/ / /
Rompez, ministre Lecornu !
Rompez avec la tentation démagogique, montrez-vous à la hauteur de la situation, agissez et restez sobre.
Voilà ce qu’a dit Sébastien Lecornu, ministre de la Défense, le 6 mars sur France Inter: «Quand on a fait un plan vélo de plusieurs milliards d’euros pour aider les collectivités locales, on peut dire que l’Etat s’est décentré de son rôle principal. Il n’y a pas de schéma dans lequel les mairies vont acheter des missiles ou des sous-marins nucléaires.»
On peut tout à fait considérer qu’il faudrait mettre de l’ordre dans les financements publics, y compris en accordant davantage de fiscalité aux collectivités territoriales – Mobilettre n’est vraiment pas le dernier à soutenir cette logique. Mais de là à faire un tel rapprochement incongru : «Des frégates plutôt que des vélos».
«Des frégates plutôt que des vélos» s’apparente à une opération d’auto-amnistie après des années de subventions en tous genres.
Sébastien Lecornu gonfle d’abord les chiffres : le Plan Vélo évalué à deux milliards d’euros tout compris d’ici 2027 n’a pour l’instant coûté que quelques centaines de millions au budget général – 50 millions au PLF 2025, bien loin du prix d’une frégate (750 millions d’euros environ). Ensuite il s’engage dans une comparaison aussi pertinente qu’un commentaire de François Fillon sur ses amis Russes. La stigmatisation du vélo, quelle facilité !, qui n’a rien à envier aux nouveaux populistes. S’est-il seulement demandé pourquoi son actuelle ministre d’Etat et ex-Première ministre, Elisabeth Borne, avait élaboré une telle politique ? Santé publique, aménagement des villes, décarbonation des mobilités, filière de construction française… La solidarité gouvernementale ne l’étouffe pas plus que le respect des intentions politiques et des chiffres. Cela fera bientôt huit ans que Sébastien Lecornu est ministre, sept ans pendant lesquels les gouvernements d’Emmanuel Macron ont succombé plus que tout autre à la démagogie de la subvention et de l’avantage fiscal. Souvenons-nous des dix milliards d’euros pour l’essence à l’été 2022. «Des frégates plutôt que des vélos» s’apparente à une opération d’auto-amnistie.
Du sérieux, de la sobriété, et au diable ces punchlines dignes d’Hanouna
Cette saillie inappropriée d’un ministre de la Défense qui a failli devenir Premier ministre il y a trois mois illustre une nouvelle fois l’irrésistible attraction de plusieurs poulains d’Emmanuel Macron pour le buzz et l’approximation. On commençait à s’habituer ? La dramatisation de l’Histoire depuis la prise de pouvoir de Donald Trump exige que chacun se montre à la hauteur de la situation – du sérieux, de la sobriété, et au diable ces punchlines dignes d’Hanouna. Gabriel Attal s’est déjà dissous dans l’éphémère. Demain Lecornu ? On notera d’ailleurs que depuis quelques jours une certaine sobriété d’Emmanuel Macron, en tout cas l’absence de provocation publique gratuite, est récompensée dans les sondages de popularité.
Pour faire bonne mesure on va aussi épingler un autre dirigeant qui jusque-là disait ou écrivait des choses plutôt sensées, même si depuis quelque temps il nous paraît s’engager dans des embardées ultralibérales. Nicolas Dufourcq, président de la BPI (Banque publique d’investissement), a déclaré le 5 mars sur France Culture : « La dette, ça sert à financer les investissements, des canons ou des centrales nucléaires, pas le Doliprane de ma mère ». « Des canons plutôt que des médicaments », là aussi la comparaison n’est pas des plus délicates, mais pourquoi pas, le déremboursement n’est pas tabou. C’est en écoutant la suite qu’il faut se tenir aux (vieilles) branches. Selon lui il faudrait davantage solliciter le portefeuille des jeunes retraités pour l’effort de défense, car « avant la période vieillesse des seniors, il y a une période de loisirs pour les 62 à 75 ans, le grand loisir de la soi-disant vraie vie après la soi-disant vie difficile du travail ».
