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Qui c’est les plus forts ?
La surreprésentation médiatique des populistes perturbe le débat citoyen et paralyse l’action publique. Heureusement il y a des contrexemples.
Lundi 31 mars, le tribunal de Paris condamne on ne peut plus logiquement les élus RN pris la main, pire, le bras entier dans le sac des deniers publics, et le Premier ministre se dit presque aussitôt troublé «à titre personnel» par… l’exécution provisoire de la sentence ! Dans la foulée, la cour d’appel de Paris promet une célérité inédite quand depuis tous temps elle oppose un silence dédaigneux aux critiques sur sa lenteur.
Peu importe le fond, c’est-à-dire le jugement et ses dizaines de pages d’attendus sans aucune équivoque sur la mise en place d’un système de détournement de fonds public. Voilà des manifestations supplémentaires, à haut niveau, d’une forme d’inversion des valeurs provoquée et encouragée par des tribuns sans complexes, idiots utiles de puissants industriels qui leur accordent les moyens médiatiques de leur logorrhée libertarienne et dérégulatrice. L’équité des candidats face au suffrage universel, encadrée par des dispositions précises et rigoureuses, ne serait plus une garantie démocratique mais une ruse suprême du système pour écarter ses contempteurs les plus radicaux. Et la condamnation de bouffons irresponsables coupables de délits prouverait l’irrépressible tendance des démocraties occidentales à contrarier la liberté d’expression. Rappelons l’ordre des choses : c’est bien la loi qui protège la liberté !
Il n’y aurait donc plus d’espoir : Trump, Le Pen et consorts, ce sont eux les plus forts ? On n’en est pas si certain.
Prenons le cas de notre domaine d’activité, les transports et la mobilité. Quand les élus locaux tiennent bon face aux polémiques orchestrées par les conservateurs déguisés en défenseurs de la liberté, que se passe-t-il ? Rien. Le périph à 50 km/h ? C’est passé crème. Le Navigo Liberté + et la fin des tickets papier ? Un gros succès pour IDFM. La neutralisation de la circulation des véhicules motorisés dans les rues à école ? Une évidence. On pourrait multiplier les exemples de changements obtenus sur le terrain malgré la mobilisation de tous ceux pour lesquels le statu quo est une culture du renoncement.
Quand la baudruche de l’émotion et de la polémique se dégonfle, il ne subsiste qu’un sain débat sur la concertation préalable – Anne Hidalgo aurait dû mieux faire sur ce plan-là, à l’instar de si nombreuses métropoles. Mais lors de la récente consultation des Parisiens sur la végétalisation des rues, il ne s’est trouvé qu’à peine 20 000 personnes pour exprimer leur désapprobation. Où est la soi-disant majorité maltraitée par des élus irresponsables, où sont les troupes de #SaccageParis ? Parfois il faut savoir se compter.
En revanche le problème reste entier au niveau national car le législatif comme l’exécutif restent trop imbus de leurs pouvoirs et défaillants dans le travail de pédagogie et d’accompagnement des changements. L’échec annoncé des Zones à Faibles Emissions, c’est d’abord le leur. Qu’ils en actent l’évidence, transfèrent davantage de vrais pouvoirs aux collectivités territoriales… et se concentrent sur leurs propres (é)missions. Ils éviteront peut-être de se perdre dans le fatras des gesticulations politiciennes. G. D.
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ANALYSE
L’offensive des gestionnaires d’infrastructures indépendants
Les dix ans de l’Agifi, leur association, est l’occasion de vanter le bilan des quatre PPP ferroviaires des années 2010, dans le sillage du concessionnaire Lisea qui franchit une étape dans le développement des trafics avec la construction d’un atelier de maintenance du matériel roulant.
Etaient-ce les premières effluves du printemps ou la proximité du bouquet de tulipes de Jeff Koons, en tout cas la séance d’anniversaire de l’Agifi, l’association des gestionnaires d’infrastructures d’indépendants, jeudi 3 avril au bas des Champs-Elysées, exhalait la satisfaction non dissimulée du devoir accompli. Deux des invités d’honneur de la présidente Valérie Vesque-Jeancart, l’ex-ministre de la Défense et des Affaires étrangères (et ex-président de la région Bretagne) Jean-Yves Le Drian et l’ancien député européen Gilles Savary, n’ont d’ailleurs pas mégoté sur scène leur soutien à un modèle nouveau d’irruption du privé dans le monopole ferroviaire, sans lequel les trois LGV décidées par Nicolas Sarkozy n’auraient probablement pas pu être construites dans la même temporalité.
Le bilan est effectivement flatteur pour les quatre PPP lancés en même temps, en matière de délais, de maîtrise des coûts et de qualité. Invités à dire quelques mots sur leurs entités, Lionel Epely (Lisea/Tours-Bordeaux), Florent Janssen (Ere/BPL), Gilles Rakoczy (Ocvia/CNM) et Pierre-Yves Estrade (Synérail/GSM-R) ont justement insisté sur la performance économique et industrielle de leurs infrastructures, avec des taux de disponibilité proches des 100% et des innovations à même d’en optimiser l’exploitation (lire aussi ci-dessous la performance de Mesea).
