Mobitelex 488 – 8 mai 2025

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Mobitélex. L'information transport

les décryptages de Mobilettre

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Du calme !

La semaine noire du ferroviaire n’aura pas lieu. Et pourtant, quel putaclic ces dernières semaines…

Il y aurait matière à évaluer en chiffres l’emballement médiatique de ces dernières semaines sur la grève SNCF, puis d’en expliquer les mécanismes. Peut-être des universitaires s’y colleront-ils. Chacun son boulot.

Dès le 25 mars Mobilettre était interviewé pour un journal de 20 heures sur «la semaine noire du ferroviaire début mai» ! Cette longue effervescence nous a semblé assez irrationnelle au vu de la matérialité des faits et du contexte social. Peu importe la réelle représentativité du CNA (collectif national des ASCT) et ses demandes très catégorielles (lire aussi ci-dessous), les réticences de la majorité des syndicats représentatifs à le suivre, la faible dynamique revendicative chez l’ensemble des salariés de la SNCF, les concertations mises en place, ou même la baisse tendancielle de la conflictualité dans l’entreprise : l’Histoire d’une grande grève SNCF était écrite car elle devait, fatalement, se répéter…

Elle ne se répétera pas, puisque 90% des TGV devraient circuler entre vendredi et dimanche, mais l’annonce du conflit était si puissamment performative que ses auteurs cherchent aujourd’hui davantage à comprendre le grain de sable qui a enrayé la machine qu’à faire amende honorable sur leur propre emballement. Ils en viennent même à s’intéresser subitement aux trains du quotidien, davantage impactés dans certains régions les trois premiers jours de cette semaine, selon la puissance de la CGT et les contextes locaux, et à faire le procès de syndicats dont ils ont si abondamment relayé les dramatisations.

Faute d’explications et de sérénité, la confusion abîme à nouveau la SNCF, ses dirigeants, ses salariés… et ses syndicats. C’est triste. Rideau ?

Pas tout à fait. Et voilà que la folle mécanique repart, cette fois-ci avec Jean Castex à la SNCF…

Un emballement chasse l’autre. Depuis quelques semaines et encore davantage depuis le début de cette semaine, l’arrivée de Jean Castex affole les rédactions. «C’est fait à 99%», entend-on, lit-on même, alors que quatre éléments, en sus de ceux que nous avons déjà évoqués (lire Mobitelex 486) devraient enjoindre à la plus extrême prudence.

C’est le Président de la République et lui seul qui décide de pressentir un candidat. Les entourages ont beau spéculer et se prévaloir d’être au plus près de Dieu, c’est la fumée blanche qui prévaut.

En niant être officiellement candidat mais en se montrant disponible s’il était appelé, Jean Castex l’a joué fine pour ne pas braquer les syndicats de la RATP, mais il expose de fait le Président de la République, qui a retrouvé quelques couleurs en ne descendant plus dans l’arène hexagonale. Si Jean Castex ne doit sa nomination qu’au fait du Prince, la SNCF redevient une cible politico-sociale, ce qu’elle cherche avec obstination à ne plus être depuis deux décennies et a fortiori depuis la loi de 2018.

La situation des Finances de la Nation étant ce qu’elle est, l’arrivée de Jean Castex, généreux avec les deniers publics, contrecarrerait la stratégie d’assainissement de la SNCF et du système ferroviaire, défendue notamment par Bercy.

Au regard du droit de la concurrence et des règles déontologiques (HATVP), le «transfert» de Jean Castex à la SNCF peut poser problème.

Au vu de ces éléments, et de nos propres informations, la nomination de Jean Castex à la tête de la SNCF ne nous semble pas actuellement au programme.

Et voilà, nous sommes pris nous aussi au piège de devoir écrire à partir d’un emballement collectif pas très rationnel… G. D.

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SNCF

Mouvement des contrôleurs : pourquoi le CNA devrait être en échec ce week-end

Soutenue par le gouvernement, la SNCF a décidé de ne pas subir le mouvement des ASCT. Un pari risqué mais en passe d’être gagné.

Le week-end du 8 mai est loin d’être terminé, mais d’ores et déjà, il est à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire des conflits SNCF. Dans le bel ordonnancement programmé par le CNA (collectif national des ASCT) – mobilisation des roulants, soutien syndical, amplification médiatique -, quelque chose s’est grippé qui aboutit à un probable échec global du mouvement au regard de son ambition initiale : bloquer le maximum de TGV pour obtenir satisfaction au maximum. Cela mérite d’être analysé, même s’il faut rester prudent sur la façon dont les choses vont se passer sur le terrain.

