Internet entre le 16 mai et le 29 juillet dernier. Mais là où l’enquête prend un tour plus inattendu, c’est quand ces usagers sont interrogés sur leurs propres comportements à risques, qui pourraient provoquer des accidents. Citons l’intégralité de leurs réponses :

  • 99 % dépassent de quelques km/h la limitation de vitesse indiquée
  • 84 % reconnaissent ne pas respecter les distances de sécurité
  • 73% franchissent une ligne continue pour dépasser un véhicule ou faire demi-tour
  • 71% reconnaissent dépasser la vitesse autorisée lorsqu’ils roulent en inter-files
  • 61% oublient de mettre leur clignotant
  • 45 % reconnaissent doubler par la droite
  • 37 % téléphonent en conduisant avec un système de conversation Bluetooth
  • 21 % paramètrent leur GPS en conduisant

Plus d’un conducteur sur trois téléphone en conduisant… Vu l’altération d’attention induite par la conversation téléphonique, le chiffre est vertigineux. 14 % des conducteurs interrogés ont eu, ou failli avoir, un accident en raison de l’utilisation d’un téléphone portable!

Pire, 8% ont déjà conduit en ayant consommé des médicaments susceptibles d’altérer leur vigilance, 11% de l’alcool au-dessus de la limite autorisée… 1% ont fumé du cannabis ou consommé des drogues. Stupéfiant.

Pour rappel, les usagers de 2-roues motorisés représentent 22% des tués sur les routes françaises en 2023, soit 706 personnes.

On attend une grande enquête sur l’accidentologie liée à l’utilisation du portable par les conducteurs de tous engins (voitures, camions, 2-Roues motorisés, vélos) mais aussi les piétons, certes toujours prioritaires mais parfois si inattentifs avec leur smartphone.


ILE-DE-FRANCE

Francilien : le poids des rénovations, le choc des prix

Les opérations mi-vie des 143 trains Franciliens commandées par IDFM à SNCF Voyageurs sont-elles hors de prix ?

L’annonce a ému le représentant de la Fnaut au conseil d’administration d’IDFM du mois de juin : 1,4 milliard d’euros attribués à SNCF Voyageurs pour l’opération mi-vie de 143 rames Francilien, soit près de dix millions d’euros par rame, sachant que fin 2023, une rame neuve coûtait… 11,3 millions ! «Une rénovation en or ?», s’interroge Marc Pélissier, président de l’AUT Ile-de-France. Il n’est pas le seul à se poser la question. Pour tous ceux que nous avons interrogés, une OPMV doit sortir à 50% du coût d’acquisition, voire un peu davantage, mais guère plus.

Ile-de-France Mobilités a pris un grand soin à apporter des réponses aux deux ensembles de questions que nous lui avons posées.

D’abord le coût. IDFM considère que cette OPMV est la première d’une nouvelle génération de trains dits «modernes», avec confort amélioré, climatisation, information dynamique à bord, luminosité, port USB etc. «La rénovation des Franciliens comporte plus de travaux que pour d’autres matériels », avance l’AO francilienne: «Le traitement de la caisse, des planchers et de la corrosion, la révision des transformateurs et de la chaine de traction, la révision des portes, de la climatisation, des appareillages électriques et pneumatiques ainsi que les réseaux. En outre, elle se double d’une modernisation, avec des fonctionnalités nouvelles implémentées, comme le remplacement du système d’IV par un système nouvelle génération avec plus d’écran, le remplacement du système de vidéosurveillance avec l’ajout de caméras, ou encore la reprise de tout le câblage du train.»

IDFM avance une comparaison avec l’OPMV des 12 AGC votée en 2022, qui s’est traduite par un coût d’1,3 million d’euros par caisse, à peu près comparable à celui du Francilien (l’AGC possède quatre caisses contre huit au Francilien).

Enfin, IDFM considère le coût global de rénovation en euros constants (1,1 milliard d’euros) qui ramènerait le coût total par train à 7,7 millions d’euros.

Ensuite la méthode. Pourquoi ne pas avoir effectué d’appel d’offres pour un tel volume de rénovation ? IDFM assume son choix de SNCF Voyageurs pour deux raisons principales : il permet de reporter jusqu’à deux ans l’OPMV grâce à un examen régulier et minutieux de l’état des rames par l’exploitant, il sécurise le calendrier et le processus industriel, en dehors des chaînes de production, alors que les rénovations des MI2N et MI84, passées par appel d’offres, ont pris deux ans de retard.

Le Francilien est de l’avis général un excellent train, qui a fait franchir un cap aux conditions de transport des voyageurs. L’autorité organisatrice en paie-t-elle aujourd’hui un prix trop fort ? La climatisation, par exemple, représenterait 20% du coût de rénovation. Est-elle trop ambitieuse en ajoutant des fonctionnalités nouvelles, comme des équipements de vidéoprotection, à hauteur de 1,1 million d’euros par rame ? Est-elle victime de la désorganisation des industriels incapables de garantir en temps et en heures de tels programmes mi-vie, ce qui la laisse seule face à l’opérateur SNCF… et à ses prix ? Nous n’avons pas obtenu à ce stade le montant total des frais fixes de gestion du programme.

Soucieuse de garantir le calendrier de rénovation (jusqu’en 2027) et d’obtenir après validation par l’EPSF un report de deux ans de ces OPMV, IDFM a choisi la négociation exclusive avec l’opérateur SNCF sans étalonner les prix avec d’autres industriels ou mainteneurs. Mais elle confie à Mobilettre que «les prochaines tranches de rénovation des Franciliens pourront se faire via appel d’offres en fonction du résultat des rénovations effectuées sur la première tranche». Une manière de prévenir la SNCF: à ces conditions-là, nous entendons qu’il n’y ait aucun accroc de qualité ou de calendrier. C’est la moindre des choses.

Innotrans, un rendez-vous qui tombe à pic

Dans une Allemagne traumatisée par les déboires économiques de Volkswagen qui pour la première fois de son histoire s’apprête à remettre en cause l’emploi à vie de ses salariés, le salon Innotrans du 24 au 27 février à Berlin sera riche d’enseignements : l’industrie ferroviaire est-elle à même de relever le défi d’un choc d’offre à hauteur d’un report modal encouragé par l’Union européenne et sollicité par des citoyens de plus en plus nombreux ?

La multiplication des problèmes de mise au point technique, la saturation des capacités de production ou les retards de livraison impactent négativement la crédibilité de nombreux industriels, dont Alstom qui digère difficilement l’acquisition de Bombardier. Et pourtant, comme tous les deux ans dans la capitale allemande, on devrait être surpris par la dynamique de marché et d’innovation aux échelles européenne et mondiale, que viendront constater en masse élus, gestionnaires d’infrastructures, industriels et opérateurs hexagonaux. Puissent-ils y puiser une volonté renouvelée de franchir une étape dans la modernisation du rail français, pour l’instant bien en peine, à l’exception notable de l’Ile-de-France, de relever le défi d’une croissance à deux chiffres.


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