Et la suite ? La disette des finances publiques inciterait à solliciter à nouveau l’épargne et les compétences privées pour réaliser les quelques grands projets qui restent sur la table, mais pour l’instant les autorités publiques persistent à vouloir recourir aux potions magiques des ressources affectées.
Pourtant, si l’on écoute bien Gilles Savary, il y a urgence à ne pas rater l’occasion historique que constitue l’explosion de la demande des Français et des Européens en matière de déplacements ferroviaires.
Alors Lisea s’en mêle. Devant plus de 200 personnes place de la Bourse à Bordeaux, mardi 25 mars, le GI désormais dirigé par Lionel Epely a profité du bilan de bientôt huit ans d’exploitation pour afficher publiquement sa stratégie. En constatant le malthusianisme de SNCF Voyageurs, à rebours du marché, le gestionnaire d’infrastructures de la LGV Tours-Bordeaux décidait il y a quelques années de favoriser le développement de l’offre ferroviaire en envisageant un centre de maintenance à Marcheprime, au sud de Bordeaux. Toutes autorisations obtenues en treize mois – c’est une performance -, les travaux viennent de commencer. Proxima, la compagnie financée par le fonds Antin Infrastructures et dirigée par Rachel Picard, a d’ores et déjà réservé le premier hall – Alstom assurera la maintenance des douze rames TGV-M commandées. L’objectif de 2028 reste extrêmement ambitieux, au regard des retards de livraison et de mise au point des premières rames à SNCF Voyageurs.
Il y a fort à parier que cette dynamique a achevé de convaincre SNCF Voyageurs qu’il n’est plus question de tergiverser. Le directeur de l’axe Atlantique Franck Dubourdieu fait son maximum pour offrir davantage de places, avec, notamment, une optimisation des rotations des rames et le renforcement de l’offre Ouigo. Surtout, selon nos informations, un nouveau centre de maintenance devrait être prochainement construit à proximité de Nantes (environ 200 millions d’euros) pour faciliter le développement des offres sur l’axe. La bataille de l’Atlantique va faire rage ! Et les voyageurs devraient en être les premiers bénéficiaires: plus de fréquences et des prix moins élevés?
L’enjeu des raccordements
Jamais Lisea n’est cité mais c’est bien le cas du raccordement au RFN (réseau ferré national) du futur atelier de Marcheprime qui a inspiré l’ART, l’Autorité de régulation des transports, dans l’observation 2.3.2 de son récent avis sur le DRR 2025 de SNCF Réseau, ainsi libellée : «Le DRR ne définit pas encore de cadre suffisamment clair concernant les raccordements de sites tiers au réseau ferroviaire.»
Parmi les remarques adressées à SNCF Réseau, celles-ci : «Les tarifs des études [de raccordement] et leurs modalités de facturation ne sont pas précisés dans le DRR, ce qui ne donne aucune garantie quant à la pertinence de la tarification et au traitement équitable des demandeurs. Par comparaison, d’autres gestionnaires d’infrastructure européens publient des principes de tarification des études pour une configuration de raccordement type, en précisant notamment le tarif horaire des agents mobilisés. Enfin, contrairement à la recommandation formulée par l’Autorité dans son dernier avis et aux bonnes pratiques des gestionnaires d’infrastructure européens, le DRR n’inclut toujours aucun contrat de raccordement type, alors même qu’une telle publication constituerait un gage de transparence et de non-discrimination entre les demandeurs.»
En définitive, le régulateur demande à SNCF Réseau de clarifier les opérations sur les plans techniques et administratifs, de «publier un modèle de contrat de raccordement type» et d’«engager une réflexion sur les éléments qui permettraient de garantir le traitement équitable des différents demandeurs». La tarification de ses raccordements apparait manifestement disproportionnée à Lisea – en l’état actuel des discussions, le montant du raccordement de l’atelier de Marcheprime au RFN serait estimé à 35 millions d’euros. Des discussions sont en cours pour éviter le passage par un réglement de différend.
Question additionnelle: quel sera le tarif de SNCF Réseau pour le raccordement du nouvel atelier de SNCF Voyageurs ?
Mesea, discret et efficace
Un des matériels développés par Mesea pour intervenir sur la LGV SEA.
Un mercredi de novembre 2024, le ciel était tout bleu. Accueilli par les équipes de Mesea et leur directeur Jean-Bruno Delrue, Mobilettre a fait le tour des ateliers et de salles de supervision, à Villognon, petite bourgade charentaise qui avait servi de base-travaux pendant la construction de la ligne SEA.
