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La voie est libre
L’affaiblissement du pouvoir exécutif laisse le champ libre aux entreprises pour mener à bien leurs transformations. C’est peut-être salutaire.
SNCF Voyageurs va profondément modifier son organisation pour mieux répondre au développement de la concurrence. Mobilettre vous présente les grandes lignes du projet Destination 2030 (lire ci-dessous). Une transformation, pour ne pas dire une révolution. Disons que ce dernier terme est un tantinet galvaudé depuis 2017 et le livre intitulé «Révolution» d’Emmanuel Macron, au vu de la suite de l’Histoire. On ne voudrait pas porter malheur à Christophe Fanichet et à ses équipes, qui jouent gros dans l’affaire et dans l’histoire qu’ils entendent écrire.
Pendant si longtemps, la SNCF a brandi l’argument de la concurrence à tous les étages sans vraiment affronter la question de son organisation et de ses coûts. Il est donc plus que temps de le faire, à défaut l’entreprise prendra des marchés TER à perte ou les perdra en nombre, tout simplement. Les autorités organisatrices voient déjà suffisamment l’intérêt des DSP pour ne pas avoir envie de revenir en arrière, à un opérateur unique qui confisquait de fait l’expertise ferroviaire, et imposait ses prix.
Face à la pusillanimité de l’Etat, qui soudain tremble en voyant se concrétiser les conséquences de ses envolées réformatrices, il en va de la responsabilité des dirigeants d’adapter leurs process et leurs organisations.
Ce fut le cas, spectaculairement, dans l’énergie, et ça l’est encore. La Caisse des Dépôts a le feu vert des ministres pour reconfigurer le capital de Transdev et l’aider à développer ses activités internationales. Au tour de la SNCF de relever le défi de son avenir. D’ores et déjà SNCF Réseau accroît sa décentralisation, Gares & Connexions cherche de nouveaux modèles de financement ; SNCF Voyageurs désormais joue la responsabilisation de ses sociétés dédiées pour sauver ses centres d’expertise et rentrer dans l’univers des prix de marché.
La croissance globale de l’offre ferroviaire voyageurs, à tous les niveaux ou presque, constitue un contexte favorable à ce défi considérable, par son équation managériale et par son indispensable pédagogie. A force d’entendre des discours d’adaptation récurrents qui ne débouchaient que sur des réorganisations essentiellement cosmétiques (la réforme pour la réforme, le projet pour le projet), les équipes auront-elles envie de changer d’échelle pour inventer une nouvelle SNCF ? C’est tout l’enjeu des prochains mois et des prochaines années. Les politiques s’égarent, les entreprises s’émancipent ? G. D.
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EXCLUSIF
Destination Voyageurs 2030 : business lines, sociétés dédiées et services partagés
Le projet de transformation de SNCF Voyageurs a pour but d’en faire une entreprise compétitive sur ses marchés, à partir de quelques principes de base appliqués aux sociétés dédiées : autonomie, responsabilisation, pilotage contractuel…
Les activités, c’est fini ! En présentant hier jeudi 24 octobre au CSE Central puis aux managers du TOP 1000 le projet Destination 2030, Christophe Fanichet PDG de SNCF Voyageurs et son comité exécutif ont posé une ambition globale, qui n’est «ni un organigramme, ni une revue détaillée de l’organisation de l’entreprise.» Il fallait le préciser, pour marquer à la fois le changement d’échelle, après tant de réformes internes qu’on pourrait presque qualifier de nombrilistes, et la nature de la transformation envisagée. La SNCF pourrait ne plus faire la loi…
On va passer vite sur la cause première d’un tel bouleversement : la croissance de la concurrence (50% des marchés TER et Transilien seront en DSP en 2030). Même si, pour l’instant, les concurrents ne se bousculent pas aux guichets, le cadre est posé et les autorités organisatrices s’y adaptent, à vitesse grand V pour un certain nombre d’entre elles. Ne rien faire, ou continuer à brasser sans changement systémique, c’était prendre un risque considérable. Et puis, en tout état de cause, l’amélioration de la performance est constitutive de toute ambition de services.
Concrètement, deux business lines (excusez les anglicismes et les sigles!) seront créées (TGV Europe pour les marchés open access, à risques et périls, et DSP pour le conventionné – TER, Transilien et Intercités), ainsi que trois services lines (Matériel/Maintenance, Distribution digitale, Tech) qui pourront aussi se développer hors SNCF Voyageurs. La business line DSP sera constituée de SD (sociétés dédiées) affectées à l’exploitation de chaque lot. Surtout, elles seront autonomes et responsables, capables de prendre un certain nombre de décisions économiques, managériales et stratégiques, à l’intérieur d’une sorte de canevas prédéterminé. Ainsi, la contractualisation des prestations de ces SD se feront selon le principe des 3F «fixe/flex/free »: obligatoires pour certaines envers les services lines, mutualisées pour d’autres, éventuellement hors SNCF pour les dernières. Objectifs : donner aux sociétés dédiées les moyens de leur production et leur fournir l’expertise nécessaire. Chaque entité des services lines doit élaborer un catalogue de prestations tarifées, y compris avec l’objectif de se rapprocher des prix de marché.