«La soi-disant vie difficile du travail»… Ou comment on peut ruiner en quelques mots toute crédibilité d’un propos.
On n’ose vous souhaiter un bon week-end, vu la tranquillité de votre semaine. G. D.
Saadé chez Trump, l’envers du décor
L’image a choqué : en pleine crise ukrainienne, le PDG de CMA-CGM Rodolphe Saadé debout dans le bureau ovale à Washington, à côté d’un Donald Trump ravi de le féliciter pour ses 20 milliards de dollars investis aux Etats-Unis. Business first, dans un timing politico-médiatique assez désastreux.
Mobilettre a voulu en savoir un peu plus sur les raisons d’une telle scène incongrue, qui menace de coller quelque temps aux basques de l’armateur français. Selon nos informations, elle s’inscrit dans le contexte de tension entre la Chine et les Etats-Unis. CMA-CGM, qui a des accords de partage de capacités avec la Chine, arrange un peu tout le monde par son œcuménisme. Les Américains, bien sûr, par un renforcement de leurs installations portuaires et la création de milliers d’emplois, les Chinois eux-mêmes, qui apprécient de compter sur un tel partenaire… et les pouvoirs publics français, qui n’avoueront pas l’intérêt stratégique d’avoir une entreprise aussi puissante au cœur des enjeux internationaux. Dit autrement, derrière les tensions diplomatiques et les bruits de guerre, le commerce fait office de continuum.
Bien évidemment, CMA-CGM trouve aussi son propre intérêt dans une telle stratégie de développement sur le marché américain, qui est clé pour son avenir : «Je pèse davantage car je parle aux puissants.» Quitte à subir pendant un temps les conséquences d’une séquence télévisée stupéfiante.
. . .
MOBILITES
Premiers éléments sur la conférence de financement des mobilités
Dominique Bussereau en sera le président. Deux grandes séances plénières et des ateliers auront lieu, probablement à partir de mai jusqu’aux vacances d’été, avec une volonté particulière d’aboutir sur l’après-concessions autoroutières.
Son nom circulait avec insistance depuis plusieurs semaines pour la présidence de la conférence de financement des mobilités, dont le principe avait été acté par Michel Barnier quand François Durovray était ministre, puis confirmé par François Bayrou avec Philippe Tabarot. Secrétaire d’Etat aux Transports de 2002 à 2004 avec Jean-Pierre Raffarin comme Premier ministre, puis de 2007 à 2010 sous François Fillon, Dominique Bussereau connaît parfaitement le secteur et ses acteurs, mais aussi Bercy (secrétaire d’Etat au Budget en 2004), qu’il peut contribuer à rassurer, et les collectivités locales. Son choix apparaît aussi logique politiquement que judicieux techniquement.
Pourtant, il fallait vérifier que le Premier ministre François Bayrou, qu’il a côtoyé amicalement depuis leur première élection au Palais Bourbon en 1986 et dans le sillage de Valéry Giscard d’Estaing, ne voyait pas d’inconvénient à un tel rôle – le Béarnais s’était affranchi politiquement de l’UMP avant l’élection présidentielle de 2007, contrairement à Dominique Bussereau qui n’était pas pour autant sarkozyste. Ce fut chose faite, et c’est aujourd’hui même, à l’occasion d’une visite du Premier ministre à l’atelier Alstom d’Aytré, près de La Rochelle, que les deux hommes ont échangé sur cette mission particulière. «Je trouve que c’est une aventure passionnante», nous a confié Dominique Bussereau, au terme de cette journée.
Selon nos informations, David Valence président du COI sera étroitement associé à cette convention qui se cherche un nom plus attractif, ainsi, peut-être, qu’une personnalité représentante des finances privées, une fois vérifié que sa participation ne lui interdira pas toute action future dans le secteur.