D’abord, et ce n’est pas la moindre des surprises, c’est un gouvernement politiquement très affaibli qui n’a pas flanché face à l’effervescence médiatique et n’a pas fait pression sur la SNCF pour «lâcher les euros» et revenir à la normale au plus vite. Le mérite principal en revient au ministre des Transports Philippe Tabarot, qui n’a pas tremblé et a obtenu d’être suivi dans sa stratégie de «soutien sans intervention» à la direction de la SNCF. Tout juste a-t-il concédé publiquement que les défaillances du système de plannings était audible – ce qui n’est pas faux.

Ensuite la SNCF dans la diversité de sa gouvernance (SA SNCF + SNCF Voyageurs) a elle aussi suivi une ligne claire sur la durée : ne pas trembler face aux revendications catégorielles qui pourraient durablement menacer l’unité de l’entreprise. Les réunions se sont multipliées avec les syndicats représentatifs, qui dans ces conditions pouvaient difficilement appeler à la généralisation du conflit. Ni l’Unsa ni la CFDT, très forte chez les conducteurs, n’ont embrayé. Quant à la CGT, en montant son propre préavis avant le week-end du 8 mai proprement dit, elle a nourri l’effervescence globale sans alimenter l’incendie allumé par le CNA et Sud-Rail.

Manifestement désemparée face à des contrôleurs quinquas qui multiplient les surenchères catégorielles et les exigences au format «tout tout de suite» (notamment au sujet des conditions de départ à la retraite), la direction de SNCF Voyageurs a choisi de solliciter au maximum les VAO (Volontaires Accompagnement Occasionnels) pour réduire le nombre de TGV supprimés. Une stratégie risquée mais assumée, au prix d’une mobilisation managériale très forte, et qui s’appuie sur le soulagement et le soutien des voyageurs prévenus individuellement de la circulation (ou pas) de leur train.

Pris à contrepied, le CNA, Sud-Rail et CGT vont probablement essayer de prendre leur «revanche» dans les semaines qui viennent après ce qui pourrait s’apparenter pour eux à un week-end gris au lieu d’une semaine noire. Auront-ils encore une fois le relais objectif des médias qui pourraient considérer qu’il serait judicieux, au préalable de leurs alertes, d’évaluer la nature des revendications et la consistance des mobilisations ? Déjà ce jeudi 8 mai, plusieurs médias «populistes» relayaient l’appel à la grève de la CGT pour le mois de juin. Ouf, le bazar aura peut-être lieu…


ILE-DE-FRANCE

Contrat RATP-IDFM : ça avance malgré les divergences financières

Après plusieurs mois très tendus, les discussions se déroulent plutôt mieux entre l’autorité organisatrice IDFM et l’Epic sur le prochain contrat entre les deux entités – c’est notamment le cas des sujets non financiers. Selon nos informations il ne devrait plus subsister bientôt qu’une petite dizaine de divergences, susceptibles d’être traitées en présence de la présidente Valérie Pécresse et du PDG Jean Castex. Sur le calendrier, l’audition des présidents d’entreprises publiques est fixée au 20 mai : l’occasion pour conclure ?

En tout état de cause il faudra que les deux entités se rapprochent sur les sujets financiers – rappelons que les budgets d’investissements avaient, eux, été traités fin 2024. Manifestement, elles n’ont pas les mêmes analyses s’agissant des «bénéfices» de la RATP. IDFM considère qu’à hauteur de 86 millions d’euros en 2024 (hors Gestionnaire d’infrastructure) ils devraient rentrer dans la clause contractuelle de partage (qui se déclenche à partir de 30 millions). La RATP les estime à 31 millions d’euros… et revendique de voir augmenter sa marge au nom de son autonomie d’investissement, ce que conteste IDFM qui depuis plusieurs années finance l’essentiel de ces investissements – par exemple le grand programme de modernisation des ateliers de maintenance pour l’arrivée des MF19, nous y reviendrons prochainement. En d’autres termes, l’AO ne veut pas que ses rémunérations à l’Epic servent les développements des filiales en province et à l’étranger.

