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Mauvaise conduite
Les statistiques sont claires : trop d’automobilistes ne respectent pas quelques interdits majeurs du Code de la route.
La mort d’un cycliste, mardi dernier à Paris, écrasé par une automobile à l’angle du boulevard Malesherbes et de la rue Boissy d’Anglas, a provoqué une légitime émotion. La police judiciaire, dans le cadre d’une enquête pour meurtre, est en train d’établir le scénario précis du drame. Ce qui paraît d’ores et déjà certain, c’est qu’à l’origine de l’altercation il n’y avait ni imprudence du cycliste, ni cause tiers : juste un automobiliste qui pour gagner du temps «emprunte» une piste cyclable et percute un vélo. Paul Varry est probablement mort de ne pas s’être soumis à la loi du plus fort. Que justice soit rendue.
Il est de bon ton, dans de multiples agoras contemporaines, de désigner les comportements imprudents des cyclistes. Ils existent, indubitablement, y compris au dépens des piétons. Mais par leur rapport nombre/dangerosité potentielle, ils n’ont rien à voir avec les conséquences des transgressions quotidiennes des automobilistes – qu’ils sont souvent eux-mêmes aussi. Une étude de l’assureur MMA *, peu suspecté d’autophobie, vient de mettre en évidence l’ampleur du non-respect de quelques interdits majeurs du Code de la Route par les conducteurs : feux rouges grillés, portable au volant, changement de file sans clignotant. Ces comportements débouchent dans 43% des cas sur un incident : freinage brusque, collision. A 86% il s’agit d’hommes au volant.
L’agressivité quotidienne d’une partie des automobilistes envers les cyclistes ne s’excuse pas, elle s’explique
De trop nombreux automobilistes ne supportent ni l’altération même très temporaire de leur vitesse de déplacement (à la ville comme sur route), ni le partage de la voirie, ni même, pour une toute petite minorité, la réduction de l’espace dédié à la voiture au profit des mobilités douces. Mais les chiffres sont implacables : la part modale du vélo et de la marche augmente dans la plupart des grandes villes française et européennes – à Paris intra muros, la part du vélo est désormais près du triple de celle de la voiture. La qualité de l’air comme la qualité de vie s’améliorent. Alors ?
Plusieurs études étrangères nourrissent l’hypothèse de la « sécurité par le nombre », raconte «Vélo et Territoires» : une présence accrue de cyclistes sur les routes conduit les autres usagers à mieux les prendre en compte et à adapter leur comportement en conséquence, réduisant ainsi les risques d’accidents. En France, aucune étude de ce type : on privilégie l’explication facile, «intuitive», d’une augmentation de l’accidentologie par la croissance du nombre de vélos. Pourtant, si le nombre de cyclistes décédés dépasse les 200 par an depuis trois ans, il n’est pas parallèle à la croissance de la pratique. Surtout, une large majorité d’accidents mortels ont lieu en zones peu denses : Anne Hidalgo n’est pas responsable de toute la misère de la route ! Même si sa méthode autoritaire et les lacunes persistantes de l’ingénierie de la voirie partagée à Paris, notamment aux carrefours, sont très regrettables.
Les cyclistes premiers fauteurs d’insécurité routière ? La légende n’est pas récente.
Regardez ce petit film de 2017, sponsorisé par les forces de police helvétiques, diffusé encore aujourd’hui par des militants pro-automobiles en France. Attention… G. D.
* Étude d’observations réalisée par OpinionWay pour MMA auprès d’un échantillon de 8708 observations d’automobilistes, au niveau de carrefours croisant différents types d’usagers, dans 15 points d’observations situés dans 5 villes différentes : Paris, Lyon, Rennes, Montpellier et Metz. Les observations ont été réalisées pendant les heures suivantes : de 8h à 10h, de 12h à 14h, et de 16h à 18h.