Au programme tel qu’il est en train d’être élaboré: une conférence d’ouverture et une conférence de clôture, avec entre les deux une conférence spécifique sur les Serm prévue dans la loi du 27 décembre 2023 et des ateliers, y compris en province, notamment sur quatre thèmes (marchandises, transport public, route et ferroviaire).
Sur le fond, la fin des concessions autoroutières devrait constituer un temps fort de la convention. Hasard du calendrier, l’Etat vient de notifier à la Sanef et à Escota la fin officielle de leurs concessions (fin 2031 et début 2032). L’objectif du gouvernement consisterait à maintenir les revenus des péages, indispensable au financement des infrastructures existantes, avant que l’«inventivité électorale» en 2027 ne les menacent partiellement ou en totalité. Au demeurant, vu l’état actuel des finances publiques, il devrait être davantage question des réseaux existants et de leur optimisation que de projets nouveaux, même si la déconsolidation des investissements de long terme et le recours à l’épargne privée pourraient donner quelques marges de manœuvre.
GRAND PARIS EXPRESS
Ligne 15 Sud : dès 2015 le Stif exprimait ses réserves sur le calendrier
Le récent rapport Ramette-Bense (lire Mobitelex 480) a mis en évidence une mauvaise préparation des essais d’automatisation, qui impose un report de la mise en service et une refonte des process et organisations. Il y a dix ans, le Stif alertait déjà sur plusieurs points précis. Voici ce qu’il écrivait.
Le 8juillet 2015, le conseil du Stif (peu après rebaptisé IDFM) délibérait sur le dossier d’avant-projet de la ligne 15 Sud entre Pont-de-Sèvres et Noisy-Champs. Et que lit-on à l’article 12 ? «Le Stif invite la SGP à présenter un calendrier levant les incompatibilités constatées et intégrant des périodes d’essais de durée suffisante après la fin des travaux permettant de prendre toutes les dispositions pour sécuriser et optimiser les délais de mise en service de la ligne 15 Sud au plus tôt.»
On ne rêve pas : il y a presque dix ans, le calendrier d’essais apparaissait déjà trop optimiste aux yeux de l’Autorité organisatrice… Que n’a-t-il été fait depuis pour dissiper cette inquiétude…
Allons plus loin… Mobilettre s’est procuré le rapport de présentation 2015/257 qui explicite les attendus de la délibération sus-citée. Y sont détaillées les incompatibilités : «Concomitance de l’avancement des travaux tunneliers avec les travaux de terrassement dans une même station, superposition des phases d’installation du système avec les travaux de second œuvre dans les gares, chevauchement des périodes d’essais et de marche à blanc avec les travaux d’aménagement et de finition des gares.»
Mais le Stif ne s’arrête pas là et délivre ce qu’on peut considérer aujourd’hui comme une leçon de maîtrise d’ouvrage qu’il aurait bien évidemment fallu prendre en compte : «La ligne 15 Sud constitue le premier tronçon d’une ligne entièrement automatisée. Le déroulement de ces essais est dépendant de :
- L’achèvement des travaux en ligne et en gare.
- La capacité du site de remisage des rames à accueillir les premières rames.
- L’opérationnalité du poste de commandement centralisé implanté dans le SMR».
Ils ne peuvent donc pas dire : «On ne savait pas…» Ces avertissements rendent encore plus incompréhensibles l’absence de solutions aux problèmes posés et le maintien de calendriers irréalistes.
Lundi dernier 10 mars, le directoire de la SGP présentait au personnel de la SGP réuni au siège de Saint-Denis un plan de mobilisation intitulé «800 jours pour trois rendez-vous», avec d’ici le 3 juillet une succession de jalons prioritaires, la mise en place d’un directeur de la mise en service, un dispositif de task force volante (sic), un commissionning management (sic)… Sans oublier la tenue chaque semaine au Comex d’un point sur ledit plan de mobilisation – Mobilettre y reviendra.