C’est une sorte de laboratoire à ciel ouvert que les ingénieurs ont mis sur pied pour assurer la maintenance de tous les équipements de la ligne nouvelle, en garantir la disponibilité la plus élevée et l’optimisation de son modèle économique. Au cœur des efforts, les éléments d’une maintenance prédictive efficace: jumeaux numériques, IA pour suggérer la programmation des opérations, modèles de surveillance des circuits de voie pour réduire le nombre de défaillances etc.
La digitalisation des process de maintenance mais aussi de la programmation des plages-travaux et des trames de circulation, en lien avec le GI SNCF Réseau et l’opérateur SNCF Voyageurs, est l’objet de développements particuliers. D’une manière générale, le principe du «c’est celui qui fait qui sait» est appliqué, aussi bien en matière de process, de réduction des cahiers des charges et des applications métiers, qu’en innovations matérielles. Les ingénieurs ont ainsi mis au point des matériels d’intervention spécifiques (photo ci-dessus), à partir des remarques et des besoins des opérationnels.
La stabilité des effectifs est l’un des objectifs majeurs de Jean-Bruno Delrue. Le taux de turn-over ne dépasse pas les 12,5%, ce qui atteste de l’attachement d’équipes (il a fallu trouver 200 personnes en quelques mois lors de la création de la société en 2015) qui sont parties d’une feuille blanche, dans le cadre des prescriptions de SNCF Réseau et de l’EPSF. Une telle création de valeur sur mesure a certainement contribué à installer une culture technique spécifique et motivante. Dans le bilan socio-économique des cinq premières années d’exploitation de Lisea, récemment publié, on lit que le taux de régularité de la ligne a atteint 96% pour les années 2017, 2018 et 2021 (hors Covid), avec un taux d’incidents dus au concessionnaire (Lisea + Mesea) de seulement 10%. What else?
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TRANSPORT PUBLIC ROUTIER
Les assureurs n’assurent plus
France Assureurs, UTPF, FNTV et Direction du Trésor cherchent des solutions pour lutter contre la raréfaction des acteurs sur le marché de l’assurance RC Pro. Les opérateurs sont inquiets.
Le constat est clair : les assureurs ne se bousculent plus pour assurer les véhicules du TRV (Transport routier de voyageurs) en RC Auto (responsabilité civile automobile), indispensable à leurs circulations. Et la crise ne fait qu’empirer depuis une dizaine d’années, jusqu’à une situation aujourd’hui de quasi monopole au profit d’Axa, qui fait monter les prix. Les opérateurs (et les collectivités) s’inquiètent, d’autant que pour échapper à l’envolée des tarifs elles courent le risque de tomber sur des assureurs margoulins ou pas homologués, comme à Guéret début mars où l’exploitation a été interrompue.
Pourquoi une telle situation ? Les assureurs estiment que le ratio sinistres/primes est insuffisant pour permettre de couvrir leurs frais et de dégager une marge nette, et que ces difficultés se couplent à l’augmentation de coûts d’assurances en matière de vol et de responsabilité civile matérielle, ainsi qu’au coût de l’indemnisation des préjudices corporels. C’est bien connu, les assureurs ne veulent pas prendre de risque… Pourtant, les statistiques ne montrent sur la durée aucune hausse de l’accidentologie routière, aussi bien pour les bus urbains que pour les autocars. En 2021, les professionnels justifiaient l’inflation des coûts d’assurance par la survenance de sinistres plus nombreux depuis la création des « cars Macron »… ce qui ne se vérifie pas dans les statistiques de l’accidentologie routière depuis leur création en 2015 !
Quoi qu’il en soit, le marché étant ce qu’il est, les Fédérations (UTPF, FNTV, GART et OTRE) ont décidé depuis plusieurs années d’engager un processus de discussion sous l’égide de la Direction du Trésor. Lors d’une réunion le 30 octobre dernier, les propositions de France Assureurs ont été examinées – elles ressortent principalement de modifications réglementaires voire législatives, certaines impliquant le ministère de la Justice. La plupart sont très techniques, comme la modification du barème de capitalisation qui permettrait d’améliorer la prévisibilité des indemnisations, ou l’adaptation de la commande publique à la souscription de contrats d’assurance. D’autres sont quasi inenvisageables, comme d’exclure les sinistres en cas de conduite sous stupéfiant, de limiter la responsabilité civile des transporteurs vis-à-vis des passagers, ou d’imposer aux juges un barème d’indemnisation des préjudices extrapatrimoniaux…
Le budget d’assurance atteint environ 2% du chiffre d’affaires des entreprises de transport urbain et interurbain. Ce n’est pas négligeable, et on comprend que dans le marasme financier actuel ni les collectivités ni les opérateurs n’aient envie de renchérir ce poste de dépenses, d’autant que les argumentaires présentés par les assureurs manquent de chiffres indiscutables prouvant leur totale bonne foi.