SNCF Réseau au Mondial de l’Auto : une pédagogie utile
SNCF Réseau retrace en une douzaine de scènes un accident mortel à un passage de niveau, inspiré d’une histoire réelle. Photo: Nicolas Fellingham Geyer
Voilà une belle initiative prise par le gestionnaire d’infrastructure ferroviaire : présenter dans le temple de l’automobile, cette semaine à la Porte de Versailles à Paris, une «scène de crash» à un passage à niveau qui met en évidence le comportement d’un jeune automobiliste, Tim, trop pressé, et qui en paiera le prix fatal. La mise en scène joue sur l’émotion, mais souligne surtout la conséquence tragique d’une transgression banale.
98% des accidents aux passages à niveau (sur la centaine d’accidents annuels) sont causés par le non-respect du Code de la route. What else ?
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OBSERVATOIRE DE LA MOBILITE DE L’UTPF
L’énigme jeunes
Fans de transport public, ils se laissent volontiers séduire par la voiture quand ils passent à la vie active. Pourquoi?
L’UTPF vient de publier les résultats de son Observatoire de la mobilité 2024. C’est la deuxième année qu’il ne s’agit plus d’une avalanche de chiffres assez peu discriminants d’une année sur l’autre, mais de l’approfondissement d’un thème particulier. Aujourd’hui, comment les différentes générations abordent la question de la mobilité.
Sans surprise, le choc d’offre est plébiscité par tous. Loin devant l’inconfort et l’insécurité (38%) et le prix (25%), c’est l’insuffisance de l’offre (60%) qui freine le recours au transport public. A montrer, une fois encore, à tous les décideurs. Pour ne prendre que la part modale du ferroviaire (voyageurs), elle est deux fois moindre en France qu’en Allemagne. CQFD.
Les seniors ne sont pas les plus attachés à la voiture, dont ils chérissent le sentiment de liberté qu’elle procure, et adorent le train pour son confort et sa facilité d’accès. Quant aux jeunes (15-27 ans), s’ils sont très fans des transports publics et du train, s’ils sont éco-anxieux ou éco-inquiets (à 65%, contre seulement 42% pour les seniors) au point d’envisager de se passer de la voiture (60%) et d’utiliser exclusivement les transports collectifs ou la marche (74%), ils «coincent» quand ils passent à la vie active, et beaucoup d’entre eux «succombent» à la voiture individuelle.
C’est assurément un problème d’offre et d’adaptation à leurs nouveaux rythmes sociaux, une fois plongés dans le monde du travail quotidien, mais pas seulement. Deux explications émergent :
La fin des tarifs spéciaux (jeunes, étudiants) leur apparaît comme un obstacle à la poursuite de leur parcours en transport public. Savent-ils vraiment que leur employeur remboursera à 50% voire 75% leur abonnement ?
L’insécurité (ou le sentiment d’insécurité) est un facteur dissuasif une fois devenus «adultes». C’est la catégorie d’âge pour laquelle des patrouilles d’agents de sécurité récurrentes (73%) et une présence humaine visible et disponible à toute heure (74%) sont considérées comme des incitations à davantage emprunter le transport collectif, assez loin devant leurs aînés.
Cette photographie mériterait d’être affinée aussi bien en termes statistiques (hommes/femmes, taille de l’agglomération, zone d’habitat etc) qu’en analyses qualitatives, mais elle esquisse une évolution sociétale assez contre-intuitive au regard des discours rabâchés sur les obsessions sécuritaires des seniors.
FUSION
Eurostar, la belle histoire
En trois ans, la fusion Eurostar/Thalys a donné naissance à une offre unifiée et rénovée grâce à un processus d’intégration remarquablement mené.
L’annonce fut somme toute discrète au printemps dernier, mais le 4 novembre prochain, l’unification des classes de services voyageurs * constituera le point final de l’intégration Eurostar-Thalys engagée il y a trois ans. Une réussite express qui était loin d’être évidente quand juste avant de quitter la présidence du groupe SNCF, à l’automne 2019, Guillaume Pepy avait lancé avec Rachel Picard le projet Greenspeed de fusion des deux entreprises.