«Ne soyons pas fébriles!», s’est exclamé Jean-François Monteils, accompagné des deux autres membres du Directoire Bernard Cathelain et Frédéric Brédillot, tout en précisant que les dernières semaines avaient été très difficiles. Etant donné l’actuelle crispation des partenaires publics consécutive aux derniers reports, les prochaines pourraient l’être tout autant.
TRANSPORT PUBLIC
Résultats 2024 : belles croissances et grosses batailles
Si les trois opérateurs français de transport public ont fini l’année 2024 avec des chiffres d’affaires en forte augmentation, les conséquences de leurs affrontements en France et à l’étranger seront visibles dès 2025.
A regarder la progression des chiffres d’affaires 2024, la vie est belle ! Transdev juste au-delà des 10 milliards à 10,05 milliards (+8%), Keolis à 7,7 milliards (+9,6%), RATP Dev à 2 milliards d’euros. Presque 20 milliards à eux trois, voilà un secteur qui mériterait un peu plus d’attention publique.
Donc tout le monde a gagné et personne n’a perdu ? A voir. Car Keolis a dû affronter la concurrence très active de RATP Dev en France, vainqueur notamment à Lyon (sur le mode lourd, après l’allotissement voulu par le Sytral), à Caen et au Pays Basque, et de Transdev à l’étranger, notamment à Melbourne sur les Yarra Trams, le plus gros réseaux de trams au monde. Cela se verra à coup sûr dans les comptes 2025, malgré de belles victoires en Ile-de-France (ligne 18 du Grand Paris Express, bus de Marne et Brie) et à Nîmes, des renouvellements à Lille et Rennes (sans concurrent), à Orléans, Besançon et Amiens et dans l’interurbain, et quelques gains offensifs à l’étranger (Danemark, Pays-Bas, Royaume-Uni, Etats-Unis…).
De son côté Transdev a poursuivi sa marche en avant, avec un marché français désormais à 28% de son chiffre d’affaires et la concrétisation très prochaine d’une évolution de son actionnariat, le groupe allemand Rethmann montant à 66% et La Caisse des Dépôts passant à 34%, avec minorité de blocage et dispositions particulières – dont le maintien du siège en France. L’exploitation de la ligne TER Marseille-Nice le 29 juin prochain à 5h57 fait d’ores et déjà figure d’événement «historique», mais c’est aussi beaucoup à l’étranger que le groupe dirigé par Thierry Mallet entend construire une croissance plus rentable.
A ce propos, en 2024 seul Transdev a dégagé une marge positive, au demeurant assez faible – 43 millions d’euros de résultat net part du groupe, soit 0,44% du chiffre d’affaires. Keolis a perdu 42 millions du fait d’une dépréciation d’un goodwill de 2007 en Grande-Bretagne – sans cette dépréciation, le résultat aurait été de +13 millions, soit probablement moins que le bénéfice d’Effia avec ses parkings (+21 millions en 2023). Quant à RATP Dev, la filiale de la RATP n’officialise pas son résultat net, qui selon nos informations était légèrement négatif en 2024. Mais elle a «réglé» plusieurs dossiers délicats (les bus de Londres, les contrats algériens) et rétabli les équilibres en Toscane, en Arabie Saoudite et en Egypte, ce qui rend sa présidente Hiba Farès optimiste. Qui arrivera le premier à une marge de 2% ?
Etant donné qu’à quelques exceptions près (les bus touristiques urbains de RATP Dev, le train de nuit Stockholm-Berlin) les activités sont alimentées par de fortes subventions publiques, il n’est pas anormal que les profitabilités soient structurellement faibles. Mais la quasi absence de marges et la prudence des actionnaires obèrent la capacité de croissance, la capacité d’endettement, elle, n’étant pas infinie. De ce point de vue, Rethmann semble désormais l’actionnaire le plus disposé à accompagner Transdev dans d’éventuelles opérations de croissance externe.