Cette revendication de la RATP paraît d’autant plus difficile à accepter pour IDFM qu’elle rémunère généreusement les immobilisations de la RATP, via la redevance R2 à 800 millions d’euros par an (12 milliards sur quinze ans). De fait, grâce au gestionnaire d’infrastructures qui a dégagé un résultat opérationnel de 278 millions d’euros en 2024, la RATP a compensé les pertes de ses filiales. IDFM n’entend donc pas favoriser un bénéfice supplémentaire de la RATP sur ses activités de mobilité urbaine, d’autant qu’elle ne note pas d’amélioration substantielle de la productivité alors qu’elle a largement contribué, par la revalorisation de ses contributions aux rémunérations des personnels, à l’accalmie sociale et à l’amélioration de la qualité de service à l’arrivée de Jean Castex.


MOBILISATION

L’armée sur de bons rails ?

Un 8 mai, c’est l’occasion de poser la question des dessertes ferroviaires militaires alors que les stratégies logistiques sont bouleversées par les perturbations géopolitiques.

Les conflits armés à l’est de l’Europe ont remis en pleine activité des organisations un peu en sommeil, comme la Commission Centrale Fer (créée en 1872) et le RSFD (réseau ferré stratégique de la Défense). Car aussi bien l’Otan que l’Union européenne ont compris depuis l’invasion de la Crimée par les Russes en 2014 qu’il fallait revoir les systèmes d’approvisionnement et de transport militaire en Europe. C’est notamment le cas de la France qui avait concentré ses efforts sur ses capacités de projection sur des conflits loin de l’Europe. Ne l’eussent-ils fait que la guerre en Ukraine a définitivement accéléré en 2022 la prise de conscience stratégique.

Des porte-chars à destination de la Roumanie bloqués en Allemagne pour une question de charge à l’essieu, des problèmes de gabarit et d’ouvrages d’art : il était urgent de lancer une revue des infrastructures ferroviaires aptes aux circulations parfois spécifiques de l’armée. SGDSN, DGITM et SNCF Réseau ont travaillé avec la Défense au réseau structurant avec des corridors de mobilité militaire (dont un certain nombre au gabarit M, environ 20 centimètres supérieur au P400) mais aussi aux lignes capillaires susceptibles d’être sollicitées – 86 kilomètres dédiées aux seuls convois militaires (art. 10) et une vingtaine à la desserte spécifique de sites, comme Suippes pour les munitions (art. 11).

Mais la logistique militaire sur rail, ce sont aussi des process, des matériels et des compétences – pour certains convois il faut réduire la vitesse dans les courbes des tunnels, par exemple. Pour dégager des sillons au gabarit exceptionnel, 60 jours sont nécessaires, pour des gabarits normaux c’est moins (de 45 à 15 jours). Les convois sensibles (pour les munitions notamment) sont signalés mais ne disposent pas d’accompagnement spécifique. 400 wagons en bon état sont disponibles ; un appel d’offres est en cours pour renouveler 250 wagons spécifiques adaptés aux nouveaux équipements. C’est Hexafret, le nouveau nom de Fret SNCF, qui assure par contrat la gestion de ces actifs, avec six personnes dédiées à leur pilotage, en liaison avec des officiers de veille et le CSOA (Centre de soutien des opérations et des acheminements), à Villacoublay.

Le conflit en Ukraine n’a pas seulement modifié les organisations militaires européennes, il a également mis en lumière l’importance du réseau ferroviaire pour de multiples besoins en cas de conflit : acheminement des matériels de combat et des munitions, mais aussi des matières premières, transport des troupes, des réfugiés et des déplacés etc. D’une certaine façon, ces usages sont une raison supplémentaire de ne pas abandonner le réseau classique de longue distance et les lignes capillaires. Bercy entends-tu ?


DISPARITION

Jean-Claude Brunier, un entrepreneur innovant et attachant

C’est avec beaucoup de tristesse que nous avons appris en début de semaine le décès accidentel de Jean-Claude Brunier, PDG d’Open Modal qui regroupe plusieurs entreprises bien connues des professionnels du fret et du combiné : TAB Rail Road, T3M, BTM & Combirail. Président du GNTC à deux reprises, il a marqué la profession par son engagement, ses innovations, sa connaissance du marché, mais aussi par son humour et son style. Nous nous souviendrons de son slogan «Libérez les terminaux !», lancé à plusieurs reprises lors des AG du GNTC de sa voix forte et du haut de son grand gabarit, pour bousculer l’immobilisme des gestionnaires d’infrastructures. «Beaucoup l’ont raillé, mais il était précurseur, maintenant tout le monde l’imite», salue Alexandre Gallo, président de DB Cargo, très affecté de sa disparition.

Mobilettre présente à sa famille ses plus sincères condoléances.

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