Entre-temps, il y eut la crise Covid et le Brexit, excusez du peu. Une faillite évitée de peu, une reconfiguration de l’offre Eurostar avec Jacques Damas à la manœuvre pour la rendre robuste malgré les aléas sanitaires et sécuritaires, puis l’arrivée de la dynamique et expérimentée Gwendoline Cazenave en octobre 2022.
L’intégration, un vrai défi industriel, commercial et managérial, a été conduite depuis le début par Matthieu Quyollet, directeur de l’intégration et du développement du groupe Eurostar.
Un travail de l’ombre sur l’émergence d’Eurostar Group (la marque Thalys a disparu le 1er octobre 2023), mais aussi la construction d’un système d’information modernisé, la mise au point d’une offre commerciale rénovée et attractive. Malgré les complexités (plusieurs localisations, plusieurs langues, les passages de frontières, les différences d’alimentation électrique, etc), le calendrier a été tenu, sans soubresauts sociaux. Le contexte de croissance des trafics a aidé à la résolution des problèmes.
Avec un objectif de 30 millions de passagers en 2030 (18,6 millions en 2023), Eurostar entend contribuer fortement à la décarbonation du transport transcontinental et intercontinental. Il devra commander prochainement de nouvelles rames à mêmes de favoriser cette croissance mais aussi de résister aux appétits de la concurrence sur les échanges terrestres sur la partie nord de l’Europe – même si, pour l’instant, sur les trajets transmanche, le niveau des péages du tunnel apparaît très dissuasif.
* A partir du 4 novembre prochain, les classes Standard, Standard Premier et Business Premier sur les lignes transmanche et les classes Standard, Comfort et Premium sur les ex lignes Thalys seront remplacées par trois nouvelles classes de voyage unifiées :
Eurostar Standard : flexible, rapide et durable.
Eurostar Plus, avec des sièges plus confortables et plus d’espaces de travail
Eurostar Premier, avec la garantie d’un embarquement toute la journée sur n’importe quel train, une expérience culinaire haut de gamme (avec trois grands chefs : Jérémy Chan, Jessica Préalpato et Honey Spencer), un accès exclusif aux lounges Eurostar et une file prioritaire dédiée.
Cette clarification pourrait-elle donner des idées à d’autres transporteurs ferroviaires ? En captant de façon différenciée (Eurostar Plus et EuroStar Premier) la clientèle haut de gamme très contributive, Eurostar cherche à maximiser ses revenus, un peu à la manière d’Air France sur ses vols intercontinentaux avec les classes Premium et Business (en plus de la classe Eco).
ACTIONNARIAT
Lisea, la bonne affaire
Si Vinci Concessions et Meridiam sont montés au capital du gestionnaire d’infrastructures de la LGV SEA pour en détenir désormais chacun 42%, c’est probablement parce que le jeu en valait la chandelle.
Ils étaient quatre, ils ne sont plus que trois. Le 9 octobre dernier, Ardian a vendu toutes ses parts (16,84%) dans le gestionnaire d’infrastructure de la LGV SEA, et la Caisse des dépôts 9,41% pour rester juste au-dessus des 16%, à 16,01%. A ce stade Mobilettre ne sait pas à quel prix, mais une rapide analyse laisse à penser que l’affaire fut très correcte.
En effet, si Vinci Concessions (désormais à 42,04%) et Meridiam (à 41,94%) n’ont pas laissé d’autres investisseurs entrer dans le capital de Lisea en actionnant leur droit prioritaire de rachat, c’est parce que l’entreprise cumule plusieurs bonnes perspectives d’avenir sur les péages de la LGV SEA, avec les renforcements d’offres de SNCF Voyageurs, enfin décidée à accepter la loi de la demande sur l’axe sud-ouest, et l’annonce de l’arrivée de Proxima sur le Grand Ouest dans quelques années – peut-être suivie par d’autres prochainement.