Conséquence de cette refonte des rôles et des process, les sièges des business lines et la direction générale de SNCF Voyageurs devront évoluer, les premiers vers le développement/la mise à disposition des expertises et le pilotage des marchés, la deuxième vers un pilotage plus transverse et stratégique. En clair : éviter les doublons de fonctions qui embolisent aujourd’hui le système, et coûtent cher. Concrètement, Mobilettre imagine que les directions régionales vont disparaître en tant que telles, et que les directions d’activité reconfigurées se mueront en appui aux sociétés dédiées. La diminution des interfaces sera décisive.
A terme, un grand mouvement de réaffectation des postes et des compétences se profile. Ce sont les cinq premières fonctions transverses qui ouvriront le bal des discussions (numérique, sécurité, RH, Achats, Finance), en vue d’une «vision cible» au cours du premier semestre 2025.
La mise en place d’une société dédiée pour l’exploitation au 1er décembre de l’Etoile de Nice a servi de laboratoire à un certain de modifications et de méthodes. Mais avec Destination 2030, le changement sera beaucoup plus systémique puisqu’il transformera au quotidien toutes les responsabilités managériales. Finalement, pour une très vieille entreprise comme la SNCF, c’est peut-être bien une révolution qui se prépare.
Jean-Pierre Farandou, +2 ?
Ce n’est donc plus un mystère, Jean-Pierre Farandou envisage une dissociation président/directeur général de la gouvernance du groupe SNCF, à l’issue de son mandat en mai prochain. Alors touché par la limite d’âge (68 ans) en vigueur pour les fonctions exécutives, il ne garderait que la présidence du groupe jusqu’au printemps 2027 (date de la prochaine élection présidentielle). Il aura alors 70 ans.
Dans le cadre d’un partage des responsabilités entre l’Elysée et Matignon en matière de nomination des grands patrons d’entreprises publiques, un tel scénario peut arranger l’un et l’autre, d’autant que les sujets urgents ne manquent pas en ce moment. Mais justement, les sables politiques sont si mouvants que la vérité d’octobre ne sera peut-être pas celle de mai. Et d’ici là, il y aura, notamment, la NAO (négociation annuelle obligatoire). Wait and see, donc.
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EN BREF CETTE SEMAINE
GNTC : un soulagement, une dynamique, un nouveau président
Réunis le jeudi 24 octobre en Assemblée générale, les acteurs du GNTC ont ensuite invité comme de coutume les professionnels du transport combiné à échanger sur les sujets d’actualité : montée en puissance des ports et des compagnies maritimes, notamment dans les terminaux, bilan des dispositifs d’accompagnement (Remove et autres), perspectives du combiné rail/route, avec notamment Rodolphe Gintz, directeur général de la DGITM et Matthieu Chabanel, PDG de SNCF Réseau.
D’une certaine façon, le PLF 2025 est un soulagement, alors que nombre de secteurs ont vu le rabot de Bercy entrer en action. Du coup, malgré la persistance des problèmes de capacité et de qualité de service, c’est la bonne dynamique de la demande en 2024 qui l’a emporté dans les débats, avec des chargeurs priés de verdir leurs bilans. Après une exécrable année 2023 (grèves et éboulement en Maurienne), cette année pourrait se finir pas loin des volumes de 2022 pour la rail/route, alors que le fleuve/route, lui, est davantage en difficulté (sur l’axe Rhône principalement).
Rémi Crochet, le nouveau président du GNTC qui a récemment succédé à Ivan Stempezynski, a donc pu rappeler les trois piliers de la performance du combiné: capacité, qualité de service, infrastructures. De ce point de vue, tout le monde semble d’accord pour accélérer la modernisation des terminaux voire la construction de quelques nouveaux, avec la participation d’investisseurs privés qui ont tout intérêt à aller vers l’intégration des opérations.
Transdev : grandes manœuvres et réflexions d’avenir
Depuis l’annonce d’une possible privatisation de Transdev, les spéculations se multiplient sur l’identité des investisseurs en discussion avec la Caisse des Dépôts, outre l’actionnaire minoritaire actuel de l’entreprise, l’allemand Rethmann. Il semblerait que la bonne dynamique de Transdev à l’international suscite les convoitises. Mobilettre vérifie actuellement la matérialité des intentions prêtées à tel ou tel opérateur ou fonds d’investissement.
Pendant ce temps-là, le PDG de Transdev Thierry Mallet continue à réfléchir sur l’avenir des mobilités via son think tank The Mobility Sphere, François Gémenne en étant le directeur scientifique. Au programme d’un échange mardi dernier à Paris : l’adaptation au changement climatique, pour laquelle le Premier ministre Michel Barnier va présenter aujourd’hui un plan national. La mise en exergue des conséquences des événements spectaculaires (inondations, incendies, canicules) rencontrés sur tous les continents par les opérateurs de transport est impressionnante, mais la mise en œuvre des dispositifs de précaution se heurte à de nombreux problèmes : solutions d’urgence ou durables, financement, management, formation. Ou comment convaincre les derniers réticents que l’adaptation ne s’oppose pas à la décarbonation… à condition que les efforts suffisants soient consacrés aux deux priorités. Mobilettre publiera prochainement une enquête sur le sujet.