De ce point de vue, la construction du centre de maintenance de Marcheprime, au sud de Bordeaux, pour inciter de nouveaux opérateurs à venir exploiter l’axe, apparaît aujourd’hui décisive dans la valorisation du tronçon Tours-Bordeaux – sans même attendre le futur GPSO qui devrait aussi doper l’offre en amont. Et dire qu’au départ, Vinci Concessions y semblait bien moins favorable que Meridiam…
PLF 2025
Finances, l’effervescence
Avant que la Commission des Finances éclaircisse les conditions d’élaboration et d’exécution du budget 2024 (insincérité du PLF 2024 ? manque de réactivité au premier semestre 2024 ?), les députés ont commencé l’examen du PLF 2025. Et ils font déjà face aux mécaniques inventives de Bercy, qui entend ponctionner les budgets des collectivités locales (voir la remarquable cartographie d’Intercommunalités de France) pour augmenter de quelques milliards les recettes de l’Etat.
Oui mais voilà, et c’est compréhensible vu qu’en fonctionnement les collectivités ne peuvent avoir des budgets déficitaires, elles ne sont pas contentes du tout. Donc selon nos informations, le gouvernement serait en train d’étudier l’attribution d’une part de Versement Mobilité aux régions, qui manifestement ne pourront plus compter en 2025 sur une dynamique économique qui augmenterait leurs ressources issues de la TVA. Que diront les entreprises ?
Serait-ce le début d’une affectation durable d’une part de fiscalité aux collectivités régionales ? Et donc d’une clarification des financements publics ? On n’en est pas encore là: le climat est à l’improvisation d’urgence, et le débat budgétaire connaîtra encore bien des soubresauts au gré des initiatives de l’exécutif et des parlementaires.
ILE-DE-FRANCE
Accessibilité du métro, le premier pas
L’Histoire retiendra peut-être qu’à l’initiative de la présidente de la région Ile-de-France Valérie Pécresse, c’est le 10 octobre 2024 qu’a été portée publiquement l’ambition d’un métro parisien 100% accessible, avec des «Assises du métro pour tous», dans l’Hémicycle de Saint-Ouen. Devant les représentants des associations et l’ensemble des parties prenantes, les élus et les opérateurs ont minoré leurs divergences sur les méthodes et les clés de financement, pour s’accorder un mois après la fin des Jeux paralympiques sur la participation à un comité de suivi du programme «Un métro pour tous», sous la co-présidence de Grégoire de Lasteyrie et Pierre Deniziot.
Ledit programme est encore flou tellement le chantier apparaît gigantesque et difficile – la RATP ne s’est pas privée de le rappeler. Il devrait commencer par les études préliminaires de la mise en accessibilité de la ligne 6, qui coûtent un million d’euros. David Belliard, adjoint aux Transports de la maire de Paris, après s’être interrogé sur la méthode de fixation des clés de répartition entre collectivités, a in extremis concédé que ce ne serait pas un problème pour sa collectivité d’affecter les 300 000 euros demandés par Valérie Pécresse. Quant à l’Etat, sa parole fut succincte – il était représenté par un tout nouveau délégué ministériel dont la marge de progression sur le sujet apparaît substantielle.
Une deuxième étude, de dix-huit mois celle-là, à 3 millions d’euros, devrait donner quelques éléments de stratégie, de phasage et de priorisation.
Pourquoi, par exemple, ne pas rendre accessibles en priorité des stations des communes de la première couronne, par des travaux moins compliqués eu égard leur profondeur et la meilleure connaissance du sous-sol que celui de Paris ? Un parcours de qualité, ensuite, vers le tramway déjà accessible, pourrait constituer un début d’amélioration de l’offre.
Quant à la RATP, si Jean Castex a confirmé son engagement global, elle n’a pas caché qu’elle souhaite reprendre la main sur l’ingénierie des projets… à son rythme. Sur la seule ligne 6, ses premières estimations d’une mise en accessibilité intégrale évoquent… douze à quinze ans de travaux.
L’ambition d’«Un métro pour tous» devra donc s’appuyer sur une multiplicité de progrès, en continu, pour tous les types de handicaps, y compris en matière d’information dynamique et interactive, pour ne pas être déceptive. Et nul doute que la prochaine mise en service des lignes 100% accessibles du Grand Paris Express montreront la voie à suivre.